Un droit d’auteur pour les animaux, pas si bête ?

J’avais l’impression cet été d’avoir pénétré dans les confins les plus improbables du droit d’auteur, et que plus rien ne pourrait me surprendre, mais au hasard de mes parcours sur la Toile , je suis tombé sur un nouveau petit bijou qui pousse la logique du copyright dans ses ultimes retranchements.

 

Tenez-vous bien, car il existe depuis 2006 une Animal Copyright Fondation qui revendique le plus sérieusement du monde l’idée que les animaux puissent bénéficier du droit d’auteur, au même titre que les humains ! J’ai croisé des choses vraiment improbables ces derniers temps en matière de propriété intellectuelle (ici, , ou ) mais cette fois, je me suis pincé pour vérifier si je ne rêvais pas. Je m’apprêtai à hurler à l’anthropomorphisme primaire et puis, j’ai essayé de comprendre quand même la démarche de cette fondation et je dois avouer que mes certitudes ont commencé à vaciller…

Et si finalement l’idée d’un droit d’auteur pour les animaux n’était pas si saugrenue que cela ? Je n’imaginais pas jusqu’où ce doute allait m’entraîner !

 

Mise en abîme : Chardin est lauteur de ce tableau, mais le singe est-il lauteur du tableau dans le tableau ? (JS Chardin - Le singe peintre)
Mise en abîme : Chardin est l'auteur de ce tableau, mais le singe est-il l'auteur du tableau dans le tableau ? (JS Chardin - Le singe peintre)

L’idée de créer l’Animal Copyright Fondation a été lancée par le canadien Grégory Colbert, photographe réputé pour son travail avec les animaux, notamment dans son exposition itinérante « Ashes to Snow« . Cette œuvre se veut une sorte d’exploration d’une forme de nouvelle communication entre l’homme et l’animal, un hymne à l’harmonie retrouvée avec la nature. Vous pourrez voir ci-dessous un extrait du travail de Grégory Colbert en vidéo, assez impressionnant.

Or pour aller jusqu’au bout de ses idées, Grégory Colbert dénonce l’exploitation qui est faite de l’image des animaux notamment dans la publicité (on pense au tigre Esso ou au lion de la Metro Goldwyn Mayer), et il propose de lever une taxe de 1% sur les revenus publicitaires des réclames utilisant des animaux pour alimenter des fonds de protection de la nature, au titre de ce fameux Animal Copyright. Les sociétés acceptant de se prêter à cet arrangement se verraient attribuées un label Animal Copyright qu’elles pourraient arborer pour attester de leur respect des droits des animaux.On pourrait penser qu’il s’agit plus d’une forme de droit à l’image que de droit d’auteur (deux choses distinctes), mais le photographe fait explicitement référence à la notion de propriété intellectuelle dans son discours comme fondement de cette redevance d’un genre nouveau.

« It is standard practice in our world to compensate people for use of their intellectual property. Until now that has not been the case for nature and animals: for years corporations have used nature and animals to promote their products ».

Combien voyez-vous de titulaires de droits sur cette image ? Un ou deux ? (Gregory Colbert. Ashes and Snow)

Alors que penser (juridiquement bien sûr) de cette idée de droit d’auteur des animaux ? A première vue, elle est indéfendable, car le droit d’auteur est fondamentalement liée à la notion de personnalité juridique. On peut même dire que dans la conception classique du droit d’auteur, le créateur insuffle une parcelle de sa personnalité dans sa création, qui fait naître un droit de propriété immatérielle sur l’oeuvre de l’esprit. D’ailleurs les juges considèrent que l’oeuvre doit porter « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » pour être originale et digne de protection. Or c’est aussi un principe de notre droit que les animaux ne sont pas dotés de la personnalité juridique. Ils sont considérés comme des choses (des biens meubles dit le code civil), qui appartiennent à leur propriétaire ou qui sont des res nullius, n’appartenant à personne dans le cas des animaux sauvages.

D’une certaine manière, ce que revendique Grégory Colbert ressemble plus à un droit voisin d’interprète qu’à un réel droit d’auteur au sens propre. Mais là encore, il paraît difficile à première vue d’assimiler un animal à un interprète, car l’interprétation suppose l’exécution d’une oeuvre de l’esprit préexistante (et l’oiseau chante sans qu’une oeuvre existe dans sa cervelle, alors que la Callas devait apprendre son texte).

Mais notre droit reconnaît aussi un droit à l’image, disctinct du droit d’auteur, qui ressemble fort à ce que Grégory Colbert voudrait pour les animaux : un droit à rémunération en cas de réutilisation à des fins commerciales de leur image. Sauf que là encore, l’analogie ne tient pas, car les juges ont construit le droit à l’image comme une extension du droit de la personne. Vous me direz que la jurisprudence a un temps admis le droit à l’image des biens au bénéfice de leur propriétaire, ce qui provoquait une césure avec la personnalité, mais la Cour de Cassation est assez largement revenue cette théorie depuis une décision de 2004.

Donc a priori, cette idée d’un Animal Copyright est inconstructibe en droit et ne peut relever que d’un habile argumentaire de communication. Sauf que … ce n’est pas aussi net si l’on creuse plus loin …

Car la personnalité juridique contrairement à la perception instinctive que nous en avons est une pure fiction. « Personne » vient du latin Persona – le masque- et c’est dans la Rome antique que cet artifice juridique a été créé pour attacher des droits à un entité que l’on juge digne d’être protégée . Il se trouve juste que dans la plupart des cas la personne coïncide avec un être humain, mais il existe des hypothèses de hiatus qui révèlent le caractère artificiel de la personnalité (et déjà à Rome, il y avait des êtres humains dénués de personnalité juridique et réduit à l’état de choses, comme des animaux : les esclaves)

Par exemple, un mort continue à bénéficier de certains droits, même après la disparition de l’être humain qui portait à l’origine le masque de la personne. Et l’un de ces droits qui survivent par magie légale à la mort, c’est justement le droit d’auteur… les droits patrimoniaux durent 70 ans après la mort du créateur et en France, le droit moral est censé survivre perpétuellement. A qui sont-ils attachés : à la personne-masque par le biais d’une pure fiction juridique. De la même façon, on va décider par convention que le foetus acquiert la personnalité juridique après un certain stade de développement qui … varient selon les pays : La Cour européenne des droits de l’Homme reconnaît même que ce délai est à l’appréciation des Etats. Quoi de plus éclatant pour démontrer le caractère fictif et arbitraire de la personnalité juridique ?

La personnnalité juridique est un masque fictif. Or elle est aussi le fondement du droit d'auteur (Par Joseph A Ferris III. CC-BY-NC-ND)

Si, il y a mieux. Il existe des êtres complètement fictifs qui possèdent la personnalité juridique : les personnes morales (sociétés, associations, fondations, collectivités locales, établissements publics, l’Etat lui-même, etc). C’est encore par convention que l’on a décidé de leur conférer des facultés juridiques reconnues aux êtres humains. Et cela non plus n’est pas sans rapport avec le droit d’auteur … Car le droit sur une oeuvre, s’il paraît avoir un lien très puissant avec la personne humaine, peut appartenir à une personne morale – fictive donc – dès l’origine. C’est chose commune dans les pays de Copyright (Etats-Unis notamment) où lorsqu’une oeuvre est créée par des employées le copyright appartient immédiatement à son employeur qui peut être une personne morale. Et même en France, pour certaines oeuvres particulières comme les logiciels, la loi reconnaît que les droits n’appartiennent pas à la personne humaine qui les crée mais à la personne fictive qui les emploie. Les choses sont identiques avec les oeuvres dites collectives comme les dictionnaires ou encyclopédies . Et quand les fonctionnaires créent des oeuvres dans le cadre de leurs services, la plus grande partie des droits (y compris des éléments du droit moral) appartiennent à la personne publique qui les emploie.

Et que dire des droits voisins, alors ? les droits des producteurs par exemple, qui relèvent pleinement du champ de la propriété intellectuelle appartiennent généralement non à des personnes réelles mais à des monstres froids des sociétés.

Et le cas des oeuvres orphelines ? Encore de la fiction. Puisque le droit d’auteur persiste « dans le vide » quand bien même on a perdu toute trace effective du titulaire des droits. Dans ce cas, on peut dire qu’il ne demeure plus que le masque juridique – une coquille vide – sans rien derrière pour justifier le maintien des droits.

Devant tant d’artifices, l’idée de reconnaître un droit voisin d’interprète à un oiseau ou à un dauphin pour son chant, à un guépard pour la manière dont il se déplace ou pourquoi pas après tout, à un papillon les couleurs qu’il arbore ne me paraît subitement plus si saugrenue.

Il faudrait simplement décider de donner à l’animal une personnalité juridique comme on a décidé de le faire un jour pour les esclaves … et là où il y a personnalité juridique, il peut y avoir droit d’auteur, et peu importe si le titulaire initial n’est pas un être humain, puisque c’est fréquemment le cas pour des personnes morales fictives.

Et justement, il existe tout un courant de pensée juridique qui estime que l’on devrait reconnaître le bénéfice de la personnalité aux animaux pour mieux les protéger en les faisant devenir des sujets de droits à part entière et pas seulement des objets de droit. Si on leur reconnaît un droit à la dignité pour les protéger des mauvais traitements (comme il existe un droit à la dignité humaine), je ne vois pas pourquoi on ne leur reconnaîtrait pas dans la foulée un droit d’auteur ou un droit à l’image ?

Certains vont même plus loin dans la fiction juridique (voir ce livre par ex.) en estimant que l’on pourrait faire de même avec une forêt, un fleuve ou parc naturel afin de consacrer juridiquement leurs intérêts qui pourraient être défendus par voie de représentation en justice par des associations de défense de la nature. Pourquoi alors ne pas inclure alors dans leur portefeuille juridique un droit à l’image ?

Et toujours plus loin, des philosophes, comme Michel Serres par exemple, ont imaginé que l’Humanité pourrait conclure avec la Nature tout entière un Contrat Naturel pour gérer les droits et obligations de l’homme vis-à-vis d’elle. Ce Contrat prendrait vraisemblablement la forme d’un ou plusieurs traités « internationaux » et pourquoi ne pas envisager alors un nouveau traité de l’OMPI portant sur le droit d’auteur de Dame Nature ?

Voilà donc que parti d’une réaction radicale de rejet vis-à-vis de l’idée d’un Animal Copyright proposée par Grégory Colbert, je ne la trouve maintenant pas plus absurde que la situation actuelle qui fait que les droits sur Mickey appartiennent à la société Disney, pur ectoplasme engendré par la loi (et ce pour très longtemps encore …). Si nous sommes prêts à accepter une chose aussi dénuée de sens que la propriété intellectuelle des personnes morales, alors j’accepte celle des animaux !

Syllogisme 1) Michey est une souris 2) Une souris est un animal 3) Un animal peut être titulaire de droits d'auteur donc ... Mickey possède les droits sur lui-même ?

Pas convaincus … Vous en voulez encore ? Alors allons plus loin et en images, si vous le voulez bien.

Je me souviens d'avoir vu lors de la Huitième biennale d'art contemporain à Lyon cette installation époustouflante de Kader Attia : "Flying Rats". Une gigantesque cage remplie de pigeons qui s'en prenaient à des mannequins d'enfants constitués de graines pour oiseaux. L'oeuvre évoluait avec le temps de semaine en semaine, à mesure que les pigeons infligeaient les pires sévices aux bambins au gré de leur gloutonnerie. N'y a-t-il pas là une véritable oeuvre de collaboration entre l'artiste qui a monté le dispositif comme un metteur en scène et les volatiles qui ont interprété librement cette oeuvre ? Kader Attia n'a pas pu imprimer "l'empreinte de sa personnalité" au mouvement des pigeons, qui ont gardé une forte marge d'autonomie dans cette performance.
Vous aimez cette toile ? Sachez quelle a été peinte par un certain JR. Boronali qui nétait autre ... quun âne à qui lon avait attaché un pinceau au bou de la queue ! Il sagit dun des plus grands canulars de lhistoire de lart monté par lécrvian Roger Dorgélès pour railler les Impressionnistes. Mais le plus troublant dans cette affaire, cest si le pot-aux-roses navait pas été découvert, cette toile aurait été protégée par la loi par des droits dauteurs et le droti moral de lâne serait toujours en vigueur ! Quand je vous disais que le droit dauteur est artificiel !
Vous aimez cette toile ? Sachez qu'elle a été peinte en 1910 par un certain JR. Boronali qui n'était autre ... qu'un âne à qui l'on avait attaché un pinceau au bout de la queue ! Il s'agit d'un des plus grands canulars de l'histoire de l'art monté par l'écrivain Roger Dorgelès pour railler les Impressionnistes. Mais le plus troublant dans cette affaire, c'est que si le pot-aux-roses n'avait pas été découvert, cette toile aurait été protégée par des droits d'auteurs et le droit moral (de l'âne !) serait toujours en vigueur ! Ici ce n'est pas la personnalité qui fait naître une oeuvre, mais une oeuvre qui crée d'elle-même une personne. Quand je vous disais que le droit d'auteur est artificiel !
Cette Toile-ci a été peinte par un chimpanzé nommé Congo qui vécu à la même époque que Pollock. Ce singe aimait vraiment peindre, puisquil a réalisé près de 400 toiles au cours de sa vie. Certaines de ses créations se sont vendues plusieurs dizaines milliers de dollarset Picasso en avait accroché une dans son atelier. le droti ne leur reconnaît pas la qualité doeuvre de lesprit, mais elles font indéniablement partie de lhistoire de lart. Si les animaux peuvent jouer (fait attesté), pourquoi ne peuvent-ils pas créer ?
Cette toile-ci a été peinte par un chimpanzé nommé Congo qui vécu à la même époque que Pollock. Ce singe aimait vraiment la peinture, puisqu'il a réalisé près de 400 toiles au cours de sa vie. Certaines de ses créations se sont vendues plusieurs dizaines milliers de dollars et Picasso en avait accroché une dans son atelier. Le droit ne leur reconnaît pas la qualité d'oeuvre de l'esprit, mais elles font pourtant partie de l'histoire de l'art. C'est le propriétaire du singe qui a empoche l'argent de la vente des toiles, comme le possesseur d'un arbre s'attribue le produit de la vente des fruits. Pourtant si les animaux peuvent jouer (fait attesté), pourquoi ne pourraient-ils pas créer ?
Les scientifiues ont prouvé lexistence de phénomènes dacculturation chez les baleines qui peuvent apprendre et changer des chnats netre groupes différents et déveloper des traditons vocales qui se transmettent de génération de génération. Onest alors tout proche dune culture animale et dun patrimoine animal et qui dit culture et patrimoine, ne peut-il pas dire droit dauteur ?;
Les scientifiques ont prouvé l'existence de phénomènes d'acculturation chez les baleines qui peuvent apprendre et échanger des chants entre groupes différents et développer des "traditions vocales" qui se transmettent de génération de génération. On est alors tout proche d'une "culture animale" et d'un "patrimoine animal" et quand on dit culture et patrimoine, il ne reste qu'un pas à franchir pour admettre l'Animal Copyright !

Vous êtes toujours là ? Vous ne savez plus trop quoi penser de cette histoire ?

Pour ma part, j’en tire la conclusion que la propriété intellectuelle est une pure fiction juridique, une construction décidée par des hommes à un moment donné et institutionnalisée sous une certaine forme par le droit.

Dès lors, comme toutes les fictions, on peut la déconstruire complètement et la recomposer autrement. Si je me suis livré à ces acrobaties conceptuelles, c’est pour démontrer qu’en matière de droit d’auteur tout – absolument tout – est possible. Il n’y a a à vrai dire AUCUNE limite.

Il serait bon de s’en souvenir à un moment où l’imagination devrait être au pouvoir pour réfléchir à une nouvelle forme de propriété intellectuelle adaptée à l’environnement numérique (certains commencent très sérieusement d’ailleurs à penser reconnaître une personnalité juridique … aux avatars des jeux vidéo !).

Or on entend trop souvent en ce moment certains pontifiants sortir l’artillerie lourde du droit naturel pour justifier que surtout rien ne change au Pays du droit d’auteur (lisez les commentaires sous cet excellent billet de ReadWriteWeb sur la notion de propriété dans le vituel et vous prendrez conscience des verrous qui pèsent encore sur les esprits – le pire des DRM est le DRM mental ! Faites sauter le cube dans vos têtes !) …

Dorénavant quand on m’objectera en paraphrasant le Chapelier que « le fruit de la pensée de l’écrivain est la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, et la plus personnelle des propriétés« , je me souviendrai que la personnalité n’est une fiction, que le droit d’auteur ne vaut guère mieux et je rierai … comme une baleine !

Le problème, cest que sil existait un droti dauteur des animaux, il y a tout lieu de penser que les choses finiraient ainsi !
Le problème, c'est que s'il existait un droit d'auteur des animaux, il y a tout lieu de penser que les choses finiraient ainsi ! "Le droit d'auteur appartient à tous les animaux, mais seuls les cochons en profitent réellement".

17 réflexions sur “Un droit d’auteur pour les animaux, pas si bête ?

  1. Un problème quand même a ce droit d’auteur animal, c’est a qui va l’argent ? Comment choisir les bénéficiaires et repartir équitablement ? Et puis, d’accord qu’il peut être intéressant de taxer une multinationale qui se fait du fric sur le dos de la nature, surtout si elle la pollue, mais cela risque aussi de créer des entités qui touchent des royalties des que quelqu’un dans le monde prend une photo d’un paysage ou, finalement de n’importe quelle forme de vie autre qu’humaine (c’est a dire une très grosse majorité de toutes les photo ou œuvres). Si on peut plus prendre en photo la nature sans devoir payer quelqu’un, c’est un autre droit qu’on perd.

    1. Bonjour,

      Oui, merci pour ce commentaire qui va me permettre de préciser ce que j’ai voulu faire en écrivant cet article.

      Vous avez tout à fait raison de soutenir que l’idée d’un droit d’auteur de la nature ou de l’animal peut rapidement conduire à des dérives graves, en termes d’appropriation du paysage (ou de la réalité tout entière !). Certains articles estiment que si l’Animal Copyright Fondation avait effectivement reçu 1% de tous les revenus publicitaires générés grâce à des animaux, elle aurait pu devenir l’une des fondations les plus riches du monde. D’un côté, c’est une bonne chose car ces fonds auraient pu être mobilisés pour la cause animale, mais d’un autre côté, cela créerait une entité extrêmement puissante et peut-être difficilement contrôlable.

      En fait, à l’origine, je pensais terminer mon billet exactement comme vous le faites, en indiquant que l’idée de l’Animal Copyright, n’était pas bonne, malgré l’intention louable dont elle procède, car elle risquait de déboucher sur d’autres excès et sur une instrumentalisation de l’animal et de la nature au profit de certains (car on peut bien donner des droits à l’animal ou à la nature, mais ce seront toujours bien des hommes qui derrière cette fiction agiront pour les représenter !). A moins que l’on ne revienne aux procès d’animaux comme au Moyen-Age !

      Le problème, c’est qu’en creusant les mécanismes pouvant justifier l’Animal Copyright, j’en suis arrivé à démonter les rouages du droit d’auteur tout court, et les nombreuses fictions qui se cachent derrière. Et du coup, cet aspect-là du problème a pris le dessus sur le reste (on sait comment on commence un billet, mais on ne sait pas toujours comment il va finir !). Je voulais surtout amener le lecteur à s’interroger sur la légitimité de la reconnaissance du droit d’auteur aux personnes morales, qui me paraît très problématique et qui « corrompt » la logique de la propriété intellectuelle.

      A mon avis, le projet de Grégory Colbert pose de vraies questions, mais n’apporte pas la bonne solution. Il semblerait d’ailleurs que cette fondation soit aujourd’hui en sommeil, puisqu’il n’y a plus rien sur son site. Par contre, le photographe a créé une nouvelle fondation « The Flying Elephant » qui collecte des fonds pour la nature, mais sans en appeler à présent à l’Animal Copyright. C’est sûrement mieux ainsi.

      Mais cela n’empêche pas que l’idée de donner une forme de personnalité juridique et des droits aux animaux continuent à faire son chemin, y compris en France. Et certains soutiennent même que c’est déjà quasiment le cas, depuis que la Charte pour l’Environnement a été introduite en 2005 dans notre Constitution (voir ce très bon article par exemple).

      En tout cas, merci pour ce commentaire qui me permet de préciser ma pensée. Je retiens surtout l’idée que lorsqu’on créée un nouveau droit, il faut bien prendre garde à ce qu’il n’en supprime pas d’autres. « Nul ne gagne qu’un autre ne perde« , disait Montaigne et c’est souvent vrai.

  2. Merci pour cet excellent article. Le sujet n’est pas (plus ?) anodin, car, devant l’inefficacité des codes de conduite et autres responsabilité sociale de entreprise, il nous faut trouver un moyen de réinsérer l’humain dans la nature. Le droit (de propriété) pourrait être un moyen comme un autre.

    Il ne s’agit donc pas que d’une discussion d’intellectuels, mais un sujet vital. Merci pour votre contribution.

    Je découvre votre blog, que je vais examiner plus en détails.

  3. Votre article est très plaisant à lire et constitue un bon raisonnement. Toutefois en tant que juriste il me paraît plus qu’abusif de plaider pour la disparition du droit sous prétexte qu’il serait une fiction juridique. En effet, même en admettant que ce soit une fiction juridique ce n’est pas une raison suffisante pour le supprimer. La propriété intellectuelle a une véritable fonction économique et sociale. S’il fallait supprimer toutes les fictions juridiques nous n’aurions plus de personnalité morale comme vous le notez (Etat, les sociétés, les associations,…), le droit des successions ne retrouverait amputé (la masse successorale est la continuité de la personnalité du défunt), les Universalités telles que le fonds de commerce seraient supprimées…. Et je ne suis pas loin de penser que même le droit de propriété est une fiction juridique.
    Pour finir le recours à des fictions de ce type ne se limitent pas au droit. Je ne suis pas scientifique mais il me semble que les théories quantiques peuvent être qualifiées de fiction. Je ne suis pas loin de penser que toute technique ou science repose en partie sur des fictions.
    En conclusion, je suis un partisan de la propriété intellectuelle, comme vous l’aurez deviné, non pas par dogmatisme mais simplement parce que l’on a pas trouvé mieux pour « remplir le ventre des auteurs » comme le disait Beaumarchais.

    1. Bonjour,

      Je suis très honoré qu’en tant que juriste, vous ayez goûté ce billet. Et je comprends tout à fait à quel niveau vous vous placez pour en critiquer la conclusion.

      Mes études m’ayant amené à toucher à la théorie et à la philosophie du droit, je me souviens de m’être passionné pour les débats entre positivistes et jusnaturalistes relatifs à la « réalité » du droit. Pour ma part, dans ce débat, j’ai toujours été un tenant des thèses positivistes, à savoir celles qui soutiennent que le droit résulte d’une convention et non d’un décalque de principes supérieurs inscrits dans une soi-disant « Nature ». Et j’ai vite appris qu’en général les tenants du droit naturel (ou des notions approchantes telle que la supra-constitutionnalité ou les fondements anthropologiques du droit) cherchaient surtout à soustraire certaines questions au débat démocratique et à placer hors d’atteinte du législateur certains mécanismes juridiques.

      Tout cela pour vous dire que j’ai bien conscience que la texture même du droit est un tissu de fictions (dont les hommes oublient parfois le caractère conventionnel), que ces fictions sont nécessaires et souvent utiles et je n’ai pas cherché à soutenir que le droit d’auteur devait être aboli à raison de ce caractère fictionnel.

      J’ai écrit cet article en réaction à certaines prises de positions qui entendent faire du droit d ‘auteur un droit « naturel » pour justifier que l’on ne modifie pas le système actuel (voire même qu’on le durcisse encore en le hérissant d’aspérités pénales). Or ce type de discours n’est qu’une manipulation idéologique, car il n’y a absolument rien de naturel dans le droit d’auteur. Il s’agit d’une simple construction conventionnelle, historiquement datée, qui existe depuis un certain temps, mais qui pourrait (et qui va nécessairement) subir de très profondes modifications pour tenir compte de la nouvelle donne numérique.

      Et qui pourrait un jour, qui sait, disparaître …

      Pour démontrer l’absurdité de la thèse jusnaturaliste en matière de propriété intellectuelle, il m’a plu de m’appuyer sur les mécanismes fictionnels de ce droit pour construire un droit d’auteur des animaux. Il s’agissait si vous préférez d’une forme de démonstration par l’absurde. Si le droit d’auteur est « naturellement » un droit de l’homme, comment admettre qu’il soit si souvent l’attribut d’une personne morale fictive ? Et si le droit d’auteur est attaché seulement à la personnalité juridique et non à l’être réel, pourquoi ne pas imaginer en faire bénéficier les animaux, en les revêtant eux-aussi de ce masque ? La reconnaissance de la fiction ouvre tous les possibles !

      Vous terminez votre message en vous plaçant d’un point de vue utilitariste (ne voyez de péjoratif dans cet adjectif ; le gouvernement aurait tout à gagner à être un peu plus utilitariste et moins dogmatique en matière de propriété intellectuelle !) : vous défendez le droit d’auteur, car il constituerait le meilleur moyen d’assurer la subsistance des artistes, en l’absence d’alternative probante.

      Permettez-moi cette fois de ne pas partager votre avis. Il n’y a longtemps que le droit d’auteur ne sert plus principalement à remplir le ventre des artistes mais celui de cochons, hum, d’autres titulaires de droits, dont l’apport réel au processus créatif est parfois plus que ténu. Quant aux alternatives, il existe des pistes très sérieuses à creuser et sûrement mieux à même de rémunérer la création.

      Il existe aussi de plus en plus de gens qui créent sans chercher à se « remplir le ventre » et qui choisissent de placer leurs oeuvres sous d’autres régimes que le copyright pur et dur, pour favoriser la circulation et la réutilisation des contenus. Ils inventent de nouvelles conventions pour remplacer les vieilles ficelles usées …

      Nous ne sommes donc pas d’accord sur ce point. Mais parce que nous convenons tous les deux que le droit d’auteur est une fiction, nous pouvons en débattre ensemble. Et c’est l’essentiel, il me semble dans une démocratie bien comprise.

      En vous remerciant pour ce commentaire qui m’a ramené sur les bancs de la faculté de droit, à l’époque où je méditais sur la nature du droit en lisant Kelsen et Léo Strauss.

  4. En tant que technicien, je crois pouvoir dire que la technique ou la science repose, non pas (en partie) sur des fictions, mais sur l’expérimentation ou l’observation. Je ne suis pas spécialiste en théories quantiques, mais je crois que le problème, dans ce domaine, ce sont les limites de l’observation… Je ne vois pas où il pourrait y avoir de la fiction en technique ou en science. Désolé…

    1. Bonjour

      Désolé de ne pas avoir publié plus tôt votre commentaire, il avait été aiguillé par erreur parmi les spams où je l’ai repêché.

      Ce n’est pas à propos de la science ou de la technique que j’ai voulu parler de fictions, mais bien à propos du droit. Dans le domaine juridique, il est avéré que les fictions jouent un grand rôle.

      Pour ce qui est de la science, je ne suis pas sûr que vous que l’on ne puisse pas parler de fiction. Vous évoquez l’expérimentation et l’observation, mais que faites-vous des hypothèses qui se situent en amont dans la démarche scientifique ?

      Il me semble que l’hypothèse n’est pas si éloignée de la fiction. En tout cas, elle prend sa source dans le même ferment d’imagination (par exemple, les fameuses « expériences mentales » d’Enstein).

      Et dans les domaines où la vérification par l’observation est parfois impossible (astrophysique par exemple), la frontière entre théorie et fiction doit être bien mince.

      Je vous livre ces réflexions telles qu’elles me viennent, car j’avoue que je n’ai pas de formation scientifique approfondie (bien que je me suis un temps beaucoup intéressé à l’épistémologie).

      Il faudrait aussi examiner la question du point de vue des sciences sociales, qui ne sont pas expérimentales, où je pense que la fiction doit avoir sa place (par exemple la théorie de la main invisible en économie ne cache-t-elle pas avant tout une belle fiction ?)

  5. Plutôt que de « fiction », mot rendu à la mode par le constructivisme dans les sciences humaines (ex. « La théorie comme fiction ») qui nie toute réalité (sur le mode Matrix), je parlerais plutôt d' »arguties » dont ce texte est un bon exemple. On parle si couramment d' »arguties juridiques » qu’on peut les considérer comme un pléonasme. Bon, si ça marche, ça marche…

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