Devoir de réserve et devoir de résistance en bibliothèque

Comme beaucoup de bibliothécaires cette semaine, j’ai été profondément choqué par les propos aux relents xénophobes tenus sur son profil Facebook par Anne-Sophie Chazaud, la rédactrice en chef du Bulletin des Bibliothèques de France (BBF). La polémique qui a suivi a été particulièrement âpre et elle va sans doute laisser des traces profondes dans la profession. Cet épisode pose la question des limites à la liberté d’expression qui s’imposent aux bibliothécaires, soumis comme tous les agents publics à un  devoir de réserve et à une obligation de discrétion.

Un des badges « Libraries are for everyone » produit par le mouvement « Libraries Resist » aux Etats-Unis, lancé après l’élection de Donald Trump. On notera en particulier l’image de la femme voilée, sujet au centre d’un des posts Facebook les plus outranciers d’Anne-Sophie Chazaud.

Un flou considérable entoure ces notions et je ne compte plus les fois ces dernières années où j’ai reçu des mails de collègues qui se demandaient, en général avec anxiété, où se situe la frontière juridique de la violation du devoir de réserve. Or si les grands principes sont à peu près clairs, leur application concrète peut s’avérer très délicate et les agents publics sont souvent renvoyés au quotidien à une incertitude problématique à gérer. Dans le contexte houleux de la semaine dernière, Yves Alix – directeur de l’ENSSIB – a publié une note de mise au point sur le devoir de réserve, qui s’avère fort précieuse. Elle rappelle notamment l’enjeu de la distinction entre sphère publique et sphère privée, de plus en plus complexe à opérer à l’heure d’internet et des réseaux sociaux comme Facebook (voir aussi à ce sujet la réaction à cette affaire d’Olivier Ertzscheid) :

Il importe de veiller non seulement à faire preuve de modération dans l’expression, comme l’impose le devoir de réserve, mais aussi à éviter toute espèce de confusion entre privé et public, dans la mesure où « l’obligation de réserve s’applique pendant et hors du temps de service ».

Je vous invite donc, avec la plus grande fermeté, à veiller, en toutes circonstances et quels que soient les sujets et les situations, à n’exprimer publiquement aucune opinion, en particulier sur des questions de nature politique ou religieuse, qui puisse être interprétée comme un point de vue engageant peu ou prou l’établissement, son personnel, ses élèves et étudiants, ou la communauté professionnelle de ses utilisateurs.

Cette prudence doit, je tiens à le souligner, être d’autant plus partagée par tous qu’elle est précisément une des vertus cardinales que l’on peut attendre des professionnels de l’information et de la documentation formés par l’école. Pour dire les choses plus simplement encore, nous nous devons toutes et tous, sur de telles questions, d’être irréprochables.

Cela exige un effort constant. Je suis certain que chacun(e) de nous, agent public et citoyen à la fois, peut y consentir.

Je ne peux qu’approuver ces propos et tous les professionnels devraient constamment garder  en tête de tels repères, rappelés ici avec beaucoup de clarté. Pour autant, je n’ai pu m’empêcher de ressentir un malaise en lisant ces lignes et il m’a fallu plusieurs jours pour élucider l’origine de cette gêne. Nombreux ont été ceux qui ont reproché à Anne-Sophie Chazaud d’avoir enfreint son devoir de réserve en s’exprimant comme elle l’a fait par des posts publics sur Facebook, alors qu’elle affichait clairement ses fonctions de rédactrice en chef du BBF sur son profil. Il est certain que son cas soulève une telle question, mais même si je désapprouve complètement le fond de ses propos, je me sens assez illégitime pour lui faire ce type de reproches.

Depuis 10 ans que je suis entré dans le métier de conservateur de bibliothèque, je ne me suis en effet jamais senti véritablement lié par le devoir de réserve. L’exercice de cette profession a toujours été pour moi indissociable d’un engagement au nom de valeurs, qui s’expriment en partie par une action militante à l’extérieur de mes fonctions, mais que je ne sépare pas pour autant de mes activités quotidiennes. Ce que j’écris sur ce blog, ainsi que les actions que j’ai pu mener au sein de SavoirsCom1 ou de la Quadrature du Net, m’ont de nombreuses fois amené à dépasser objectivement les limites du devoir de réserve. Il m’est arrivé de critiquer publiquement des décisions prises par un établissement qui m’employait ; de combattre les orientations politiques de mon Ministère de tutelle ou du gouvernement ; d’utiliser des informations obtenues dans le cadre de mes fonctions à des fins militantes ; et même d’enfreindre la loi et d’appeler publiquement à l’enfreindre, parce que je pensais qu’il était juste de le faire. J’en passe…

Si le devoir de réserve est une des « vertus cardinales » que l’on attend d’un conservateur de bibliothèques, alors je suis loin d’être irréprochable de ce point de vue. Je ne conteste pas en soi la légitimité du devoir de réserve, mais il me semble que la notion doit néanmoins être interrogée. Elle renvoie en effet à la question de la neutralité des agents publics et à travers elle, à celle de la neutralité du service public des bibliothèques.

Or c’est peut-être cet aspect qui me pose le plus de problème, car la bibliothèque en tant que projet ne peut pas à mon sens être considérée comme « politiquement neutre ». La bibliothèque est un champ d’affrontement symbolique entre de nombreuses conceptions politiques contradictoires. Les choix que nous faisons en tant que professionnels, même ceux qui paraissent en apparence les plus techniques, ont tous une portée politique. Aussi, il me paraît illusoire de penser que parce qu’on se garderait de critiquer sa tutelle ou qu’on ferait un usage modéré de sa liberté d’expression, que ce soit pendant ou en dehors de ses fonctions, on serait pour autant un agent « neutre » officiant dans un service « neutre ». Les choses sont beaucoup plus complexes que cela.

Les bibliothécaires américains ont déjà exploré ce genre de questions, de manière bien plus approfondie que nous ne l’avons fait en France. Ils ont été contraints de se demander notamment jusqu’à quel point ils pouvaient – voire même devaient – s’opposer à la politique gouvernementale dans l’exercice de leurs fonctions. L’adoption du Patriot Act après les attentats du 11 septembre a marqué un tournant, car il a imposé une surveillance policière des usagers des bibliothèques, considérée comme inacceptable par beaucoup de bibliothécaires américains qui se sont organisés pour réagir. Ce moment fut crucial dans la construction de l’identité professionnelle des bibliothécaires américains, mais depuis l’élection de Donald Trump, ce débat a été relancé avec encore plus d’acuité encore. De nombreux bibliothécaires refusent en effet la stigmatisation des minorités, les politiques discriminatoires, le discours montant autour de la « post-vérité » et les tentatives du gouvernement Trump de faire disparaître certaines données scientifiques lorsqu’elles contredisent sa vision du monde.

Un véritable mouvement de résistance est en train de s’organiser parmi les bibliothécaires américains et dans les textes qu’ils publient, il est frappant de constater qu’ils contestent justement que la bibliothèque puisse être considérée comme un espace « neutre ». Symétriquement, ils appellent leurs collègues à sortir de leur réserve pour réaffirmer des valeurs dans le cadre de leurs fonctions. Très clairement, ils opposent un devoir de résistance au traditionnel devoir de réserve, dont ils considèrent que l’observation stricte risque rapidement de devenir synonyme de compromission.

Peut-être pourrait-on estimer que cette pente est dangereuse, mais elle est aussi le reflet de l’époque troublée dans laquelle nous nous enfonçons peu à peu. Ce qui arrive en ce moment aux Etats-Unis pourrait très bien nous frapper bientôt, tant sont fortes les incertitudes politiques qui pèsent sur notre pays. C’est même déjà le cas, quand on voit par exemple les pressions que subissent les professionnels en bibliothèque autour des livres abordant la question du genre ou de l’orientation sexuelle (voir l’affaire des « Deux papas »). D’une certaine façon, le devoir de réserve auquel est astreint le fonctionnaire est aussi la contrepartie d’une protection, car si l’agent public ne peut s’exprimer comme il l’entend, les autorités de tutelle sont limitées de leur côté par le principe de neutralité du service public qui ne leur permet pas, du moins en théorie, de soumettre les bibliothèques à n’importe quelle orientation politique. Remettre en cause la « neutralité » des bibliothèques, c’est courir le risque de rompre ces digues et d’en faire ouvertement un champ de bataille idéologique. Mais dans le même temps, ce conflit a déjà commencé – il a même toujours existé – et la neutralité joue aussi comme un voile trompeur qui masque trop souvent des partis pris déjà à l’oeuvre.

L’affaire Anne-Sophie Chazaud dépasse donc à mon sens largement son simple cas personnel. Elle constitue un nouveau signe annonciateur pour les bibliothécaires français d’une période sombre où nous risquons d’être confrontés à des choix extrêmement compliqués à opérer entre respect du devoir de réserve et impératif moral d’un devoir de résistance. Au vu des divisions idéologiques que cette affaire a révélées, nous risquons de devoir nous affronter non seulement à nos tutelles, mais aussi à une partie de nos collègues. Et il ne suffira sans doute plus de nous montrer « réservés et discrets » pour être considéré comme un professionnel « irréprochable » ; peut-être même que chercher à le rester nous fera justement basculer dans l’inacceptable.

Je voudrais terminer en proposant ci-dessous la traduction en français d’un billet de blog, écrit en décembre dernier par le bibliothécaire américain Jason Griffey au lendemain de l’élection de Donald Trump. Ce texte m’avait beaucoup frappé à l’époque et je trouve qu’il interpelle encore plus après cette affaire qui a déchiré la profession des bibliothécaires en France. Il pose avec force certaines des questions que j’ai essayé d’esquisser ci-dessus et il en aborde d’autres que nous devrions reprendre et travailler collectivement, sans attendre d’avoir basculé dans le pire…

Levez-vous. Battez-vous. Entrez en résistance.

(Traduction en français par Lionel Maurel du texte « Stand. Fight. Resist » publié le 16 décembre 2016 par Jason Griffey et placé initialement sous licence CC-BY).

L’idée que les bibliothèques constituent des espaces neutres a été largement déconstruite au cours des dernières années. Depuis les services que nous offrons jusqu’aux collections dont nous nous occupons, les décisions que prennent les bibliothèques et les bibliothécaires sont politiques et reflètent des valeurs. Parfois, ces valeurs sont celles d’établissements, parfois ce sont celles d’individus et parfois ce sont les valeurs des communautés que la bibliothèque sert. Ces valeurs s’inscrivent dans nos technologies, dans nos ontologies et dans nos systèmes d’indexation. Ceux qui essaient de soutenir que la « neutralité » d’accès à l’information est encore un idéal à atteindre auront de plus en plus de mal à rester sur une telle ligne, alors qu’un nombre croissant de bibliothécaires questionnent et déconstruisent notre profession. Je voudrais suggérer quelque chose de plus fort encore : même s’il était possible pour les bibliothèques d’être des espaces neutres, créer de tels espaces poserait encore question d’un point de vue moral et pourrait même s’avérer éthiquement condamnable.

Je dis cela en tant que personne qui croit fermement à la maxime selon laquelle on doit combattre les mauvaises idées par plus de débat d’idées. Je ne suis pas ici pour défendre le contrôle ou les restrictions dans la liberté d’expression. Mais il n’entre pas dans la mission de toutes les bibliothèques de collecter et de donner accès à des littératures de haine ou de mensonge. Certaines bibliothèques seulement doivent tout collecter, le bon comme le mauvais, à des fins d’archivage ou d’étude historique, mais elles sont clairement identifiées et la majeure partie des bibliothèques peuvent et doivent choisir par le biais de leurs actions, de leurs programmes, de leurs politiques et de leurs collections d’être du côté de la justice et de la science. 

La neutralité favorise les puissants et marginalise encore davantage ceux qui sont marginalisés. Dans le climat politique actuel, alors que les opinions sont utilisées comme des gourdins et que la désinformation est devenue une arme de prédilection pour manipuler et exercer une coercition intellectuelle, il est temps pour ceux qui accordent encore de la valeur aux faits et ont le souci des plus faibles de se lever et d’affirmer qu’on ne saurait se comporter autrement.

Pour les bibliothèques et les bibliothécaires, cela signifie :

  • Rendre sûr l’espace physique de la bibliothèque pour ceux qui en ont besoin en affichant publiquement votre soutien aux communautés les plus stigmatisées et les plus marginalisées et en mettant en place des actions et des politiques au soutien de cette volonté affichée
  • Protéger vos usagers de la stigmatisation et de l’oppression, même face à d’éventuelles pressions gouvernementales, en refusant de livrer des informations sur vos usagers à tous les niveaux 
  • Rendre vos espaces numériques sûrs pour vos usagers en limitant les données que vous collectez, en éliminant les données que vous stockez, en chiffrant vos communications à tous les niveaux et en insistant auprès de vos prestataires pour qu’ils fassent de même. 
  • Développer des programmes qui apportent activement de l’assistance à vos usagers les plus vulnérables, quelle que soit par ailleurs la communauté que vous desservez
  • Vous faire la voix de la raison et de la compassion quand vous interagissez avec les autorités de votre ville ou de votre région, et prendre la défense de ceux qui sont les plus en danger. 

Tous ces points sont vitaux et essentiels. Particulièrement en ce moment. 

Il s’est écoulé seulement un mois depuis la Nuit de l’Election de 2016 et la banalisation des positions du président élu est déjà très largement en cours. Les principaux médias rendent compte de ses actions, mais le plus souvent sans questionner ses déclarations ou réfuter ses affirmations. Quand l’une de ses porte-paroles, Scottie Neil Hughes, affirme que les faits ne constituent plus désormais la réalité, nous qui vivons encore dans le monde réel ne devons tout simplement pas accepter ce type de déclarations. 

Nous arrivons à un moment de l’histoire qui n’est plus fait pour la neutralité. Ce n’est plus le temps où les bibliothèques pouvaient servir paisiblement leurs communautés. Quand je dis que les quatre années qui viennent seront peut-être les plus importantes dans l’histoire de notre pays, je ne fais pas une simple métaphore ou une hyperbole. Je crois sincèrement que le sort de la République est peut-être en jeu et que la menace du fascisme est réelle et imminente. Face à une telle éventualité, la bibliothèque est à la fois un refuge et une cible, un bastion contre la désinformation et dans le même temps, elle risque d’être écrasée sous la botte de l’anti-intellectualisme. 

La neutralité doit être abandonnée et nous devons nous dresser positivement contre la menace de la remise en cause des droits des citoyens, tout comme des non-citoyens. Nous devons éviter de présenter comme équivalentes deux explications contradictoires quand l’une est basée sur des preuves et l’autre ne l’est pas. Nous devons continuer à défendre un monde établi sur des faits, enraciné dans la méthode scientifique et dans une conception de la vérité scientifique comme réfutable. Nous devons construire des collections qui reflètent le consensus académique sur notre monde et ne pas nous laisser entraîner dans la rhétorique de « l’équilibre des opinions ». Il n’y a plus d’opinions qui tiennent lorsqu’elles visent à s’en prendre à des groupes de personnes ou quand elles entrent en opposition avec des faits scientifiquement établis. Nous devons être les défenseurs des faits et de la raison. 

Maya Angelou a dit : « Quand quelqu’un vous montre qui il est, prenez-le au sérieux ». Notre Président Elu nous a montré qui il était : un homme superficiel et ignare qui s’est entouré de tous ceux qui recherchent le pouvoir aux dépends des plus faibles et qui en feront usage systématiquement pour diaboliser afin de déshumaniser ceux qu’ils voudront écraser. Notre gouvernement sera bientôt composé par ceux qui veulent nuire aux communautés LGBTQ, par ceux qui veulent pourchasser et persécuter les gens à cause de leur religion, par ceux qui comprennent si mal la Constitution et la Déclaration des Droits qu’ils sont prêts à revenir sur des libertés acquises de longue lutte pour accroître leur confort et leur pouvoir. Or s’il y a une chose que nous a enseigné l’histoire, c’est qu’il vaut mieux pour une société que le pouvoir soit toujours gardé sous contrôle et que ceux qui l’exercent ne se sentent pas trop confortables. 

La bibliothèque doit rester un endroit pour tous et chacun, mais surtout pour ceux qui courent le plus de risques. Elle doit renforcer notre compréhension du monde et notre compassion pour les personnes qui l’habitent. La neutralité et l’équilibre ne sont plus des voies à suivre. Nous devons entrer en résistance contre les forces qui cherchent à banaliser la ségrégation, l’agression et l’ignorance. 

Les bibliothèques constituent de puissantes forces positives. Il est maintenant temps de rassembler nos forces, de nous dresser courageusement face à ceux qui cherchent à limiter et à réduire nos droits et notre compréhension du monde. Jetons le faux voile de la neutralité et travaillons pour embrasser et soutenir un monde de justice sociale, d’équité pour tous et de compréhension scientifique. Ce pays, et les gens qui l’habitent, mérite un monde meilleur que celui qu’on les force à accepter. Utilisez votre pouvoir comme autant de piliers pour vos communautés, comme gardiens du savoir et dispensateurs de secours, utilisez votre pouvoir pour résister à la banalisation du fascisme et de l’obscurantisme, de la haine, de la peur et de l’avidité. Levez-vous pour la vérité et la connaissance, la justice et l’équité pour tous. Levez-vous pour défendre les faits et ceux qui sont les plus fragiles. Dressez-vous contre ce spectacle d’horreurs qui se révèlent peu à peu à nous et battez-vous avec ceux qui sont déterminés à maintenir l’équité sociale, la justice face aux injustices et l’amour au-delà de la haine. 

Levez-vous. Battez-vous. Entrez en résistance. 

***

Il faut bien avoir conscience que d’après les standards du droit français, ce texte de Jason Griffey pourrait être considéré comme une violation de son devoir de réserve.

 


28 réflexions sur “Devoir de réserve et devoir de résistance en bibliothèque

  1. Rien compris : Anne-Marie Chazaud est donc une résistante qui bouleverse l’ordre établi pour le bien de tous ?
    Autant je n’ai pas aimé la violence du lynchage qui est tombé sur elle (alors qu’elle parle politique à titre personnel… tout comme celui l’a dénoncée), autant je ne comprends rien à votre billet

    1. Clairement non. J’aurais du mal à qualifier de résistante une personne qui tient des propos stigmatisant une minorité.
      Mais ce que j’essaie de dire dans ce billet, c’est qu’on ne peut réduire ce sujet à une question de respect ou non du devoir de réserve. Et je conteste l’idée que le métier de bibliothécaire puisse d’exercer sans faire au quotidien une série de choix à portée politique. La bibliothèque peut être un formidable outil au service de l’émancipation, mais elle peut aussi être un rouage intégré dans une machine d’oppression. Là encore, les bibliothécaires américains ont beaucoup d’avance dans la réflexion : http://www.inthelibrarywiththeleadpipe.org/2014/locating-the-library-in-institutional-oppression/

      Du coup, l’idée qu’on pourrait rester « neutre » en respectant le devoir de réserve me paraît illusoire. Il appartient à chacun de décider de quel côté il veut se situer.

    2. Coucou
      Alors moi, je n’ai rien « dénoncé » : j’ai fait part de mon désarrois à mes collègues de propos (alors) publics, tristes et inquiétants, stigmatisant des usagers d’un service public, d’une dame qui se présentait (alors) publiquement comme rédactrice en chef de notre revue professionnelle « officielle ».
      [et qui venait d’écrire un éditorial qui ne peut faire aucun sens quand on tient des propos publics humiliant des usagers d’un autre service public]

  2. Il y a quand-même une nette différence entre cette affaire et vos prises de position personnelles : la prise de position concerne-t-elle ou non le domaine professionnel? Dans le premier cas non, dans le vôtre oui. Et dans le deuxième cas je pense que c’est plus toléré car participe à l’évolution du métier.

    1. Difficile de faire complètement abstraction du domaine professionnel, étant donné que les propos tenus par Anne-Marie Chazaud, même sans lien explicite avec les bibliothèques, étaient affichés sur une page qui faisait clairement état de sa qualité de rédactrice en chef du BBF.

  3. Bonjour Lionel,
    Je crois en effet ce débat important.
    Il me semble vous confondez deux notions : devoir de réserve qui relève du statut de fonctionnaire et déontologie qui relève d’une profession particulière. La « neutralité » dans l’un et l’autre cas ne veut pas dire exactement la même chose : neutralité devant l’action de l’Etat ou neutralité face à la réalité perçue. Le cas qui est le prétexte de ce débat relève, il me semble, du premier devoir (réserve). Mais Yves Alix n’aborde pas la question déontologique et cela manque dans son communiqué.
    Toutes les professions de médiation ont, ou devrait avoir, des règles de déontologie : journaliste, bibliothécaire, professeur, les professions du web qui sont plutôt en retard commencent à se poser la question. voir http://ethicsbydesign.fr/
    Il y a des bibliothécaires et journalistes fonctionnaires, d’autres qui ne le sont pas. Les premiers sont soumis à ces deux devoirs, qui peuvent être parfois contradictoires. Les seconds doivent aussi loyauté à leurs employeurs, ce qui pose aussi souvent des problèmes, depuis les lanceurs d’alerte jusqu’au journaliste enquêtant sur des malversations d’un de ses actionnaires, pour prendre des cas extrêmes.
    Mon sentiment personnel est que dans tous les cas ou il y a conflit entre les deux devoirs, la déontologie doit l’emporter face à la loyauté face à son employeur, public ou privé.

    1. Bonjour,
      En effet, devoir de réserve et déontologie constituent en théorie deux choses différentes. Le texte de Jason Griffey parle en effet sans doute davantage de déontologie de la profession de bibliothécaire. Il n’en reste pas moins que lorsqu’il emploie les termes de fascisme et d’obscurantisme à propos de l’administration Trump ou quand il dt que le président est une personne ignare, il frise avec la violation du devoir de réserve (les règles sont peut-être cependant plus souples aux Etats-Unis, pays attaché à la protection de la liberté d’expression).
      Dans la réalité, j’ai quand même l’impression que les questions de déontologie et de devoir de réserve sont souvent inextricablement liées et souvent conflictuelles, comme vous le soulignez. Il appartient alors à chacun de décider en conscience.

  4. Selon moi la question posée par les messages d’ A-M. Chazaud est très loin de ne se poser que pour les bibliothécaires mais par toute personne, particulièrement au sein de la fonction publique, qui tend à lier, même indirectement (ce n’est pas le nom de la personne qui pose problème sur une page facebook) à une confusion, même dans son expression privée, entre sa position professionnelle et sa position privée…
    Et la solution est donc, dans le cas d’une expression via facebook, de séparer les deux positions , et d’avoir 1 compte personnel et 1 compte professionnel.
    ——————————————————————————————————————————–
    Suite aux commentaires précédents (les éléments ci-dessous, qui en réalité, ne me semblent plus aussi fondamentaux que cela… !).

    Devoir de réserve : https://www.google.fr/search?q=%22droit+de+r%C3%A9serve%22&ie=utf-8&oe=utf-8&client=firefox-b&gfe_rd=cr&ei=pz_qWIqCIofUXuqBsvAB#q=%22devoir+de+r%C3%A9serve%22

    Déontologie : https://www.google.fr/search?q=d%C3%A9ontologie+&ie=utf-8&oe=utf-8&client=firefox-b&gfe_rd=cr&ei=rULqWIPbM-nt8wfkg6ygDQ

    Déontologie bibliothécaire : https://www.google.fr/search?q=d%C3%A9ontologie+bibllioth%C3%A9caire&ie=utf-8&oe=utf-8&client=firefox-b&gfe_rd=cr&ei=bkLqWO2wGent8wfkg6ygDQ#q=d%C3%A9ontologie+biblioth%C3%A9caire

  5. Merci pour votre billet. Je reviens tout de même sur la remarque de Julienpomart : les positions que vous défendez sont par nature loin, très loin, de celles défendues par la rédac’ chef du BBF. Je sors régulièrement de mon devoir de réserve (et on me recadre souvent à ce propos) pour des raisons professionnelles (militant ABF) ou syndicales afin de défendre ce que vous dites, à savoir que la bibliothèque n’est pas un lieu politiquement neutre et que sa raison d’exister est justement de résister contre le pouvoir dominant et proposer aux usagers une autre lecture du monde, émancipatrice et ouverte. Or c’est justement là que la rédac chef du BBF est doublement en porte-à-faux : non seulement elle sort de son droit de réserve en portant atteinte à l’image de sa tutelle (qui la recadre gentiment, hein, qu’on l’admette ou non, on est bien plus sévère avec les écarts de personnels moins bien placés dans la « hiérarchie » de notre métier) mais surtout aux valeurs de la République dont elle est on ne peut plus à son service en tant que fonctionnaire d’Etat ! Ne nous flagellons pas sur le devoir de réserve ou de discrétion professionnelle ! Soyons offensifs si besoin, militants, résistants car le danger est là, niché dans les propos de cette conservatrice : la xénophobie, le repli sur soi et la bêtise qui font le jeu des puissants.

  6. J’ai réfléchi à votre billet depuis hier, et la lecture de quelques commentaires me conforte dans cette idée qu’on peut déroger au droit de réserve quant on défend une opinion « de gauche ». Elle est là, la ligne qui sépare ce qu’on peut faire ou ne pas faire. C’est sous-jacent dans le billet et les commentaires, mais personne ne l’évoque clairement.

    J’ai aussi relu le post de Mme Chazaud. Je n’y vois pas de xénophobie, mais seulement une interrogation sur le désir d’intégration. Rappelons-le, sur une page privée Facebook. Pas dans l’édito du BBF. Admettez-le : si sa publication avait été orientée plus à gauche, cela n’aurait pas posé de problème. Et pour moi, le problème est là : il y a deux poids deux mesures.

    N’étant pas fonctionnaire je découvre véritablement le concept de droit de réserve à travers cette affaire et grâce à vous. Je ne suis pas d’accord avec votre vision des choses mais au moins, merci de poser le sujet de manière détaillée et sans détour.

    1. Vous êtes libre d’interpréter le post qui a déclenché cette histoire comme vous le souhaitez, mais selon mes standards, il franchit la ligne rouge de la xénophobie. Nous aurons cependant visiblement du mal à trouver un terrain d’entente là-dessus.

      Par ailleurs, il a été certes été posté sur une page privée, mais en accès public et alors que la propriétaire de la page affichait clairement ses fonctions au BBF. C’est ici ce qui caractérise – objectivement – une atteinte au devoir de réserve. Et cela aurait été la même chose d’un point de vue purement juridique s’il avait été fait état d’une opinion dite « de gauche ». Ce n’est pas ici la question.

      Je n’ai pas voulu dire dans ce billet qu’il est légitime de déroger au devoir de réserve uniquement quand on défend une opinion de gauche.

      Ce que j’ai voulu dire, c’est que la notion même de « réserve » est contestable, dans la mesure où beaucoup des choix que nous faisons dans ce métier ont une portée politique. Il ne suffit pas de s’abstenir d’exprimer des idées politiques en service ou en dehors ou de ne pas critiquer sa hiérarchie pour exercer ses fonctions de manière « neutre » et je pense en réalité qu’il est impossible de le faire, voire même dangereux comme le dit Jason Griffey dans son billet, car cela revient à occulter des biais dans la conception même du service.

      Dès lors, bien au-delà du devoir de réserve, nous sommes engagés dans des choix et des systèmes de valeur dont nous devons avoir conscience.

      Sachant que ne pas choisir, sous prétexte de vouloir rester « neutre » ou pour respecter un « devoir de réserve », c’est en réalité encore choisir…

  7. Calimaq a raison, et je dirai même plus ; même prétendre ne pas faire de politique est politique, c’est faire la politique de ce qui nous est demandé…

    L’apolitisme ou l’apolitique n’existe pas, ce sont de totales illusions !!!

    Ne pas faire de politique est en fait en faire, prétendre être apolitique de même… c’est assez souvent celle de la politique en cours du gouvernement en place quelqu’il soit !

    Stéphane.

  8. « Propos homophobes, sexistes, incitation à la haine voire au viol, au meurtre… Au menu des réseaux sociaux, il y a à boire et à manger, mais aussi, à gerber. »

    https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-11-avril-2017

     » En ce printemps électoral, les trolls se portent bien. Chez les trolls, il y a des gentils et des méchants. Le méchant Troll, c’est un petit bonhomme ou une petite bonne femme qui pense que sur internet, on peut dire tout et n’importe quoi, surtout n’importe quoi… Et qui se sentent tellement puissant, tout seul, face à leurs écrans…

    Dès qu’on n’est pas d’accord, on s’insulte, et copieusement… Lus en vrai sur Twitter : « 100% des féministes sont des grosses putes imbaisables » ou encore le délicieux « Tu vas finir couché au bataclan ». Sous couvert d’anonymat, évidemment, c’est toujours plus classe.

    Une agence l’an dernier a recensé les insultes sur ces réseaux qui n’ont plus de sociaux que le nom : 200 000 en 24h. Ça fait deux par secondes… #WhatTheFuck

    L’injure, la provocation ou la haine raciale tombe pourtant sous le coup de la loi : un an d’emprisonnement, 45 000 euros d’amendes.

    Les rares qui se retrouvent devant le juge disent :

    Ah mais je voulais pas dire ça, je me suis pas rendu compte. c’était sous le coup de l’émotion…

    Comment mettre un frein à la haine sur les réseaux sociaux tout en conservant la liberté d’expression ? Peut être en tournant 7 fois sa langue dans sa bouche avant de tweeter…
    En compagnie de :

    Thomas Huchon, journaliste pour http://www.spicee.com, spécialiste des théories du complot

    Maître Eolas, avocat au barreau de Paris (qui a un blog et un compte Twitter)

    Valérie ReyRobert, responsable de modération chez Concileo, modérateur de communauté
    Justine Atlan, associtaion e-enfance.com « 

  9. J’ai été fonctionnaire.
    La réserve nous interdit de commenter une décision pendant le service. Par contre je peux amener un usager à se poser des questions sur ladite décision.
    J’ai vu un maire refuser de se battre contre une fermeture de guichet. On m’avait vraiment pris pour un con dans ce dossier. J’ai dit ce que je pensais et bien sûr cela n’a pas vraiment plu. J’ai payé la note par une dépression.

    Lorsque le service est terminé rien ne m’interdit de critiquer ouvertement la décision tant que je ne mets pas en cause tel ou tel décideur. Rien ne m’interdit de donner les clefs pour contourner la décision.

    En matière de bibliothèque le devoir de réserve consiste à ne pas pas critiquer les décisions d’achat tant que, globalement, elles restent neutres et donc offrent la pluralité des points de vue. On pense ici aux sujets prêtant à polémique.
    Ce devoir impose aussi de respecter les usagers dans leur totalité dès lors que celle-ci n’enfreint pas la neutralité laïque. Le fait d’un coté où de l’autre de faire référence à une situation non pertinente dans l’usage du service public est une anomalie qui se doit d’être dénoncée.
    Dans ce cas le devoir de réserve ne peut être opposé. Tout comme dans les bibliothèques où l’on constaterais des achats systématiques prônant telle ou telle opinion le devoir de réserve ne peut être opposé et c’est le devoir du fonctionnaire de dénoncer cette pratique et de tout faire pour la contrer.

    Amitiés

  10. Yanning, j’aime beaucoup ce que vous avez écrit même si cela est un peu en dehors du sujet initial, me semble-t-il, de ces échanges ; ce qui n’est pas grave du tout…

    Ce que vous avez écrit, m’a fait me rappeler que quand j’étais gestionnaire d’un fonds documentaire en « Science Politique (incluant les « Relations internationales » et la « Géopolitique »), un jour, en 2012 ou 2013, où j’étais un peu distrait probablement, j’ai commandé « Chronique du choc des civilisations » par Aymeric Chauprade (alors qu’il était encore au Front National) puisque les critères de sélection était que l’auteur soit un universitaire et que l’ouvrage corresponde au niveau d’études spécifique de nos usagers étudiants. Personnellement opposé à l’extrême-droite et aux idées fascistes, je ne m’en suis rend compte qu’à la réception de l’ouvrage, car malgré le titre je ne m’étais pas rendu compte que c’était bien cet ouvrage qui avait fait couler pas mal d’encre…
    Je ne sais plus si c’est à ce moment là ou bien après que je suis allé voir une des deux personnes responsables de la bibliothèque, en lui disant que je croyais avoir fait une connerie en commandant cet ouvrage. Bien que cette personne n’était pas du tout proche des idées propagées dans ce livre, elle ne m’a rien reproché.

    Ce que je sais, c’est que j’ai traité cet ouvrage comme n’importe quel autre ouvrage ; et ce d’autant que – probablement contrairement à mes prédécesseurs (et successeurs ) pour cette grande thématique – je commandais aussi, plus particulièrement dans ce qui est vraiment la « Science politique » des ouvrages de penseurs et théoriciens anarchistes et communistes libertaires dont aucun ouvrage n’existaient dans cette partie de mon fonds documentaire.

    Et quelque soient les orientations idéologiques des universitaires, du moment que le contenu était aussi un ouvrage universitaire et chez un éditeur, si possible universitaire, ou non loufoque ou-et d’extrême-droite [car il y en a bien], et en correspondance avec le niveau d’études des étudiants-usagers, je commandais les ouvrages dans cette/ces thématique-s.

    De plus, a posteriori, peu de temps après, je me suis aussi dit que même pour combattre une idée il est utile, sinon nécessaire, de la connaître à partir de son texte-même, et non l’ignorer…

    Très cordialement,

  11. Bonjour, et merci pour votre analyse étayée du débat !

    Pourriez vous m’éclairer cependant sur le statut professionnel des bibliothécaires américains, dans un pays où – il me semble – la fonction publique est très différente de la nôtre ? Sont-ils, en dehors d’une déontologie certaine, tenus à l’équivalent de notre devoir de réserve ? J’ai bien trouvé le point 7 du Code of Ethics de l’American Library Association (We distinguish between our personal convictions and professional duties and do not allow our personal beliefs to interfere with fair representation of the aims of our institutions or the provision of access to their information resources. ; http://www.ala.org/advocacy/proethics/codeofethics/codeethics), qui s’apparente néanmoins plutôt à ladite déontologie qu’à un devoir professionnel.

    Merci d’avance !

  12. Les bibliothécaires en pétard

    Une bibliothécaire un tantinet raciste ayant publié des « opinions » plus que douteuses sur sa page Facebook, suscite une guerre intestine dans sa communauté et se fait rappeler le nécessaire devoir de neutralité et de réserve » de sa profession par le directeur de l’ENSSIB. Une triste affaire qui a néanmoins un effet collatéral positif, celui d’un début de mobilisation autour des enjeux et des responsabilités de cette noble profession.

    https://www.politis.fr/blogs/2017/04/les-bibliothecaires-en-petard-34189/

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