Portail Arago : le domaine public et les exceptions ne sont pas sur la photo ! [Pointes de S.I.Lex]

Pointes de S.I.Lex : refus, coups de gueule et réactions. (Par Wessex Archeology. CC-BY-NC-SA)

Un lecteur a récemment attiré mon attention sur les  mentions légales du portail Arago, qui comportent des dispositions difficilement recevables d’un point de vue juridique.

Arago est le portail de la photographie lancé par le Ministère de la Culture le 27 mars dernier et porté techniquement par la RMN (Réunion des Musées Nationaux). Il se présente sous la forme d’un Musée en ligne de la photographie, donnant accès à plus de 30 000 images provenant de diverses institutions culturelles françaises.

Certaines de ces images sont dans le domaine public (ici par exemple) et d’autres sont encore soumises à des droits d’auteur (voyez là). Néanmoins, les mentions légales du site soumettent l’ensemble de son contenu à un régime juridique restrictif, sans prendre en compte la nature juridique propre des éléments qui le composent :

Propriété intellectuelle

 La structure du Site, ainsi que l’ensemble de ses composantes, notamment les photographies, textes, images animées, graphismes, logiciels, bases de données, marques et autres signes distinctifs, sont protégés par la législation française sur la propriété intellectuelle.

 Toute reproduction, représentation, utilisation, mise à disposition ou modification du Site et/ou de ses composantes, en tout ou partie, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’accord préalable et écrit de la Rmn-Grand Palais, des titulaires et/ou auteurs et/ou ayants droit concernés.

 Aussi, l’utilisateur du Site ne peut, par quelque moyen ou procédé et à quelque titre que ce soit, y compris à des fins personnelles, notamment :

 – télécharger, copier ou retransmettre, sous quelque forme que ce soit, telle que la mise en réseau, ou par communication publique, tout ou partie du Site ;

(…)

 Pour toute utilisation autre que la simple consultation du Site à des fins personnelles, veuillez nous consulter à l’adresse électronique arago@rmngp.fr.

Il est donc impossible selon ces mentions de faire quoi que ce soit d’autre que de consulter ce site, même quand les photographies appartiennent manifestement au domaine public. Si une jurisprudence (très contestable du point de vue du critère de l’originalité) a déjà pu considérer que des photographies serviles de tableaux pouvaient être protégées par le droit d’auteur, on voit mal comment de simples copies numériques de photos pourraient être originales. Or toutes les photographies du domaine public figurant sur le portail Arago sont ainsi copyrightées.

Mais même pour les photos protégées par un droit d’auteur, le portail ne devrait pas pouvoir empêcher comme il le fait « toute reproduction (…) du Site et/ou de ses composantes, en tout ou partie, par quelque procédé que ce soit« . En effet, les internautes disposent toujours de la faculté de réaliser des copies privées des sites qu’ils consultent au gré de leur navigation, à condition qu’ils réalisent les reproductions avec un matériel qui leur appartient et les réservent à leur usage personnel.

Cette faculté a certes été restreinte avec la réforme du 20 décembre 2011 de la copie privée, puisque les copies privées ne peuvent être réalisées qu’à partir de « sources licites », mais il est incontestable que le portail Arago constitue bien une telle source licite pour tous les éléments dont il est composé (on l’espère en tout cas !).

Dès lors, peu importe que les photographies soient dans le domaine public ou protégées, les visiteurs devraient au minimum disposer de la faculté de réaliser des copies privées. Or de telles reproductions sont interdites par les mentions légales et elles sont même bloquées techniquement, puisque le clic droit est désactivé sur l’ensemble des photographies (mais l’impression écran reste bien entendu votre amie ;-).

On peut très sérieusement douter de la valeur juridique des copyright apposés sur les photographies du domaine public qui figurent sur le site Arago ; on peut aussi penser que les dispositions qui neutralisent la possibilité de faire des copies privées sont nulles d’effet.

On regrettera surtout que ce portail dédié à la photographie présente des conditions d’utilisation en tel décalage avec les pratiques numériques actuelles (mais par contre parfaitement en phase avec les positions fleuries des photographes professionnels en matière de propriété intellectuelle…).

PS : oui, la reproduction du bandeau du site Arago que j’ai utilisée pour illustrer ce billet contrevient bien à ses mentions légales.


18 réflexions sur “Portail Arago : le domaine public et les exceptions ne sont pas sur la photo ! [Pointes de S.I.Lex]

  1. J’ai peut-être du mal avec les implicites : tu expliques que l’utilisateur a le droit de faire une copie privée des éléments du site, puis tu enchaînes en disant qu’il est dommage que le site lui-même l’interdise (par mentions légales et techniquement).
    Mais dans ce cas, si les mentions légales ne sont pas légales, l’utilisateur a donc bien toujours le droit de faire de telles copies ?
    Donc si par exemple j’utilise l’extension Web developer Toolbar pour désactiver le JavaScript, et ainsi restaurer la possibilité de faire un clic droit sur chaque image pour l’enregistrer, je reste dans la légalité ?

    1. Oui, tu as raison : les CGU d’un site ne peuvent aller à l’encontre de la loi et cette interdiction de toutes formes de copie est très certainement dépourvue de valeur juridique. Les internautes conservent la faculté de faire des copies privées et merci pour nous indiquer cet outil !

    2. Il y a plus simple, avec Firefox : décocher « Options > Contenu > Activer JacaScript : Avancé > Désactiver ou remplacer les menus contextuels ».

  2. Un article auquel je peux souscrire de tout cœur ! Quelle idée de vouloir protéger des photographies dépourvues de toute originalité. Je suis partisan, comme vous le savez, du droit d’auteur (dans la mesure aussi où celui-ci n’expire que 70 ans après la mort de l’auteur en question), mais je suis partisan surtout du respect de la loi. Et vouloir unilatéralement changer la donne en étendant de manière arbitraire la notion d’originalité, n’en fait certainement pas partie.

    1. Merci !

      Je trouve également qu’abaisser à ce point le seuil d’originalité, pour protéger la mise en oeuvre de simples savoir-faire techniques, c’est tout simplement nier l’esprit même du droit d’auteur à la française, qui s’attache aux « oeuvres de l’esprit » et à la création.

      A quand le droit d’auteur sur les photocopies ?

        1. Oui effectivement, c’est aussi un cas de ce que l’on peut appeler le copyfraud (revendiquer des droits de manière illégitime sur un contenu).

          C’est une dérive que j’ai toujours dénoncée, quand les bibliothèques s’y livrent : https://scinfolex.wordpress.com/2009/06/05/bibliotheques-numeriques-et-mentions-legales-un-apercu-des-pratiques-en-france/

          Récemment cependant, on a commencé à voir une évolution dans les pratiques en France. Certains établissements tendent à ne plus revendiquer brutalement un droit d’auteur sur les scans (ce qui est dénué de valeur juridique à raison du défaut d’originalité), mais plutôt à se placer sur le terrain du droit des données publiques, en considérant que la numérisation fait naître des données, dont les établissements peuvent conditionner la réutilisation.

          Cependant, comme j’ai essayé de le prouver récemment, juridiquement, je pense que cela n’a pas plus de valider et qu’il n’est possible d’utiliser le droit des données publiques pour faire renaître une couche de droits sur le domaine public numérisé : https://scinfolex.wordpress.com/2012/05/03/pourquoi-la-culture-est-devenue-le-mouton-noir-de-lopen-data-en-france/

  3. C’est en gros ce que j’ai fait remarquer lors de la présentation d’Arago à l’Auditorium Colbert à l’INHA. Ce site qui se veut « participatif » est entièrement refermé sur lui-même : la seule possibilité d’interaction est… l’envoi d’un mail ! Pour obtenir l’autorisation des versants à diffuser leurs photos, la RMN a tout verrouillé. Lors de la présentation, les questions n’ont tourné qu’autour de cette question de droits. Une véritable obsession. J’ai dit mon étonnement de ne pas trouver la possibilité de commenter les photos, ni de bouton pour les tweeter ou les commenter sur Facebook. Les concepteurs se sont retranchés derrière le respect des droits d’auteur. Quand j’ai fait remarquer que Marville et Le Gray n’étaient plus sous droits, ils se sont retranchés derrière le droit, ô combien contestable, des institutions versantes… On ne peut qu’être frappé du décalage entre ce portail fermé à double tour et le très populaire site de l’INA, par exemple. Dans sa version actuelle, il ne peut aller qu’à l’échec, car il ne permet pas au public de se l’approprier (au sens non juridique du terme ^ ^).

    1. Merci pour ces éléments. J’avais en effet omis de parler des fonctionnalités de partage et de commentaires sur les réseaux sociaux.

      La photographie est l’un des secteurs où les questions de droits sont les plus sensibles et c’est vrai que cela conduit à « encapsuler » les photographies dans un portail « vitrine », coupées de tous les usages que permet le numérique.

      On aurait pu imaginer par exemple des vignettes exportables, qui auraient permis de disséminer les photos, tout en identifiant correctement la source et en aménageant un lien en retour.

      Il y a un peu de crowdsourcing sur Arago, avec l’outil Wikiconos de signalement des fonds photographiques conservés en France : http://www.photo-arago.fr/C.aspx?VP3=CMS3&VF=GPP_2 Mais c’est vraiment tout ce que l’on peut trouver d’innovant.

      On est très loin de ce qu’a réalisé la Library of Congress sur Flickr : http://www.flickr.com/photos/library_of_congress/

      Ces questions de droits, plus ou moins imaginaires, que les institutions inventent sur les contenus qu’elles diffusent constituent un véritable poison pour l’innovation et il devient urgent que le problème soit réglé pour aller de l’avant.

      Concernant votre dernière remarque, j’ai encore en tête une phrase du Rapport « Partager notre patrimoine culturel » : « À côté du socle historique, qu’il ne faut pas remettre en cause, de la diffusion effectuée par le Ministère et par les établissements, il s’agit de reconnaître que la contemplation des oeuvres peut prendre la forme de l’appropriation, de la transformation et de la circulation qui caractérisent les usages actuels de l’internet ; d’accepter que les réutilisations soient, sur les sites tiers, associées à des services n’ayant rien de culturel ;
      et dans les deux cas, de laisser la diffusion des oeuvres échapper en partie, mais non sans régulation, aux professionnels de la culture.
      « : http://bat8.inria.fr/~lang/pla-doc/2009_Partager-notre-patrimoine-culturel_rapport-Culture_complet.pdf

      L’esprit de ce rapport était remarquable et le portail Arago le renie complètement.

  4. Petite imprécision : le terme de copyright est inadapté ici, puisqu’il n’existe pas en droit français. ;-)

    Pour les mentions légales du site, autre incohérence :
    « – télécharger, copier ou retransmettre, sous quelque forme que ce soit, telle que la mise en réseau, ou par communication publique, tout ou partie du Site ; »
    Pourquoi pas, sauf que consulter le site implique justement de télécharger les pages localement, dans le cache du navigateur…

    1. Je parle de copyright, parce que c’est le symbole (c) qui apparaît sur les photos du site, mais vous avez raison, il vaudrait mieux parler de droit d’auteur.

      Pour la seconde remarque, effectivement, difficile de toutes manières d’échapper à la reproduction dans l’environnement numérique, ce qui fait de ces interdictions générales des tigres de papier.

  5. Leur politique restrictive est en contradiction avec ce qu’ils autorisent aux robots sur internet
    contenu de leur robots.txt
    User-agent: *
    Disallow:
    ce qui signifie selon wikipédia ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Robots.txt )
    Conseiller tous les robots d’accéder à tout le site
    D’ailleurs
    on peut le voir sur google image en sectionnant site:www.photo-arago.fr

  6. De la même façon, DiscMuseum.com (anciennement « Musigratis », qui a changé de nom lorsque le site est devenu… payant) propose des enregistrements de musique classique issus du domaine public. C’est un service qui, à l’heure actuelle, a malheureusement fort peu d’équivalents dans l’offre des services culturels publics.
    Pourtant, leurs CGU sont tout aussi édifiantes : « DiscMuseum vous permet d’utiliser ces Téléchargements uniquement à des fins personnelles et non commerciales, et non à des fins de redistribution, de transfert, de cession ou de sous-licence et dans les limites autorisées par la loi. […] Vous n’êtes autorisé à exporter, graver (le cas échéant) ou copier (le cas échéant) des Téléchargements qu’à des fins personnelles et non commerciales. […] Vous reconnaissez que toute autre utilisation des Téléchargements pourra constituer une contrefaçon d’un droit d’auteur. » Encore un cas de « copyfraud » ?

  7. � już sam sir Roger. W tej chwili zaczątek. Levi Najgorsza
    termin na rzecz straży, zmęczonych całonocnym czuwaniem.
    W tej chwili! Łozy skończyły się szybko, sir Roger wypełznął na łąkę.

    Sam w ciemnościach cze.

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