Passera ? Passera pas ? L’accord Google Books dans la tourmente.

Il y a quelques semaines à peine, Google semblait dans une position de force quasi irrésistible, au point de commencer à promouvoir l’entente conclue avec les éditeurs et auteurs américains à propos de Google Book Search en dehors de Etats-Unis en Australie, au Québec ou en Suisse.

Mais les premières voix discordantes ont commencé à se faire entendre -il faut bien le dire – du côté du monde des bibliothèques (la position de la Bibliothèque de Harvard et l’article visionnaire de Robert Darnton « Google and the Future of Books ») suivies par l’intervention des principales associations professionnelles américaines de bibliothécaires dans la procédure de règlement du litige pour dénoncer les risques en termes de monopole et d’accès à l’information, que recèle l’accord Google.

Un tour de veille du Net américain révèle que ce genre d’attaques est en train de se multiplier, au point que les analystes commencent à s’interroger sur les chances que la transaction Google/Editeurs puisse être validée en l’état par le juge.

C’est d’abord une association de consommateurs – WatchDog – qui a fait valoir que les intérêts des consommateurs n’avaient pas été suffisamment pris en compte dans la transaction, puisque ces derniers n’étaient pas représentés dans la class action. WatchDog réclame que les avantages découlant de l’accord puissent bénéficier à d’autres firmes (Yahoo, Microsoft, Amazon ?) pour éviter que Google n’obtienne une position dominante dans le commerce des livres électroniques.

Par ailleurs, le juge en charge de l’affaire, Denny Chin, a accepté que la New York Law School intervienne dans la procédure pour faire valoir que l’accord contrevenait aux lois antitrust américaines, dans la mesure où il peut justement permettre à Google d’écarter tous ses rivaux potentiels de manière déloyale. Il faut d’ailleurs noter que la New York Law School en question a reçu une généreuse dotation de la part de … Microsoft (50 000 dollars) pour soutenir son intervention et permettre des études complémentaires sur l’accord. Cette attaque est très sérieuse, car les lois antitrust américaines prévoient des procédures spéciales, qui retarderaient considérablement l’entrée en vigueur de l’accord.

Le point majeur qui focalise les critiques concerne les oeuvres orphelines et épuisées. On sait qu’en vertu de l’accord, Google pourrait continuer à numériser et à commercialiser sous forme électronique des livres épuisés, sauf si les titulaires de droits se manifestent explicitement pour exprimer leur refus (opt-out). Or comme une grande partie des oeuvres épuisées sont des oeuvres orphelines (c’est-à-dire sans titulaire indentifiable ou contactable), il y a fort à parier que Google disposera d’une marge de manoeuvre très large en la matière.

Le problème, c’est que l’accord réserve à Google cette faculté de pouvoir numériser les oeuvres orphelines, alors que tous les autres acteurs risquent des poursuites judiciaires s’ils décident de se lancer dans des projets de numérisation similaires et sont normalement tenus d’entreprendre de longues et coûteuses recherches titre à titre pour obtenir des autorisations en bonne et dûe forme.

Or de la capacité à pouvoir traiter les oeuvres orphelines dépend largement la possibilité de conduire un programme de numérisation de masse rentable … L’Internet Archive, engagée à la fois dans la collecte du web et dans la numérisation en masse d’ouvrages par le biais de l’Open Content Alliance, est d’ailleurs intervenue de son côté auprès du juge Chin pour que les autres organisations conduisant des projets de nuérisation puissent bénéficier des mêmes facilités que Google concernant les oeuvres orphelines.

Certains commentateurs américains estiment que le Congrès pourrait aussi décider d’intervenir pour arbitrer le débat. En effet, en 2008, le législateur américain avait essayé de mettre en place une solution pour permettre l’utilisation des oeuvres orphelines en limitant les risques judiciaires. Mais si l’Orphan Work Act de 2008 avait été approuvé par le Sénat, il était resté bloqué à la Chambre des Représentants, sous la pression de plusieurs lobbies d’ayants droit (notamment les photographes).

Les controverses soulevées par l’accord Google relanceront peut-être ce dossier au Congrès, qui pourrait s’inspirer de ces dispositions en les dotant d’une portée générale pour que tous les acteurs intéressés puissent en bénéficier – et pas seulement Google.

La validation définitive de l’accord Google par le juge du district de New York doit intervenir le 11 juin. Plusieurs scénarios sont possibles. Le juge aura certainement du mal à valider l’accord en l’état, et il décidera peut-être d’assouplir et d’élargir ces dispositions pour tenir compte des critiques qui se sont élevées.Il peut aussi considérer que l’accord n’est plus viable et le rejeter.

Dans ce cas, Google serait contraint de poursuivre son procès en s’appuyant sur sa ligne habituelle de défense, consistant à revendiquer l’usage du fair use pour couvrir Google Book Search. Mais si le fair use peut sauver Google Book Search tel qu’il existe aujourd’hui, il ne pourra pas couvrir le virage commercial que Google veut prendre, ni s’appliquer à la numérisation d’euvres orphelines.

A ce sujet, je vous recommande de lire ce billet de Sandrine Kerven, qui compare le fair use américian aux exceptions législatives françaises et qui, permet de bien cerner la nuance entre notre système de droit continental et le copyright.

En tout cas, je ne sais pas pour vous, mais j’ai quand même l’impression de vivre en direct l’une des plus fascinantes batailles juridiques de tous les temps !


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