Les dernières nouvelles du front par Aurélia, un nouvel auteur que j’ai le plaisir d’inviter aujourd’hui à écrire un billet sur S.I.Lex.
Je vous laisse entre de très bonnes mains, car la qualité de la veille d’Aurélia est excellente !
Calimaq
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En 2005, l’Association of American Publishers et l’Authors Guild ont intenté un recours collectif en contrefaçon contre Google Inc. devant le tribunal fédéral de première instance des Etat-Unis, situé à New-York. Afin de clore l’action collective, les parties ont convenu d’un règlement le 28 octobre 2008. Le tribunal de New-York devait approuver ou rejeter ce règlement le 7 octobre 2009, mais par son Statement of interest du 18 septembre dernier, le ministère de la Justice américain a désapprouvé le règlement au nom de l’intérêt général, du droit d’auteur, du droit de la concurrence et du droit des actions collectives. Il a par ailleurs exprimé le souhait que les intérêts des éditeurs et des auteurs non américains soient davantage pris en compte.
Les plaignants ont alors demandé un ajournement du jugement et proposé qu’une audience de mise en état (Status Conference) soit tenue le 6 novembre (ou à toute date jugée convenable par la Cour) afin de faire le point de la reprise des négociations visant à aboutir à un projet de règlement amendé. Le juge a finalement décidé de tenir cette audience à la date initialement prévue pour rendre son jugement, soit le 7 octobre.

L’audience s’est donc tenue hier matin au tribunal de New-York. Un greffier en a assuré la transcription, qui devrait être prochainement mise en ligne sur le site The Public Index animé par James Grimmelmann et ses collaborateurs, de la New York Law School . En attendant, vous trouverez le compte rendu de James Grimmelmann ici, celui d’Eric Hellman là et celui de Kenneth Crews là.
Les principales informations sont les suivantes :
– les parties ont bon espoir de remettre une version amendée du règlement à la date du 6 novembre prochain ;
– si elles tiennent ce délai, le jugement pourrait intervenir fin décembre ou début janvier ;
– les objections ou commentaires ne pourront porter que sur les amendements à la version antérieure du règlement ;
– les parties ont déclaré négocier ces amendements en liaison étroite avec le DoJ (dont le représentant a cependant fait savoir qu’il n’avait pris connaissance d’aucun amendement à ce jour), en particulier pour mettre le règlement en conformité avec la législation anti-trust ;
– le gouvernement a demandé à la Cour que le DoJ dispose d’une semaine à dix jours à l’issue de la date limite de réception des objections/commentaires afin que le DoJ puisse examiner ceux-ci et soumettre ses conclusions ;
– il sera toujours possible de choisir l’opt-out (ce qui signifie que l’on refuse d’adhérer au règlement et que l’on se réserve la possibilité d’attaquer Google en justice devant les tribunaux des Etats-Unis) ;
– la date limite pour revendiquer une indemnisation au titre des oeuvres sous droits numérisées sans l’accord des détenteurs de droits a été reportée par les parties du 5 janvier au 5 juin 2010.
Les premiers commentateurs s’inquiètent de délais qui s’annoncent d’ores et déjà extrêmement courts. L’Open Book Alliance, qui réunit notamment Internet Archive, Microsoft, Yahoo et Amazon, a aussi fait part de son inquiétude à ce sujet. Les amendements seront-ils de nature à satisfaire à toutes les objections émises jusqu’à présent ? Avant-hier, l’Electronic Frontier Foundation (EFF), l’American Civil Liberties Union, l’American Library Association, l’Association of Research Libraries, l’Association of College and Research Libraries, et James Grimmelmann (entre autres) ont adressé à Google une lettre le pressant de prendre en compte le respect de la vie privée dans la version remaniée du règlement.
James Grimmelmann signale sur The Laboratorium une information importante : l’affaire Reed-Elsevier (autre grosse affaire de recours en action collective liée au Copyright) est en cours d’examen à la Cour suprême (voir ici la transcription de l’audition). La décision qui sera rendue est susceptible de faire jurisprudence et d’être déterminante sur la suite du règlement.
[Update par Calimaq : il semblerait en effet que cette affaire conduise la Cour suprême à se prononcer sur la validité de l’opt-out en droit américain, mécanisme qui est au coeur même du règlement Google Book]
Pour la petite histoire : l’audience de mise en état n’a pu faire l’objet d’aucune captation audiovisuelle. Afin que personne ne puisse filmer ou enregistrer les déclarations, les téléphones portables et les ordinateurs portables ont été confisqués. En France, où il est également interdit de filmer ou d’enregistrer un procès sans autorisation préalable, on ne va pas si loin, ce qui permet aux journalistes de twitter des procès en direct (voir Me Eolas sur le procès Clearstream).

Le juge Chin a, par ailleurs, créé la surprise en annonçant que des milliers de pages de procédure avaient dû être numérisées pendant quatre jours sur… un seul et unique scanner ! Il a déclenché l’hilarité en déclarant : « In this case of all cases there ought to be an electronic way of handling this. » Moralité : comme les tribunaux français, leurs homologues américains peuvent être sous-équipés (on s’étonne cependant, et même on s’inquiète que le juge Chin n’ait pas pu obtenir ne serait-ce qu’un deuxième scanner…) ; mais cela n’empêche pas les tribunaux américains d’être d’une transparence exemplaire. Ne cherchez pas sur le site du ministère de la Culture et de la Communication les objections transmises au juge Chin le 8 septembre dernier ; ne cherchez pas non plus celles du gouvernement de la République française sur le site de la présidence ; ne cherchez pas enfin celles du Syndicat national de l’édition sur le site du SNE : c’est ici, là et là que vous les trouverez (je vous laisse aller voir). Tout est là dans cette chronologie qui rassemble l’ensemble des pièces du procès ; vous constaterez par vous-mêmes que l’Union européenne ne s’est pas manifestée dans cette affaire.
Si vous souhaitez en savoir plus, sachez qu’un colloque se tient jeudi 8, vendredi 9 et samedi 10 octobre 2009 à la New York Law School : D is for Digitize (programme ici). Les interventions sont diffusées en direct demain vendredi et samedi. Voir également Twitter: #disfordigitize et cette page Twitter.

Par ailleurs, une table ronde Lost & Found: A Practical Look at Orphan Works aura lieu le 20 octobre à New-York, de 18 h à 20 h, sur le sort des images et des images orphelines. Son objectif : discuter de moyens qui permettraient d’utiliser ou d’exploiter des oeuvres orphelines sous droits. Signalons à ce propos qu’en 2007, EBLIDA avait fait des propositions en ce sens à la Commission européenne, propositions qui ne furent pas suivies d’effet. On peut espérer que les auditions conduites les 7 et 8 septembre dernier par Viviane Reding et Charles Mc Creevy sur la numérisation des livres, le règlement Google et le droit d’auteur en Europe seront l’occasion d’étudier à nouveau ces propositions. Elles pourront aussi être abordées à l’occasion des réflexions en cours sur le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance.
Update du 23/10/09 : Le procès verbal de l’audience de mise en état du 6 novembre est disponible ici. Vous pouvez également retrouver là en vidéo les tables-rondes de la conférence D is for Digitize. Pour en savoir plus sur la teneur de ces conférences, vous pouvez également vous reporter aux billets de Peter Hirtle dans LibraryLaw Blog (jour 1 ; jour 2/matin ; jour 2/après-midi ; jour 3).
Merci Aurélia pour cet excellent article qui me permet d’y voir plus clair.
Bien à vous,
Merci pour ce résumé clair, pertinent et documenté d’un dossier juridique très complexe mais stratégique. Je transfère le lien de ce pas à nos 16 éditeurs canadiens français.