Le Monde.fr aurait-il un peu de mal avec les licences Creative Commons ?

A lire sur le blog 3615 Mavie : Le Monde prend Flickr pour une base de photos gratuites.

A l’occasion de la disparition du guitariste Les Paul, créateur d’un modèle mythique de guitare, Le Monde.fr propose un diaporama, comportant plusieurs photographies reprises du site Flickr, dont trois sont sous licence Creative Commons (jusqu’ici aucun problème).

Les Paul : une génération de guitares
LEMONDE.FR | 13.08.09
©

Or il s’avère que l’une de ces photographies a été placée par son auteur sous la licence CC-By-NC (Attribution-Pas d’utilisation commerciale) et que ces conditions n’ont visiblement pas été respectées par Le Monde, qui se contente de créditer la source (Flickr) et pas l’auteur.

La photographie en question sur Flickr ...
La photographie en question sur Flickr et voilà comment on la cite correctement : The Log, par V'Ron. CC-By-NC. Source : Flickr. Pas très compliqué pourtant, non ?

Car contrairement à une idée trop souvent répandue, les oeuvres sous licence Creative Commons ne sont pas « libres de droits ». Elles peuvent être réutilisées, à condition de respecter les conditions fixées par l’auteur, correspondant à des droits qu’il entend continuer à réserver (logique « Certains droits réservés »).

Dans le cas présent, il y a méconnaissance du droit à la paternité sur l’oeuvre (violation du droit moral de l’auteur) et reprise de la photo dans un contexte commercial, alors que cet usage n’est pas autorisé. Il aurait donc fallu que Le Monde.fr demande une autorisation explicite à l’auteur.

Ce n’est pas la première fois que l’on relève un problème de reprise d’œuvres sous CC par un média « traditionnel ». En 2006, l’émission Envoyé Spécial avait réutilisé un morceau de musique sous CC sans respecter certains éléments de la licence (Affaire « L’Onomotapeur »). Le différend s’était réglé à l’amiable. Et on trouve sur Internet d’autres cas similaires.

Mais pour l’instant, aucune de ces « frictions » n’a donné lieu à une plainte en justice, alors que les Creative Commons existent en version française depuis 2004.

Une preuve de la capacité des Creative Commons à réguler de manière fluide les usages sur Internet, en dehors du contentieux, mais aussi un problème, car en l’absence de décision des juges, un certain doute continue à planer sur la validité de ces licences alternatives en droit français (ou plus précisément sur leur portée).

Pour revenir au cas du Monde.fr, c’est certainement une très bonne chose qu’un média « traditionnel » puisse puiser dans le vivier des biens communs créatifs pour illustrer ses articles. Cela contribue à la reconnaissance des Contenus Générés par les Utilisateurs (UGC), phénomène majeur de ces dernières années. Mais les médias auraient tout intérêt à « prendre au sérieux » les licences Creative Commons, de la même manière qu’ils respectent les droits d’auteur « classiques ».

Car ces dernières constituent le pont juridique qui permettra de mieux articuler l’internet « professionnel » avec le foisonnement des pratiques « amateurs » … et celles-ci jouent un rôle majeur dans le domaine du journalisme et de l’information sur Internet …

D’autant que les licences Creative Commons tendent à s’imposer peu à peu en ligne comme un standard juridique de fait (rien que sur Flickr, il y a plus de 100 millions de photos sous CC), et certains voient même en la licence By-NC-ND (Attribution-Pas d’utilisation commerciale-Pas d’oeuvres dérivées), la future licence par défaut de l’internet. Pour ma part, je dirais plutôt la licence By-NC, car la réutilisation et le Remix deviennent des phénomènes trop massifs sur Internet pour être juridiquement trop corsetés.

PS : j’écris ce billet en pensant qu’il m’arrive de ne pas respecter les droits sur des images sur ce blog (un comble pour un blog juridique !). J’essaie dans la mesure du possible de ne pas reprendre sauvagement de photos et de recourir à des images réutilisables, mais je dois avouer que parfois la tentation est trop forte … (et aussi le manque de temps, à ne pas sous estimer). C’est un travers dans lequel je ne voulais pas tomber, mais qui devient très difficile à éviter de nos jours, surtout que les pratiques du blogging évoluent de plus en plus vers de la reprise de contenus extérieurs, pour illustrer, commenter, modifier ou tout simplement signaler parce que ça nous plaît …allez voir ce qui se passe du côté de Tumblr, Soup.io ou Posterous, c’est éloquent. On y trouve à foison des microblogs de « signets graphiques » ou de « photo quote », dont beaucoup sont excellents, mais tous plus illégaux les uns que les autres …

Quand on pense que le droit à la citation graphique n’existe même pas en droit français … il faut vraiment que les choses changent de ce point de vue si l’on ne veut pas voir se creuser un fossé immense entre le droit et la pratique …

Mais en attendant, chaque fois que je viole les droits sur une image en la réutilisant, je vis ça comme une petite défaite et j’aimerais m’organiser pour trouver un moyen de mieux respecter le droit des images en recensant les sources réutilisables. Je ferai un billet là-dessus quand j’aurai terminé et un onglet spécial dans mon univers netvibes La Mine de S.I.Lex.

Et pour commencer voici un lien vers 12 bases d’images libres de bonne qualité.


14 réflexions sur “Le Monde.fr aurait-il un peu de mal avec les licences Creative Commons ?

  1. Je ne sais pas si tu connais le plugin wordpress Zemanta mais il pourrait peut-être t’aider… il s’agit d’un outils qui affiche un nouvel onglet dans le panneau de rédaction des articles pour rechercher sur flickr et autres (me souviens plus de tête) des images en rapport avec une requête de ton choix et qui t’affiche automatiquement dans ton article l’image retenue, sa légende, ses droits associés. Je l’avais testé puis abandonné (il faisait un peu ramer mon pauvre système), mais je pensais justement y revenir car j’ai le même genre de pincement au coeur que toi quand je me vois contrainte d’utiliser une image « à la sauvage » sur le net…

    1. Bonjour,

      Non, je ne connaissais pas ce plugin, mais l’outil paraît intéressant. Le problème, mon blog est hébergé chez WordPress et pas produit à partir du logiciel WordPress téléchargé. Du coup, j’ai l’impression que je ne peux pas utiliser de plugin. Mais j’essaie en ce moment de trouver une solution pour rapatrier mon blog « chez moi » car c’est vraiment trop limitant. Mais mes connaissances techniques sont limitées et j’ai du mal !

      Sinon, de mon côté, j’utilise beaucoup la fonctionnalité de Googles Images qui permet de filtrer les recherches selon les droits d’utilisation, à partir des licences Creative Commons. Le problème, c’est que Google n’est pas infaillible et il se « trompe » souvent sur les droits. Du coup, il faut vérifier à chaque fois si la licence permet vraiment la réutilisation et dans quel contexte. Il faut aussi prendre soin de bien identifier le nom de l’auteur pour pouvoir respecter son droit moral en le créditant, mais c’est loin d’être toujours simple.

      En tout cas, merci pour le tuyau sur le plugin et je prévoie d’ici peu de faire un billet sur la réutilisation des images. Je ne manquerais pas de parler de Zemanta … si j’arrive à le tester d’ici là !

  2. On peut également filtrer les recherches sur Flickr en spécifiant chacun des critères CC (non commercial, possibilité de modifier [recadrage], etc.).

    La question de l’utilisation commerciale m’intéresse beaucoup: dans quelles conditions est-elle caractérisée ? Pour Le Monde, ça ne fait pas de doute, mais un blog personnel qui diffuse de la publicité ?

    1. Bonjour,

      Oui, Flickr est un outil très intéressant pour dénicher des ressources réutilisables, car il commence à gérer les questions de droits de manière satisfaisante. Il est même plus sûr en la matière que Google Images, dont les résultats me paraissent parfois douteux.

      En ce qui concerne le champ exact de l’utilisation commerciale, c’est une question que je me suis déjà posée et qui n’est pas facile à résoudre. Certaines jurisprudences l’assimile à « tout usage générant un profit, c’est à dire tout avantage patrimonial ou extra-patrimonial« .

      Le périmètre est alors très large et ne peut pas se limiter à la simple revente de l’image.

      Du coup, j’incline à penser que la réutilisation d’une image sur un blog personnel diffusant de la publicité constitue un usage commercial, même s’il n’y a pas revente de l’image. L’image est susceptible d’augmenter le trafic (avantage extra-patrimonial) et par ricochet de générer un profit.

      C’est certainement une question que l’on doit se poser lorsque l’on utilise des images sous licence CC-NC.

      Et c’est pourquoi (entre autres raisons) que je me refuse à mettre de la pub sur mon blog, pour pouvoir continuer à puiser dans le vivier grandissant des images sous CC-NC sans me poser de questions.

      Cela pourrait aussi inciter les utilisateurs à ne pas imposer la condition NC quand ils choisissent une licence Creative Commons, sauf dans les cas où ils ont vraiment l’intention de faire eux-même une utilisation commerciale de leurs images. Car les CC-NC sont au final assez restrictives et difficiles à interpréter.

      Exemples : un colloque scientifique fait payer un droit d’entrée à ses participants, pas possible de projeter des images sous CC-NC… Même chose dans une formation payante, quand bien même la finalité est pédagogique …

  3. Au sujet des citations d’œuvres graphiques, les commissaires priseurs ont obtenus l’insertion dans le code de propriété intellectuelle d’une exception à leur profit. Ils peuvent en effet insérer dans leurs catalogues des reproductions intégrales d’œuvres graphiques ou plastiques. Cette exception est toutefois limitée par la finalité : décrire les œuvres mises en vente.

    Une réflexion sur l’élargissement de cette exception serait souhaitable.

    1. Bonjour,

      Vous avez raison pour le cas des commissaires-priseurs. On peut aussi mentionner l’exception à des fins d’illustration de l’enseignement et de la recherche introduite en 2006 par la loi DADVSI, qui devrait permettre d’utiliser des images dans les cours, dans les thèses, dans les conférences … Mais le texte est tellement mal ficelé qu’il est resté lettre morte jusqu’à présent. Un comble quand même … car il pourrait ouvrir droit à des rémunérations supplémentaires pour les ayants droit (beaucoup plus que l’usine à gaz -moutarde- Hadopi !).

      Je suis bien d’accord avec vous : le rapport aux images a complètement changé avec le numérique. Aujourd’hui quand une personne aime une image qu’elle trouve sur Internet, elle la réutilise. La réutilisation est en train de devenir un aspect à part entière de la contemplation des oeuvres. Et je trouve que c’est plutôt une bonne chose pour l’art, non ?

      Dès lors, il faut creuser de nouvelles possibilités d’usages plus équilibrées que le cadre étroit de nos exceptions.

      Et pour cela, le fair use américain ou le fair dealing canadien sont de très bonnes sources d’inspiration.

  4. Bonjour,

    J’aimerai avoir votre avis par curiosité sur l’utilisation des creatives commons par une administration qui fait un travail professionnel mais non commercial.

    1. @antoine

      Bonjour,

      Votre question peut être comprise de deux façons (utilisation des Creative Commons par une administration).

      – Soit vous me demandez si une administration peut réutiliser des contenus produits par des tiers et placés sous licence Creative Commons.

      – Soit vous me demandez si elle peut placer elle-même ses propres créations sous licence Creative Commons.

      Je vais répondre aux deux interprétations, ce sera fait comme ça ;-)

      1) Il n’y a aucun obstacle à ce qu’une administration , comme toute personne physique ou morale, reprenne des contenus placés par des tiers sous licence Creative Commons. Si je comprends bien votre question, vous me demandez si une administration peut reprendre des contenus sous CC-NC (pas d’utilisation commerciale) pour un usage professionnel mais non commercial. J’aurais tendance à dire oui, de la même manière qu’une réutilisation par une association à but non lucratif est compatible avec les CC-NC.

      Je vous recommande par exemple d’aller visiter le site @Brest, qui est porté par la ville de Brest et qui s’intéresse beaucoup aux « biens communs » et en particulier aux licences Creative Commons. Ils vont souvent puiser dans des contenus sous licence libre pour alimenter leur site.

      (j’ai parfois d’ailleurs eu le plaisir de voir certains de mes billets repris sur @Brest, ce que permet sans problème la licence CC-By que j’ai choisie pour S.I.Lex)

      2) De la même façon, un administration peut très bien placer ses propres réalisations sous licence CC. En effet, la condition pour pouvoir utiliser les CC est d’être titulaire des droits sur l’oeuvre. Or c’est bien le cas pour l’essentiel dans créations produites par des agents dans l’accomplissement des fonctions liées au service public. La loi DADVSI a d’ailleurs renforcé cette tendance en 2006. A présent, les droits patrimoniaux et l’essentiel des composantes du droit moral appartiennent à l’administration dès la création des oeuvres par les agents (il faut seulement être vigilants en ce qui concerne les productions des enseignants qui bénéficient d’un régime exceptionnel). Dès lors l’administration peut décider de ne pas retenir certains de ses droits et choisir une licence Creative Commons.

      Toujours sur le site @Brest, on trouve un recensement des collectivités locales en Bretagne qui ont choisi de placer leur site sous licence Creative Commons.

      Et au niveau international, on vient d’apprendre que la Nouvelle Zélande étudiait la possibilité de recourir très largement au licences libres pour favoriser l’accès à l’information gouvernementale.

      Au final, l’usage des licences Creative Commons par les administrations est possible et je dirais qu’il est logique, de la même manière que je trouve très cohérent que de plus en plus d’administrations préfèrent utiliser des logiciels libres.

  5. C’est vrai qu’un bon procès non seulement ferait de la pub aux Creative Commons mais permettrait de rappeler à tous des règles claire (qu’il est vrai on peut soit même violer de temps à autre).

    Le cas du Monde est un grand classique, il existe aussi le cas inverse : la republication sous CC d’une œuvre initialement Copyrrightée… Objectivement, tant que c’est de la maladresse ou de l’ignorance, ce n’est pas bien grave. Attendons la grosse boulette pour faire un truc retentissant (on a failli l’avoir ici http://fr.readwriteweb.com/2009/05/19/divers/rebondissement-dans-affaire-opposant-la-depute-sylvia-pinel-et-le-blog-deputesgodillotsinfo/ )

    1. Oui, le cas que vous citez doit même être hélas plus fréquent que le premier. Combien de photos sur Flickr sont postées sous licence Creative Commons par des personnes qui ne détiennent pas les droits (ou tous les droits nécessaires ) ? Et le problème est le même (sinon pire) sur Wikicommons.

      C’est pourquoi en ce moment, je me demande vraiment si le Copyleft doit être considéré comme la fin de l’histoire de la Culture Libre et s’il ne faut pas aller plus loin encore, vers un Copy-Out (sauf que pour le coup, c’est totalement impensable en droit français, car la loi vous oblige à conserver certains droits contre votre propre volonté. Inutile de commencer une grève de la faim, c’est peine perdue : il est impossible d’offrir ses œuvres au domaine public par anticipation).

      Quant à la question du procès Creative Commons en France, ce serait certainement fascinant à suivre du point de vue juridique. Mais d’un point de vue citoyen, je trouve un peu dommage qu’il faille en passer par le contentieux – la pathologie du droit, comme disent les juristes – pour savoir enfin qu’elle est la validité de licences qui sont paisiblement utilisées par des milliers de gens chaque jour dans ce pays.

      Il me semble déjà en avoir parlé dans un commentaire de S.I.Lex, mais je rêve d’un tribunal-pour-de-faux, un simulateur de jurisprudence qui permettrait de soumettre des questions d’avant-garde à une sorte de LawLab pour tester la réaction du système juridique face à l’introduction de corps étrangers.

      Une idée de projet à monter sur Second Life ? La Twilight Law Zone ?

      Ou alors on lance un référendum sauvage sur internet à propos de la validité des Creatives Commons, dont on ira déposer le résultat à l’Assemblée nationale ?

      La devise des CC, c’est « Soyons Créatifs », non ?

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