La « Commons Clause » de Redis : une mauvaise réponse à de vraies questions ?

La semaine dernière a été marquée par une polémique qui a traversé la communauté de l’Open Source. Elle a pour origine la décision de la société américaine Redis Labs, spécialisée dans les solutions de gestion de bases de données, de modifier la licence sous laquelle elle propose certains des logiciels qu’elle développe. Utilisant jusqu’alors une licence très ouverte (BSD), elle a opté pour une autre licence libre (Apache), mais – et c’est ce qui a fait débat – en lui adjoignant une clause supplémentaire dite « Commons Clause », destinée à protéger ses intérêts commerciaux.

Voici une traduction en français de ce mécanisme :

Le Logiciel vous est fourni par le Concédant en vertu de la Licence, telle que définie ci-dessous, sous réserve de la condition suivante.

Sans restreindre les autres conditions de la Licence, l’octroi de droits en vertu de la Licence n’inclura pas, et la Licence ne vous accorde pas, le droit de vendre le Logiciel.

Aux fins de ce qui précède, « Vendre » signifie exercer tout ou partie des droits qui vous sont accordés en vertu de la Licence pour fournir à des tiers, contre rémunération ou autre contrepartie (y compris, sans limitation, les frais d’hébergement ou de services de support/conseil liés au Logiciel), un produit ou un service dont la valeur dérive, entièrement ou substantiellement, de la fonctionnalité du Logiciel.

Et voilà comment Redis Labs justifie ce changement sur son site :

Les logiciels modernes d’infrastructure Open Source ont créé plus de valeur au cours de la dernière décennie que nous n’aurions pu l’imaginer. Les bases de données, les orchestrateurs, les systèmes distribués et autres technologies logicielles alimentent désormais presque toutes les entreprises de la planète ; tout cela grâce à la philosophie collaborative et partagée de la communauté Open Source.

Cependant, les fournisseurs de cloud d’aujourd’hui ont à maintes reprises violé cette éthique en tirant parti de projets Open Source emblématiques et en les reconditionnant en offres de services concurrents et propriétaires. Ces fournisseurs de cloud contribuent très peu (voire pas du tout) à ces projets Open Source. Au lieu de cela, ils utilisent leur position monopolistique pour en tirer des centaines de millions de dollars de revenus. Déjà, ce comportement a endommagé les communautés Open Source et mis hors service certaines des entreprises qui les soutiennent.

Redis constitue un exemple de ce paradigme. Aujourd’hui, la plupart des fournisseurs de cloud computing offrent Redis en tant que service géré sur leur infrastructure et profitent d’énormes revenus provenant de logiciels qu’ils n’ont pas développés. Redis Labs mène et finance le développement de Redis Open Source et mérite de bénéficier des fruits de ces efforts. Redis est et restera toujours sous licence BSD Open Source, mais nous avons décidé d’empêcher les fournisseurs de cloud de créer des services gérés à partir de certains add-ons sur Redis (par exemple RediSearch, Redis Graph, ReJSON, Redis-ML, Rebloom). Ces derniers sont sous licence Apache 2.0 modifiée avec la « Commons Clause ».

Malaise dans l’Open Source…

En réalité, Redis Labs fait partie de ces nombreuses sociétés spécialisées dans l’Open Source qui ne commercialisent par des logiciels, mais des services associés. Elle offre sous licence libre un système de gestion de base de données que d’autres entreprises peuvent très bien reprendre, à condition de disposer de leur propre infrastructure d’hébergement. Mais pour celles qui n’ont pas ces facilités, elle propose un service payant d’hébergement basé sur cette solution, qui lui permet de réaliser son chiffre d’affaire.

Ce que critique Redis Labs, c’est que d’autres entreprises se comportent comme des « passagers clandestins » en récupérant le logiciel sans contribuer en retour à son développement, mais en fournissant des services payants qui lui font une concurrence directe. D’où la décision de garder le coeur du logiciel sous licence Open Source, mais d’ajouter une clause pour certains modules qui va empêcher dorénavant la commercialisation de services basés sur ce système. Il restera toujours possible pour d’autres entreprises de récupérer le logiciel pour leurs besoins internes, si elles sont en mesure de supporter par elles-mêmes les coûts de déploiement et d’infrastructure, mais la formule en B to B deviendra dorénavant une exclusivité de Redis Labs.

Ce changement de licence a été fraîchement accueilli par une partie de la communauté Open Source, qui lui reproche de contrevenir à ses principes fondateurs. C’est le cas par exemple du développeur Drew DeVault, qui a écrit un intéressant billet à ce sujet sur son blog, intitulé «La Commons Clause va détruire l’Open Source». Il rappelle que la première des quatre libertés du logiciel libre implique que l’on puisse faire usage du programme à n’importe quelle fin et cela implique de ne pas discriminer les utilisations commerciales. C’est ce que l’on peut lire sur le site du projet GNU, qui a historiquement défini les règles du logiciel libre :

« Logiciel libre » ne signifie pas « non commercial ». Un programme gratuit doit être disponible pour l’utilisation commerciale, le développement commercial et la distribution commerciale. Le développement commercial du logiciel libre n’est plus inhabituel ; il joue même un rôle très important. Il se peut que vous ayez payé pour obtenir des copies de logiciels libres, ou que vous ayez obtenu des copies sans frais. Mais quelle que soit la façon dont vous avez obtenu vos copies, vous avez toujours la liberté de copier et de modifier le logiciel, voire de vendre des copies.

Drew DeVault reconnaît bien que la « concurrence déloyale » exercée par les passagers clandestins dénoncés par Redis Labs constitue un problème pouvant affecter la capacité des projets Open Source à s’auto-financer et il raconte en avoir lui-même subi les frais. Mais à ses yeux, remettre en cause les principes des licences libres n’est pas une solution acceptable et il recommande plutôt de se tourner vers le financement participatif, notamment sous la forme de dons récurrents versés par le public tous les mois à un projet, qui permettent selon lui d’obtenir une certaine stabilité.

J’avoue pour ma part me sentir mal à l’aise aussi bien avec la stratégie de Redis Labs qu’avec les arguments de ses détracteurs. Les deux points de vue me paraissent en réalité refléter les contradictions qui affectent le mouvement du Libre et de l’Open Source à propos des questions économiques, et j’avais d’ailleurs déjà eu l’occasion de pointer ces difficultés dans un billet publié en juin dernier sur ce blog : « Les Communs numériques sont-ils condamnés à devenir des Communs du Capital ? »

De la difficulté à penser les logiciels comme Commun(s)

Drew Devault estime que si cette clause se répandait en étant adoptée par de nombreux projets, cela reviendrait à « détruire l’Open Source » car elle aurait pour effet de transformer les logiciels libres en « logiciels propriétaires ». On ne peut pas lui donner tort sur ce point, car cette Commons Clause ressemble en effet à la clause « Non-Commercial » des licences Creative Commons (elle a néanmoins une portée moins grande, car la Commons Clause n’interdit que la vente de la ressource, alors que le NC des Creative Commons interdit tout usage ayant pour but « la recherche d’un avantage commercial », ce qui empêcherait par exemple que des entreprises réutilisent simplement le logiciel en interne). J’ai déjà eu l’occasion de dire, il y a quelques temps, que je n’étais pas opposé à l’emploi de la clause NC des Creative Commons, notamment pour les oeuvres culturelles, lorsque c’est un moyen pour les créateurs de mettre en place un modèle économique viable. Mais en matière de logiciels, les choses sont relativement différentes, car il existe à présent un écosystème économique robuste, avec des formules diversifiées ayant fait leurs preuves sans passer par le NC. A ce titre la Commons Clause marque bien un retour en arrière et c’est une résurgence problématique de la logique propriétaire. Elle revient finalement à s’appuyer sur le droit de propriété pour rétablir une exclusivité commerciale au profit d’une entreprise.

De ce point de vue, je trouve dommageable que Redis Labs ait choisi d’appeler ce mécanisme « Commons Clause », faisant par là référence à la théorie des Communs. Certes ce courant s’inscrivant dans la lignée des travaux d’Elinor Ostrom prend en compte le problème des « passagers clandestins » contre lesquels il convient de lutter pour assurer la pérennité des ressources mises en partage. Mais cette pensée est aussi basée sur une critique de l’exclusivisme propriétaire qui fait ici un retour assez brutal avec la clause ajoutée par Redis Labs. Drew Devault va jusqu’à dire que les développeurs qui ont contribué aux modules du projet Redis ont été floués et que la société leur a « volé leur travail », puisqu’elle va à présent l’enfermer dans un logiciel propriétaire. On voit donc que cette intention de lutter contre les passagers clandestins finit par déboucher sur une forme d’enclosure du Commun, ce qui est contradictoire.

D’un autre côté, la réaction des tenants de la tradition de l’Open Source ne me paraît pas non plus satisfaisante, notamment leur manière de s’accrocher au dogme de la non-discrimination des usages commerciaux. C’est d’ailleurs un problème affectant de manière bien plus large la sphère des logiciels libres et Open Source, qui ont dans leur grande majorité soit du mal à dégager par eux-mêmes les moyens nécessaires pour s’auto-financer, soit des liens de dépendance économique avec des firmes capitalistes sans lesquels ils ne pourraient assurer leur pérennité. Si l’on reprend le cas de Redis, il faudrait idéalement que les entreprises de cloud computing consacrent des moyens pour contribuer en retour au développement de son logiciel, ce qui est par exemple la situation de Linux. Mais cette configuration soulève elle aussi des questions dans la mesure où elle transforme les logiciels libres en des « Communs du Capital », placés dans la dépendance d’entreprises dont le comportement peut par ailleurs poser question. On peut par exemple se féliciter qu’IBM, Google, Facebook ou même Microsoft soient devenus des contributeurs importants à Linux, mais ces acteurs constituent aussi des incarnations du « capitalisme de surveillance » que les libristes dénoncent et combattent par ailleurs…

Il en résulte une contradiction extrêmement problématique, qui ne pourra à mon sens être levée qu’en se donnant la capacité de discriminer certains usages commerciaux parmi d’autres. On pouvait difficilement s’attendre à ce que Redis Labs procède ainsi, car cette société constitue elle-même une entreprise capitaliste tout ce qu’il y a de plus classique, dont le financement a été assuré en mode startup par des levées de fonds auprès de pourvoyeurs de capital-risque. Il était donc assez logique qu’ils choisissent de protéger leurs intérêts commerciaux en retombant dans la logique propriétaire. Mais il existe d’autres propositions de licences, qui envisagent autrement cette fameuse « Commons Clause » et dans un sens – à mon avis – bien plus compatible avec la philosophie des Communs.

Sortir de l’agnosticisme économique

C’est le cas des licences à réciprocité renforcée, dont j’ai eu l’occasion de parler à maintes reprises sur ce blog. La plus connue est la Peer Production Licence, élaborée par l’allemand Dmitry Kleiner en modifiant une licence Creative Commons CC-BY-NC-SA. Le résultat pourrait paraître à première vue assez proche de la formule « Licence Apache + Commons Clause » de Redis Labs, sauf que Kleiner n’avait pas pour but d’interdire tous les usages commerciaux, mais seulement ceux d’entreprises non-structurées sous la forme de coopératives. Son intention était de créer un pont entre la sphère du Libre et celle de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) pour protéger les ressources des comportements des acteurs obéissant à une logique « extractiviste ». L’idée consiste à faire en sorte que la valeur générée par les Communs ne soit pas aspirée en dehors du cercle des acteurs contribuant à leur développement pour participer à l’accumulation du capital. On voit donc que le problème n’est pas en lui-même la commercialité ou le fait d’opérer sur le marché, mais certains types de comportements économiques découlant de la nature même des acteurs.

L’enjeu pour les Communs n’est pas – comme veut le faire Redis Labs – de préserver le modèle économique d’une entreprise déterminée, mais de constituer au niveau global une « Economie des Communs » qui puisse garantir le développement et la pérennité des ressources partagées, en coupant les liens de dépendance avec les entreprises capitalistiques classiques. Le problème du « capitalisme de surveillance » réside autant dans la surveillance que dans le capitalisme lui-même, or le mouvement du Libre et de l’Open Source s’est interdit d’attaquer le fond du problème à cause de « l’agnosticisme économique » inhérent à la manière dont les quatre libertés du logiciel libre ont été formulées.

La Peer Production Licence a eu le mérite de montrer la possibilité d’une autre voie, mais il en a résulté un prototype encore imparfait. D’autres tentatives de formulation de licences à réciprocité sont actuellement en cours. La Coop des Communs propose par exemple un « Coopyright » articulé autour de l’idée de non-lucrativité ou de lucrativité limitée, qui permet d’atteindre un résultat assez similaire à la Peer Production Licence, mais en embrassant l’ensemble des structures ESS et pas seulement les coopératives. Une autre piste à surveiller est celle du projet CoopCycle qui va bientôt proposer une licence à réciprocité adaptée au logiciel. Visant à lutter contre l’ubérisation en proposant une alternative éthique à des sociétés comme Deliveroo, CoopCycle doit nécessairement se donner les moyens de discriminer entre les acteurs commerciaux comme ils l’expliquent dans ce billet (« Comment protéger les logiciels libres contre la prédation capitalistique ?« ) :

Si Wikipedia prouve que les licences libres sont tout à fait compatibles avec la gestion en Commun, l’objectif politique ne l’est pas. En effet, vous conviendrez qu’il serait paradoxal de développer un logiciel dans le but d’offrir une alternative aux géants de la foodtech, plus responsable socialement, et dans le même temps de laisser se développer des entreprises beaucoup moins scrupuleuses quant au statut et à la protection sociale de leurs livreurs sur la base de ce même logiciel. C’est pourquoi aujourd’hui, toute la problématique à laquelle nous cherchons à répondre est celle de la licence adéquate pour concilier les grands idéaux du mouvement libriste avec cette exigence de responsabilité sociale.

***

Voilà précisément ce qu’il manque à la Commons Clause de Redis Labs pour mériter réellement son nom : un lien assumé avec la transformation sociale et la responsabilité sociale, associé à une vision économique claire capable de distinguer chez un acteur marchand un comportement prédateur d’un comportement génératif. On peut donc dire au final que la Commons Clause constitue une mauvaise réponse à de bonnes questions. L’erreur de Redis Labs est de prétendre faire du Commun en ne prenant en compte que la protection de son propre modèle économique, sans voir que l’enjeu véritable n’est pas microéconomique mais macroéconomique. Il consiste à mettre fin aux liens de dépendance qui font encore trop souvent des Communs numériques de simples pseudopodes du Capital participants à sa reproduction, là où l’urgence absolue consiste à se donner les moyens d’en sortir.

[Mise à jour du 29/08/2018 : on pourra prolonger la lecture de ce billet par un autre chez Framasoft, intitulé « Les logiciels libres meurent lentement sans contribution » qui aborde sous un autre angle ce phénomène des passagers clandestins menaçants le logiciel libre d’une Tragédie des Communs].


18 réflexions sur “La « Commons Clause » de Redis : une mauvaise réponse à de vraies questions ?

  1. Hello,

    Merci pour l’article.

    Perso ça me semble quand même mélanger des carottes et des choux les clauses type coopérative ! (Même si par ailleurs j’aime beaucoup les coopératives).

    Je trouve que c’est dommage car ça discrimine sur qui tu es plutôt que sur ton comportement. Une licence devrait plus porter sur le mode d’utilisation du logiciel. Tu peux très bien avoir une coopérative qui se comporte en prédateur et une entreprise commerciale qui sache collaborer sur une activité spécifique.

    Je suis plus pour une licence plus défensive type AGPL avec une possibilité de double licence (achat d’une licence commerciale) pour qui veut faire à moins (et paye donc une caution à la communauté pour le travail dont il bénéficie).

    1. Bonjour,

      Redis Labs explique sur son site qu’ils ont envisagé la solution de la double licence (AGPL + licence commerciale), mais qu’elle ne les protège pas contre les comportements de passagers clandestins qu’ils dénoncent. En effet, le Share Alike impose de repartager sous la même licence les améliorations apportées au logiciel, mais pas de reprendre le logiciel tel quel pour proposer un service payant avec. Du coup, même si cela a des vertus qu’il ne faut pas minimiser, cela laisse entière la question de la soutenabilité du modèle économique.

      Par ailleurs, même si c’était une solution au problème ici dénoncé, cela ne garantit pas que le retour financier se fasse au bénéfice de communauté qui a fourni le travail pour produire le logiciel. L’argent irait à la société et comme je l’ai dit dans le billet, Redis Labs est une entreprise capitalistique tout à fait classique, fonctionnant selon une logique extractiviste de la valeur.

      C’est bien là qu’on ne peut pas dire que tous les usages commerciaux se valent et qu’on ne peut pas notamment amalgamer une coopérative (ou une autre structure ESS) avec une entreprise classique. Les coopératives ont un capital qui appartient à leurs travailleurs ou à leurs usagers, selon qu’il s’agisse d’une coopérative de production ou de consommation. Elles fonctionnent selon des principes démocratiques (un homme / une voix) et elles obéissent à des règles de lucrativité limitée, avec les excédents qui vont alimenter des réserves impartageables. Autre point important (surtout dans l’environnement numérique), elles ne peuvent pas être rachetées (ou seulement difficilement).

      Tout cela fait qu’on ne peut pas dire qu’elles puissent se comporter « comme des prédateurs », parce qu’il y a des principes structurels qui empêchent ce type de dérives. Voilà pourquoi il vaut infiniment mieux prendre en compte des critères organiques, tenant la nature des structures, plutôt que des critères de comportement, qui sont toujours difficiles à interpréter et qui laissent la porte ouverte à la récupération.

      La preuve, comme je le dis dans le billet, les premiers contributeurs à Linux (les IBM, Microsoft, Google, Facebook et autres) sont quasiment tous des entreprises trempées jusqu’au cou dans le capitalisme de surveillance, ce qui pose un très sérieux problème de cohérence.

  2. > La preuve, comme je le dis dans le billet, les premiers contributeurs à Linux (les IBM, Microsoft, Google, Facebook et autres) sont quasiment tous des entreprises trempées jusqu’au cou dans le capitalisme de surveillance, ce qui pose un très sérieux problème de cohérence.

    Pas vraiment, selon moi. Justement le logiciel libre réussit simplement ce tour de force de transformer les comportements « égoïstes » en une forme « altruiste ». Clairement IBM, Microsoft, Google ou Facebook ne développent pas du libre pour les petits oiseaux et la paix dans le monde. On en est tous conscients. Comme pour à peu près tout ce qu’ils font, ils le font pour leur gueule. Simplement ils ont compris que le logiciel libre est finalement bien plus rentable (oui, c’est vraiment pas altruiste!) au long terme, donc ils font ainsi, même si cela veut dire partager du code avec le monde (et notamment les concurrents).
    On a ainsi bien rendu un comportement égoïste en altruiste.

    La seule conséquence possible de ce type de « Commons Clause » sera de faire cesser les contributions. Qui voudra contribuer pour un logiciel qu’on sait ne pas avoir le droit d’utiliser professionnellement?
    Et même les versions à « réciprocité », c’est problématique. Soit la licence est super précise (comme par exemple dire « seulement les coops », comme l’exemple plus haut), et dans ce cas, dès qu’on sort un peu des cases, ça va plus. Je peux clairement imaginer une boîte super bénéfique dans un format classique, de même qu’une coop pas cool (l’une des plus grosses SCOP par exemple est « chèque déjeuner », ben j’ai quand même du mal à les considérer comme des anges). Soit on essaie d’être plus générique, mais cela a le risque de devenir flou (donc risque juridique).

    Quant au fameux passager clandestin, il s’agit simplement d’un mal pour un bien. En fait, les licences libres incitent clairement les entreprises à contribuer et à transformer leurs velléités égoïstes en altruisme involontaire. Je l’expliquais plus haut. C’est plus ou moins prouvé par l’histoire du Logiciel Libre (comme tu le notes avec l’exemple Linux). Par contre, oui, cela incitent d’autres sociétés encore à simplement prendre sans donner. La question, c’est: le bien (inciter des entités à donner) vaut-il le mal (inciter d’autres entités à prendre)? C’est simplement une question de balance, à savoir si on pense que l’on y gagne plus que l’on perd.

    D’ailleurs soyons clair: Linux a bien bien plus de passagers clandestins qu’il n’a de contributeur. En gros quasi toute personne utilisant une distribution basée sur Linux (les téléphones Android compris) sont des passagers clandestins, moi inclus (je n’ai pas contribué une ligne de code au noyau). Pourtant « ça fonctionne »!
    Je doute qu’on aurait pu dire la même chose s’ils avaient tenté une licence avec « Commons Clause » ou réciprocité ou quoi que ce soit du genre.

    Déjà il faut se demander: y perd-on vraiment d’ailleurs (l’histoire semble dire « non », cf. tous les logiciels libres, le noyau Linux compris, à succès qui fonctionnent malgré leur taux élevé de passagers clandestins)? Quand certaines entités prennent sans contribuer, cela fait-il vraiment du tort à celles qui contribuent au logiciel libre? Certaines le pensent clairement, comme Redis Labs, mais ce n’est absolument pas prouvé. Absolument rien ne prouve que le fait que si les hébergeurs « clandestins » ne vendaient pas ces solutions contenant du Redis, alors les gens iraient signer un contrat avec Redis Labs à la place. Perso, je suis même persuadé que non. C’est exactement la même logique (totalement bancale) des majors des industries audiovisuelles qui disent que la contrefaçon (films, musique…) est de l’argent qui leur est « volé » (comme si les gens qui copiaient auraient acheté s’ils n’avaient pu copier).
    Ces hébergeurs ont proposé un service probablement assez différent de Redis Labs, avec pas seulement du Redis (mais plein d’autres services) d’ailleur.

    Ensuite je pense que si on pèse le pour et le contre, le « pour » l’emporte clairement. En tant que dév du Libre, cela me paraît évident (mais encore une fois, on ne peut pas y mettre de chiffres, sauf à créer une réalité alternative pour comparer). Pour moi, c’est la même logique que ceux qui croient que dans la vie, il y a des « prêtés pour des rendus ». Les gens qui fonctionnent ainsi sont nombreux, et c’est une vision tellement triste de la vie. Mais non je vis bien mieux en donnant seulement, et je me rends compte qu’on me donne alors beaucoup. Pas forcément des mêmes personnes. Pas parce que j’ai donné. Non ces personnes donnent aussi parce que comme moi, elles ont été égoïste dans une logique où faire pour elle-même signifie faire pour le monde (ou pour moi). Et au final, on est tous plus heureux. C’est cela pour moi le Logiciel Libre: on se dit juste tous que c’est mieux pour soi de contribuer, et magique! Ça marche!

    Quel dommage. J’aimais vraiment beaucoup Redis. :-/

    1. Se focaliser sur Linux est en réalité trompeur, car si on adopte une perspective globale, on se rend compte que l’équilibre économique général du Libre/Open Source ne tient pas.

      C’est clairement ce qui ressort du livre : « Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? » de Nadiah Eghbal dont voici le pitch : https://books.openedition.org/oep/1797?lang=fr

      Aujourd’hui, la quasi-totalité des logiciels couramment utilisés sont tributaires de code dit « open source », créé et maintenu par des communautés composées de développeurs et d’autres talents. Ce code peut être repris, modifié et utilisé par n’importe qui, entreprise ou particulier, pour créer ses propres logiciels. Partagé, ce code constitue ainsi l’infrastructure numérique de la société d’aujourd’hui… dont les fondations menacent cependant de céder sous la demande !

      En effet, dans un monde régi par la technologie, qu’il s’agisse des entreprises du Fortune 500, du Gouvernement, des grandes entreprises de logiciel ou des startups, nous sommes en train d’accroître la charge de ceux qui produisent et entretiennent cette infrastructure partagée. Or, comme ces communautés sont assez discrètes, les utilisateurs ont mis longtemps à en prendre conscience.

      Tout comme l’infrastructure matérielle, l’infrastructure numérique nécessite pourtant une maintenance et un entretien réguliers. Face à une demande sans précédent, si nous ne soutenons pas cette infrastructure, les conséquences seront nombreuses.

      Pour un exemple de réussite, comme celui de Linux (qui a en réalité un statut à part tenant à la nature même du logiciel), on peut citer de nombreux exemples où l’équilibre des contributions n’est pas atteint et où l’on assiste clairement à une « Tragédie des Communs ». Celui qui m’avait ces derniers mois le plus frappé est celui de Gimp dont les développeurs avaient été contraints de lancer ce qu’il faut bien appeler un appel à la charité publique en expliquant la grande précarité dans laquelle ils vivaient malgré la très large diffusion de leur logiciel : https://www.nextinpact.com/brief/l-un-des-developpeurs-principaux-de-gimp-appelle-a-l-aide-742.htm

      Même pour ce qui est de Linux, on ne peut s’en tenir à un simple calcul « d’efficacité ». C’est d’ailleurs ce que je critique dans le billet à propos de l’Open Source. Car comment parler encore de « Commun » lorsque plus de 95% de contributions à un logiciel sont effectuées par des salariés de grandes entreprises ? Le Commun ne se définit pas uniquement par la production d’une ressource partagée, mais aussi par la capacité à maintenir une gouvernance autonome. Jusqu’à quel point peut-on se dire « autonome » lorsqu’on dépend à ce point de contributions de firmes capitalistes gouvernées par la recherche échevelée du profit et les desiderata de leurs actionnaires ? C’est ce qui autorise à dire que Linux est devenu un « Commun du Capital » par incapacité à entretenir un modèle économique indépendant autour de cette ressource.

      Cette incapacité à relier le Libre/Open à la nécessité de l’émergence d’une réelle « Economie des Communs » frappe de près ou de loin la totalité des grands projets de la Culture Libre. Il y a déjà eu des tentatives d’intrusions de Google dans la gouvernance de Wikipédia (et il y en aura encore). Et on peut aussi dire que la dérive très problématique de Mozilla, notamment sur les questions de respect de la vie privée, tient à la difficulté à maintenir dans le temps un modèle économique autonome. Certains, comme Aral Balkan, vont jusqu’à dire que Mozilla est désormais pleinement intégré aux rouages du « capitalisme de surveillance »… https://mastodon.ar.al/@aral/100622993383696673 Je ne sais pas si on peut aller jusque là, mais cela devrait sérieusement nous alerter.

      C’est pourquoi je trouve problématique que l’on puisse soutenir que le Libre/Open Source parvient à faire adopter à ces firmes un « comportement éthique ». J’imagine que cela doit ravir ces sociétés de voir que l’on tient ce genre de discours à leur sujet, car cela sert pleinement leurs objectifs de communication en termes d’Open Washing.Mais l’éthique est un sujet qui doit être apprécié au niveau global et quel que soit le niveau de contribution de Facebook au noyau Linux, cela ne fera jamais de ce Leviathan une entreprise éthique…

      Donc non, on ne peut pas affirmer que « le compte y est » et on perd beaucoup à ce que le Capital soit en réalité devenu le passager clandestin du Libre/Open Source.

      S’il n’arrive pas à remettre en cause son « agnosticisme économique », ce mouvement finira même par y perdre complètement son âme…

      La lueur d’espoir vient pour moi à présent de projets comme Coopcycle qui se sont bâtis sur une analyse économique lucide et sans concession.

      1. Alors déjà je vais commencer par celle-là car ça m’a fait rire:

        > Celui qui m’avait ces derniers mois le plus frappé est celui de Gimp dont les développeurs avaient été contraints de lancer ce qu’il faut bien appeler un appel à la charité publique en expliquant la grande précarité dans laquelle ils vivaient malgré la très large diffusion de leur logiciel

        Je me rends compte que je poste avec un très vieux login wordpress.com (j’avais pas fait gaffe), donc tu peux pas savoir, mais… c’est de moi que tu parles. Je suis Jehan, de GIMP. :P

        Ensuite après le petit côté marrant du fait que tu me cites en exemple sans le savoir, en fait, ça m’attriste si tout ce que tu retiens de ma demande de financement participatif, c’est « les pauvres développeurs de logiciel libre, ils sont à la rue » et « c’est une preuve de l’échec du logiciel libre ». Oui je touche très peu, et oui je le faisais savoir aux gens. C’est une partie du principe du crowdfunding. En outre, je suis certes en situation précaire (c’est pas moi qui le dit, c’est le modèle même de mon activité en cours). Par contre dire que je vis dans la « grande précarité », là c’est pousser le bouchon un peu loin (et même très probablement assez insultant pour ceux qui sont vraiment dans la grande précarité et qui rêveraient de ma situation). Je suis pas non plus à la rue.
        Ensuite (et surtout) j’ai choisi. J’ai déjà travaillé en France avec un salaire d’ingénieur tout à fait respectable et à l’étranger avec un salaire que je n’aurais pu imaginer en France. Si je fais ce que je fais, c’est que je l’ai choisi. Et je vais te dire même: j’en suis heureux! Tu vas peut-être pas me croire, mais je pleure pas tous les jours de ma situation (ceux qui me rencontrent régulièrement pourront te le confirmer; je pense que tu connais des gens de l’APRIL ou Framasoft, je pense pas qu’ils me décriront comme un clochard dépressif… enfin j’espère!). :P
        Comme je disais, j’ai non seulement choisi, mais je pourrais revenir sans problème à un modèle de CDI avec salaire indécent si je le souhaitais! Je dis pas ça dans le sens « je suis un génie », mais c’est simplement la situation actuelle dans le milieu pro du développement informatique. Je suis simplement un développeur de bon niveau, et je peux trouver sans problème un bon boulot, comme les nombreux autres développeurs dans mon cas.

        Mais non, j’aime ce que je fais: je fais du logiciel libre, car j’aime ça. Et j’ai une liberté que je n’ai jamais eu dans mes années en CDI avec mes super salaires et parfois même des managers insupportables (même si j’ai aussi eu de très bons managers d’autres fois). Encore une fois, c’est un choix, et y a pas à me plaindre. Alors oui j’aimerais bien avoir un salaire décent, voire même à nouveau un très bon salaire tout en continuant de faire ce que je fais. C’est pourquoi je lance parfois des appels pour dire aux gens « écoutez, moi je développe GIMP tout en faisant un film d’animation sympa, cette liste de trucs, c’est moi qui l’ai faite, et ça c’est ce sur quoi je travaille pour le futur; et si possible j’aimerais en vivre, mais pour l’instant, c’est limite » en espérant que ça plaise aux gens pour qu’ils veuillent me financer.
        Si un jour j’estime que je ne peux plus continuer ainsi, et qu’il me faut revenir à un modèle CDI sans liberté et sans faire du libre dans une boîte quelconque, je le ferai. Personne me force.

        Ah oui, et quand tu dis:

        > contraints de lancer ce qu’il faut bien appeler un appel à la charité publique

        Je sais pas s’il faut le lire de manière négative (« ouuuh il fait la manche »), mais perso j’ai aucune honte. C’est le principe du crowdfunding, et tu sais quoi, je trouve cela génial. Moi j’appelle pas cela « la charité publique » (qui a une connotation « comme les sans abris dans le métro », encore une fois, on retrouve l’idée que je suis dans la « grande précarité »). J’appelle cela « investir dans les communs ».
        Ce type de financement participatif est en effet pour moi tout à fait un investissement dans notre futur (la partie numérique de ce futur, dans ce cas précis, car y a d’autres investissements à faire, écologiquement, etc.). Ce n’est pas un investissement où on met une somme d’argent en espérant recevoir beaucoup plus en retour dans quelques années. Non là on met une somme d’argent pour faire progresser GIMP en particulier, et les logiciels libres en général.

        Quand j’avais moi-même beaucoup d’argent (c’est à dire mes périodes CDI et bon salaire), je donnais aussi pas mal d’argent à des assos du libre (ou d’autres d’ailleurs, pas que le libre), et je le referai quand je serai à nouveau dans une bonne situation financière. Je trouvais ça déjà très beau, et je ne considérais sûrement pas faire la « charité » à l’époque. Je considérais investir pour un monde meilleur.

        Mais bon ça m’attriste beaucoup de lire que tu considères notre projet comme un exemple d’échec. Perso je nous considère vraiment sur la bonne voie (comme nos amis de Framasoft disent: « la route est longue, mais la voie est libre »), et bien qu’on ne soit pas plein aux as, on arrive quand même à s’en sortir (déjà depuis plusieurs années!) et à vivre décemment (je répète: on n’est pas à la rue). Je pense qu’on se débrouille assez bien avec le peu qu’on a, et perso je nous considère plutôt comme un exemple qu’on peut y arriver en persévérant (on n’est pas encore au bout, mais on avance toujours; en tous cas, on n’a pas échoué!).
        L’un des points particulier de notre projet est aussi qu’on tente un nouveau concept dans le libre. En particulier, on ne s’est pas lancé dans cette fameuse voie « faire du service », ce que tant de monde a considéré être presque le seul moyen de subsister en faisant du libre pendant des années. Ben non, on essaie autre chose. On part à l’aventure.
        Je rajouterais que *même si on devait finalement abandonner*, je ne considèrerais pas cela comme un échec! C’était une expérimentation et elle fonctionne depuis des années. Je trouve cela vraiment pas mal du tout (sans vouloir trop me vanter! Disons que moi j’en suis content en tous cas et que j’apprécie ma situation). Et cette expérimentation, quel qu’en soit le résultat, ne sera qu’une étape de plus dans nos vies, pour nous amener à faire le pas suivant. Ce n’est pas un échec. C’est simplement la vie.

        1. P.S.: j’avais initialement préparé un gros texte pour répondre au principal de ton commentaire et finalement je l’ai abandonné.
          Je me suis dit que répondre à cette partie qui me concernait était plus importante (pour moi) car c’est un peu un choc de lire notre projet comme un exemple de « tragédie » alors que je trouve qu’on s’en sort vraiment pas trop mal. Et puis c’était suffisamment long déjà rien qu’avec ça! :P

          Je dirais juste (tout de même) qu’il ne faut pas sacrifier les bonnes choses par peur. De même que certains veulent sacrifier leur liberté avec encore plus et plus de surveillance, par peur; en lisant ton texte, j’ai l’impression que tu veux sacrifier les bases même du libre par peur (financière cette fois). Tout le monde peut utiliser du libre (quel que soit son niveau de finances) et en faire ce qu’il veut. C’est primordial de garder cela selon moi.
          Ah et pis j’ai jamais dit que les boîtes que tu cites avaient un « comportement éthique »! Tu l’as inventée celle-là. :P

          Enfin voilà. Comme je disais, je vais pas copier-coller tout le texte que j’avais initialement préparé.
          Par contre, on peut se rencontrer avec plaisir pour discuter autour d’un café. Je te l’avais déjà dit lorsque tu avais fait un article sur une licence basée sur les droits culturels. Je t’avais alors dit que je trouvais l’idée séduisante et que j’étais intéressé pour être dans la boucle (ainsi que notre asso, LILA) si une telle chose devait être réfléchie en groupe. Aux dernières nouvelles, je crois que rien ne s’est produit à ce sujet, d’ailleurs, non?

          Donc voilà, si tu veux qu’on se rencontre sur Paris, ce serait avec plaisir. On peut se voir dans le local de notre asso, par exemple, pour un café/thé/autre et discuter. J’espère bien que tu en repartiras en te disant que finalement, on n’est pas une preuve d’échec du Libre. Et qui sait même si dans le futur, tu ne présenteras pas notre projet sous un meilleur jour en en faisant la promo (on aimerait bien!) plutôt que dans une argumentation sur ce qui ne va pas dans le Libre. :P

        2. Oui, c’est une surprise de voir que tu étais la personne directement concernée par ma réponse, mais j’ai envie de dire tant mieux, car cela te permet d’apporter des précisions très éclairantes.

          Ceci étant dit, ce que tu dis dans ta réponse n’est pas réellement de nature à me faire changer d’avis concernant les failles systématiques du logiciel libre et ses difficultés à concevoir son articulation au marché.

          Une précision quand même avant d’aller plus loin : je ne juge pas les individus et surtout pas un développeur comme toi qui fait des choix personnels sans doute pas toujours simples pour pouvoir consacrer du temps à un projet que l’on peut quasiment considérer comme relevant de l’intérêt public. Je dis cela parce que dans mon université, par exemple, les postes informatiques ont quasiment tous Gimp et il me semble que c’est crucial que les étudiants et les professeurs aient accès à un tel outil.

          Ceci étant dit, je ne raisonne pas au niveau des choix individuels, mais au niveau global de la soutenabilité du système que constitue la sphère du Libre. Or le crowdfunding ne peut être présenté comme une solution globale pour atteindre ce but. C’est une solution d’appoint, mais certainement pas ce qui permettra à une réelle « Economie des Communs » d’émerger. Michel Bauwens et Maïa Dereva ont écrit d’ailleurs récemment un article à ce sujet http://maiadereva.net/comment-creer-une-veritable-economie-du-commun/

          Le crowdfunding est par définition aléatoire et il subit tous les défauts de l’économie de l’attention, à savoir que mécaniquement, quelques projets très visibles vont pouvoir dégager des financements par ce biais, mais que la « longue traîne » va devoir se contenter des miettes. On le voit bien dans le domaine plus largement de la Culture libre où les appelés sont nombreux, mais les élus très rares. Neil Jomunsi écrit sur le sujet des choses très intéressantes sur son blog.

          Par ailleurs, le crowdfunding appliqué au logiciel pose un problème vis-à-vis de la justice sociale. On va demander à des individus de consentir un effort financier pour contribuer à la viabilité des projets, mais on ne remet pas en question le rapport avec les entreprises qui peuvent continuer à se comporter comme des passagers clandestins et utiliser sans contribuer en retour. C’est exactement le « rêve humide » du capitalisme néolibéral : faisons financer des choses qui relèvent de l’intérêt général, même pas par l’impôt, mais par l’appel à la générosité publique, mais surtout ne soumettons pas les entreprises à des formes de cotisations pour leur faire assumer leur responsabilité sociale.

          Se limiter au crowdfunding, c’est donc mécaniquement condamner le Libre à rester dans une marge inoffensive pour le système et c’est ce que je remets en question dans ce billet.

          Je ne parle pas de « charité » pour dénigrer la voie que tu as choisie pour te financer. Encore une fois, je respecte tous les choix au niveau individuel et chacun fait comme il peut. Mais le crowdunfing constitue indéniablement une sorte de régression historique par rapport à la cotisation. Heureusement par exemple que notre système de sécurité sociale ne repose pas sur du crowdfunding (ce qui est déjà le cas aux Etats-Unis où l’on voit des malades du cancer lancer du financement participatif pour payer leurs médicaments, ce que je trouve absolument scandaleux). Ce qui relève de l’intérêt général ne devrait reposer sur des dons individuels. or si le logiciel libre est ce qui garantit l’infrastructure d’Internet, son financement devrait relever d’une forme de socialisation garantissant à la fois la pérennité des projets et la condition des personnes qui s’adonnent à ces activités.

          Il se trouve que j’ai relu cet été « L’essai sur le don » de Marcel Mauss et j’ai été surpris de voir qu’il ne décrivait pas le don comme une chose positive, mais comme un stade que les sociétés doivent dépasser pour aller vers des formes socialisées de prise en charge des besoins essentiels. Et il termine d’ailleurs son livre en se prononçant en faveur d’un système de sécurité sociale (qui n’existait pas encore à son époque, où l’on se reposait pour ces besoins… sur la charité individuelle ou le paternalisme des patrons !).

          Bref, cela rejoint ce que j’ai pu écrire par ailleurs sur le fait que la contributions aux Communs devrait être organisée sous la forme d’un droit social. ce que j’appelle le « droit au travail dans les Communs » : https://scinfolex.com/2017/11/18/droits-communs-du-travail-et-droit-au-travail-dans-les-communs/

          Mais il est clair que ces formes de socialisation ne verrons le jour que si l’on impose aux entreprises des formes de cotisations, exactement comme cela a été le cas pour la sécurité sociale qui n’aurait jamais pu voir le jour sans cela. C’est ni plus ni moins qu’une question de justice sociale.

          Donc tant mieux si tu as choisi la manière dont tu vis et que cette période de ta vie te convient. Mais je ne pense pas qu’on puisse présenter le crowdfunding comme une solution au niveau global pour assurer la pérennité des Communs numériques, ni même surtout comme une solution juste.

          PS: et oui, comme tu le suggères dans un autre commentaire, on pet prendre un temps pour discuter de tout ceci AFK, et j’en serai même très content.

          1. Coucou,

            J’ai pas envie de parler de cela *ad vitam eternam* par écrit, mais les gens comme nous ont du mal à retenir leurs doigts. :P
            Mais je vais essayer de faire court… enfin pas trop long!

            En quelques mots, déjà je ne suis pas vraiment d’accord avec ta vision sur le don. Comme je te l’avais déjà dit, je trouve ça plutôt beau. En plus il y a une incohérence dans ton raisonnement. Tu ne sembles pas aimer que ce soient les individus qui financent le Libre, et tu aimerais que ce soit des entreprises par cotisation. Mais justement tu citais aussi Linux que des entreprises financent majoritairement (j’avais moi-même donné un cours à l’université sur l’économie du Logiciel Libre, et ça avait surpris tout le monde, même les profs infos, quand j’ai sorti les chiffres!), en disant cette fois que c’est mauvais. C’est un peu contradictoire!

            Ensuite je vois tout de même maintenant mieux où tu veux en venir. Et bien sûr, je suis d’accord avec une bonne partie de ton commentaire. Bien sûr que ce serait génial que le logiciel libre soit financé par des cotisations sociales! Sur ce point, je suis d’accord à 100% dans la théorie. Mais alors ça pose énormément de problèmes pratiques!

            Le premier, c’est quels sont les projets qui sont financés? Tu parles de la longue traîne qui touche des miettes, mais c’est exactement ce qui va se passer encore. L’histoire nous le dit. En particulier dans les milieux artistiques, avec les divers organismes de répartition de droits d’auteurs (SACEM, SACD, ADAMI, SCAM, Spedidam, et j’en passe! Plus qu’on peut en compter!), on le sait, c’est comme cela que ça se passe au final. Pourquoi? Parce qu’en théorie, oui on touche des droits au pourcentage, mais qu’en pratique, beaucoup de comptage est quasi impossible, et les distributeurs se retrouve à signer des contrats au forfait (ce qui veut dire en pratique que l’argent ira dans les top-100 des milieux concernés). Sans compter les erreurs (typos, etc.), les œuvres à l’international qu’on a du mal à retrouver, et surtout les frais énormes intermédiaires (ces organismes sont d’énormes machines bien huilées avec de multiples employés qui prennent une part non négligeables des droits d’auteur, sans même parler des divers scandales; la SACEM en a connu quelques uns avec les salaires indécents de ses têtes et autres parachutes dorées, dans les dernières années).
            Au final, les VLC, Firefox, GIMP, etc. seront financés. Et les autres? Même si GIMP (donc moi!) est dans la liste, ce n’est pas une situation acceptable pour les communs. La longue traîne existera toujours et sera alors bien bien pire. Dans l’audiovisuel, elle est absolument terrible à cause des problèmes suscités.

            D’ailleurs même pour les arts plus classiques, je réfléchis depuis pas mal d’années (sans vraiment prendre acte, donc ce n’est que de la réflexion théorique: je ne suis pas politicien ni rien de ressemblant et personne me connaît; je ne peux pas pousser des lois, et sûrement pas pour un changement du droit d’auteur où le lobbying des majors — ceux qui reçoivent justement tout l’argent en laissant les miettes aux petits — est terrifiant, comme on le sait) et je pense qu’un nouveau système de cotisation devrait justement inclure un choix des cotisants. On cotise tous pour l’audiovisuel (soit avec la taxe télé, soit avec diverses autres taxes, par exemple la redevance copie privée sur les supports d’écriture, etc.). Mais on ne choisit pas où ça va. Il faudrait que nous puissions rediriger nos taxes vers un organisme de notre choix (par exemple dans la déclaration d’impôt, avec un champs permettant de nommer une association, fondation ou autre).
            Cela permettrait réellement de diffuser bien mieux ces cotisations, et en plus localiserait bien plus les cotisations (beaucoup donnerait plus probablement à des assos plus locales, etc.). Imagine le financement exemplaire que notre asso LILA, ou l’APRIL, ou Framasoft, ou autre, pourrait avoir si les gens avaient le droit de rediriger les 138€ de la redevance audiovisuelle vers nous (avec une centaine de personne seulement qui redirigerait leurs taxe obligatoire audiovisuelle, on aurait 13800€ de financement supplémentaire!)!
            Tu remarques que ma proposition mélange une forme de crowdfunding dans le système de cotisation. Tu m’enlèveras pas de l’idée que le choix des gens vaut bien plus que tout système central de décision qui pour moi finit invariablement par être pourri jusqu’à la moëlle.

            Donc oui à la cotisation, mais absolument pas de la manière dont elle est actuellement comprise par nos dirigeants. Les bases même de la gestion et du choix des cibles de ces cotisations devrait être revues.

            Ah et y a un autre problème avec les systèmes de cotisation, même avec le choix individuel ajouté: qui a droit de recevoir ces cotisations sociales? On le sait, en France (et sûrement ailleurs aussi, je précise juste car pour l’instant c’est le sujet qui nous intéresse), on aime bien mettre dans des cases. Pour bénéficier par exemple des réductions d’impôts par exemple, il faut être dans certaines cases (intérêt général ou aide aux personnes, etc.). Pour toi, GIMP est évidemment dans la case « intérêt général », mais ça ne l’est pas forcément pour les institutions sociales. Je parle même pas du fait que nous sommes une production de film (associative). C’est notre numéro APE qui le dit. Alors dans notre contexte hypothétique où le logiciel libre avait soudain obtenu un statut particulier protégé par l’état et en droit de recevoir des cotisations, va expliquer aux institutions que si, on fait du développement logiciel audiovisuel/graphisme dans le contexte de notre film (libre, lui aussi). Et ils te diront: ok c’est cool, mais maintenant faut changer votre numéro APE (acte facile et gratuit, on l’a déjà fait) et on vous enverra les cotisations. Et là on sera dans un cul de sac, car on ne peut pas changer notre APE (le mettre dans une activité d’éditeur logiciel par exemple) car alors on n’aurait plus le droit de faire ce que l’on fait (rémunérer légalement des intermittents dans l’audiovisuel!). On a fait notre APE exprès pour cela. Comme je disais, la France aime mettre les organismes dans des cases et n’aime pas quand on est entre 2 chaises.
            Donc dans la théorie, tes idées sont bonnes, mais dans la situation actuelle, je sais que dans la pratique, on se heurtera à plein de vrais problèmes administratifs (on les vit déjà!).

            Au final, je pense que l’on se retrouverait avec un système super complexe où les organismes cibles ne seraient que des organismes avec des numéros d’activité très précis et qui ont des personnes employées spécifiquement pour remplir le gros dossier nécessaire pour être destinataire de donation logiciel libre (et probablement il faudrait nommer un commissaire aux comptes, ce que seul les grosses assos peuvent se permettre car quand par exemple on a une dizaine de millier par an, payer 2 à 3000 pour un tel service, c’est le quart/tiers du budget… je dis pas ça au hasard, j’ai déjà dû abandonner mon idée de faire des dossiers pour certains financements car on demandait ce genre de choses que seules les grosses assos ont). Au final, je le prédis: seules certaines énormes SSLL arriveront à obtenir l’agrément pour être destinataires des cotisations sociales pour le logiciel libre, ce qui augmentera bien leur budget, ne laissera rien aux petites assos comme nous (qui faisons réellement du développement de logiciel libre utilisé par les gens, et pas juste des missions pour des clients où on doit développer 2 ou 3 modules au dessus d’un logiciel libre quelconque).
            Je pense que comment le système de formation a évolué ces dernières années est un très bon exemple de ce problème classique. Maintenant la liste de formations payés par Pôle Emploi (ou autres organismes sociaux) est super limitées et on ne trouve plus que les très grosses boîtes qui ne font que cela, presque comme une usine, et qui sont en réalité bien peu expert.
            Je me souviens avoir fait une formation Linux embarqué chez Free-Electrons (ils me l’avaient offerte en tant que gros contributeur au Libre). C’était super intéressant. Free Electrons est une petite entreprise française spécialisée dans l’embarqué Linux et surtout très gros contributeur au noyau (ils ne font pas qu’utiliser). Et de temps en temps, ils font quelques formations car ils sont évidemment expert sur le sujet. Lorsque j’avais faite celle qui me fut offerte, je leur avais demandé si leurs formations pouvaient être remboursées en temps normal. Ils m’expliquait que non depuis les changements de lois. Notamment ils n’avaient pas le code APE (on y revient!) adéquat, et évidemment n’allaient pas changer ce dernier car ce n’est pas leur activité principale. Ben voilà, au final les experts qui donnent des formations de qualité et tout à fait adapté au marché n’avaient pas le droit de profiter du système de formation continu français (par ailleurs très bon système dans la théorie!).

            Autre point, et là où le crowdfunding est vraiment super intéressant: le monde évolue et ce qui est considéré important ne l’est plus ensuite, de même que ce qui n’est pas considéré peut le devenir.
            Le logiciel libre est pour beaucoup de monde (dans nos sphères) d’utilité publique. Ce n’est pas encore le cas pour le gouvernement, mais ça va dans le bon sens, et ça pourrait arriver. Très bien. Mais ça fait plus de 30 ans que ça existe. Il a fallu 30 ans pour en arriver là, et sans le crowdfunding, peu de moyens de financer ces activités (hors service, etc.). D’autres activités primordiales, ce sera la même chose. C’est juste ainsi que le monde fonctionne. Certains sont un peu précurseurs, et il y a ce moment (difficile) où il faut les aider à continuer sans quoi ils abandonnerait. C’est là où le financement participatif est super important car il est plus souple que les lois et par conséquent permet de financer plus tôt les très bonnes initiatives.

            Dernier point, quand tu dis:

            > Je dis cela parce que dans mon université, par exemple, les postes informatiques ont quasiment tous Gimp et il me semble que c’est crucial que les étudiants et les professeurs aient accès à un tel outil.

            Cette fois, je reviens au cœur de ton article avec les licences à réciprocité. Ben on pourrait considérer que l’université fait du profit avec GIMP. Même si on se dit « mais c’est public, pas pareil », ben y a aussi des universités privées. Alors là on ajoute un droit à l’éducation! Et qu’en est-il de ce tout petit journal qui se vend à peu d’exemplaire et a besoin de GIMP pour ses illustrations. Etc. etc. On rajoute des exceptions, et y aura toujours un problème au cas par cas.
            Non clairement pour moi, un système de licence à « réciprocité » ne va pas. Je veux que tous puissent accéder à GIMP. Je vais pas aller vérifier si l’activité qu’ils ont font me plait ou pas pour décider si oui ou non ils peuvent l’utiliser. Car en faisant ça, je vais condamner des millions de personnes qui devrait y avoir accès. Je refuse de rendre ainsi un bien public non-public juste pour une micro-justice social (car il y aurait certaines personnes que je ne veux pas aider à faire plus de sous avec GIMP). C’est ainsi qu’on commence à mettre des caméras partout (pour attrapper *un* voleur, qu’on n’attrappera pas de toutes façons dans la plupart des cas, je surveille tout le monde), etc.

            1. Je pense aussi qu’il n’est pas forcément très bon de multiplier les réponses, mais ton nouveau commentaire soulève des points importants et je vais donc poursuivre.

              Ce que je critique dans le mode de financement de Linux n’est pas le fait que ce soit des grandes entreprises capitalistes qui contribuent, mais qu’elles le fassent sur une base purement volontaire. C’est précisément ce qui fait la différence entre la contribution et la cotisation (ou entre la charité et la solidarité). Qu’elles puissent souverainement décider quels projets elles financent, pour quels montants, en arrêtant à n’importe moment, etc. est ce qui empêche l’économie des Communs d’acquérir son autonomie. Un autre point critiquable est qu’elles le fassent essentiellement par le biais de salariés subordonnés, ce qui soulève des questions sur l’indépendance réelle des projets, mais c’est une autre question. Donc non, il n’y a pas de contradiction dans ma position sur ce point, il me semble.

              Ensuite, je comprends l’analogie avec les dérives du système des sociétés de gestion collective, mais une telle évolution n’est pas non plus une fatalité. Cela relève en réalité des modes de gouvernance à mettre en place pour gérer l’attribution des sommes. C’est d’ailleurs une chose aussi que je reprocherai à certains « libristes », qui soulèvent systématiquement ce genre d’arguments dès qu’une solution implique une forme d’institutionnalisation. Cela tient au fait que beaucoup sont en réalité des libertariens autant que des libristes, et ce n’est pas anodin, car ils s’en remettent donc à un individualisme méthodologique (qui est peut-être la philosophie que je rejette le plus au monde…). C’est d’ailleurs aussi sur ces principes d’ailleurs que repose l’ultra-libéralisme le plus extrême (et ce n’est à mon sens pas un hasard). Cette convergence entre librisme et ultra-libéralisme est assez fréquente dans toute la mouvance qui gravite autour de Blockchain par exemple.

              Donc certes, les solutions institutionnelles peuvent conduire à des injustices et à des formes de domination des forts sur les faibles. Mais que ce soit une fatalité est justement ce que les travaux d’Elinor Ostrom sur les Communs ont pu montrer.

              Après, je peux tout à fait te rejoindre sur le fait que l’attribution des cotisations pourrait faire l’objet d’une sorte de « vote », un peu comme dans la formule du mécénat global, qui était intéressante : https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9c%C3%A9nat_global

              Ça peut être un correctif justement à la dérive institutionnelle, mais je ne pense que toutes les sommes devraient être attribuées de cette façon, car le public est soumis aux effets de l’économie de l’attention et a tendance à se concentrer sur un petit nombre de projets très visibles. Un système « hybride » associant plusieurs modes de répartitions des sommes serait sans doute préférable, car aucune solution n’est parfaite en elle-même.

              C’est amusant d’ailleurs en un sens que tu finisses par évoquer les questions du financement de la création culturelle, car il faut savoir que lorsque nous avons proposé avec La Quadrature du Net la légalisation du partage non-marchand associée à une contribution créative obligatoire, nous nous sommes heurtés à deux oppositions extrêmement farouches : d’un côté les sociétés d’ayants droit (ce qui est assez logique), mais aussi de l’autre la frange la plus libertarienne des libristes, qui rejetait cette solution mutualisée parce qu’ils condamnent par avance les formes institutionnelles de mise en oeuvre des solidarités.

              C’est d’ailleurs à ce moment que j’ai compris que je n’étais pas « libriste » et qu’il faudrait, au nom des Communs, se battre sur deux fronts.

              1. Merci Jehan et Calimac pour ce débat vraiment intéressant où je me suis senti exprimé par vous deux en même temps :-)

                Cette idée de vote direct à la contribution j’y ai pensé moi aussi et je pense que c’est très important, mais comme Calimaq je pense qu’il faut la mixer à l’autre pour ne pas donner trop de poids à la capacité de communication des projets. Ceci dit j’avoue que j’ai beaucoup de mal moi aussi avec l’idée d’une institution étatique ou trop centralisée. J’espère qu’il y a d’autres solutions, mais je ne suis pas assez spécialiste.

                Une forme de solution que je trouverais intéressante pourrait inclure un peu d’épistocratie https://www.youtube.com/watch?v=7yztDRsarcY (donner aux contributeurs effectifs un pouvoir de répartition plus fort).

                1. Oui, je crois qu’il faut faire preuve d’humilité et ne pas proposer de solution « toute faite » sur ces questions de redistribution, parce que c’est très complexe.

                  C’est pour cela qu’à La Quadrature, nous n’avions jamais voulu détailler complètement le dispositif de la contribution créative, mais simplement lister plusieurs possibilités en insistant sur le fait que c’était aussi au débat démocratique de déterminer la forme que cela pourrait prendre.

                  Idéalement, il faudrait que la recherche s’empare du sujet, mais en France, il y a de tels blocages idéologiques que les chercheurs n’écrivent pas là-dessus.

                  Je ne connaissais pas l’épistocratie et je vais aller regarder de quoi il retourne.

  3. Faut-il que cette question cruciale soit réglée dans la licence ? Je n’ai pas d’objection à la R & D juridique pour une licence qui favoriserait l’économie sociale, mais ultimement il y a beaucoup qui peut être fait selon moi pour que les organismes à et sans but lucratif qui en font partie soient mis en valeur par d’autres méthodes, notamment la «certification éthique», qui n’en est qu’à ses balbutiements avec la marque Respect Your Freedom (matériel), la charte des CHATONS (services en ligne), etc.

    Ça ne semble pas avoir décollé autant que je sache, mais il y a la marque «Offre libre» de l’AFUL qui serait à mettre dans la catégorie des outils possibles pour valoriser les bons joueurs dans le B to B.

    Qu’en pensez-vous ?

    1. Non, vous avez raison et il est probable qu’une licence ne suffise pas à elle seule à définir le périmètre des acteurs qui pourront avoir droit à l’usage de la ressource. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que les licences à réciprocité ont du mal à décoller (et même du mal à être formulées), parce qu’il est extrêmement difficile au niveau d’une licence d’intégrer tous les éléments du problème.

      J’avais d’ailleurs déjà envisagé que les licences à réciprocité puissent être couplées avec des formes de labels ou de certifications https://scinfolex.com/2017/01/29/les-licences-a-reciprocite-fausse-piste-ou-idee-encore-a-creuser/

      Le problème étant alors de savoir comment garantir que le ou les labels en question ne finissent par être détournés ou instrumentalisés, comme on a pu le voir hélas avec le commerce équitable, par exemple.

      Mais l’exemple de la Charte des CHATONS que vous citez est intéressant. J’ai d’ailleurs toujours été surpris qu’ils intègrent des éléments « solidaires » à la définition des acteurs pouvant intégrer le collectif, sans pour autant pousser le raisonnement jusqu’aux licences elles-mêmes.

  4. Bonjour,
    Débat très intéressant et enrichissant.

    Il me semble cependant que l’analyse des différentes options (licences) se fait trop souvent en statique et très peu en dynamique. Or le management d’asset est une activité dynamique, une société faisant régulièrement un point pour réajuster sa politique en matière de PI.
    Ce réajustement a fonction de boucle de rétroaction visant au contrôle d’un objectif précis.
    Il est ainsi parfaitement envisageable que Redis, ayant pour objectif la production de commun tout en garantissant un flux de revenu minimum, ajuste ultérieurement sa politique. Aujourd’hui, un mouvement de balancier vers le flux de revenu, demain un mouvement inverse vers le commun (e.g. une fois le revenu sécurisé). C’est certes une vision mécaniste du droit, mais elle n’en demeure pas moins valable.

    Autre point, concernant la temporalité. Le Libre impose une 5e condition implicite: les 4 libertés sont d’application immédiate. Le dual licensing repose sur la même logique. Il est cependant possible d’avoir une logique « propriétaire » pour la communauté dans un premier temps pour garantir un minimum de revenu puis de basculer dans le FSS. Possible également: la dernière version d’un soft sous licence propriétaire/réciproque/etc, les versions antérieures basculant automatiquement en libre à chaque release, etc…
    Notons que certaines entreprises se réserve une période d’exclusivité, non par le droit, mais par les ressources engagées (politique du pionnier). Il s’agit ici d’envisager le droit comme un outil différent pour obtenir un même résultat.
    Ma réflexion est grossière. Elle vise uniquement à penser la dynamique comme une voie à explorer (en combinaison avec les autres).

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