Numérisation d’oeuvres sous droits : l’exemple qui venait du froid…

 

Est-ce la vague de froid qui s’abat sur le pays ou plutôt l’envie de prolonger le billet que j’ai écrit mardi à propos de l’accord Google/Hachette sur la numérisation des œuvres épuisées, mais j’aimerais vous parler aujourd’hui d’un projet norvégien de numérisation d’œuvres sous droits, qui montre tout l’intérêt de la mise en place un système de gestion collective pour soutenir la numérisation conduite par une institution culturelle.

Les pays nordiques ont des systèmes intéressants de gestion collective des droits et en Norvège, ils sont mis au service des bibliothèques pour la numérisation de contenus. (Snox Cristals. Par ComputerHotline. CC-BY. Source : Flickr)

Ce projet s’appelle Bokhylla ou Bookshelf (étagère) et il est porté par la Bibliothèque nationale de Norvège, en accord avec Kopinor, la principale société de gestion collective des droits du pays.

Il consiste à numériser et à donner accès à 50 000 ouvrages toujours protégés par des droits d’auteur et à les rendre accessibles par le biais du site Bokhylla, dans le respect de la législation et en garantissant une rémunération équitable aux titulaires de droits (auteurs et éditeurs).

Du point de vue documentaire, le projet consiste à mélanger œuvres du domaine public et œuvres sous droits en donnant accès à toutes les œuvres écrites en norvégien (y compris les traductions en norvégien d’œuvres originales), publiées dans les années 1690-1699, 1790-1799, 1890-1899 et 1990-1999.

Pour encadrer juridiquement le projet, un accord a été signé entre la Bibliothèque nationale de Norvège et la société Kopinor en avril 2009 et rendu public (pas comme certains accords de numérisation conclus avec des sociétés privées. Suivez mon regard…) C’est le Ministère de la Culture norvégien qui a confié un mandat à la Bibliothèque nationale pour négocier avec Kopinor. Il est très intéressant de parcourir ce contrat pour étudier la manière dont le dispositif a été conçu. Je vous recommande aussi la lecture de cette communication présentée à l’IFLA en 2009 qui livre plus de détails.

En vertu de cet accord, la Bibliothèque de Norvège peut numériser, stocker à des fins de conservation et rendre disponibles sur son site 50 000 ouvrages protégées. Le coût de la numérisation est visiblement supporté par la bibliothèque. La mise en ligne comporte certaines restrictions (assez fortes) : les livres ne peuvent pas être téléchargés et on ne peut avoir accès à Bokhylla que depuis le territoire norvégien et pas depuis l’étranger (adresse IP norvégienne). Les ouvrages sont en revanche accessibles en mode texte ; ils sont indexables par les moteurs de recherche et des liens peuvent être ajoutées pour acheter le livre physique ou l’emprunter en bibliothèque (comme sur Google Books).

En contrepartie de cette diffusion, une somme forfaitaire annuelle est versée par la bibliothèque à la société de gestion collective, calculée sur la base d’un coût de 0,56 couronne norvégienne (dix centimes d’euros environ) par page diffusée (« made available » dit le contrat). J’ai un peu de mal à saisir si cela correspond à l’ensemble des pages que comporte le corpus (ce qui équivaudrait quand même à environ un million d’euros à verser par an…) ou aux pages effectivement consultées.  Il n’empêche que pour le citoyen norvégien, la visualisation de ces ouvrages est gratuite.

Norges største digitale bokhylle er gratis for brukerne. Her kan du lese mer enn 40.000 bøker fra 1990-tallet på nett, pluss 8.500 eldre bøker (...) Pas facile, le Norvégien comme langue, mais le projet Bokhylla est convaincant.

Il existe en Norvège des mécanismes de gestion collective très particuliers, qui font qu’il est très intéressant de s’entendre avec une société de gestion collective comme Kopinor pour mener un projet de numérisation. En effet, la Norvège bénéficie de ce qu’on appelle un système de licence collective étendue. Les sociétés de gestion collective qui atteignent un certain nombre d’adhérents peuvent se voir reconnaître, par le biais d’un agrément délivré par l’Etat, la capacité de représenter l’ensemble des titulaires de droits sur un type d’œuvres donné. Dans le cas de Kopinor, cela signifie que cette société de gestion est compétente pour représenter tous les éditeurs et les auteurs, et conclure ainsi en leur nom un accord global avec la bibliothèque.

C’est d’ailleurs par le biais d’un système qu’un autre pays nordique, le Danemark, a pu mettre en place une solution au problème des œuvres orphelines. Le fait qu’on ne puisse identifier ou contacter le titulaire de droits sur une œuvre n’est plus une réelle difficulté avec une licence étendue, puisque la société de gestion collective est compétente pour représenter tous les titulaires.

La communication présentée à l’IFLA nous apprend que le projet Bokhilla fait suite à une première expérience conduite en 2008, appelée Grand Nord, qui avait déjà permis à la Bibliothèque nationale et aux titulaires de trouver un terrain d’entente pour mettre en ligne 6000 œuvres protégées.

Il me semble qu’il est important d’avoir ce type d’exemple en tête en ce moment, après la signature de l’accord Google/Hachette. En effet, le Ministère de la Culture avait envisagé la numérisation d’œuvres épuisées dans le cadre des investissements d’avenir du grand emprunt, en s’appuyant précisément sur un système de gestion collective pour régler les problèmes de droits. Le projet Bokhilla porte sur 50 000 ouvrages, c’est-à-dire un nombre d’ouvrages identiques à ceux qui sont compris par l’accord Hachette/Google.

La France ne dispose certes pas d’un système de licence collective étendue, mais on peut tout à fait atteindre un effet similaire par le biais d’une licence légale (comme pour le droit de prêt) ou par une gestion collective obligatoire imposée par la loi (comme pour la reprographie).

Moralité : oui, un système de gestion collective pour donner un large accès à des ouvrages numérisés tout en garantissant une rémunération équitable des titulaires est possible. Et le paiement par l’utilisateur final n’est pas le seul modèle économique imaginable. J’ai essayé de montrer mardi qu’un tel système présente un intérêt certain pour ne pas simplement recommercialiser les œuvres épuisées à l’occasion de leur numérisation, mais aussi ouvrir certains types d’usages légitimes.

On ne me fera pas croire que cela peut être mis en œuvre en Norvège et pas en France, surtout avec les températures que nous avons en ce moment !


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