Pas facile de rester à la pointe de l’actualité juridique tellement la semaine a été riche. J’espère que ces Filons pourront vous aider à vous orienter !
I Prise de position des Archives, Bibliothécaires et Documentalistes français sur la question des oeuvres orphelines :
L’IABD (Interassociation Archives Bibliothèques Documentation) a publié une déclaration exprimant la position de ses associations membres sur la question des oeuvres orphelines. Ce texte souligne l’importance de trouver une solution légale pour lever les blocages qu’opposent les oeuvres orphelines à la numérisation du patrimoine. Les oeuvres orphelines sont des oeuvres toujours protégées par des droits de propriété intellectuelle, dont il est impossible ou très difficile d’identifier ou de localiser les titulaires de droits. A défaut de pouvoir obtenir de leur part une autorisation, il est alors impossible de numériser légalement ces oeuvres. La Commission européenne a rappelé à de nombreuses reprises que le problème des oeuvres orphelines devait être réglé pour permettre le développement de la numérisation en Europe (une audition s’est tenue à ce sujet le 26 octobre dernier à Bruxelles). On sait également que le problème des oeuvres orphelines depuis le début est au coeur de l’affaire Google Book Search. Le Ministre de la Culture a annoncé à plusieurs reprises ces dernières semaines son intention de traiter la question des oeuvres orphelines au niveau français par le biais d’une loi. La déclaration de l’IABD s’inscrit directement dans ce contexte. Elle entend avant tout se positionner vis-à-vis des propositions émises par le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) dans un rapport remis en 2008, qui serviront vraisemblablement de base à la discussion. Si les associations des professionnels de l’information acceptent certaines des propositions du CSPLA, elles estiment que le système de gestion collective proposé risque en l’état de conduire à un mécanisme déséquilibré, coûteux, peu efficace et inadapté aux réalités de la numérisation. Elles appellent à ce que la solution française soit conçue dans un esprit de conciliation entre le respect des droits d’auteur et le droit d’accès à la connaissance et à la culture. Au delà d’une solution légale, l’IABD insiste sur la dimension politique essentielle du problème des oeuvres orphelines et demande à ce qu’une large concertation soit lancée sous l’égide des pouvoirs publics entre les acteurs concernés : auteurs, éditeurs, bibliothèques, archives et documentalistes. J’avais eu l’occasion en 2008 de faire un commentaire à propos de la solution proposée par le CSPLA. Je vous recommande également d’aller lire le billet « Les oeuvres orphelines. Le défi lancé par Google » publié par Michèle Battisti sur son blog Paralipomènes, qui dresse un tour complet de l’arrière-plan de la question.
II Affaire Google Book Search et numérisation en Europe
Les choses ont été assez calmes cette semaine du côté américain (assez rare pour être signalé !). On relève seulement que l’objection de procédure soulevée par Amazon afin de faire annuler l’introduction du nouveau règlement a été repoussée par le juge Chin. On pourra lire aussi ce texte de SPARC qui soulève la question rarement posée des rapports entre l’Open Access et le nouveau règlement. Mais c’est surtout du côté de la France et de l’Europe qu’il y a du nouveau à signaler.
On pourra commencer par lire ce compte rendu qui offre un bon panorama des positions en présence (Jean-Noël Jeanneney, Bruno Racine, Serge Eyrolles, Arnaud Nourry, Marc Tessier, Hervé Gaymard, Philippe Colombet de Google France, un représentant de la Communication européenne…) et permet de mesurer l’importance accordée par les députés à la question de la numérisation. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les avis restent à ce stade toujours très divergents, alors que la Commission Tessier doit rendre son avis le 15 décembre.
Suite au Conseil des Ministres européens de la Culture qui s’est tenu à Bruxelles le 25 novembre dernier, l’Union européenne paraît reprendre la main sur la question de la numérisation des oeuvres. Une uniformisation du cadre légal en matière de numérisation et de droit d’auteur est annoncée, ainsi que la mise en place d’un comité des sages qui examinera en 2010 les conditions des partenariats public-privé de numérisation.
Les Allemands vont d’ores et déjà plus loin puisque le gouvernement fédéral annonce la mise en place d’une Bibliothèque Numérique Allemande (DDB). Il s’agira d’un portail visant à fédérer l’accès aux ressources déjà numérisées par les archives, bibliothèques et musées allemands (type Culture.fr ?), plutôt qu’une bibliothèque numérique au sens propre. Mais des financements conséquents sont annoncés pour 2011. L’opération est clairement présentée comme un moyen de contrer les entreprises de Google Book et de protéger le droit d’auteur.
III Réforme du droit d’auteur en Europe et dans le monde
Le Gouvernement de Zapatero engage une réforme pour lutter contre le piratage qui envisage le blocage de sites internet sans passer par la voie judiciaire. Soutenu par un grand nombre de musiciens et de cinéastes, ce projet a suscité un très vif mouvement de protestation avec en point d’orgue la publication d’un manifeste de défense des droits fondamentaux sur Internet que je vous invite vivement à lire.
Même démesure dans la lutte contre le piratage en Angleterre où le Digital Economy Bill actuellement en discussion envisage de donner au gouvernement britannique la faculté de changer les règles de la propriété intellectuelle par voie réglementaire pour introduire de nouvelles sanctions contre le téléchargement illégal. Filtrage, blocage de sites, obligation pour les écoles, les bibliothèques, les entreprises, les FAI de remettre les données personnelles des utilisateurs sont également au programme. A tel point que Google, Microsoft, eBay et Yahoo sont montés au créneau pour exprimer leurs inquiétudes.
Pour finir sur une note plus optimiste, en Inde une campagne est lancée pour réformer la loi sur le droit d’auteur en faveur des handicapés visuels. Un mouvement qui s’inscrit visiblement dans le cadre de l’initiative de l’OMPI en faveur de l’ouverture des exceptions au droit d’auteur, dont j’avais déjà eu l’occasion de parler dans S.I.Lex.
IV Copyleft et Open Access
[Je n’ai hélas pas pu suivre ce qui se passait cette semaine du côté de la conférence Berlin 7 sur l’Open Access qui se tenait à Paris]
La campagne de soutien d’automne en faveur des Creative Commons a commencé. Elle vise à récolter un demi-million de dollars avant le 31 décembre. A votre bon coeur !
Plaidoyer en faveur de l’adoption de la licence Creative Commons la plus ouverte dans le domaine des ressources éducatives.
Compte rendu de ce cycle de conférences et de débats qui portaient cette année sur le thème des nouveaux objets communicants. La synthèse d’Hubert montre à quel point ces outils sont ambivalents du point de vue de l’accès à l’information. Nouvelles portes d’entrée sur les données du web, nouveaux points de création de données, ils peuvent aussi conduire à les enfermer dans des systèmes propriétaires verrouillés qui vont à l’encontre du besoin de libération des données dont a besoin le web aujourd’hui pour entrer dans une nouvelle phase. Une lecture incitant à la prudence dans notre rapport avec ces nouveaux jouets technologiques qui nous donnent un peu trop vite le sentiment d’une liberté qui n’est pas l’ouverture.
V D’autres trouvailles…
L’ADBS publie 50 réponses à des questions sur le droit de l’information : autant d’occasions de faire le point sur des questions pratiques et concrètes (accès réservé aux membres de l’ADBS). Une ressource particulièrement utile qui est également intéressante par la manière dont elle est diffusée sur internet. Outre le site de l’ADBS, on peut accéder aux réponses par le biais d’une base de favoris delicious (faqdroitadbs) ou à partir de l’univers Netvibes Droit de l’information de l’association. Un exemple inspirant de dissémination et un usage astucieux des outils 2.0.
Les personnes morales risquent-elles la coupure d’accès à Internet comme les particuliers du fait des nouvelles dispositions introduites par les lois Hadopi ? Je m’étais posé la question (avec inquiétude) dans un billet de S.I.Lex à propos des bibliothèques. Ce dossier de l’ADI est plutôt rassurant, car il montre que si ce risque existe, sa réalisation reste assez théorique.
Excellente synthèse pour faire le point sur cette notion émergente (et sûrement une grand question juridique des années à venir).
VI … Et quelques curiosités pour finir
Peut-on revendiquer un droit à l’image … à propos de son sosie ? Il semblerait bien que la réponse de la jurisprudence soit oui. Un bel exemple de surréalisme juridique, mais une certaine logique quand même au bout du compte.
Quand le magazine Têtu décide de lancer les « Jeux Olympiques du sexe », le Comité National Olympique et Sportif Français s’insurge et brandit l’arme juridique du l’utilisation abusive des marques et emblèmes. S’ensuit une très intéressante décision du TGI de Paris qui a écarté l’accusation en invoquant l’aspect ludique et humoristique du propos. Ce qui revenait à créer de manière prétorienne une nouvelle exception, disctincte de la parodie et plus large. La Cour de Cassation n’a hélas pas fait preuve d’autant d’humour et a rejeté ce raisonnement pour faire valoir le droit des marques. Un dernier round doit avoir lieu devant la Cour d’Appel de Paris et nous verrons bien si la propriété industrielle en France admet ce droit à l’humour, indissociable pourtant de la liberté d’expression.