Explorer les univers parallèles du Copyleft !

A un moment où le législateur français paraît en panne totale d’imagination et se contente d’annoner de loi en loi les mêmes litanies maniaco-répressives, il n’est pas inutile d’aller voir ailleurs, pour constater que des propositions d’alternatives à la riposte graduée, il y en a !

images1Vendredi soir, par exemple, j’assistais à une conférence à la salle des Congrès de Nanterre « Droit d’auteur et Libertés numériques », proposée par le Réseau des espaces multimédia publics de la Ville et le collectif « La Quadrature du Net » (dont le travail militant contre le projet de loi Hadopi est exemplaire, voyez ici). L’occasion d’entendre un très grand Monsieur, Richard Stallman, l’inventeur du logiciel libre et le promoteur de la licence générale publique GNU (GPL). Celui par lequel le Copyleft arriva …

J’avoue que j’ai été saisi par la cohérence et la profondeur de vue du système qu’il propose. Richard Stallman est un vrai « libéral », au sens américain du terme. On dirait plutôt « libertaire » chez nous. Un inconditionnel de la liberté qui ne veut pas en céder un pouce dans l’environnement numérique. Autant dire qu’il n’a pas mâché se mots contre la loi Hadopi, appelant purement et simplement à la désobéissance civile au cas où celle-ci viendrait à être votée.

Richard Stalmann n’est pas seulement « contre » (l’extension de la durée des droits, les DRM qu’il appelle « menottes numériques », les industries de la culture, les superstars, les sociétés de gestion collective ou encore les e-books qu’ils jugent terriblement dangereux pour nos libertés – et sur ce point il a cent fois raison, j’aurai l’occasion d’en reparler-).

Il est aussi « pour ». Pour un autre modèle qui briserait l’engrenage des lois cruelles, injustes et inutiles et qui replacerait au centre du dispositif les libertés numériques. En voici les grandes lignes d’après mes notes :

Richard Stallman propose une refonte totale du système de la propriété intellectuelle en s’inspirant du modèle juridique du logiciel libre. Il s’agit avant tout d’opérer une distinction entre trois types d’œuvres :

  • Pour les œuvres fonctionnelles (celles qui servent à « produire » quelque chose) comme les logiciels, mais aussi les recettes de cuisine, les œuvres de référence (encyclopédies, dictionnaires), les polices de caractères, les œuvres pédagogiques de base, un système totalement ouvert doit être appliqué garantissant quatre libertés essentielles (les 4 libertés du logiciel libre en fait) : utiliser l’œuvre, la copier, la modifier et la diffuser (sous sa forme originale et sous sa forme modifiée) ;
  • Pour les œuvres d’opinion ou d’information : les mêmes principes seraient applicables, sauf la liberté de modifier l’œuvre, afin de garantir l’intégrité et la fidélité à la pensée de l’auteur.
  • Pour les œuvres d’art ou de divertissement : Richard Stallman prône l’application d’une protection par le droit d’auteur d’une durée de 10 ans à compter de la publication de l’œuvre (soit trois la durée au terme de laquelle une oeuvre est épuisée au Etats-Unis -3 ans-). Ce droit d’auteur n’aurait qu’une portée limitée puisqu’il n’empêcherait que le plagiat, la modification de l’œuvre et son exploitation commerciale. L’échange des œuvres sur les réseaux et tous les usages non commerciaux seraient en revanche autorisés.

Richard Stallman estime qu’une telle réforme ramènerait le droit d’auteur à une simple règlementation industrielle (ce qu’elle était au moment de sa naissance à l’époque de l’imprimerie) et permettrait l’exercice effectif des nouvelles libertés numériques par les citoyens. A ceux qui pensent que le droit d’auteur est encore le garant de la créativité, il oppose les exemples du logiciel libre, des sites de recettes de cuisine, de wikipédia (dont la licence GNU/GPL constitue l’architecture juridique) qui attestent que les contenus continuent à être produits dans le contexte du libre.

Parce qu’il n’est pas (seulement) un utopiste, Richard Stallman propose également des pistes pour garantir le financement de la création, dans le cadre d’un système dont bénéficieraient effectivement les créateurs, non des intermédiaires plus ou moins inutiles dans l’environnement numérique (au premier chef les sociétés de gestion collective, mais aussi à terme éditeurs et producteurs) :

  • Un impôt prélevé sur le budget de l’état et versé directement aux artistes sur la base de leur popularité (établie par exemple par des sondages). Il est très important pour Richard Stallman que ces revenus soient calculés sur une base infra-linéaire, en utilisant par exemple la racine cubique (un artiste qui mille fois plus populaire qu’un autre ne serait rémunéré que dix fois plus). Cette base de calcul favoriserait la diversité culturelle et éviterait les dérives commerciales des « superstars » et autres « blockbusters », totalement inutiles (très néfastes même) d’un point de vue social ;
  • Un système de paiements volontaires versés directement du public aux artistes. Ces paiements volontaires existent déjà et font preuve d’une certaine efficacité à la fois pour des artistes connus (type Radiohead) mais aussi pour des artistes plus confidentiels qui choisissent de se produire directement en ligne sans intermédiaire (Ex : Jane Syberry au Canada).

J’ajoute d’autres références dans ce billet pour continuer à explorer les univers parallèles du copyleft.

  • Le livre de Philippe Aigrain « Internet et Création » qui avance des propositions très similaires à celles de Richard Stallman. L’ouvrage comporte surtout une partie qui explore de manière détaillée les pistes possibles pour financer la création autrement que par la biais des revenus du droit d’auteur (mesures de popularité, indices d’usage …) (A noter : le livre est en téléchargement gratuit et sous licence CC. Pour joindre le fond et la forme …).
  • Un article écrit non pas par un dangereux activiste du libre comme Richard Stallman, mais par Marco Ricolfi (à savoir le chairman du High Level Expert Group de l’initiative I2010 Digital Librairies pilotée par la Commission européenne) : Copyright Policy for Digital Libraires in the Context of the I2010 Strategy. Prenez la peine d’aller jusqu’au bout de l’article : l’auteur y introduit la très intéressante notion de Copyright 2.0, à savoir une sorte de retournement complet du système, dans lequel les oeuvres produites sur Internet serait d’office placées sous licence libre, type Creative Commons. Ce ne serait qu’au cas où l’auteur le voudrait expressément que les droits continueraient à être réservés » et que l’oeuvre tomberait sous le régime classique du droit d’auteur.
  • Un article en ligne sur Adminet, « Rénover le droit d’auteur, un impératif de l’économie numérique ». La réflexion porte cette fois sur la notion de « bien numérique commun » (BNC) et propose d’opérer une distinction entre « droit patrimonial privé » et « droit d’usage du bien commun ». Avec en prime un passage automatique des oeuvres dans le domaine public au bout de 20 ans, sauf volonté expresse de l’auteur de maintenir l’oeuvre sous droits, qui règle d’emblée le problème des oeuvres orphelines …



3 réflexions sur “Explorer les univers parallèles du Copyleft !

  1. Je suis content d’être tombé sur votre blog, qui (et c’est suffisamment rare pour être souligné) mets vraiment le droit sur ce qui est intéressant dans ce mouvement. J’ajouterais, pour bien faire comprendre pourquoi Stallman voit les « e-books » d’un mauvais oeil, que les problèmes de format de données sont cruciaux dans ce genre d’approche : les e-books sont problématiques parce qu’ils prennent tous la pente des formats fermés et non interopérables, alors qu’il faudrait aller dans l’autre sens.

    Sinon, la licence de Wikipédia est la GFDL (Gnu Free Documentation License, différente de la GPL), et peut-être bientôt une « Creative Commons Attribution + Partage à l’identique », si la FSF (que dirige Stallman) et la Wikimedia Fundation finalisent le changement de licence.

    1. Bonjour et merci pour votre commentaire.

      En effet, la licence utilisée par Wikipédia est la GFDL et pas la GNU/GPL. Il faudra un jour que je me penche sur la question pour voir quelles sont les différences entre les deux (mais vous pouvez peut-être éclairer ma lanterne ?).

      Concernant les e-books, c’est vrai que le point de vue de Stallman est très intéressant. En l’écoutant à Nanterre, je me suis d’abord rendu compte à quel point l’objet-livre (papier) est un formidable support de libertés. Le feuilletage dans une libraire, le prêt d’un livre à un ami, la revente du livre en occasion, la possiblité de stocker ses livres aussi longtemps que l’on veut et de les consulter comme on l’entend …

      Tout cela existe dans l’univers analogique, mais pourrait être contrôlé, supprimé, monétisé dans l’univers numérique. Et les formules de pay-per-view qui sont envisagées pour les e-books constituent une négation en puissance des petites libertés simples et saines attachées au livre papier.

      Stallman pense même que les éditeurs ont en fait tout intérêt à transférer les contenus textuels de livres vers les Ecrans pour mieux en contrôler les usages.

  2. La GFDL est tout simplement faite pour de la documentation, alors que la GPL l’est pour du code logiciel. Cela implique quelques différences dans la formulation, même si l’esprit est le même.

    Pour les détails, on se reportera aux articles correspondants sur Wikipédia :-)

Répondre à nojhan Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.