Vers un coup de théâtre dans l’affaire Google Book Search ?

Il y a longtemps que je n’ai rien écrit sur l’affaire Google Book Search, mais il faut dire qu’on a pu lire ces derniers temps d’excellentes synthèses et que je n’avais rien à ajouter:

(A lire aussi, l’article paru dans le Livres Hebdo du 5 juin dernier, n°780, p.53 : Google, les enjeux de l’accord).

Mais une information est tombée la semaine dernière, peut-être annonciatrice d’un nouveau rebondissement dans une affaire qui n’en a pas manqué jusqu’à présent.

Damoclès
Le glaive de la Justice américiane : une épée de Damoclès au-dessus de l'accord Google ? (Richard Westall / Domaine public)

Depuis le mois d’avril dernier, le Département de la Justice a lancé au niveau fédéral une enquête pour examiner si les dispositions du règlement conclu par Google avec les éditeurs et auteurs en octobre 2008 pour éteindre leur plainte ne contrevenait pas aux lois anti-trust en vigueur aux Etats-Unis (et l’on sait l’importance de ces lois outre-atlantique …).

Or le Wall Street Journal et le New York Times ont annoncé la semaine dernière que la procédure d’enquête avait franchi une nouvelle étape, qui indique selon plusieurs observateurs que le Département de la Justice a relevé un problème de fond au sujet de l’accord de règlement. Les principaux acteurs en présence, à savoir Google, l’association des éditeurs américains, l’association des auteurs et plusieurs éditeurs à titre individuel vont être auditionnés pour permettre à l’administration fédérale de recueillir de plus amples renseignements.

Les points qui posent problèmes vis-à-vis des lois anti-trust concernent au premier chef le sort des œuvres orphelines et des œuvres épuisées, pour lesquelles l’accord confère à Google une sorte de « droit privatif », non seulement pour les numériser, mais aussi pour les commercialiser, sans avoir à recueillir l’accord explicite des titulaires de droits en vertu du principe de l’opt-out, que le règlement entend légitimer. Et ces facultés exorbitantes seraient ouvertes seulement à la firme de Mountain View en vertu des termes de l’accord contractuel, alors que tous les autres acteurs, privés comme publics, demeureraient soumis au droit commun, autrement plus contraignant. Le point de vue d’Amazon (principal perdant dans cette affaire) concernant les aspects anti-concurrentiels du règlement est très éclairant en la matière.

Il faut noter que ces soupçons de collusion rejoignent les inquiétudes exprimées par les principales associations de bibliothécaires américains, qui ont notamment pointé du doigt le problème de la maîtrise des coûts des licences commerciales que Google entend mettre en place pour permettre aux bibliothécaires de donner accès sur place aux contenus sous droits de Google Book Search. De ce point de vue, la contestation des bibliothécaires américains paraît s’amplifier et trouver un écho dans la démarche du Département de la Justice.

Mais cette opposition n’est pas complètement unanime, puisque l’Université de Michigan (l’un des Google Five, les 5 premiers partenaires historiques du programme Bibliothèque de Google Book Search) a décidé de conclure, avant même la validation définitive de l’accord, une première licence commerciale pour diffuser dans ses murs l’intégralité du contenu de Google Book Search. D’autres bibliothécaires américains estiment que la solution que Google propose pour régler le problème des oeuvres orphelines est la seule qui soit viable, malgré les risques qu’elle comporte et qu’il n’existe à ce jour aucune alternative juridique réelle que le législateur américain pourrait mettre en place.

Le sort de l’accord Google Book Search est donc désormais dans la balance et il n’est pas du tout impossible que la Département de la Justice ne décide d’intervenir pour empêcher la validation définitive par le juge du Tribunal de New York, Denys Chin. On se souvient par exemple que le DOJ était déjà intervenu l’année dernière au sujet de l’entente un temps projetée entre Google et Yahoo !, avec un impact important sur l’issue de ces tractations.

Côté européen, l’enquête lancée par la Commission européenne pour vérifier la conformité de l’accord Google avec les dispositions européennes relative au droit d’auteur se poursuit. Si plusieurs acteurs de la chaine du livre se sont fortement mobilisés pour faire obstacle à l’accord (voir la récente résolution des éditeurs allemands), les bibliothèques continuent à rester silencieuses, comme si les projets de Google ne les concernaient pas et n’allaient pas avoir à terme un impact sur elles … (la Bibliothèque nationale d’Espagne vient même d’annoncer la conclusion d’une entente avec le moteur de recherche pour permettre le référencement dans Google Book Search des ouvrages qu’elle numérise de son côté). Je vous recommande à ce titre de vous reporter à l‘analyse de Michèle Battisti dans les dernières Actualités du Droit de l’information qui pointe très bien les implications possibles de l’accord sur nos établissements :

La question se pose si les éditeurs français, aujourd’hui en procès, établiront un accord similaire avec Google. Dans ce cas, Google serait incontournable pour les usages des livres numérisés en France. Des usages similaires avec les bibliothèques françaises seront-ils accordés ? Seront-ils renouvelés à l’échéance du contrat selon les mêmes modalités ? Est-ce souhaitable, sachant que les bibliothèques américaines s’opposent à ce qui leur est proposé ?

Si le Département de la Justice américaine décide d’aller plus loin, il le fera vraisemblablement avant que l’accord soit validé au niveau du tribunal de New York, le 7 octobre prochain.

Alors coup de théâtre ou pas ? Les paris sont ouverts, mais l’alerte est maintenant très sérieuse … et si Google a pu contrer l’attaque qui lui était portée depuis le terrain de la propriété intellectuelle par les titulaires, il lui sera beaucoup difficile de se défaire d’une accusation de violation des lois anti-trust, car dans ce cas il n’y aura pas de transaction possible … c’est tout l’édifice machiavélique (mais aussi génialement pensé d’un point de vue tactique, il faut bien le reconnaître… ) que Google avait construit qui s’effondrera, avec retour à la case départ (ce qui ne veut pas dire la défaite définitive, car Google pourra toujours continuer à plaider son procès sur la base du fair use … et les titulaires ne sont pas assurés de gagner …).

Et peut-être est-ce finalement la solution la plus souhaitable, car si le procès va à son terme, la décision finale quelle qu’elle soit, aura le mérite poser une règle générale par voie de jurisprudence, applicable à tous les cas similaires, alors que l’accord de règlement, même s’il comporte des aspects positifs pour la diffusion du savoir, instaure un véritable privilège numérique au profit de Google …

Un adage du droit dit qu' »il vaut mieux une mauvaise transaction qu’un bon procès« . A mon sens, dans l’affaire Google Book Search, une décision de justice, même restrictive au niveau de la définition du fair use, serait préférable à cet accord « Boîte de Pandore » dont les conséquences à long terme sont trop imprévisibles.

D’ici-là, il vous reste les vacances d’été pour profiter des nouvelles fonctionnalités de Google Book Search (sympa quand même …).


2 réflexions sur “Vers un coup de théâtre dans l’affaire Google Book Search ?

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