Aujourd’hui, après avoir fait le tour de mes fils RSS favoris, je dois avouer qu’une question m’a taraudé : le droit d’auteur rend-il fou ? N’y aurait-il pas quelque chose de pourri au Royaume du Trademark ? Jusqu’où ira la guerre des Copyright ?
C’est d’abord bien sûr cette invraisemblable histoire de Big Brother Amazon, qui décide de s’introduire dans tous les Kindle du Monde pour détruire à distance les exemplaires de 1984 et de la Ferme des Animaux de Georges Orwell, achetés en toute bonne foi par les utilisateurs, sous prétexte qu’un ayant droit quelconque s’est plaint que la firme ne détenait pas les droits pour vendre ces ouvrages … en réalité, le problème vient du fait que les règles de calcul des droits sont si complexes au niveau mondial que les ouvrages sont à la fois libres de droits et protégés selon les pays … Mais quand même ! Imaginons un jour que des agents spéciaux viennent défoncer votre porte et se jettent sur votre bibliothèque pour brûler des livres achetés à la librairie du coin, au nom d’obscures raisons de droits ! On serait alors plus proches de Bradbury que d’Orwell et de Farenheit 451 que de 1984 …
On ne peut pas brûler les livres numériques, mais on peut leur faire bien pire !
Avant de refermer mon agrégateur, mon regard tombe sur une dernière absurdité … liée l’interminable débat sur la loi Hadopi qui n’en a pas manqué … Michèle Alliot-Marie à l’Assemblée nationale en plein lapsus révélateur, qui met allègrement dans le même sac la lutte contre la pédo-pornographie et celle contre le téléchargement … il est vrai qu’il est très sain d’assimiler d’une part des actes ignobles relevant de la pire barbarie et de l’inhumanité, et d’autres part, des téléchargements qui font partie du quotidien de millions de français, et qui pris individuellement, portent sur des sommes de quelques dizaines d’euros !
En cliquant sur ce bouton, vous allez commettre un crime contre l'Humanité !
Conclusion : oui, le droit d’auteur rend fou. Ou plutôt une certaine conception dévoyée du droit d’auteur est en train de nous entraîner dans des absurdités qui prêteraient à rire, si elles ne devenaient pas chaque un peu plus menaçantes pour les libertés publiques. Comme si les profits des industries culturelles, heu pardon, les droits d’auteur avaient acquis une portée absolue face à toutes les autres valeurs … pour reprendre une expression employée sur le blog Diner’s Room, le débat actuel sur le droit d’auteur s’est « hystérisé » et l’on se demande quel droit fondamental sera la prochaine victime collatérale de cette croisade du Copyright. Sans compter la frénésie d’appropriation qui semble s’être emparée de beaucoup d’acteurs, privés mais aussi publics …
Un peu de mesure, de recul …. voire de de sagesse ne ferait décidément pas de mal en ce moment …
Ils pensent que chaque fois qu’ils créent quelque chose, ça n’est pas eux qui ont travaillé, mais Dieu qui a travaillé à travers leur corps humain et leur esprit”, a expliqué au Jakarta Globe le responsable d’un groupe touristique spécialisé dans le batik, à Java. Etre reconnaissant (envers Dieu) est suffisant pour eux.
Des créateurs qui renoncent à leurs droits d'auteur. C'est fou, non ?
Une conception qui peut tout à fait avoir sa contrepartie laïque… Rien ne se crée jamais, tout se transforme … on s’attribue toujours la qualité d’auteur par une flatteuse imposture … on reçoit, on transmet … Un certain Pierre-Joseph Proudhon n’a-t-il pas écrit :
En fait de littérature et d’art, on peut dire que l’effort du génie est de rendre l’idéal conçu par la masse. Produire, même en ce sens restreint est chose méritoire assurément et quand la production est réussie, elle est digne de récompense. Mais ne déshéritons pas pour cela l’Humanité de son domaine : ce serait faire de la Science, de la Littérature et de l’Art un guet-apens pour la Raison et la Liberté.
Nous y sommes !
Si cet article vous a intéressé, voir aussi sur S.I.Lex :
Bonne réflexion sur le monde qui nous entoure, beaucoup de questions… je remarque qu’une fois encore, des groupes financiers mettent la main sur le monde pour le piller, l’exploiter et mettre la pagaille.
Collusion état/argent, rien de nouveau sous le ciel de notre Planète
Le droit d’auteur n’est pas le copyright, s’il vous plaît!
L’expérience prouve que le second conduit bien plus souvent à des abus que le premier. Laissez les créateurs et leur droit moral hors des manoeuvres aveugles de certaines entreprises, je vous en supplie :)
Je ne partage pas vraiment cet avis … (et je précise que c’est une question qui m’intéresse beaucoup, notamment pour avoir eu l’occasion d’étudier en profondeur les systèmes de copyright, en travaillant au Canada).
1) D’abord parce que les différences entre le droit d ‘auteur et le copyright ne sont pas si importantes que cela, de l’avis même de la plupart des juristes (voir cet excellent livre par exemple). Il y a franchement du mythe dans l’opposition être un soi-disant « gentil droit d’auteur » à la française et un « méchant copyright américain. »
3) Enfin, en relisant avec attention mon billet, vous constaterez que les abus que je dénonce ne sont pas seulement le fait d’entreprises comme Amazon, mais aussi d’un Musée ou de services de police (institutions publiques) ! Comme quoi …
Et de toute façon, je pense que les créateurs sont hélas bien loins de tout ça et complètement instrumentalisés dans ce débat.
Sur l’opposition entre droit d’auteur et copyright, voici le lien vers un billet du blog LiberT, qui propose une lecture particulièrement intéressante de la distinction:
>> Et de toute façon, je pense que les créateurs sont hélas bien loins de tout ça et complètement instrumentalisés dans ce débat.
Ah ça, c’est bien le fond du problème, justement!
J’attire votre attention sur le fait que les exemples que vous citez sont le fait des ayants droit et non du créateur en lui-même. On n’est déjà plus tant dans le droit de « l’auteur ». Je pourrais moi aussi ajouter à votre liste les agissement des ayants droit de Boris Vian qui colportent une image de sa personne qu’à mon sens, il aurait pu fortement désavouer…
>> Il y a franchement du mythe dans l’opposition être un soi-disant “gentil droit d’auteur” à la française et un “méchant copyright américain.”
Vous savez donc aussi bien que moi que le système nord-américain n’a pas grand-chose à voir avec l’européen, à commencer par les différences de droit moral et de paternité. Nous avons du copyright ET du droit d’auteur en France et il est regrettable de les assimiler.
Bien sûr, il y a des abus dans les deux cas et des idées intéressantes ici et là. (Une note en passant, le concept de « fair use » est intransposable en France parce qu’il se fonde sur le concept de « fairness », fondamental au droit américain et étranger au nôtre, qui se base sur un code!)
Bref. Ce qui est regrettable c’est que pour combattre Hadopi (combat noble) ou pour légitimiser le téléchargement (autrement plus discutable) on attaque parfois, abusivement, l’expression toute faite « droit d’auteur » sans bien comprendre ce qui repose derrière. Le créateur a des droits, notamment celui de gagner sa vie – et c’est paradoxalement ce droit qui est le plus bafoué et le moins défendu par le législateur!
Ce qui nous ramène justement à votre dernière phrase.
En français, il est vrai qu’on utilise parfois le terme « droit d’auteur » de manière très large. Tantôt on l’utilise pour se référer à la notion de propriété intellectuelle, tantôt pour indiquer les droits d’exploitation, tantôt pour désigner les redevances perçues sur une oeuvre. Lionel a raison d’insister sur le fait qu’il faut bien définir ce dont on parle à chaque fois qu’on en parle. :-)
Mais cela ne change rien au fond du problème : si je suis un auteur peu connu, voire moyennement connu, et que je viens de publier une oeuvre chez un éditeur papier, le fait que je diffuse l’oeuvre en question de manière gratuite et aussi large que possible sur la Toile est dans l’intérêt 1. de ma pomme, 2. de l’éditeur et 3. des auditeurs et des lecteurs. C’est simple, comme concept : plus une oeuvre est lue, plus l’auteur est connu ; plus l’auteur est connu, plus de personnes vont, tôt ou tard, acheter son oeuvre, faire un don à l’artiste ou faire de la publicité pour son travail en faisant marcher le bouche à oreille, électronique ou non.
Et quand bien même cette logique ne fonctionnerait pas : qu’avez-vous à gagner à NE PAS diffuser l’oeuvre en question gratuitement sur la Toile ? Qu’avez-vous à gagner à vous priver d’une publicité et d’une diffusion gratuites ? Qu’avez-vous à gagner à ne pas tout mettre en oeuvre pour promouvoir votre oeuvre sur Internet de façon aussi percutante et efficace que possible ? Les personnes qui n’achètent pas la version papier, du moins la version payante, n’agissent pas ainsi parce qu’elles ont eu « la chance » de trouver une version gratuite sur la Toile ; elles n’auraient, le plus probablement, de toute façon pas acheté l’oeuvre ! Les fichiers audio et les fichiers texte agissent comme des « mises en bouche », ils remplacent rarement le plaisir d’une lecture complète au format que l’on juge le plus agréable et adéquat. Et même si je lis ou j’écoute la version gratuite d’une oeuvre dans son intégralité, cela ne m’empêchera pas d’acheter une AUTRE oeuvre du même auteur. C. Q. F. D.
Le monde éditorial anglo-saxon a compris ce principe depuis longtemps, et nous sommes un peu à la traîne en francophonie de ce point de vue-là.
Merci pour ce commentaire et surtout pour le lien que vous indiquez. Votre interview et votre démarche éditoriale sont très intéressantes. Il me semble que les acteurs de l’écrit devraient d’ailleurs comme vous commencer à réfléchir très sérieusement à l’articulation du gratuit et du payant, car l’impasse répressive dans laquelle le gouvernement se fourvoie actuellement ne fait que préparer l’avènement d’une licence globale (sous une forme ou une autre) qui deviendra le standard de la diffusion culturelle. Pas moyen pour le livre d’y échapper, tôt ou tard, à mon avis !
Pour le reste, je suis désolé Lionel et Lucas, mais votre perception de la distinction entre copyright et droit d ‘auteur gagnerait certainement à être nuancée. Les rapprochements sont de plus en plus nombreux et en gros depuis la mise en place des traités de l’OMPI en 1996, on ne peut plus raisonner de manière aussi binaire.
Voyez par exemple l’avis d’Emmanuel Pierrat (pas n’importe qui quand même !) dans cet article, qui montre bien qu’au delà des apparences, il faut comparer les pratiques de part et d’autre de l’Atlantique, notamment en ce qui concerne le droit moral :
« Beaucoup de gens raisonnent encore avec une vision, qui remonte selon moi à la Guerre froide, de séparation complète des deux versants de l’Atlantique. Mais le monde a changé, il est temps de se réveiller. En pratique, cela fait très longtemps qu’on est sur le même modèle, à peu de choses près. Ce qui nous différenciait avant est aujourd’hui réduit à peau de chagrin. Qu’est-ce qui nous différenciait ? Le droit moral. Il existe de facto quand on est puissant, aux États-Unis comme en France. Ici il est dans la loi mais on ne l’exerce que quand on peut se payer le luxe de se fâcher avec son éditeur ou son producteur. La plupart du temps, on signe un contrat dans lequel on accepte d’emblée tout ce qui, en tant qu’auteur, fait hurler, mais si on refuse, plus de contrat ! De l’autre côté, pas de droit moral dans la loi, mais un auteur qui possède un pouvoir économique fort, et il y en a beaucoup, réussit à imposer ses conditions. »
Eloquent, non ?
Pas d’accord non plus avec cette idée que le fair use serait impossible en droit français, sous prétexte que notre droit est codifié. Techniquement, le fair use constitue ce qu’on appelle un standard, dont la teneur est laissée à l’appréciation des juges en fonction des cas d’espèces. Or il en existe un certain nombre également dans le droit d’auteur français. Ex : l’exception de courte citation : nulle part dans le code, il n’est dit exactement en quoi consiste le caractère court de la citation. Ce sont les juges au fil de la jurisprudence qui ont fixé des critères (très restrictifs d’ailleurs). Et le rôle des tribunaux est de plus en plus important pour l’évolution de la propriété intellectuelle, car il faut bien le reconnaître, les textes de loi depuis quelques années sont en général mauvais, mal ficelés, flous et inapplicables en l’état …
La grande différence entre le droit d’auteur français et le droit américain du copyright, c’est que là bas, il existe une vraie conception des « droits de l’utilisateur » auxquels on reconnaît une valeur égale aux droit des auteurs. Pas seulement des exceptions étriquées et difficilement conciliables avec les pratiques numériques … (c’est pareil et même encore plus fort au Canada).
Le jour où l’on aura compris cela en France, je pense que l’on fera un grand progrès … un progrès vers la reconnaissance du droit à la culture, à l’information, à l’enseignement, qui sont pour moi des valeurs aussi importantes que l’encouragement de la création. N’oublions pas que le droit d’auteur n’est ni plus ni moins qu’un avatar du droit de propriété et qu’il n’y a aucune raison que la propriété continue à être l’alpha et l’oméga des valeurs d’une société moderne.
D’où l’intérêt d’étudier de près le système du copyright et de ne pas le regarder avec des préjugés idéologiques …
>> N’oublions pas que le droit d’auteur n’est ni polus ni moins qu’un avatar du droit de propriété et qu’il n’ya aucune raison que la propriété continue à être l’alpha et l’oméga des valeurs d’une société moderne.
Le problème, c’est que si le créateur ne trouve plus de façon d’être convenablement rémunéré, il finira par cesser de créer et c’est toute la culture qui en souffrira. Et je gage que le travail classique fondé sur la propriété durera bien après la mort de toute forme de droit d’auteur. Réformer la société, pourquoi pas, vaste débat, mais ne partons pas du droit d’auteur pour cela, lequel est le premier à souffrir et à céder devant le droit industriel! Permettez-moi de considérer l’argument inapplicable dans notre monde actuel. Nous sommes dans une société capitaliste et marchande et si je suis entièrement d’accord sur le fait que la culture s’accomode très mal de ce mode de commercialisation, il faut bien, à un moment, la faire concilier avec les réalités du monde. Si notre société se réforme, soit, mais qu’on commence par le système bancaire et industriel pour avoir une chance de voir cette mutation tenir!
Rappelons aussi que le droit d’auteur est aussi l’avancée qui nous a permis de sortir du mécénat – donc de la culture d’Etat.
Puis-je vous inviter à mon tour à jeter un oeil à ma propre série de billets sur la question, surtout la partie 4 sur le lien entre culture et patrimoine et l’importance d’en préserver la pérennité avant toute considération d’ordre matériel: http://lioneldavoust.com/?p=708
Je ne veux pas donner l’impression de surenchérir sur vos commentaires pour avoir le dernier mot. Je vais aller lire vos billets et je vous répondrai de manière posée pour sortir de la réaction à chaud (même si je trouve ces échanges très intéressants).
Je ferais juste remarquer que le lien rémunération/création n’est à mon avis pas absolu non plus. Il y a des milliers de gens qui créent sur Internet sans attendre de retour sous forme financière. A mon avis, l’assimilation fin du droit d’auteur = fin de la création est une idée fausse. La création trouve toujours son chemin … elle le trouve déjà … les modes classiques d’élaboration des contenus et notamment le modèle « éditorial » craque de toutes parts !
Je dirais même que certains choisissent en leur âme et conscience de se placer en dehors du régime classique du droit d’auteur, pour pouvoir expérimenter de nouvelles formes de création. A ce titre, le filtre du droit d ‘auteur constitue même un obstacle épistémologique qui nous empêche de discerner cette révolution en marche de la création.
Bien sûr, je ne suis pas naïf et je sais bien que la gratuité sur Internet est souvent trompeuse. Il faut faire très attention aux cadres dans lesquels on croit créer librement. Il y a bien des firmes, type FAI ou plateformes de « services » pour profiter de ces nouveaux contenus. Mais l’évolution est bien là ! A nous d’être vigilants.
Je vous avouerais d’ailleurs que c’est mon cas à titre personnel. J’ai déjà publié par les voies classiques, un livre et un certain nombre d’articles, mais cette façon de faire ne me convient plus. C’est pourquoi j’écris maintenant dans un blog qui est placée sous la moins restrictive des licences Creative Commons (By).
Une manière pour moi de verser par anticipation mes productions dans le domaine public et de sortir du cadre classique du droit d ‘auteur … et je ne sais pas si je retrouverais un jour le chemin de l’édition classique.
Il y a des millions de gens comme moi !
(Désolé, j’avais dit que je ne voulais pas surenchérir, mais je me suis laissé emporté ! je vais lire vos billets)
Pas de souci, je ne crois pas du tout que vous cherchiez à surenchérir :) C’est un débat, c’est bien l’intérêt de la chose, et puis j’ai l’impression que nous visons des objectifs communs, sommes attachés aux mêmes choses, mais simplement avec une différence d’optique.
Juste pour rebondir sur votre remarque (et je vais arrêter moi aussi, que vous ne croyiez pas que je surenchérisse aussi!):
>> Je ferais juste remarquer que le lien rémunération/création n’est à mon avis pas absolu non plus. Il y a des milliers de gens qui créent sur Internet sans attendre de retour sous forme financière.
Oui… mais je vous renverrai à la célèbre remarque: « On raconte qu’un milliers de singes tapant sur des machines à écrire finiraient par produire Hamlet. Depuis Internet, on sait que c’est faux. »
Il y a d’excellentes productions indépendantes sur Internet. Mais il y a aussi un lot incroyable de nullités bien plus important que dans le circuit classique. Le métier de créateur s’apprend, s’affine, se guide, et c’est aussi le rôle de l’édition. Personne ne tient (pour l’instant?) ce rôle en ligne car, pour faire éclore un talent, il faut un savoir-faire, du temps (et donc de l’argent). Le créateur est livré à lui-même sur le Net et le temps qu’il a pour convaincre est encore plus faible qu’un livre sur un rayonnage de librairie…
Je crois fermement que retirer à terme l’argent de l’équation culturelle, aujourd’hui, conduira à l’écroulement de la culture de qualité, d’une part parce que je pense que très peu de créateurs continueront à travailler à perte (il faut avoir du temps, donc un boulot alimentaire… et une vie personnelle à côté, ça complique les choses, plutôt qu’avoir le temps de créer toute la journée), d’autre part parce que les fourches caudines de l’éditeur sont souvent salutaires. De mon humble expérience, tous mes textes ont été affinés, améliorés par le regard de l’éditeur.
Pour résumer, je n’ai pas envie de voir un Internet rempli de Mickaël Vendetta mais c’est un avenir que je crains de voir arriver. :)
Si vous me permettez d’intervenir dans le débat création/rémunération, je crois qu’un vrai artiste créera quoiqu’il arrive, simplement parce qu’il en ressent le profond besoin : penser que la création s’arrête parce que la rémunération classique s’arrête, c’est méconnaître profondément le métier d’artiste.
C’est ensuite qu’arrive un moment où la qualité de ce que fait l’artiste génère des commandes, car il ne peut plus, matériellement, créer sans être payé ; le temps lui manquant pour se consacrer par ailleurs à une activité alimentaire. Peut-être même que cette nouvelle « gratuité » permettra à terme aux vrais créateurs de renaître ?
Par ailleurs, n’oublions pas que le livre ou le disque n’étaient à l’origine qu’une forme de mémoire d’un événement artistique : la musique ou le théâtre, en particulier, c’est le concert, la représentation, c’est l’instant : c’est le moment où le compositeur, le dramaturge, ainsi que le co-auteur qu’est l’interprète, rencontrent leur public. C’est dans ce but que l’interprète ou l’auteur vivent leur vie d’artiste (et c’est à ces occasion qu’ils doivent toucher l’essentiel de leur rémunération). Un disque n’est là que pour garder la mémoire de ces événements, pour en donner un (vague) aperçu à celui qui n’y était pas ; un disque, c’est de la comm’ et rien d’autre ! Comment a-t-on pu en faire un objet d’art, et un objet commercial ?
Oui, le droit d’auteur rend fou, car Internet est le signe avant-coureur d’une nouvelle économie (au sens large) qui n’est plus basée sur la rareté, sur la proportionnalité, sur l’unidirectionnalité… et c’est ce qui « leur » fait peur.
Beau parcours dans l’inquiétante dérive du droit d’auteur…
Pour la national portrait gallery, je crois que la fondation wikimedia est prête à aller devant les tribunaux. Le principe du « sweat of the brow » (sueur du front) qui autorise un photographe à copyrighter une oeuvre ancienne n’appartient pas au droit britannique mais à sa jurisprudence. On peut espérer que Wikimedia ait gain de cause finalement.
J’espère que Wikimedia tiendra bon et saisira cette occasion pour provoquer une décision de justice, quelle qu’en soit l’issue. Car il existe trop d’incertitudes en ce moment sur cette question du statut du domaine public numérisé. Il faut une clarification par voie de justice et un vrai débat public, car nous touchons à quelque chose de fondamental, sur le sens de l’action publique en matière culturelle.
A suivre … je ne manquerai pas de suivre l’affaire de près dans S.I.Lex
Bonjour.
“On raconte qu’un milliers de singes tapant sur des machines à écrire finiraient par produire Hamlet. Depuis Internet, on sait que c’est faux.” Internet est nettement trop petit pour tenter l’expérience, de toutes façons (http://www.lacosmo.com/Nature39.html).(rires)
Content de voir que je ne suis pas le seul à revisiter Proudhon en ce moment. Après avoir passé une vingtaine d’années à vivre de mes créations dans des domaines (il y en a beaucoup) où les droits d’auteur sont inopérants à calculer la « juste rémunération » d’un créateur lorsque celle-ci revêt un caractère unique et non reproductible (voir qu’elle soit détruite après usage, dans le cas d’un évènement temporaire par exemple), je me dis que vous avez sans doute raison de faire remonter les problèmes actuels de la création à la source du système qui encadre ses relations économiques : c’est bien parce que l’œuvre reproductible s’inscrit dans une forme d’industrialisation qu’elle est devenue la « chose » des propriétaires de l’outil de re-production.
Quand on veut « copyrighter » une photo de video-surveillance, on ne fait que reproduire l’idée qu’une « photo satellite » dépendrait du « droit d’auteur ».
En fait, loin des débats qui animent les commentaires, ce qui est souligné dans le post, c’est ce glissement d’un « droit d’auteur », qui correspond aux actes de création, vers un droit des « objets immatériels » (si je peux m’exprimer ainsi, « objet » signifiant ici : bien vendable à l’unité).
Malheureusement, les tenants du « capitalisme cognitif », ou de l’industrie des médias ont réussi ce merveilleux tour de passe-passe de mélanger les deux termes. Si tu touches aux nouvelles conditions de production/diffusion/rémunération des productions immatérielles… alors c’est que tu veux la mort des auteurs, et plus encore des « génies » qui savent s’extraire de la gangue des tâcherons du quotidien.
C’est beau les Public-relation, c’est émouvant, lacrymal… mais évidemment bien loin de la réalité.
Tant que nous n’arriveront pas à réfléchir en dehors de cet émotionnel, nous n’avanceront pas sur la véritable capacité des sociétés numériques à financer la création, et mếme au delà toutes les activités intellectuelles.
N’étaient-ce point les philosophes des Lumières qui inventaient en même temps le « droit d’auteur » et le « tribunal de la raison » ?
Merci pour cette précision qui fait bien ressortir les deux plans différents sur lesquels se situe le débat. Il est vrai que c’est la confusion (ou l’amalgame) de ces problématiques qui génère le « dialogue de sourds » dans lequel on tombe trop souvent lorsqu’on discute de la place des créateurs dans la polémique du droit d’auteur.
L’idéal serait effectivement que l’on mette en place un véritable « droit des objets immatériels », nettement distinct du droit d’auteur, qui permette à celui de conserver sa cohérence et son champ d’action propre.
Hélas, ce n’est pas le chemin que prend notre législation. Voir par exemple le très contestable droit des bases de données, qui non content d’avoir introduit un nouveau droit « sui generis« , continue à soumettre les bases originales au droit d’auteur. Il y a alors superposition de couches de droits sur un même objet numérique et un effet de sur-protection, qui peut conduire à faire renaitre des droits sur des éléments appartenant au domaine public (œuvres anciennes) ou non protégeables (faits, données …).
Le droit d’auteur a aussi été étendu au logiciel, qui est pourtant assez éloigné d’une création « littéraire et artistique », au sens originel de la loi française.
Finalement, c’est le manque d’imagination du législateur en matière de protection des objets numériques qui le pousse à utiliser les bonnes vieilles recettes du droit d’auteur plutôt que d’inventer de nouveaux concepts.
Cet article est très intéressant.
Cette histoire de droit d’auteur m’interpelle depuis longtemps à double titre (celui d’auteur et celui de consommateur des oeuvres des autres). Son instauration ne me semble qu’une façon de plus d’instaurer un totalitarisme de la pensée.
Tout le monde savait, hélas, en regardant s’instaler l’outil médiatique que nous allions vers une des pires scolastiques de l’histoire de l’humanité.
Après une période d’euphorie et de relative liberté, celle que nous connaissons aujourd’hui, il faut craindre que les plus pessimistes des Cassandre n’aient raison.
Beau travail de veille ! Merci pour ces exemples hallucinants.
Bonne réflexion sur le monde qui nous entoure, beaucoup de questions… je remarque qu’une fois encore, des groupes financiers mettent la main sur le monde pour le piller, l’exploiter et mettre la pagaille.
Collusion état/argent, rien de nouveau sous le ciel de notre Planète
Et tout ça avec la bénédiction de nos élus. Nos élus?
Le droit d’auteur n’est pas le copyright, s’il vous plaît!
L’expérience prouve que le second conduit bien plus souvent à des abus que le premier. Laissez les créateurs et leur droit moral hors des manoeuvres aveugles de certaines entreprises, je vous en supplie :)
Bonjour,
Je ne partage pas vraiment cet avis … (et je précise que c’est une question qui m’intéresse beaucoup, notamment pour avoir eu l’occasion d’étudier en profondeur les systèmes de copyright, en travaillant au Canada).
1) D’abord parce que les différences entre le droit d ‘auteur et le copyright ne sont pas si importantes que cela, de l’avis même de la plupart des juristes (voir cet excellent livre par exemple). Il y a franchement du mythe dans l’opposition être un soi-disant « gentil droit d’auteur » à la française et un « méchant copyright américain. »
2) Le système du Copyright contient d’excellentes dispositions, dont nous ferions bien de nous inspirer, à commencer par le fair use par exemple qui joue un rôle important Outre Atlantique dans l’équilibre de la propriété intellectuelle. En revanche, je peux vous citer pas mal d’exemples complètement abbérants d’usages du droit moral en France. Vous avez déjà entendu parler peut-être de l’affaire des ayants droit de Victor Hugo s’opposant à ce que l’on écrive une suite des Misérables ? Ou encore de la manière dont la société Moulinsart instrumentalise sans vergogne le droit moral d’Hergé pour faire des profits supplémentaires?
3) Enfin, en relisant avec attention mon billet, vous constaterez que les abus que je dénonce ne sont pas seulement le fait d’entreprises comme Amazon, mais aussi d’un Musée ou de services de police (institutions publiques) ! Comme quoi …
Et de toute façon, je pense que les créateurs sont hélas bien loins de tout ça et complètement instrumentalisés dans ce débat.
Sur l’opposition entre droit d’auteur et copyright, voici le lien vers un billet du blog LiberT, qui propose une lecture particulièrement intéressante de la distinction:
« Supprimez le copyright, rendez-nous le droit d’auteur ! » par Deeder
>> Et de toute façon, je pense que les créateurs sont hélas bien loins de tout ça et complètement instrumentalisés dans ce débat.
Ah ça, c’est bien le fond du problème, justement!
J’attire votre attention sur le fait que les exemples que vous citez sont le fait des ayants droit et non du créateur en lui-même. On n’est déjà plus tant dans le droit de « l’auteur ». Je pourrais moi aussi ajouter à votre liste les agissement des ayants droit de Boris Vian qui colportent une image de sa personne qu’à mon sens, il aurait pu fortement désavouer…
>> Il y a franchement du mythe dans l’opposition être un soi-disant “gentil droit d’auteur” à la française et un “méchant copyright américain.”
Vous savez donc aussi bien que moi que le système nord-américain n’a pas grand-chose à voir avec l’européen, à commencer par les différences de droit moral et de paternité. Nous avons du copyright ET du droit d’auteur en France et il est regrettable de les assimiler.
Bien sûr, il y a des abus dans les deux cas et des idées intéressantes ici et là. (Une note en passant, le concept de « fair use » est intransposable en France parce qu’il se fonde sur le concept de « fairness », fondamental au droit américain et étranger au nôtre, qui se base sur un code!)
Bref. Ce qui est regrettable c’est que pour combattre Hadopi (combat noble) ou pour légitimiser le téléchargement (autrement plus discutable) on attaque parfois, abusivement, l’expression toute faite « droit d’auteur » sans bien comprendre ce qui repose derrière. Le créateur a des droits, notamment celui de gagner sa vie – et c’est paradoxalement ce droit qui est le plus bafoué et le moins défendu par le législateur!
Ce qui nous ramène justement à votre dernière phrase.
En français, il est vrai qu’on utilise parfois le terme « droit d’auteur » de manière très large. Tantôt on l’utilise pour se référer à la notion de propriété intellectuelle, tantôt pour indiquer les droits d’exploitation, tantôt pour désigner les redevances perçues sur une oeuvre. Lionel a raison d’insister sur le fait qu’il faut bien définir ce dont on parle à chaque fois qu’on en parle. :-)
Mais cela ne change rien au fond du problème : si je suis un auteur peu connu, voire moyennement connu, et que je viens de publier une oeuvre chez un éditeur papier, le fait que je diffuse l’oeuvre en question de manière gratuite et aussi large que possible sur la Toile est dans l’intérêt 1. de ma pomme, 2. de l’éditeur et 3. des auditeurs et des lecteurs. C’est simple, comme concept : plus une oeuvre est lue, plus l’auteur est connu ; plus l’auteur est connu, plus de personnes vont, tôt ou tard, acheter son oeuvre, faire un don à l’artiste ou faire de la publicité pour son travail en faisant marcher le bouche à oreille, électronique ou non.
Et quand bien même cette logique ne fonctionnerait pas : qu’avez-vous à gagner à NE PAS diffuser l’oeuvre en question gratuitement sur la Toile ? Qu’avez-vous à gagner à vous priver d’une publicité et d’une diffusion gratuites ? Qu’avez-vous à gagner à ne pas tout mettre en oeuvre pour promouvoir votre oeuvre sur Internet de façon aussi percutante et efficace que possible ? Les personnes qui n’achètent pas la version papier, du moins la version payante, n’agissent pas ainsi parce qu’elles ont eu « la chance » de trouver une version gratuite sur la Toile ; elles n’auraient, le plus probablement, de toute façon pas acheté l’oeuvre ! Les fichiers audio et les fichiers texte agissent comme des « mises en bouche », ils remplacent rarement le plaisir d’une lecture complète au format que l’on juge le plus agréable et adéquat. Et même si je lis ou j’écoute la version gratuite d’une oeuvre dans son intégralité, cela ne m’empêchera pas d’acheter une AUTRE oeuvre du même auteur. C. Q. F. D.
Le monde éditorial anglo-saxon a compris ce principe depuis longtemps, et nous sommes un peu à la traîne en francophonie de ce point de vue-là.
Je vous renvoie à mon article/interview, qui aborde plus largement le sujet : http://www.fantasy.fr/articles/view/10128/utopod-interview-de-lucas-moreno?reload=true
Bonjour
Merci pour ce commentaire et surtout pour le lien que vous indiquez. Votre interview et votre démarche éditoriale sont très intéressantes. Il me semble que les acteurs de l’écrit devraient d’ailleurs comme vous commencer à réfléchir très sérieusement à l’articulation du gratuit et du payant, car l’impasse répressive dans laquelle le gouvernement se fourvoie actuellement ne fait que préparer l’avènement d’une licence globale (sous une forme ou une autre) qui deviendra le standard de la diffusion culturelle. Pas moyen pour le livre d’y échapper, tôt ou tard, à mon avis !
Pour le reste, je suis désolé Lionel et Lucas, mais votre perception de la distinction entre copyright et droit d ‘auteur gagnerait certainement à être nuancée. Les rapprochements sont de plus en plus nombreux et en gros depuis la mise en place des traités de l’OMPI en 1996, on ne peut plus raisonner de manière aussi binaire.
Voyez par exemple l’avis d’Emmanuel Pierrat (pas n’importe qui quand même !) dans cet article, qui montre bien qu’au delà des apparences, il faut comparer les pratiques de part et d’autre de l’Atlantique, notamment en ce qui concerne le droit moral :
« Beaucoup de gens raisonnent encore avec une vision, qui remonte selon moi à la Guerre froide, de séparation complète des deux versants de l’Atlantique. Mais le monde a changé, il est temps de se réveiller. En pratique, cela fait très longtemps qu’on est sur le même modèle, à peu de choses près. Ce qui nous différenciait avant est aujourd’hui réduit à peau de chagrin. Qu’est-ce qui nous différenciait ? Le droit moral. Il existe de facto quand on est puissant, aux États-Unis comme en France. Ici il est dans la loi mais on ne l’exerce que quand on peut se payer le luxe de se fâcher avec son éditeur ou son producteur. La plupart du temps, on signe un contrat dans lequel on accepte d’emblée tout ce qui, en tant qu’auteur, fait hurler, mais si on refuse, plus de contrat ! De l’autre côté, pas de droit moral dans la loi, mais un auteur qui possède un pouvoir économique fort, et il y en a beaucoup, réussit à imposer ses conditions. »
Eloquent, non ?
Pas d’accord non plus avec cette idée que le fair use serait impossible en droit français, sous prétexte que notre droit est codifié. Techniquement, le fair use constitue ce qu’on appelle un standard, dont la teneur est laissée à l’appréciation des juges en fonction des cas d’espèces. Or il en existe un certain nombre également dans le droit d’auteur français. Ex : l’exception de courte citation : nulle part dans le code, il n’est dit exactement en quoi consiste le caractère court de la citation. Ce sont les juges au fil de la jurisprudence qui ont fixé des critères (très restrictifs d’ailleurs). Et le rôle des tribunaux est de plus en plus important pour l’évolution de la propriété intellectuelle, car il faut bien le reconnaître, les textes de loi depuis quelques années sont en général mauvais, mal ficelés, flous et inapplicables en l’état …
La grande différence entre le droit d’auteur français et le droit américain du copyright, c’est que là bas, il existe une vraie conception des « droits de l’utilisateur » auxquels on reconnaît une valeur égale aux droit des auteurs. Pas seulement des exceptions étriquées et difficilement conciliables avec les pratiques numériques … (c’est pareil et même encore plus fort au Canada).
Le jour où l’on aura compris cela en France, je pense que l’on fera un grand progrès … un progrès vers la reconnaissance du droit à la culture, à l’information, à l’enseignement, qui sont pour moi des valeurs aussi importantes que l’encouragement de la création. N’oublions pas que le droit d’auteur n’est ni plus ni moins qu’un avatar du droit de propriété et qu’il n’y a aucune raison que la propriété continue à être l’alpha et l’oméga des valeurs d’une société moderne.
D’où l’intérêt d’étudier de près le système du copyright et de ne pas le regarder avec des préjugés idéologiques …
>> N’oublions pas que le droit d’auteur n’est ni polus ni moins qu’un avatar du droit de propriété et qu’il n’ya aucune raison que la propriété continue à être l’alpha et l’oméga des valeurs d’une société moderne.
Le problème, c’est que si le créateur ne trouve plus de façon d’être convenablement rémunéré, il finira par cesser de créer et c’est toute la culture qui en souffrira. Et je gage que le travail classique fondé sur la propriété durera bien après la mort de toute forme de droit d’auteur. Réformer la société, pourquoi pas, vaste débat, mais ne partons pas du droit d’auteur pour cela, lequel est le premier à souffrir et à céder devant le droit industriel! Permettez-moi de considérer l’argument inapplicable dans notre monde actuel. Nous sommes dans une société capitaliste et marchande et si je suis entièrement d’accord sur le fait que la culture s’accomode très mal de ce mode de commercialisation, il faut bien, à un moment, la faire concilier avec les réalités du monde. Si notre société se réforme, soit, mais qu’on commence par le système bancaire et industriel pour avoir une chance de voir cette mutation tenir!
Rappelons aussi que le droit d’auteur est aussi l’avancée qui nous a permis de sortir du mécénat – donc de la culture d’Etat.
Puis-je vous inviter à mon tour à jeter un oeil à ma propre série de billets sur la question, surtout la partie 4 sur le lien entre culture et patrimoine et l’importance d’en préserver la pérennité avant toute considération d’ordre matériel: http://lioneldavoust.com/?p=708
(partie 1, intro: http://lioneldavoust.com/?p=630
2, les failles d’Hadopi: http://lioneldavoust.com/?p=665
3, la rhétorique de la loi: http://lioneldavoust.com/?p=680 )
Je ne veux pas donner l’impression de surenchérir sur vos commentaires pour avoir le dernier mot. Je vais aller lire vos billets et je vous répondrai de manière posée pour sortir de la réaction à chaud (même si je trouve ces échanges très intéressants).
Je ferais juste remarquer que le lien rémunération/création n’est à mon avis pas absolu non plus. Il y a des milliers de gens qui créent sur Internet sans attendre de retour sous forme financière. A mon avis, l’assimilation fin du droit d’auteur = fin de la création est une idée fausse. La création trouve toujours son chemin … elle le trouve déjà … les modes classiques d’élaboration des contenus et notamment le modèle « éditorial » craque de toutes parts !
Je dirais même que certains choisissent en leur âme et conscience de se placer en dehors du régime classique du droit d’auteur, pour pouvoir expérimenter de nouvelles formes de création. A ce titre, le filtre du droit d ‘auteur constitue même un obstacle épistémologique qui nous empêche de discerner cette révolution en marche de la création.
Bien sûr, je ne suis pas naïf et je sais bien que la gratuité sur Internet est souvent trompeuse. Il faut faire très attention aux cadres dans lesquels on croit créer librement. Il y a bien des firmes, type FAI ou plateformes de « services » pour profiter de ces nouveaux contenus. Mais l’évolution est bien là ! A nous d’être vigilants.
Je vous avouerais d’ailleurs que c’est mon cas à titre personnel. J’ai déjà publié par les voies classiques, un livre et un certain nombre d’articles, mais cette façon de faire ne me convient plus. C’est pourquoi j’écris maintenant dans un blog qui est placée sous la moins restrictive des licences Creative Commons (By).
Une manière pour moi de verser par anticipation mes productions dans le domaine public et de sortir du cadre classique du droit d ‘auteur … et je ne sais pas si je retrouverais un jour le chemin de l’édition classique.
Il y a des millions de gens comme moi !
(Désolé, j’avais dit que je ne voulais pas surenchérir, mais je me suis laissé emporté ! je vais lire vos billets)
Pas de souci, je ne crois pas du tout que vous cherchiez à surenchérir :) C’est un débat, c’est bien l’intérêt de la chose, et puis j’ai l’impression que nous visons des objectifs communs, sommes attachés aux mêmes choses, mais simplement avec une différence d’optique.
Juste pour rebondir sur votre remarque (et je vais arrêter moi aussi, que vous ne croyiez pas que je surenchérisse aussi!):
>> Je ferais juste remarquer que le lien rémunération/création n’est à mon avis pas absolu non plus. Il y a des milliers de gens qui créent sur Internet sans attendre de retour sous forme financière.
Oui… mais je vous renverrai à la célèbre remarque: « On raconte qu’un milliers de singes tapant sur des machines à écrire finiraient par produire Hamlet. Depuis Internet, on sait que c’est faux. »
Il y a d’excellentes productions indépendantes sur Internet. Mais il y a aussi un lot incroyable de nullités bien plus important que dans le circuit classique. Le métier de créateur s’apprend, s’affine, se guide, et c’est aussi le rôle de l’édition. Personne ne tient (pour l’instant?) ce rôle en ligne car, pour faire éclore un talent, il faut un savoir-faire, du temps (et donc de l’argent). Le créateur est livré à lui-même sur le Net et le temps qu’il a pour convaincre est encore plus faible qu’un livre sur un rayonnage de librairie…
Je crois fermement que retirer à terme l’argent de l’équation culturelle, aujourd’hui, conduira à l’écroulement de la culture de qualité, d’une part parce que je pense que très peu de créateurs continueront à travailler à perte (il faut avoir du temps, donc un boulot alimentaire… et une vie personnelle à côté, ça complique les choses, plutôt qu’avoir le temps de créer toute la journée), d’autre part parce que les fourches caudines de l’éditeur sont souvent salutaires. De mon humble expérience, tous mes textes ont été affinés, améliorés par le regard de l’éditeur.
Pour résumer, je n’ai pas envie de voir un Internet rempli de Mickaël Vendetta mais c’est un avenir que je crains de voir arriver. :)
Si vous me permettez d’intervenir dans le débat création/rémunération, je crois qu’un vrai artiste créera quoiqu’il arrive, simplement parce qu’il en ressent le profond besoin : penser que la création s’arrête parce que la rémunération classique s’arrête, c’est méconnaître profondément le métier d’artiste.
C’est ensuite qu’arrive un moment où la qualité de ce que fait l’artiste génère des commandes, car il ne peut plus, matériellement, créer sans être payé ; le temps lui manquant pour se consacrer par ailleurs à une activité alimentaire. Peut-être même que cette nouvelle « gratuité » permettra à terme aux vrais créateurs de renaître ?
Par ailleurs, n’oublions pas que le livre ou le disque n’étaient à l’origine qu’une forme de mémoire d’un événement artistique : la musique ou le théâtre, en particulier, c’est le concert, la représentation, c’est l’instant : c’est le moment où le compositeur, le dramaturge, ainsi que le co-auteur qu’est l’interprète, rencontrent leur public. C’est dans ce but que l’interprète ou l’auteur vivent leur vie d’artiste (et c’est à ces occasion qu’ils doivent toucher l’essentiel de leur rémunération). Un disque n’est là que pour garder la mémoire de ces événements, pour en donner un (vague) aperçu à celui qui n’y était pas ; un disque, c’est de la comm’ et rien d’autre ! Comment a-t-on pu en faire un objet d’art, et un objet commercial ?
Oui, le droit d’auteur rend fou, car Internet est le signe avant-coureur d’une nouvelle économie (au sens large) qui n’est plus basée sur la rareté, sur la proportionnalité, sur l’unidirectionnalité… et c’est ce qui « leur » fait peur.
Beau parcours dans l’inquiétante dérive du droit d’auteur…
Pour la national portrait gallery, je crois que la fondation wikimedia est prête à aller devant les tribunaux. Le principe du « sweat of the brow » (sueur du front) qui autorise un photographe à copyrighter une oeuvre ancienne n’appartient pas au droit britannique mais à sa jurisprudence. On peut espérer que Wikimedia ait gain de cause finalement.
Bonjour et merci
J’espère que Wikimedia tiendra bon et saisira cette occasion pour provoquer une décision de justice, quelle qu’en soit l’issue. Car il existe trop d’incertitudes en ce moment sur cette question du statut du domaine public numérisé. Il faut une clarification par voie de justice et un vrai débat public, car nous touchons à quelque chose de fondamental, sur le sens de l’action publique en matière culturelle.
A suivre … je ne manquerai pas de suivre l’affaire de près dans S.I.Lex
Bonjour.
“On raconte qu’un milliers de singes tapant sur des machines à écrire finiraient par produire Hamlet. Depuis Internet, on sait que c’est faux.” Internet est nettement trop petit pour tenter l’expérience, de toutes façons (http://www.lacosmo.com/Nature39.html).(rires)
Content de voir que je ne suis pas le seul à revisiter Proudhon en ce moment. Après avoir passé une vingtaine d’années à vivre de mes créations dans des domaines (il y en a beaucoup) où les droits d’auteur sont inopérants à calculer la « juste rémunération » d’un créateur lorsque celle-ci revêt un caractère unique et non reproductible (voir qu’elle soit détruite après usage, dans le cas d’un évènement temporaire par exemple), je me dis que vous avez sans doute raison de faire remonter les problèmes actuels de la création à la source du système qui encadre ses relations économiques : c’est bien parce que l’œuvre reproductible s’inscrit dans une forme d’industrialisation qu’elle est devenue la « chose » des propriétaires de l’outil de re-production.
Cordialement.
Quand on veut « copyrighter » une photo de video-surveillance, on ne fait que reproduire l’idée qu’une « photo satellite » dépendrait du « droit d’auteur ».
En fait, loin des débats qui animent les commentaires, ce qui est souligné dans le post, c’est ce glissement d’un « droit d’auteur », qui correspond aux actes de création, vers un droit des « objets immatériels » (si je peux m’exprimer ainsi, « objet » signifiant ici : bien vendable à l’unité).
Malheureusement, les tenants du « capitalisme cognitif », ou de l’industrie des médias ont réussi ce merveilleux tour de passe-passe de mélanger les deux termes. Si tu touches aux nouvelles conditions de production/diffusion/rémunération des productions immatérielles… alors c’est que tu veux la mort des auteurs, et plus encore des « génies » qui savent s’extraire de la gangue des tâcherons du quotidien.
C’est beau les Public-relation, c’est émouvant, lacrymal… mais évidemment bien loin de la réalité.
Tant que nous n’arriveront pas à réfléchir en dehors de cet émotionnel, nous n’avanceront pas sur la véritable capacité des sociétés numériques à financer la création, et mếme au delà toutes les activités intellectuelles.
N’étaient-ce point les philosophes des Lumières qui inventaient en même temps le « droit d’auteur » et le « tribunal de la raison » ?
Bonjour,
Merci pour cette précision qui fait bien ressortir les deux plans différents sur lesquels se situe le débat. Il est vrai que c’est la confusion (ou l’amalgame) de ces problématiques qui génère le « dialogue de sourds » dans lequel on tombe trop souvent lorsqu’on discute de la place des créateurs dans la polémique du droit d’auteur.
L’idéal serait effectivement que l’on mette en place un véritable « droit des objets immatériels », nettement distinct du droit d’auteur, qui permette à celui de conserver sa cohérence et son champ d’action propre.
Hélas, ce n’est pas le chemin que prend notre législation. Voir par exemple le très contestable droit des bases de données, qui non content d’avoir introduit un nouveau droit « sui generis« , continue à soumettre les bases originales au droit d’auteur. Il y a alors superposition de couches de droits sur un même objet numérique et un effet de sur-protection, qui peut conduire à faire renaitre des droits sur des éléments appartenant au domaine public (œuvres anciennes) ou non protégeables (faits, données …).
Le droit d’auteur a aussi été étendu au logiciel, qui est pourtant assez éloigné d’une création « littéraire et artistique », au sens originel de la loi française.
Finalement, c’est le manque d’imagination du législateur en matière de protection des objets numériques qui le pousse à utiliser les bonnes vieilles recettes du droit d’auteur plutôt que d’inventer de nouveaux concepts.
Cet article est très intéressant.
Cette histoire de droit d’auteur m’interpelle depuis longtemps à double titre (celui d’auteur et celui de consommateur des oeuvres des autres). Son instauration ne me semble qu’une façon de plus d’instaurer un totalitarisme de la pensée.
Tout le monde savait, hélas, en regardant s’instaler l’outil médiatique que nous allions vers une des pires scolastiques de l’histoire de l’humanité.
Après une période d’euphorie et de relative liberté, celle que nous connaissons aujourd’hui, il faut craindre que les plus pessimistes des Cassandre n’aient raison.
un monde plein de surprises