Rebooter le web sans changer de logiciel économique ?

Il y a dix jours, Tim Berners-Lee a publié un billet intitulé « One Small Step for the Web » dans lequel il annonce qu’il se met en retrait de ses fonctions au W3C. Il y déclare avoir pris cette décision pour consacrer l’essentiel de son temps au projet Solid (Social Linked Data) qu’il développe depuis plusieurs années en nourrissant l’espoir de rebooter le web sur des bases plus saines. Cette annonce fait suite à une interview donnée cet été à Vanity Fair, dans laquelle Tim Bernes-Lee se disait « effondré » face au constat que « le web a desservi l’humanité au lieu de la servir » :

Nous avons démontré que le Web avait échoué au lieu de servir l’humanité, comme il était censé le faire, et qu’il avait échoué par de nombreux aspects. La centralisation croissante du Web, dit-il, a fini par produire – sans volonté délibérée de ceux qui l’ont conçu – un phénomène émergent à grande échelle qui est anti-humain.

Je pense que Tim Berners-Lee a très mûrement pesé ses mots en choisissant le qualificatif « d’anti-humain », dans le sens où il estime que les maux liés à la centralisation sur les grandes plateformes – l’exploitation abusive des données personnelles, les atteintes à la vie privée, la manipulation des informations type fake news ou la surveillance étatique de masse – sont si graves qu’ils nous font littéralement perdre une part de notre humanité.

Pour lutter contre cette tendance à la centralisation, le projet Solid cherche à créer un nouveau standard qui permette de «séparer les données des applications et des serveurs qui les utilisent». Chaque individu pourrait ainsi reprendre le contrôle sur ses données à partir d’un POD (Personal Online Data) : un espace souverain dans lequel les données sont stockées et auquel les applications tierces viendraient s’interfacer en évitant que les informations soient accumulées dans des « silos », comme c’est le cas actuellement avec les GAFAM. Solid ressemble donc à des projets comme Cozy Cloud, par exemple, à la différence qu’il ajoute à l’hébergement personnel des données une couche de web sémantique pour offrir un standard d’interopérabilité entre les différentes applications, d’où la dénomination de Social Linked Data (données sociales liées).

En mode Start-up et capital-risque ?

Sur le fond, on peut se réjouir de voir une personnalité comme Tim Berners-Lee ne pas se résigner à la domination des grandes plateformes, que beaucoup se contentent aujourd’hui de chercher à « réparer » en compensant les dégâts humains considérables qu’elles produisent, par exemple en prônant des solutions comme l’ouverture de leurs algorithmes. Mais j’avoue avoir reçu une douche froide en lisant que si Tim Berners-Lee avait mis en veille ses fonctions au W3C, c’était en réalité pour s’investir dans la société Inrupt, qu’il présente lui-même comme une « start-up » :

Il faudra beaucoup d’efforts pour construire une nouvelle plateforme pour Solid et favoriser son adoption à grande échelle, mais je pense que nous avons assez d’énergie pour amener le monde à un nouveau point de bascule.

J’ai donc pris un congé sabbatique du MIT, j’ai réduit mon implication quotidienne avec le World Wide Web Consortium (W3C) et j’ai fondé une société appelée inrupt où je vais guider la prochaine étape du web de manière très directe. Inrupt sera l’infrastructure qui permettra à Solid de prospérer. Sa mission est de fournir l’énergie commerciale et un écosystème pour aider à protéger l’intégrité et la qualité du nouveau web basé sur Solid.

Il existe de nombreux exemples dans le domaine de l’open-source qui ont énormément bénéficié de la contribution d’une entreprise bien financée. Alors que la communauté open-source est source d’initiative et d’innovation, les internautes de tous les jours et les entreprises recherchent souvent des applications et des services auprès d’une entité commerciale qui fournit également un soutien technique et des services commerciaux auxiliaires essentiels.

Quand on cherche un peu, on se rend compte qu’Inrupt a été financée par Glasswing Ventures, un pourvoyeur de capital-risque plutôt spécialisé dans l’intelligence artificielle. Or ce montage financier pose question et aussi pertinente que puisse être la solution technique proposée par Solid, on peut déplorer que Tim Berners-Lee cherche ainsi à rebooter le web sans changer le « logiciel économique » qui a joué un rôle pourtant prééminent dans les dérives qu’il souhaite combattre.

Dans un billet ironiquement intitulé «Solid Venture», le développeur Bob Mottram fait part de ses doutes quant à cette implication de la société Inrupt dans le projet, en faisant valoir que, contrairement à ce que dit Tim Berners-Lee, la synergie entre Open Source et entreprises classiques n’est pas « neutre » et qu’elle a pu conduire dans le passé à des dérives :

J’ai de la sympathie pour tout ce qui tente de redécentraliser le web et de le remettre dans un état où tout le monde ne se retrouve pas enfermé une poignée de bases de données, comme cela s’est passé avec le web 2.0. Mais être soutenu par du capital-risque n’est pas un bon signe. Chercher à produire du code public avec du capital-risque semble toujours déboucher sur l’un des deux résultats suivants :

  • L’entreprise échoue et le projet devient abandonware ;
  • L’entreprise réussit et les utilisateurs des logiciels se retrouvent piégés par un arrangement commercial très artificiel et généralement désagréable qu’ils détestent.

[…]

Dans la sphère des logiciels, la dépendance au capital-risque aboutit généralement à des stratégies qui forcent les gens à souscrire des abonnements ou à des revirements de licence dans le sens de la propriétarisation ou encore à adopter le modèle de « l’open core » dans lequel la base du code est laissée ouverte, mais réduite à un croupion inutile, tandis que tout ce qui a de la valeur prend la forme de modules complémentaires ou de versions destinées au marché des entreprises. Ou bien vous finissez simplement par vous vendre à Microsoft et à Google et ils vous arrêtent pour supprimer un concurrent potentiel à leurs produits. Cela s’est produit bien des fois

Et c’est bien ce qui pose problème avec l’initiative de Tim Berners-Lee. Si Solid vient à rencontrer du succès (ce que l’on peut souhaiter), qu’est-ce qui nous garantit que la société Inrupt ne changera pas brutalement de modèle (comme Twitter l’a par exemple fait en 2009) ? La présence de Tim Berners-Lee à son board constitue-t-elle à elle seule une sécurité suffisante ? Il faudrait être bien naïf pour le croire, car tout inventeur du web qu’il est, il peut très bien se faire mettre en minorité au sein de sa propre structure et il n’est pas non plus immortel. Le risque d’un rachat par un des grands Leviathans du web comme Apple, Google ou Facebook n’est donc pas une hypothèse à écarter comme fantasmatique (NB : la même question se pose d’ailleurs aussi avec un acteur comme Qwant, alternatif dans son modèle économique et son objectif de protéger la vie privée de ses utilisateurs, mais tout à fait classique dans la structure de son capital…).

Conception « enchantée » du marché

Cette volonté de chercher à refonder le web en mode « start-up » me paraît relever d’une conception « enchantée » du marché et de la concurrence, comme si les puissances économiques qui ont fait naître les plateformes toxiques avec lesquelles nous nous débattons n’allaient pas être en mesure de trouver le moyen d’adultérer une initiative comme Solid en cas de succès. Ce n’est pas un hasard si la « plateformisation » du web, qui est intervenue au milieu des années 2000 avec la vague du Web 2.0, a coïncidé avec la montée en puissance de la financiarisation de l’économie. Certes, aucune entreprise n’est éternelle et la concurrence peut amener la chute de géants que l’on croyait bien établis. Mais pour l’instant, cette dynamique « schumpétérienne » du marché nous a-t-elle apporté autre chose que du pire, car si MySpace et Yahoo ont fini par péricliter, c’est pour que Facebook et Google les remplacent !

Solid semble de ce point de vue reposer en partie sur le « solutionnisme technologique » dénoncé par l’essayiste Evgueny Morozov, qui pousse à croire qu’un Deus Ex Machina pourrait encore nous sauver sans prendre en compte les sur-déterminations économiques de la tendance à la centralisation. C’est pourtant une chose que le juriste Eben Moglen, l’un des pères avec Richard Stallman de la GNU-GPL, avait parfaitement pointé dès 2010 :

Si les services se centralisent, c’est pour des raisons commerciales. Il y a dans un simple historique de navigateur Web un potentiel qui est monétisable, parce qu’il fournit le moyen de mettre en place une forme de surveillance, attrayante tant pour les marchands que pour les gouvernements pour le contrôle social qu’elle permet. Ainsi le web, lorsqu’il s’appuie sur une architecture essentiellement basée sur le système client-serveur, devient un dispositif de surveillance au-delà des services qu’il fournit. Et la surveillance devient cette fonctionnalité cachée à l’intérieur de tout ce que nous recevons gratuitement.

Ce qui s’est (mal) passé avec le web sémantique…

Alors certes, le projet Solid est intrinsèquement conçu pour éviter l’exploitation des données personnelles, son code a été placé en Open Source et il s’appuie sur les technologies du web sémantique pensées pour prévenir la concentration des données dans des silos fermés. Mais le destin même du web sémantique devrait nous alarmer, car comme le montre bien Gautier Poupeau dans un billet publié sur son blog cette semaine, il n’a pas été non plus épargné ces dernières années par la tendance à la centralisation, notamment avec la place centrale prise peu à peu par le projet Wikidata :

Les objectifs initiaux de Wikidata ont été rapidement dépassés, car ce projet répondait à de nombreux défauts des autres projets existants en la matière. Par rapport à Dbpedia, il présentait l’avantage d’être mis à jour en temps réel (Dbpedia est mis à jour tous les 6 mois…), d’offrir une qualité de service bien supérieure et de proposer une structuration des données plus rigoureuse, dbpedia étant issu de données dont l’objectif n’était pas celui d’alimenter une base de données structurées à l’origine. Comparé à Freebase, initiative lancée par la société Metaweb rachetée par Google en 2010, ce projet présentait l’avantage d’être porté par une communauté libre clairement établie. Bref, Wikidata est devenu LE projet de base de connaissances libre et ouvert que tout le monde attendait : le chaînon manquant de la gestion des connaissances. […]

Ironie de l’histoire, alors que le Linked Open Data souhaitait mettre en relation des données hétérogènes et décentralisées chez différents fournisseurs, il aura suffi de 5 ans pour que les utilisateurs commencent à recentraliser leurs données au sein d’un espace unique.

Wikidata est porté par la fondation Wikimedia (qui n’a pas de but lucratif) et on pourrait donc penser que ce retour de la centralisation n’est pas lié à des déterminations économiques. Mais Gautier Poupeau explique que cette re-centralisation du web sémantique tient essentiellement à la manière dont un acteur comme Google est parvenu à instrumentaliser cette technologie :

[…] pour vous convaincre de l’importance de ce projet, il suffit de voir l’implication de Google : mécène du projet à l’origine, ils ont recruté son développeur principal, Denny Vrandečić, lorsque le projet a été stabilisé. Et pour cause : grâce au rachat de la société Metaweb, Google a disposé non seulement d’une technologie de graphe scalable (qui ne suivait pas non plus précisément le modèle RDF…) mais aussi d’une base de connaissances déjà conséquente. C’est sur cette base que Google a commencé à construire le Knowledge graph, un autre exemple de base de connaissances centralisé bâti sur le modèle de graphe sans utiliser RDF. Ils ont rapidement compris qu’ils ne pourraient convaincre la communauté de poursuivre l’alimentation de Freebase, car cela revenait à travailler directement pour eux. Ils ont donc intelligemment proposé de reverser le contenu de Freebase dans Wikidata et ils ont accompagné la mise en place de Wikidata. Permettre l’éclosion de Wikidata, c’était aussi pour Google un moyen d’assurer une mise à jour de son graphe de connaissance, même si bien évidemment Wikidata n’est pas la seule source de ce knowledge graph.

[…] Tout ça pour ça ? Permettre aux moteurs de recherche de récupérer plus facilement de la donnée structurée pour améliorer la visibilité des résultats de recherche (et surtout leur permettre d’alimenter leur knowledge graph à moindre frais…).

Tout ceci n’est pas sans lien avec ce que j’écrivais en juin dernier à propos de la tendance des Communs numériques à dégénérer au fil du temps en « Communs du Capital ». Certes un projet comme Wikidata ne peut être « racheté » par un acteur comme Google pour en faire sa propriété exclusive. Mais même lorsque des ressources sont ainsi rendues « inappropriables », on assiste souvent à ce que Michael Hardt appelle dans un article récent une « extraction du Commun », processus qu’il décrit comme étant le « paradigme du capital ». Revisitant la notion marxiste de « subsomption sous le capital », il explique comment le système parvient généralement à satelliser ce qu’il ne peut directement avaler.

Faute d’un recul suffisant sur ces tendances structurantes dans l’environnement numérique, le projet Solid paraît donc d’emblée mal engagé. Via la société Inrupt, il offre une proie facile au Capital, tandis que les technologies du web sémantique sur lesquels il s’appuie sont déjà travaillées par un processus de recentralisation, en raison de puissantes sur-déterminations économiques.

Qui savait au début qu’il y aurait une fin ?

Avons-nous réellement envie de suivre Tim Berners-Lee sur le chemin qu’il nous propose ? Ne peut-on déjà prévoir à ce reboot du web une fin similaire à celle que le premier web a subi ? Il y a dans cette démarche une certaine naïveté qui fait penser à ces écologistes croyant encore que la planète pourra être sauvée sans remettre en cause en profondeur les principes de l’économie de marché. Car tout comme l’Anthropocène est en réalité un Capitalocène, la centralisation du web n’est pas un processus « naturel » ou inhérent à une mystérieuse « nature de l’homme » ou des choses. C’est un stade de l’histoire du Capital, que certains désignent à juste titre par le vocable de «capitalisme de surveillance».

Tim Berners-Lee paraît de ce point de vue assez représentatif de certaines errances de la pensée du Libre et de l’Open. Cela tient à ce que j’appelle « l’agnosticisme économique » de ce courant de pensée, qui n’a jamais été capable de pousser jusqu’au bout sa critique de l’économie de marché. Le temps des synergies décrites initialement comme « heureuses » entre Open Source et entreprises paraît à présent bien loin et ce n’est plus uniquement sur la couche technique des standards qu’il faut agir pour espérer une refondation d’internet. C’est à mon sens à présent du côté des réflexions sur la convergence entre les Communs numériques et l’économie solidaire qu’il faut se tourner pour trouver des modèles qui – tout en s’inscrivant dans la sphère économique – pensent d’emblée la limitation de la lucrativité et le réencastrement des acteurs de marché dans des finalités sociales.


11 réflexions sur “Rebooter le web sans changer de logiciel économique ?

  1. Le problème c’est qu’il y a, chez le grand public, un engouement pour les grandes plate-formes…Il faut dire les choses.

  2. Bonjour Calimaq
    Ne penses-tu pas que l’on devrait suggérer à Monsieur Berners-Lee de faire un crownfunding ? En plus de rendre son code public, bien sur.

    1. Bonjour,

      Cela peut être une idée, mais la prudence est également de mise, car on a déjà vu des exemples de « capture » assez spectaculaire de ressources financées par crowdfunding. L’exemple le plus célèbre est celui du casque de réalité virtuelle Oculus Rift, qui avait annoncé qu’ils ne déposeraient pas de brevet sur leur invention pour finalement le faire et… se faire racheter par Facebook ! https://scinfolex.com/2014/04/02/oculus-vr-rachete-par-facebook-quelles-conditions-juridiques-pour-un-crowdfunding-equitable/

  3. Le web tel que nous l’avons connu est mort ! Rien ne sert de vouloir changer le web si on ne change pas la société et la politique, tout est lié. Désormais, c’est le règne de la corruption, des réseaux, de la fumisterie…

  4. Bonjour Calimaq,

    Le web2.0 n’a pas “coïncidé” avec la financiarisation de l’économie. Celle-ci s’est faite dans les années 1970 et même ton lien le dit. Il est plus juste de dire qu’internet est redevenue un porteur d’espoir pour la finance après la première désillusion de la « nouvelle économie » fin ’90/début 2000 ; milieu année 2000 c’est plutôt l’immobilier qui était le porteur d’espoir de la finance.

    Mais ce n’est pas le propos de mon intervention.

    Je partage l’analyse sur les erreurs de Tim Berners-Lee. Toutefois, contrairement à toi je ne vois aucun espoir à attendre d’une certaine convergence entre le numérique et « l’économie solidaire ». Ce n’est qu’une énième répétition d’une erreur déjà connue qui est de croire qu’avec des coopératives nous pouvons lutter contre le capitalisme.

    Nous avons maintenant +100 ans de recul sur ce sujet avec les expériences de la CNT pendant la guerre d’Espagne, les lips, l’argentine des années 2000, Mondragon, etc. pour savoir que c’est une fausse piste.

    Ce qu’il se produit à chaque fois c’est une intériorisation renforcée des contraintes capitalistes en chaque travailleur : l’ouvrier n’est plus seulement un ouvrier c’est aussi un manager, comptable, gestionnaire, etc. Sans parler des contraintes extérieur venant de l’économie.

    La raison est simple et Rosa Luxembourg l’a dit à son époque : dans un monde capitaliste, c’est l’échange qui détermine la production. Dis autrement, on a beau récupérer des outils de production d’une entreprise spécifique, nous restons contraints des lois et exigence d’un environnement capitaliste.

    À mon sens, tu gagnerais en analyse si tu considères que l’économie EST le capitalisme et que tu laisses tomber l’erreur de Polanyi de croire en une « économie substantiel » qui, même s’il s’en défend, n’est rien d’autre qu’une recherche de naturaliser l’économie et d’avoir voulu trouver au sein des peuples indigènes tout ce que nous nous considérons comme de l’économie et qui était imbriqué (encastré dans son vocabulaire) dans leur style de vie.

    1. Bonsoir,

      Le processus de financiarisation de l’économie date bien des années 70, mais il s’est produit des évolutions législatives dans les années 90 aux États-Unis à propos des fonds de pension qui ont provoqué un afflux d’épargne transformé en capital-risque dont ont largement bénéficié des entreprises comme Facebook ou Google. C’est quelque chose qu’explique très bien l’auteur Pierre-Yves Gomez dans son ouvrage « Le Travail invisible » à propos de la formation de ce qu’il appelle « l’économie de rente » qui a conduit à la crise de 2008 : https://pierre-yves-gomez.fr/le-travail-invisible/

      Quant à abandonner la référence à Karl Polanyi et à son concept si précieux « d’économie plurielle », il y a peu de chances que cela se produise… J’ai déjà écrit à ce sujet (pour critiquer les thèses du Comité Invisible notamment) et c’est au contraire en abandonnant le terrain de l’économie aux thèses libérales que l’on « naturalise » la réduction de l’économie au marché.

      Comme je l’expliquais il y a un an, soutenir le contraire revient en réalité à « intérioriser » les amalgames du néo-libéralisme et à se soumettre à leur logique : https://scinfolex.com/2017/08/31/le-comite-invisible-et-les-communs-pourrons-nous-encore-etre-amis/

      Je trouve extrêmement grave que le Comité Invisible se permette de balayer avec un tel mépris cet apport de l’ESS à la lutte sociale. L’ironie, c’est que sous couvert de radicalité, leur vision de l’économie me paraît en réalité constituer une forme intériorisée de l’idéologie néo-libérale : comme le marché a réussi peu à peu – on ne peut le nier – à encastrer quasi-intégralement la société dans sa logique, le Comité invisible ne voit pas d’autre solution que de déserter complètement le champ de l’économie, sans voir que ce processus est réversible. Leur propos tend à « essentialiser » l’économie de marché et à « dé-historiciser » sa construction, ce qui est exactement le dessein de l’idéologie libérale depuis Adam Smith, qui veut nous faire croire à la « naturalité » des lois du marché et du comportement de l’homo economicus. Dire que par définition, l’économie constitue un rapport au monde condamnable qu’il faudrait fuir n’est en définitive qu’une image renversée de cette construction idéologique libérale à laquelle ils se soumettent, et absolument pas une manière d’en « sortir ».

  5. Notons aussi que Google a en grande partie publié (en 2010) le fonctionnement de son système de graphe (mais évidemment pas les données associés).
    Voir https://giraph.apache.org/
    Logiciel de la fondation Apache à tel point abouti que c’est ce que Facebook utilise actuellement pour gérer le graphe de ses utilisateurs

  6. Bonjour,

    Je prends l’article bien après sa parution, vous m’excusez du « déterrage ».

    A sa lecture, une question se pose à moi : les sur-déterminations évoquées sur l’article – je partage le point de vue, la problématique et les conséquences – ne sont-elles dues aussi à une question de « matière première » ?

    Par exemple pourrait-on monter aujourd’hui l’équivalent de Wikipédia en terme matériel (serveur, stockage, redondances, réseau, etc.) depuis zéro – vraiment sans rien initialement et sans capital-risque ou « très généreux donateurs à peine intéressés » (*) ? Comment trouver des fonds sans capital-risque – des fonds qui soient suffisamment importants pour quelque chose qui soit « impactant » ? Les pouvoirs publics, fussent-il démocratiques, sont aujourd’hui soit remis en cause (France, US, …) pour des motifs différents, soit sur un objectif national (pas nécessairement nationaliste, le plus souvent électoral), soit par rejet d’un ensemble plus larges de libertés, d’impositions, de « frontières » dans tous les sens du terme – tout cela qui ne pousse guère à l’universel… ?

    J’avoue que je ne vois pas de solutions. De plus, les opérateurs physiques deviennent eux-même en plus en plus des opérateurs de services en ligne (courriel depuis longtemps, blogs, voire maintenant du stockage en ligne et gestion de la domotique -> tout ce qu’il faut pour avoir une base phénoménale de connaissance « à la source ») ou pour des tiers (abonnement Internet et Netflix compris par défaut par exemple).

    Comment sortir de cette solution ? On peux critiquer Tim Berners-Lee – il faut le faire pour tous les acteurs de premier plan qui ont une responsabilité, fût-elle morale – mais comment sortir de la seule critique… Derrière c’est aussi le marché des composants, des réseaux (câblage), de l’énergie. Bref on ne peut plus à mon sens, raisonner seulement sur la seule partie « logiciel » et organisation inter-logiciel. Le Web, c’est avant tout du « dur », du palpable, du physique, qui a une incidence première sur notre environnement (dans tous les sens du terme) et donc s’inscrire dans un monde – notre monde – qui n’a pas une organisation ni facile, ni normée où il suffit de modifier une règle pour résoudre un problème.

    Si vous avez le temps : à vous lire,

    Julien G.

    (PS : désolé, je mets Twitter en lien… décidément…)
    (*) : Merci pour l’info entre Wikidata et Google pour les graphes, ça m’avait totalement échappé !

  7. Bonjour,

    Pour accompagner les partenaires français de ce projet, Start’in Blox, https://startinblox.com/, qui se sont créés en coopérative sous format SCIC, le constat est amer.
    La finance solidaire (brique financière de l’ESS) n’est pas mure pour exhaucer ton voeux que nous partageons pourtant Lionel.
    500 K€ de fonds levés, 0€ avec la finance solidaire malgré de multiples demandes.

    D’autres exemple dans le crowdfunding l’ont prouvé qui ont fait coulé des boites pourant matures :
    https://www.eco-sapiens.com/blog/eco-sapiens-wiseed-episode-2-annulation/

    Constat d’échec du lien entre Communs, Numérique, et ESS.

    Peut être une question générationnelle ? Je continue à tacher de convaincre des financeurs d’y aller mais il a du boulot.

    Et ce alors que les enjeux sont énormes : web de demain basés sur des principes horizontaux, se passer des grandes plateformes web anti-démocratique, anti-redistributives, et fermées + qu’ouvertes (le capitalisme nétarchique selon Michel Bauwens), lutter contre la surveillance de masse, rendre très simple et accessible la création de sites web, créer des Communs numériques (ex : logiciels open source) pour les structures de l’ESS, …

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