La semaine dernière, Creative Commons International a publié un eBook fascinant – The Power of Open – racontant les histoires de plus d’une trentaine de créateurs, issus des quatre coins du monde, ayant trouvé le chemin de la réussite en plaçant leurs contenus sous licence Creative Commons et en les partageant dans le cadre de projets innovants.
Cinéma, musique, édition, journalisme, éducation, design et plus encore : c’est un plaisir de constater la variété des champs d’application des licences libres et la manière dont cette infrastructure juridique ouverte permet d’explorer de nouvelles pistes pour créer, en utilisant le plein potentiel d’Internet.
Le livre, lui-même placé sous licence CC-BY, est téléchargeable librement ici en français et une célébration est organisée à l’occasion de son lancement mondial, mercredi prochain 6 juillet au Lieu du design à Paris.
Il me paraît particulièrement important que ce livre soit diffusé en France, où les licences Creative Commons sont encore relativement peu connues, quand elles ne font pas l’objet d’une forme d’ostracisme. En mai dernier lors de l’eG8, le Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a ainsi refusé de débattre avec Lawrence Lessig, le père des licences Creative Commons. Mais ces tentatives d’oblitération sont vaines, car l’usage des licences Creative Commons progresse de façon impressionnante, comme le montre le schéma ci-dessous issu du livre : près de 500 millions d’oeuvres ont été placées par leurs auteurs sous CC depuis 2003. Même au pays de Beaumarchais (et d’Hadopi…), on ne peut plus passer sous silence un phénomène de cette ampleur.
Si The Power of Open revient sur certains des projets phare utilisant les Creative Commons (les célèbres conférences Ted Talks, le Creative Commons Repository de la chaîne Al Jazeera ou l’archive ouverte PLoS – Public Library of Science), il présente surtout l’intérêt d’offrir un panorama sur de nombreuses initiatives moins connues, mais toutes aussi remarquables et riches d’enseignements.
Ayant dévoré l’ouvrage d’un bout à l’autre, j’aimerais partager avec vous mes réflexions sur ces pouvoirs de l’ouverture et l’intérêt d’utiliser les licences Creative Commons, en vous proposant un premier billet aujourd’hui et un autre en début de semaine.
S’affranchir des coûts de transaction induits par le copyright
On nous répète à l’envi que le droit d’auteur est nécessaire pour encourager la création, mais on oublie souvent de parler des coûts très importants de transaction induits par l’approche « Tous droits réservés ». Tout usage d’une œuvre nécessitant en principe une autorisation préalable, ce sont autant de contrats à préparer et à faire signer, de cabinets d’avocat à payer et des recherches à entreprendre pour régler les questions de droits.
Dans certains cas, ces coûts de gestion juridique sont tout simplement insoutenables et ne permettraient pas à des projets de prospérer, notamment lorsqu’ils sont portés par de petites structures. C’est le cas pour Pratham Books, un éditeur associatif indien créant des livres pour enfants :
En tant que petit éditeur, nous n’avons pas la capacité de personnaliser les licences à chaque fois qu’une partie intéressée souhaite utiliser nos contenus. Les licences Creative Commons nous ont permis de conclure des accords avec de nombreux partenaires en nous libérant du poids des négociations juridiques et des pertes de temps et d’argent que nécessitent ces négociations […] Dans une petite organisation comme la nôtre, le temps est très important. Dans notre cas, les licences Creative Commons nous ont notamment aidés à gagner du temps, de l’argent et de l’énergie.
Ce poids des coûts de transaction, c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’ex-chanteur et bassiste du groupe Tears for Fears, Curt Smith, a choisi d’utiliser les licences Creative Commons pour diffuser les albums de sa carrière solo. Il raconte comment il était « inondé de demandes de réutilisation pour les chansons de Tears for Fear« , particulièrement chronophages, alors que les Creative Commons, en autorisant à l’avance les usages non commerciaux, lui permettent à présent de se concentrer sur la création. Les licences Creative Commons sont aussi l’occasion pour lui de se lancer dans des projets collaboratifs avec des personnes, rencontrées sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook (The Social Media Project).
La dessinatrice Nina Paley explique de son côté qu’elle a choisi de se tourner vers les licences libres, lorsqu’elle s’est rendue compte qu’il serait quasiment impossible de régler les questions de droits pour produire son premier film Sita Sings The Blues, depuis distribué gratuitement sous CC et devenu un grand succès. Idem pour Melinda Lee, ancienne responsable des affaires juridiques chez MTV, qui avait constaté que beaucoup d’opportunités étaient manquées parce que la chaîne n’arrivait pas à négocier les droits sur certains contenus. Elle décida alors de se lancer dans son propre projet, avec Uncensored Interview, un site pour lequel sont produits des entretiens avec des célébrités, dont elle a libéré une partie du contenu sous licence CC-BY afin qu’il puisse être réutilisé sans entrave par les fans, mais aussi par d’autres compagnies.
Les Creative Commons étant peu à peu devenu un véritable « standard juridique », ils évitent aussi aux porteurs de projets de devoir investir des sommes importantes pour mettre en place un cadre juridique en repartant à zéro. C’est ainsi que l’Open University a pu économiser des sommes importantes, pour le développement de sa plateforme de contenus pédagogiques ouverts, OpenLearn :
Nous avions au départ prévu un montant de 100 000£ de frais juridiques pour établir une licence viable pour Open Learn, mais cet argent nous avons pu économiser cet argent car nous avons adopté CC […] Utiliser une licence reconnue nous a aidés à impliquer les autres. Nous avons notamment pu expliquer les avantages des licences CC indépendantes et éviter de leur demander d’adopter une licence développée en interne.
Jouer la carte de la dissémination
Les Creative Commons sont en phase avec les usages d’internet, car ils autorisent la reproduction et la représentation des contenus, leur permettant de circuler sur la Toile là où le copyright classique tend à les « épingler » en un point.
Plusieurs projets présentés montrent que l’on peut tirer parti de la dissémination des contenus plutôt que de chercher à s’en protéger, notamment dans le domaine du journalisme en ligne.
Le site américain de journalisme citoyen Pro Publica (à rapprocher d’un OWNI ou d’un Agora Vox) a ainsi délibérément choisi de permettre la republication de ses contenus sur Internet, de manière à accroître sa visibilité et à favoriser la circulation de l’information. Les conditions d’utilisation du site proclament le mot d’ordre « Steal Our Stories ! Volez-nous nos histoires ! » et organisent grâce à une licence CC-BY-NC-ND une dissémination maîtrisée des contenus (Pas de modification, Pas d’usage commercial). Avec un certain succès puisque Pro Publica a été le premier site d’information pure player à recevoir le prix Pulitzer en 2010 pour ses enquêtes sur les conséquences du cyclone Katrina.
La chaîne qatarie Al Jazeera a choisi la même stratégie en plaçant ses reportages vidéo sous licence CC-BY dans son Creative Commons Repository. L’impact sur la visibilité des contenus est impressionnant, avec notamment une augmentation de la fréquentation de 723% après la mise en ligne des images de la Révolution égyptienne et de très nombreuses reprises sur des contenus extérieurs. Al Jazeera fait également des premiers fournisseurs de contenus pour le Youtube Video Editor, ce qui va faciliter le remix par les internautes de ses vidéos.
La plateforme Global Voices, spécialisée dans la reprise de billets de blogueurs locaux et de journalistes citoyens, utilise une autre facette des licences Creative Commons pour favoriser la dissémination de l’information : leur capacité à faciliter les traductions. Alors que la traduction est juridiquement considérée comme une adaptation des œuvres, interdite en principe, les billets postés sur Global Voices peuvent être traduits rapidement par l’équipe de bénévoles de la plateforme en une douzaine de langues, et bénéficier par là d’une audience accrue. Ce mode de fonctionnement a permis à Global Voices d’être à la pointe pour couvrir des évènements comme la révolution en Tunisie ou le tremblement de terre au Japon, avec des articles repris par des médias traditionnels comme le New York Times ou Reuter.
Excellent, je cours télécharger et lire le livre, merci !
Mais que faire contre tant de rejet de la part de notre pays ?!
psst, « à l’envi » et non pas « à l’envie » ;)
Merci pour ce crowdsourcing orthographique ;-)
Que faire ?
Utiliser soi-même les CC pour les contenus que l’on produit. Expliquer ce que c’est autour de soi et essayer de convaincre les organisations auxquelles on appartient de les adopter.
Ce serait déjà ça.
Bonne synthèse même si à mon sens la question de l’utilisation non-commerciale est une zone grise difficile à cerner, ouverte à des interprétations tout à fait discutables dans 80% des cas.
Pour le reste les licences CC n’ayant aucune valeur juridique en France il est un peu normal qu’on y trouve un intérêt secondaire (même su c’est injuste)
Je suis d’accord avec vous sur la difficulté de l’interprétation de la clause NC (non-commercial). Ce billet récent fait un très bon point sur cette question.
Par contre, il est inexact de dire que les Creative Commons n’ont « aucune valeur juridique en France ». Aucun juge français n’a pour l’instant rendu de décision sur la validité juridique des Creative Commons. Or seul un juge pourrait trancher définitivement cette question.
Mais des juges français ont déjà reconnu la valeur juridique d’autres licences libres, comme la GNU-GPL, soulevant des problème de compatibilités assez voisins.
C’est un travers classique que je constate souvent chez les non-juristes : confondre ce que l’on pense du droit et ce qu’il est (le droit objectif). Seul les juges sont habilités à dire ce qu’est le droit. Tout le reste n’est qu’opinion.
D’accord avec la précision. Je m’interroge sur la question du droit moral, acquis en France, et la situation où il faudrait arbitrer entre licence CC et droit moral en cas de litige (si un auteur refusait a posteriori un usage autorisé par la licence CC).
Bonjour et merci pour cet article qui ouvre des perspectives intéressantes.
J’ai une question sur ces creative commons et les données publiques : pensez-vous que ce statut est compatible avec la loi de 1978 sur la réutilisation des données publiques dont on parle beaucoup avec la fameuse mission Etalab créée pour mettre en ligne un portail de données publiques ? En effet, beaucoup de collectivités territoriales utilisent le copyright comme statut juridique : les CC sont-elles une réponse à l’impact de la loi de 1978 sur le statut juridique des données publiques sous copyright ? Serait-ce alors l’occasion de donner un niveau de jurisprudence aux CC en France ?
Merci d’avance
Anne Autissier