Filons de S.I.Lex #11 : le relevé des fouilles de la semaine

A noter que demain lundi 9 novembre, les parties au procès Google Book Search doivent proposer au juge américain en charge de l’affaire une nouvelle version de leur règlement modifié pour tenir compte notamment des critiques formulées par le Department of Justice. Je n’ai rien vu passer qui indique que les parties sont prêtes ou non. A lire en attendant pour se remémorer les enjeux, ce billet synthétique « Getting ready for november 9 » par Kenneth Crews.

Pour le reste, les Filons de cette semaine tourneront essentiellement autour des révélations qui sont parues cette semaine autour des accords ACTA, une nouvelle cruciale et très inquiétante, qui mérite toute notre attention tant elle peut s’avérer à terme dangereuse pour nos libertés numériques.

Une nouvelle rubrique également dans les Filons « Du fond de la Mine de S.I.Lex », dans laquelle je vous indiquerai les nouveaux sites sur lesquels j’ai posé des fils RSS. Plusieurs belles trouvailles cette semaine …

PS : suite à la baisse de régime de la semaine dernière, j’ai décidé de changer un peu les outils que j’utilise pour faire ma veille. Passage de Delicious à Diigo (mon profil ici) et de Netvibes à Google Reader. L’effet « rafraîchissant » est immédiat et il faut certainement en conclure qu’il n’est pas bon de s’enfermer dans un système de veille trop figé. Diigo est particulièrement impressionnant par les possibilités de partage qu’il offre. Sûrement de belles choses à inventer, notamment avec les fonctionnalités d’annotations qui se prêtent très bien à la veille juridique. Quelqu’un sait-il d’ailleurs s’il y a un moyen d’envoyer des bookmarks de Diigo vers Tumblr (on peut le faire avec plusieurs sortes de blogs dont WordPress, mais hélas pas directement Tumblr …) ?

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Cette photo m'a été généreusement offerte par un ami. Il s'agit de silex ... coréens (!!!) du National Museum de Séoul. En plus de m'offrir la photo, cet ami m'a fait le plaisir de libérer les droits sur l'image, ce qui me permet de la proposer sous licence CC. (Sans titre. Par Guillaume Holdner. CC-BY).

I. Accords ACTA : demain peut-être l’Apo©alyspe …

ACTA pour Accord International de Commerce Anti-Contrefaçon : des rumeurs et des avertissements circulent depuis longtemps à ce sujet. Mais des fuites ont eu lieu cette semaine qui révèlent l’ampleur de la menace avançant masquée derrière ce sigle. Nous sommes en présence d’un traité multilatéral initié par les Etats-Unis et négocié dans les conditions les plus opaques par les Etats allant jusqu’à imposer le secret défense pour empêcher la communication des documents. Au nom de la lutte contre le piratage et de la protection du droit d’auteur, ces accords prévoiraient de renforcer drastiquement la responsabilité des intermédiaires techniques que sont les fournisseurs d’accès internet et les hébergeurs, ce qui conduirait à terme à la mise en place de systèmes de filtrage a priori des contenus. Le risque de dérapage vers la censure généralisée est réel, dans la mesure où les intermédiaires seront tentés de retirer les contenus sitôt qu’une illégalité leur sera signalée et ce, sans intervention préalable du juge. Les accords prévoiraient également la mise en place d’un système global de riposte graduée en obligeant les FAI à déconnecter les internautes violant le droit d’auteur. Last but not least, ACTA irait encore plus loin dans la protection des verrous numériques (DRM) que les traités OMPI de 1996.

Bref, nous avons là tous les ingrédients d’une potentielle apo©alypse numérique orchestrée au nom de la protection du droit d’auteur. Un cauchemar en gestation qui révèle également de manière éclatante les relations troubles qu’entretiennent les grandes industries culturelles et le monde politique.

L’article de ReadWriteWeb pointe bien le rôle particulier que la France a joué et peut jouer encore dans cette glissade incontrôlée vers le contrôle du web :

La position de la France est, à ce moment de l’Histoire, unique et décisive. Nous avons été le territoire d’expérimentation de la riposte graduée, nous somme à l’avant garde de cette lutte que les américains observaient jusqu’ici d’un œil distant et amusé, et qui s’avère aujourd’hui globale et mondialisée. La bataille d’Hadopi est belle et bien une bataille, un épisode, pas plus, le début d’un période qui s’annonce longue, et cette bataille est très loin d’avoir été perdue.

En forçant les politiques à dévoiler leur incurie et leur ignorance, ces derniers ont laissé des traces indélébiles qui seront très sévèrement jugés par les générations futures, quand l’écrasante majorité de la population considèrera comme tragi-comique la confusion entre firewall et openoffice, quand, d’ici à quelques années, Hadopi sera enfin appréhendé par toute une population comme le début de l’instauration d’une dictature numérique, où les tyrans sont des industriels et non des politiques (bien que dans bon nombres de pays la distinction soit subtile).

La bataille d’Hadopi, épisode exotique aux relents comiques, qui a tourné en ridicule bon nombre de politiciens Français au point de faire trembler les puissants et de ruiner carrières et réputations, est désormais une guerre mondiale. Si ce traité est mis en application, les conséquences sur la démocratie telle que nous la connaissons, sur la culture, sur le monde de demain, seront phénoménales, et nous avons, nous, petits Français, un savoir faire à partager avec la terre entière.

Demain, des dizaines de batailles similaires aurons lieu aux quatre coins du globe.

Le chemin est bien sûr encore long avant la signature et la ratification de ce traité et il faudra ensuite qu’il soit transposé par les Etats. Mais c’est maintenant qu’il faut agir si l’on ne veut pas basculer dans un futur où les libertés numériques dont nous jouissons actuellement sur Internet ne soient plus qu’un vain mot.

Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas …

II. Droit d’accès à Internet et libertés numériques en Europe :

Pendant ce temps, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen aboutissent enfin à un accord à propos du Paquet Télécom. Le compromis prévoit des garanties fortes pour contrôler les restrictions d’accès à Internet : le droit à «une protection judiciaire effective et au procès équitable», «le principe de la présomption d’innocence et le respect de la vie privée» et le respect de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Même s’il contient encore des ambiguïté et des imperfections, ce texte pourra jouer un rôle protecteur, notamment si la menace des accords ACTA se rapproche de l’Union européenne.

Par ailleurs, la question de la mise en place de la riposte graduée se répand en Europe suite au vote de la loi Hadopi par la France, avec des réponses très variables selon les Etats qui montrent qu’il n’existe pas de consensus au niveau européen concernant la lutte contre le piratage :

Et retour en France pour clore ce chapitre mouvementé cette semaine des libertés numériques :

III Les Eclats de la semaine

Relics. Par late night movie. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr

IV Du fond de la Mine de S.I.Lex

Quelques blogs et sites découverts cette semaine … (cliquez sur les images)

droit et photographies
Le blog droit & Photographie

Nouveau venu dans la jurisphère française. Un beau sujet et un billet qui a immédiatement piqué ma curiosité : « Que puis-je faire de la photo d’un animal qui ne m’appartient pas ? »

fotopedia
Fotopedia. The first collaborative photo encyclopedia.

Une excellente source de photographies sous licence Creative Commons, dont la qualité n’a souvent rien à envier aux clichés du National Geographic !

Et pour finir deux blogs anglophones atypiques repérés grâce à Aurélia :

moral panics
Moral Panics and The Copyright Wars. A blog about copyright discourse.

Tenu par un avocat spécialisé dans les questions de propriété intellectuelle (employé par Google) pour accompagner la sortie d’un livre éponyme, ce blog a un ton assez décapant.

Je vous recommande par exemple le billet « Chastity Belts and Copyright« .

scrivener
Scrivener's Error.

Là aussi une curiosité en lien avec le monde de l’édition qui se présente ainsi : « Law and reality in publishing (seldom the same thing) from the author’s side of the slush pile, with occasional forays into military affairs, censorship and the First Amendment, legal theory, and anything else that strikes me as interesting. »


5 réflexions sur “Filons de S.I.Lex #11 : le relevé des fouilles de la semaine

  1. Au sujet d’ACTA : ce qui m’étonne le plus, c’est qu’habituellement pour produire ce genre de textes visant à contrôler les actes de tous les citoyens, nos Etats démocratiques dénoncent les comportements dangereux de quelques-uns, mais dangereux pour tous les autres.
    Ainsi le Patriot Act.

    Comment ces Etats peuvent-ils croire que la défense du droit d’auteur constitue un voile suffisamment épais, une justification assez convaincante, pour que nous laissions passer ça.

    La motivation affichée (préservation du droit d’auteur) serait-elle sincère chez tous ces tractateurs.
    Et les détracteurs, que doivent-ils faire ? A quel(s) député(s) est-il conseillé d’écrire ?

    1. Bonjour,

      Désolé de ne pas avoir répondu plus tôt;

      La Quadrature du Net a mis en ligne sur la partie wiki de son site un petit guide pour contacter son député, plutôt bien fait.

      C’est peut-être un bon moyen de commencer.

      Il me semble que c’est Gandhi qui a dit : « Tout ce que vous ferez est dérisoire, mais il est très important que vous le fassiez quand même ».

  2. C’est curieux. J’ai découvert Diigo il y a un an et demi et j’avais en effet été très agréablement surpris. C’est nettement plus convivial que Delicious. Néanmoins, en ce moment je sauvegarde plutôt mes liens directement sur Delicious avant de les importer sur Diigo. Il est parfois arrivé que Diigo plante pendant quelques jours (alors que c’est rarement le cas de Delicious) et n’enregistre pas les nouvelles données. Il m’est arrivé de devoir rentrer plusieurs fois un même site parce qu’il n’avait pas été pris en compte. J’ai eu aussi quelques soucis de tags non affectés dont je n’arrivais plus à me débarrasser. Mais à part ça, Diigo est un bon service.

    Mais la nouvelle version a été considérablement rafraîchie (on tend plus vers la sobriété à la Delicious) et l’interface simplifiée. Et le principe de groupes de travail public ou privé ayant leurs propre forum est très intéressante. Il semblerait qu’on ne puisse plus sauvegarder ses favoris ailleurs que dans Delicious, sauf à exporter le fichier. Avant on pouvait le faire pour d’autres services comme Magnolia.

    1. Bonjour,

      Oui, Diigo n’est pas une nouveauté, mais j’avoue que je ne m’y étais jamais vraiment intéressé jusqu’à présent (delicious comblait amplement toutes mes attentes en matière de bookmarking et la possibilité d’envoyer les références directement vers Twitter en fait une véritable « plateforme de tir » qui permet de gagner beaucoup de temps. On sauvegarde et on diffuse presque dans le même mouvement).

      Mais la dimension collaborative de Diigo et la possibilité d’ouvrir plus ou moins le cercle des personnes avec qui on veut partager est un véritable plus. J’aime beaucoup aussi le « My Easy Blog » : une sorte d’intermédiaire le book marking et le microblog à la tumblr, vers lequel on peut envoyer ces annotations et ses sur-lignages (avec en plus la possibilité de partager et d’engager des discussions). Je pense que cela peut servir à de stade préparatoire aux billets de blog.

      Par ailleurs, les sticky notes et le surlignage directement sur les pages des sites ouvrent des possibilités particulièrement intéressantes dans le domaine juridique. Peut-être un moyen de retourner aux gloses du moyen-Age ?

      Enfin, beaucoup de choses assez excitantes à tester.

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