NumeLyo, la bibliothèque numérique de Lyon, et l’ombre portée du contrat de Google

NumeLyo, la bibliothèque numérique de Lyon a donc été lancée cette semaine, quatre ans après la signature d’un partenariat de numérisation avec le moteur de recherche Google.

Books and sunlight. Par quinn.anya. CC-BY-SA. Source : Flickr

Il faut se souvenir qu’à l’époque, l’annonce de ce partenariat avait suscité une vive polémique, à propos des conditions imposées par Google en contrepartie de la numérisation gratuite du fonds ancien des livres de la Bibliothèque municipale de Lyon, la seconde en volumétrie après la Bibliothèque nationale de France. Dans un article consacré au lancement de NumeLyo, Rue89 rappelle les arguments des détracteurs de ce projet :

À la signature du contrat, en juillet 2008, l’accord avait fait couler beaucoup d’encre. À l’époque, la doctrine française était dictée par la BNF de Jeanneney – auteur de « Quand Google défie l’Europe : plaidoyer pour un sursaut » – qui défendait exclusivement une alternative publique européenne. L’accord était taxé de « pacte faustien », d’« atteinte à l’exception culturelle française », voire d’ « eugénisme documentaire » .

À Lyon, l’élu écologiste Etienne Tête s’alarmait que « le patrimoine de la bibliothèque de Lyon devienne, de fait, la propriété de Google » tandis que le Modem Christophe Geourjon jugeait le marché « trop volumineux et insuffisamment évolutif », et la clause d’exclusivité « extravagante ».

Grâce à une action de Livres Hebdo devant la CADA, ce fameux contrat avait été révélé, ce qui permettait de se faire une idée assez précise des exclusivités réclamées par Google. J’avais à l’époque publiée une analyse intitulée : « Contrat Google/Bibliothèque de Lyon : l’ombre d’un doute…« , car il était difficile d’appréhender exactement l’effet de toutes les clauses de ce contrat sans voir la bibliothèque numérique mise en place par la Ville de Lyon pour diffuser les fichiers remis par Google.

C’est chose faite à présent, et l’on peut dire que l’impression que j’en retire est partagée. La Ville de Lyon a certainement obtenu des garanties qu’aucune autre bibliothèque partenaire de Google n’était parvenue à sécuriser (notamment à propos de l’exclusivité d’indexation). Mais de l’autre côté, des restrictions pèsent sur l’utilisation et la réutilisation des oeuvres du domaine public numérisées, qui sont comme « l’ombre portée » de ce contrat sur NumeLyo. C’est principalement l’effet de l’exclusivité commerciale de 25 ans consentie par la Ville, qui ne prendra fin qu’en… 2033 !

Plus grave encore, un certain nombre de ces restrictions ne sont pas la conséquence des exigences de Google, mais ont été apportées volontairement par la Bibliothèque de Lyon, qui rejoint la longue liste des établissements français portant atteinte à l’intégrité du domaine public, en se livrant à du copyfraud. On peut aussi estimer que la Ville de Lyon n’a certainement pas utilisé toute la marge de manoeuvre de négociation dont elle disposait, car plusieurs évènements importants sont survenus depuis 4 ans, qui auraient pu lui permettre en réalité, sinon d’échapper, au moins de revoir la portée des exclusivités.

Tout ceci au final laisse comme un goût amer. La leçon a en tirer, c’est que les personnes publiques sont en définitive tout aussi menaçantes que les firmes privées pour le domaine public et les biens communs de la connaissance. L’opposition entre un service public vertueux et une secteur marchand rapace s’est complètement brouillée.

La BM de Lyon, maîtresse des murs 

La première surprise concernant NumeLyo est de constater que cette bibliothèque numérique semble avoir été entièrement développée par la Ville de Lyon, par ses propres moyens, et hébergée par ses soins.

Le CCTP (Cahier des Clauses Techniques Particulières) du marché signé avec Google prévoyait pourtant que la mise en ligne des fichiers remis par Google pourrait se faire « dans le cadre d’une solution hébergée propre à la Ville de Lyon (hosted solution) » à savoir « un service distant via Internet que [Google] hébergera, à ses frais, sur ses serveurs » (art.20 p. 12).

On comprend l’économie pour la Ville, mais j’avais tiqué à l’époque, car le contrat prévoyait que  » les fonctionnalités, le design et le contenu de ce service restent entièrement sous le contrôle du titulaire. Par design du site, il faut entendre : l’ergonomie, la présentation, l’interface et les fonctionnalités techniques de la bibliothèque numérique propre à la ville qui sera hébergée par le titulaire ».

Google aurait donc disposé d’un fort pouvoir de contrôle sur la diffusion de ces fichiers, si la Bibliothèque de Lyon avait le choix de cette hosted solution. A la place, la BM a développé sa propre bibliothèque numérique, ce qui est plus long, plus complexe et plus coûteux, mais lui assure de rester « maîtresse des murs ». Cette faculté lui était ouverte par un autre article du CCTP :

La Ville de Lyon peut librement constituer avec les ouvrages imprimés numérisés par le titulaire, au fur et à mesure de la réalisation de la prestation, sa propre bibliothèque numérique et la rendre consultable par le public gratuitement, sur place ou via Internet.

numelyoL’autre avantage pour la Bibliothèque est de pouvoir conduire sa propre démarche de valorisation de ces contenus, par le biais de textes de présentation, de parcours dans les collections, de dossiers thématiques, et c’est ainsi la valeur ajoutée propre au bibliothécaire qui est sauvegardée. NumeLyo est également interfacée avec d’autres services emblématiques de la Bibliothèque, comme le fameux service de Questions/Réponses les Guichets du Savoir ou son site d’info Points d’Actu.

Cette solution permet aussi à la Bibliothèque de rassembler au sein de NumeLyo, à la fois les livres anciens numérisés par Google, mais également les fonds d’affiches, d’estampes, d’archives, de presse et d’autres documents qu’elle avait déjà mis en ligne par ses propres moyens. La diffusion du patrimoine a tout à gagner à pouvoir ainsi rapprocher et faire communiquer entre elles les différentes sources, alors que sur Google Books, on ne trouve que des livres et des revues.

Sur ce point donc, bravo à la BM de Lyon qui n’a pas cédé à la solution de facilité, mais qui a  su faire les investissements nécessaires pour sauvegarder son indépendance technique.

Pas d’exclusivité d’indexation : une première mondiale ?

Cette valeur propre de NumeLyo est encore renforcée par le fait que cette bibliothèque numérique échappe à l’exclusivité d’indexation que les autres partenaires de Google ont dû respecter. Les autres bibliothèques qui ont signé avec Google ont en effet dû accepter une clause qui les contraignait à empêcher les moteurs de recherche d’indexer leurs contenus. Dans les contrats signés avec l’Université du Michigan et à l’Université de Californie, elle est formulée ainsi :

« University shall implement technological measures (e.g. through use of the robots.txt protocol) to restrict automated access to any portion of the University Digital Copy or the portions of the University Website on wich any portion of the University Digital Copy is available. »

Cette exclusivité était cruciale pour Google, car elle lui garantissait que ses propres copies seraient avantagées par rapport à celles remises à la bibliothèque partenaire et par ailleurs, elle empêchait des moteurs de recherche concurrents comme Bing, Yahoo! ou Exalead de pouvoir indexer ces contenus.

Google semblait accorder une grande importance à cette restriction, car même lorsqu’il a accepté de réduire la durée de l’exclusivité commerciale pour certaines bibliothèques américaines, il a refusé de lever l’exclusivité d’indexation. Par ailleurs, il l’a imposée à toutes les grandes bibliothèques patrimoniales avec lesquelles il a signé en Europe, comme la Bibliothèque nationale d’Autriche ou la British Library.

Pourtant, comme je l’avais relevé à l’époque, le contrat lyonnais présentait la très grande originalité de ne pas comporter cette exclusivité d’indexation. A l’époque, je gardais cependant un doute, car si les fichiers avaient été diffusés dans le cadre d’une hosted solution, il me semblait que Google aurait gardé la possibilité d’empêcher l’indexation par les robots des moteurs de recherche.

Mais le test a été fait cette semaine et il apparaît que le contenu de NumeLyo est bien ouvert à l’indexation des moteurs de recherche, comme vous pouvez le constater sur la capture d’écran ci-dessous.

indexation

twitindex

C’est donc sans doute une première mondiale et la BM de Lyon est parvenue à lever une des restrictions les plus fortes exigées par Google en contrepartie de sa « générosité ». Ce n’est pas anodin, car l’exclusivité d’indexation est le dispositif qui permet à Google de renforcer sa position dominante par le biais de la numérisation, peut-être même plus encore qu’avec l’exclusivité commerciale.

Mais cela ne signifie pas pour autant que toutes les restrictions ont disparu et c’est au final le domaine public qui en est la principale victime sur NumeLyo.

L’ombre portée du contrat de Google sur le domaine public

Lorsque l’on clique sur les conditions d’utilisation du site, on se rend compte que des restrictions sont imposées à la réutilisation des fichiers :

1. Pour les œuvres tombées dans le domaine public

– L’usage à titre privé des reproductions numériques figurant dans Numelyo est libre et gratuit, notamment et l’impression et le téléchargement à l’unité.
– En cas de publication sur quelque support que ce soit (livres, revues, journaux, affiches cartes postales imprimés ou électroniques, objets divers, internet…), l’utilisateur est tenu d’indiquer clairement la provenance du document telle qu’elle figure sur le site de Numelyo, sous la forme Bibliothèque municipale de Lyon, cote du document et de prévenir la Bibliothèque municipale de Lyon de la publication.
– En cas d’usage commercial, l’utilisateur s’adressera à la Bibliothèque municipale de Lyon (numelyo@bm-lyon.fr).

L’usage commercial est soumis à une demande d’autorisation préalable (mais on ne sait pas explicitement s’il est soumis à redevance). Par ailleurs, en cas de simple publication d’un contenu, en ligne ou non, l’utilisateur est tenu de mentionner la source, mais aussi de prévenir la Bibliothèque (Quelle blague ! Bonjour Monsieur le Bibliothécaire, je vous signale que j’ai posté une de vos zolies images sur mon Skyblog. Ouarf !).

Il y a donc bien une restriction à l’usage commercial des fichiers qui est incompatible avec l’appartenance des oeuvres numérisées au domaine public. On peut ici penser qu’il s’agit de l’effet de l’exclusivité commerciale de 25 ans qui a été consentie par la Ville de Lyon, en échange de la numérisation gratuite effectuée par Google. La Bibliothèque sur ce point, même si elle le voulait, ne pourrait sans doute plus accorder un droit à la réutilisation commerciale des fichiers, comme vient de le faire la British Library pour ses manuscrits enluminés.

Par ailleurs, le contrat comportait également d’autres clauses limitant la réutilisation des fichiers :

La Ville de Lyon peut permettre le téléchargement gratuit des images numérisés d’un ouvrage à partir de sa propre bibliothèque numérique, en tout ou partie, à condition que ce soit à l’unité, pour un usage individuel.

Au vu des conditions d’utilisation de NumeLyo, la Bibliothèque va un peu plus loin, dans la mesure où elle permet la publication et même l’usage en ligne des fichiers, ce qui pouvait poser des problèmes de compatibilités avec la notion « d’usage personnel ».

Mais la restriction sur le téléchargement à l’unité est bien en vigueur de son côté. Techniquement, cela se manifeste par le fait que l’on doive s’identifier pour pouvoir télécharger des fichiers (ce qui permet sans doute de surveiller que des téléchargements importants ne sont pas effectués). Par ailleurs, comme il est confirmé par Gilles Eboli, l’actuel directeur de la BM de Lyon, Google ne permet pas le téléchargement du mode texte, son « trésor de guerre » dans cette opération. On relèvera aussi que NumeLyo ne comporte pas de fonctionnalités de lecteur exportable, relativement simples aujourd’hui à mettre en oeuvre, et c’est sans doute en lien avec les restrictions imposées par son contrat.

On voit donc bien que l’accord conclu avec Google projette une ombre sur cette bibliothèque numérique, avec pour effet de porter atteinte à l’intégrité du domaine public et d’imposer des restrictions d’usage à l’internaute.

Mais sur ces aspects, on ne peut pas tellement incriminer la Bibliothèque qui, une fois le contrat conclu, est bien obligée d’en respecter les conditions (quoi que, nous verrons plus loin !). Cependant, sur d’autres points, on va voir que c’est la bibliothèque qui est directement à l’origine de restrictions tout aussi fortes et là, c’est absolument inacceptable !

Emballage de copyfraud par des licences Creative Commons !

En effet comme je l’ai dit plus haut, NumeLyo ne contient pas uniquement les ouvrages numérisés par Google, mais aussi les documents de son fonds, numérisés par ses propres moyens au fil des années, et sur lesquels elle possède une maîtrise pleine et entière.

Or les conditions d’utilisation de ces fichiers sont tout aussi restrictives que celles imposées par Google. Lorsque l’on consulte par exemple une estampe numérisée, on constate qu’elle est placée sous licence Creative Commons CC-BY-NC-ND (Paternité – Pas d’utilisation commerciale – Pas de modifications).

ccnumelyo

Vous vous attendez peut-être à ce que je bondisse de joie en voyant une bibliothèque utiliser ces licences Creative Commons, que je défends par ailleurs. Mais ce n’est pas le cas ici. En effet, appliquer une licence Creative Commons sur une oeuvre du domaine public revient à refaire naître illégitimement une nouvelle couche de droits, entravant ici à la fois l’usage commercial et la production d’oeuvres dérivées. Cela signifie que non seulement il ne sera pas possible de publier cette estampe dans une revue ou dans un livre commercialisé, mais aussi qu’on ne pourra pas la retailler, en extraire un détail ou l’incorporer dans une nouvelle création.

On est donc bien là face à un copyfraud caractérisé, d’autant plus contestable qu’il revêt les atours des licences Creative Commons pour mieux se dissimuler ou « faire branché ». Si l’on y réfléchit bien, il y a deux choses assez incroyables dans la manière dont la Bibliothèque de Lyon se comporte vis-à-vis du domaine public.

La première est de se rendre compte qu’une personne publique, théoriquement au service de l’intérêt général, applique finalement exactement les mêmes restrictions que Google à l’usage du domaine public. Au moins Google peut-il revendiquer d’avoir investi 60 millions d’euros pour numériser ces fichiers. Mais la Ville de Lyon, qui au contraire vient de faire une économie monumentale de 60 millions d’euros, pourrait au moins permettre la libre réutilisation des fichiers qu’elle a produit elle-même, y compris pour les usages commerciaux (comme l’a fait la BNUS de Strasbourg par exemple).

La seconde surprise est que cet usage des Creative Commons « plaqués » sur du domaine public est complètement et grossièrement illégal, sans le moindre doute possible. En effet, la première condition pour pouvoir utiliser une licence Creative Commons est d’être titulaire du droit d’auteur sur l’oeuvre à laquelle on l’applique. Or il est bien évident qu’en numérisant une gravure de Dürer comme celle qui figure ci-dessous, la BM de Lyon n’est titulaire d’aucun droit d’auteur puisqu’elle n’a fait que la reproduire à l’identique. Faute d’originalité pouvant être revendiquée, la licence Creative Commons ne peut avoir aucun effet… Complete Bullshit !

L'Ascension. Par Dürer. Source : NumeLyo, Bibliothèque municipale de Lyon. Domaine public.
L’Ascension. Par Dürer. Source : NumeLyo, Bibliothèque municipale de Lyon. Domaine public.

Que les services juridiques de la seconde ville de France puissent commettre une telle bévue laisse songeur et on frémit à l’idée que ces mêmes personnes aient pu être en charge de l’examen du contrat avec Google ! Néanmoins, cet amateurisme n’a pas que des désavantages, car il signifie que les utilisateurs peuvent en réalité faire absolument ce qu’ils veulent de ces fichiers récupérés sur NumeLyo, sans que la Ville ne puisse s’y opposer.

Je ne saurais trop conseiller par exemple de prendre ces fichiers et d’aller les poster sur des sites qui respectent l’intégrité du domaine public et assurent sa sauvegarde, comme Wikimedia Commons ou Internet Archive. D’autres le font déjà pour « vider » Google Books et ils n’ont jamais été inquiétés.

Hacking Public Domain ! Quand les institutions bafouent le droit, il convient de faire ce qui est juste !

La BM de Lyon a-t-elle vraiment exploité toutes les marges de manoeuvre ?

Par ailleurs, on peut se demander si la Ville de Lyon a vraiment exploité toutes les marges de manœuvre à sa disposition pour limiter les exclusivités qui lui ont été imposées.

Sur Rue89, Gilles Eboli indique que Google semble disposé à ouvrir peu à peu les conditions du partenariat :

« Google n’est pas fermé à nos ambitions d’ouverture », assure le directeur de la bibliothèque de Lyon. « Dans le cadre des sommets Google, auquel nous participons avec la trentaine d’autres bibliothèques publiques sous contrat avec Google, nous observons que Google est à l’écoute des demandes visant à rendre possible le téléchargement en mode texte, et des partenariats. C’est un contrat mais ce n’est pas une porte fermée ; des discussions sont d’ores et déjà engagées » poursuit-il.

Fort bien, mais il aurait été d’agir plus tôt pour réduire, voire lever l’exclusivité commerciale au vu de ce qui s’est passé depuis 2008.

En effet, en 2010, l’Autorité de la Concurrence a rédigé un rapport à propos de Google, remis au Ministère de l’Economie, dans lequel elle examine si le moteur de recherche ne se trouve pas en situation d’abus de position dominante. Et à cette occasion, l’Autorité a estimé que l’exclusivité commerciale de 25 ans était clairement abusive. Sommé de se justifier, Google avait alors répondu quelque chose d’assez intéressant :

Si l’accord de partenariat conclu entre Google et la bibliothèque de Lyon comporte bien certaines clauses d’exclusivité, ces clauses n’ont cependant pas été introduites à la demande de Google. En tout état de cause, Google a clairement indiqué dans le courrier mentionné ci-dessus, son intention de ne pas mettre en œuvre ces clauses d’exclusivité.

Non seulement, c’est la Ville de Lyon et non Google qui est à l’origine de cette exclusivité (c’était une des conditions de l’appel d’offre qu’elle avait lancé), mais Google indique qu’il est prêt à renoncer à ces clauses…

Alors ! Qu’à cela ne tienne ! Google a déclaré qu’il renonçait à l’exclusivité commerciale devant l’Autorité de la Concurrence. Pourquoi ne pas le prendre au mot et lever toutes les restrictions à l’usage des fichiers ? Il faut croire que la Bibliothèque de Lyon n’en a guère envie et la politique qu’elle applique aux fichiers qu’elle a elle-même produits confirme de toutes façons qu’elle partage la même conception du domaine public que Google…

Pourtant, si la BM de Lyon ne se résout pas à lever l’exclusivité, cela pourrait bien un jour lui coûter cher, car de très forts soupçons d’illégalité pèsent sur ces clauses. C’est @BlankTextField qui avait démontré en premier que la loi du 17 juillet 1978 sur les informations publiques, à son article 14, empêche les administrations d’accorder des exclusivités à moins de pouvoir se prévaloir d’une « nécessité d’exercice du service public » manifestement absente ici (c’est même tout le contraire !).

Un recours est possible et il pourrait notamment être intenté par une entreprise à qui la bibliothèque refuserait une mise à disposition des fichiers pour une réutilisation commerciale. A bon entendeur !

Enclosures publiques et enclosures privées : que doit-on le plus redouter ? 

Quels enseignements tirer de cette mise en ligne de NumeLyo ? Il y a quatre ans, j’étais défavorable à ce partenariat avec Google, parce que je pensais qu’une solution publique pouvait être mise en place en France, qui préserverait le domaine public.

Depuis, j’ai constaté avec horreur que les personnes publiques et l’Etat sont tout aussi menaçants pour le domaine public que ne le sont les grandes firmes privées. En la matière, c’est bonnet blanc et blanc bonnet.

Pour NumeLyo, c’est d’autant plus regrettable que l’établissement avait réussi à échapper à l’exclusivité d’indexation, ce qui aurait pu constituer une grande victoire. Mais elle est pour moi « annulée » par la restriction d’usage commercial du domaine public, et plus encore par cet usage fautif des Creative Commons, assimilable à du copyfraud, pour lequel l’établissement est le seul à blâmer.

Pour autant, malgré tout ce que l’on peut reprocher à NumeLyo, cela ne fait que mieux ressortir encore les abus auxquels la Bibliothèque nationale de France s’apprête à se livrer de son côté. Car chez NumeLyo, les fichiers sont encore accessibles en ligne, dans leur intégralité et gratuitement. La BnF de son côté s’apprête à signer des partenariats public-privé avec des firmes pour commercialiser des corpus d’oeuvres du domaine public sous forme de bases de données. Les contenus ne seront pas accessibles en ligne, mais seulement aux abonnées des bibliothèques qui auront fait l’acquisition de ces ressources. Et pourtant, l’argent public des Investissements d’avenir sera mobilisé pour ces projets, alors que Google a été seul à numériser les fonds de la Bibliothèque de Lyon !

L’ironie de l’histoire est invraisemblable, car l’argent de l’Emprunt national avait été débloqué pour éviter à la BnF de signer avec Google, suite aux recommandations du rapport Tessier qui désapprouvait les termes de ces accords. Tout ça au final, pour faire pire, en faisant cracher le contribuable français ! Le fiasco est total et encore plus manifeste depuis l’ouverture de NumeLyo…

Les bibliothèques protègent le patrimoine, mais qui protège celui-ci des errances de l’action publique ?

La confiance est rompue et si l’on veut préserver le domaine public en tant que bien commun de la connaissance, il est nécessaire de couler dans la loi des gardes fous puissants pour éviter de tels dérapages.

La proposition de loi pour le domaine public en France que j’ai avancée comporte une section sur les partenariats public-privé visant à les encadrer et à empêcher qu’ils n’aboutissent à faire naître de nouvelles enclosures.

PS : tiens, j’ai oublié de commenter les propos de Bertrand Calenge qui juge que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes (sauf qu’Internet et tous ces gens qui y parlent, vraiment c’est pénible). Je vous laisse vous faire une opinion par vous-même…


38 réflexions sur “NumeLyo, la bibliothèque numérique de Lyon, et l’ombre portée du contrat de Google

  1. À noter que, comme d’habitude, les numérisations sont de si mauvaise qualité et de si basse définition qu’elles en sont inutilisables pour un travail sérieux. Et à noter aussi que l’interface de consultation des livres est encore plus mauvaise et inconfortable que celle de la BNF (oui, oui, c’est possible !). Il n’y a même pas de consultation en plein texte des documents en ligne, c’est tout dire…
    Donc ça ne commence pas bien, cela dit il est probable que ça s’améliorera au fil du temps. En tout cas l’interface de consultation, parce que la piètre numérisation des documents, ça, tant que personne ne fera remarquer que c’est antinomique avec la notion même de mise à disposition publique…

    1. Hum… « Comme d’habitude » est excessif. Comme trop souvent, et comme d’habitude en France est bien plus exact.

      1. En ce qui concerne la numérisation, je ne suis pas d’accord. La BML semble bénéficier de la numérisation des planches en couleur. J’ai trouvé un livre. A voir s’il y en a d’autres et si les derniers partenaires de Google Books en bénéficient également. La couleur est vraiment rare dans les bibnum généralistes que ça mérite d’être signalé. La numérisation est de qualité, c’est la résolution qui est volontairement, contractuellement baissée. Exemple :
        – image extraite de Google 2.5 Mo http://bit.ly/VAuUcO
        – Numelyo 600ko http://bit.ly/VAvnfk
        A vérifier avant de généraliser.

          1. Ou alors des contraintes de fluidité, de tests de montées en charge… lorsqu’il est possible de contacter la BM Lyon pour obtenir des images plus « exploitables » dans le cadre d’un travail sérieux.

            Les contraintes techniques de démarrage peuvent suffire à expliquer ce problème, si problème il y a. Rien que le problème de bande passante justifie l’usage d’images au format réduit. Tant qu’on ne connaît pas le nombre de connexions simultanées, c’est juste suicidaire de mettre des images énormes.

            B. Majour

            1. Pas du tout, c’est juste la crainte d’être « pillé », rien d’autre. Un peu comme si l’Ina diffusait ses vidéos avec une seule image par seconde.

          2. Si l’on veut hacker des images en haute résolution pour « aller les poster sur des sites qui respectent l’intégrité du domaine public », il faut zoomer pour les récupérer morceau par morceau puis les reconstituer à la manière d’un puzzle. Idem avec Gallica ou le Centre Pompidou Virtuel, par exemple.

  2. A noter que toutes vos remarques ne portent que sur les livres, une section qui ne reflète absolument pas l’ensemble de ce qui est mis à disposition dans Numelyo. C’est bien gentil de se focaliser uniquement sur « le contrat Google » mais ça devient presque malsain à la longue.
    Sinon, pour ce que vous déplorez : interface de consultation, qualité de numérisation, consultation du plein texte, cela n’a qu’une seule origine : les contraintes techniques et budgétaires. N’allez pas chercher des liens avec le contrat en lui même… Le plein texte est disponible, juste pas indexé parce que les licences des logiciels dédiés sont exhorbitantes et qu’il aurait fallu prévoir les budget en conséquence. Idem pour la qualité d’image, qui impacte directement la capacité de stockage, donc le budget. Pour l’interface, c’est un premier jet (vous savez bien que sur le net, tout évolue).
    L’art est difficile et la critique est aisée. Vous semblez tout ignorer de la somme de travail accomplie par l’ensemble des équipes qui ont travailler sur le projet. Vos réactions épidermiques, si elles n’avaient pas été anticipée et attendue, auraient de quoi vous flinguer le moral.
    Ce qui est triste, c’est que quelque soit la manière dont s’y serait prise la BML, vous vous seriez déchainés de la même manière, car, depuis la signature avec Google, même le pire dictateur semble être un agneau à côté de ces sinistres bibliothécaires lyonnais ayant sacrifié le patrimoine au grand capital.

    1. C’est faux en ce qui me concerne. J’explique très clairement que je considère comme un point positif le fait que NumeLyo rassemble à la fois les livres numérisés par Google et les autres types de documents que la BM de Lyon a numérisés par elle-même. Il est important à mes yeux de pouvoir valoriser conjointement les différents types de documents, ce que ne peut pas faire Google Books.

      Personnellement, je trouve l’interface plutôt réussie, notamment dans l’accompagnement éditorial des documents et des collections.

      Néanmoins, quelle que soit la somme de travail, cela n’absout pas des restrictions juridiques imposées qui aboutissent à démolir le domaine public. Et comme je l’ai dit, pour les documents nummérisés par la BM de Lyon elle-même, on ne peut incriminer en rien Google et son contrat, et c’est ça qui me choque profondément.

      Je n’ai pas l’impression de me déchaîner sur la BM de Lyon pour des raisons idéologiques. J’ai pointé les éléments que je juge positifs, notamment l’absence d’exclusivité d’indexation et l’ouverture aux moteurs de recherche.

      C’est juste vraiment dommage de ne pas être entré dans une démarche d’ouverture là où cela était possible.

      Mais peut-être n’est-ce pas complètement perdu, car il suffirait de changer les conditions d’utilisation pour cela.

      1. Bonjour Noël

        Ce qui est triste, c’est que quelque soit la manière dont s’y serait prise la BML, vous vous seriez déchaînés de la même manière

        Il y a toujours moyen de couper court aux remarques. Il suffit d’inviter la personne à venir voir l’offre de test avant l’ouverture officielle et d’écouter ce qu’elle dit.

        Surtout si on l’attend. ;-)

        Dans plusieurs domaines, il y a des bêta-testeurs.
        Pourquoi pas des biblio-testeurs extérieurs ?

        Extérieurs, car le nez dans le guidon, on ne voit plus ce qui va crever les yeux d’une personne extérieure au projet. (extérieure aussi pour des raisons de pressions hiérarchiques ou d’équipe)

        Quitte à ne pas satisfaire toutes les demandes.
        Chaque réponse est un choix. (choix qui peut être lié à d’autres contraintes, techniques ou budgétaires, etc/), mais un bibliothécaire averti en vaut deux, si ce n’est plus.

        Et au-delà du bon boulot accompli (si, si), je note quand même un sérieux progrès : à Lyon, on a évité de citer les textes de lois répressifs !

        Comme je m’en suis aperçu en répondant sur le blog de Bertrand Calenge.

        C’est un pas énorme, comme peut l’être l’ouverture de Numelyo pour le domaine public.
        Pas d’oeuvres exposées = pas de domaine public à disséminer.

        Bien cordialement
        B. Majour

    2. Il existe des logiciels libres (donc gratuits) pour l’indexation des textes (par exemple, Lucene).

      En ce qui concerne le stockage, à moins de vouloir stocker des milliards de photos ou de vidéos haute définition (ce qui n’est pas votre cas), franchement, ne coûte plus rien aujourd’hui. Wikimedia Commons arrive très bien à générer une médiathèque possédant actuellement plus de 15 millions de fichiers, en croissance constante, alors qu’ils n’ont pas un budget faramineux.

      Pour la bande passante des images, il suffisait de faire comme Wikimedia Commons (encore eux), Flickr ou n’importe quel autre site d’hébergement photos, et proposer plusieurs résolutions. L’écrasante majorité des gens se contentent de visionner la version basse définition proposée par défaut, et seule une minorité voudront la version d’origine, plus lourde.

      Personnellement, je n’y vois donc que de la mauvaise foi, et je pense sincèrement que toutes ces contraintes, sans parler du mauvais choix de licence, ne servent qu’à empêcher vos utilisateurs de se réapproprier le contenu, ou de le republier ailleurs.

  3. Je réagis à votre phrase ci dessous citée : En effet, appliquer une licence Creative Commons sur une oeuvre du domaine public revient à refaire naître illégitimement une nouvelle couche de droits, entravant ici à la fois l’usage commercial et la production d’oeuvres dérivées. Cela signifie que non seulement il ne sera pas possible de publier cette estampe dans une revue ou dans un livre commercialisé, mais aussi qu’on ne pourra pas la retailler, en extraire un détail ou l’incorporer dans une nouvelle création.
    Mais c’est bien ce que font les services d’archives. En effet, nous ne pouvons pas accepter d’être pillés sans vergogne, sans être cités, ni que des documents soient falsifiés, modifiés. Quant à l’impossibilité de télécharger ou plus souvent la basse définition volontaire des archives mises en ligne, c’est exprès là aussi. Des milliers de gens autrement nous pilleraient sans demander la licence de réutilisation que nous proposons. Nous demandons juste qu’on cite la source, qu’on donne la cote d’archives. Nous signons des milliers de licences gratuites dès lors que la réutilisation n’est pas commerciale.

    1. La problématique est sensiblement différente pour les documents d’archives au sens propre du terme (état civil, etc), qui ne sont pas des « oeuvres » au sens du Code de Propriété Intellectuelle et relèvent de la loi sur les informations publiques.

      Néanmoins, les services d’archives diffusent aussi en ligne beaucoup de documents qui sont des oeuvres appartenant au domaine public (estampes, presse, affiches, ouvrages, etc). Dans ce cas, elles sont exactement dans la même situation que les bibliothèques et leurs pratiques sont souvent encore plus fermées. j’avais produit une analyse détaillée ici en 2010 : https://scinfolex.wordpress.com/2010/01/26/archives-en-ligne-une-etude-des-conditions-de-reutilisation/

      Je suis effaré de voir à quel point la notion de domaine public est inconnue des professionnels du patrimoine, face à un sentiment de « propriété » sur les contenus qui est illusoire. Ni les services d’archives, ni les bibliothèques ne sont propriétaires des oeuvres, au sens de création de l’esprit, que les documents qu’elles conservent incorporent. Elles ont une propriété sur les supports physiques, mais pas sur les oeuvres.

      Quand ces oeuvres appartiennent au domaine public, elles doivent pouvoir être reproduites, diffusées et adaptées librement, sans autorisation préalable, ni paiement, y compris pour un usage commercial, sinon la notion de domaine public n’a plus de sens.

      L’idée que les instituions seraient « pillées » résulte d’une confusion entre la propriété des supports physiques et la propriété des oeuvres, ce qui n’a rien à voir. Un service d’archive serait pillé si on venait dévaliser ses magasins pour emporter les cartons ; mais ce raisonnement n’est pas applicable pour une bibliothèque numérique.

      Si c’est la question de la mention de la source qui importe, on peut l’imposer juridiquement sans se livrer à du copyfraud et sans réinstaurer une autorisation préalable qui détruit le domaine public. La Licence Ouverte d’Etalab permet cela et vous pouvez la voir appliquée par la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg, par exemple :http://www.bnu.fr/collections/la-bibliotheque-numerique/les-images-de-la-bnu-et-la-licence-ouverte

      Par ailleurs, faire une obligation juridique du respect de la mention de source n’est peut pas la meilleure façon d’en garantir le respect. Je vous renvoie cette fois à l’exemple de la British Library qui a choisi récemment de diffuser ses manuscrits enluminés sous Public Domain Mark https://scinfolex.wordpress.com/2012/12/01/la-british-library-adopte-la-public-domain-mark-pour-ses-manuscrits-enlumines/

      La BL recommande toute une série de bonnes pratiques à ses usagers, avec notamment le respect de la mention de source, mais elle n’en fait pas une obligation juridique.

      La même démarche a été également adoptée par la Bibliothèque royale des Pays-Bas pour la diffusion de livres anciens : http://www.kb.nl/banners-apis-en-meer/dataservices-apis/early-dutch-books-online

      Bref, on commence à voir se dessiner nettement une césure entre ceux qui restent dans une « culture du contrôle » et ceux qui s’engage dans une démarche de respect du domaine public, pour entrer dans une logique de réutilisation.

  4. Une question plus juridique m’a traversé l’esprit à la lecture de cet article :

    L’entrée d’une œuvre et le respect du domaine public sont bien d’ordre public, n’est-ce pas ? C’est-à-dire qu’une clause limitant l’utilisation d’œuvres « tombées » dans le domaine public n’a pas de valeur ? N’est opposable à personne ? Donc que ce soit par l’apposition d’un « © » ou de la mention « CC », dans les deux cas, il ne peut y avoir de « privatisation » du bien? L’œuvre est réutilisable, copiable, que ce soit pour une utilisation privée ou commerciale, n’est-ce pas ?

    Donc outre l’erreur que cela peut engendrer pour un usager et l’illégalité dans laquelle se met un organisme public, je trouve la philosophie sous-jacente dommageable : une œuvre qui est dans le domaine public appartient à tout le monde. Si la BM de Lyon (ou n’importe qui d’autre) détient une copie d’une oeuvre (ou même l’originale de l’œuvre), elle ne lui appartient pas. Et il ne peut y avoir de « pillage » puisque l’œuvre n’appartient à personne en propre. Mieux, le domaine public lui-même est fait pour permettre une ouverture et une disponibilité la plus grande au plus grand nombre.

    1. Bonjour,

      Vous avez raison en ce qui concerne l’apposition brutale du copyright ou cette forme d’usage détourné des Creative Commons. Ce ne sont pas des pratiques valables au regard de la loi, qui l’emportent sur les simples contrats.

      Mais si l’on considère la situation au-delà du cas de NumeLyo, les choses sont plus complexes, car d’autres établissements utilisent des restrictions s’appuyant sur d’autres fondements, comme le droit des bases de données, le droit de la réutilisation des informations publiques ou le droit de la domanialité publiques pour conditionner et limiter l’usage des oeuvres du domaine public numérisées.

      Comme ces restrictions trouvent aussi leur fondement dans des lois, on se trouve en présence d’un conflit de normes de valeur équivalente et en l’état de la jurisprudence, il n’y a pas de réponse claire.

      c’est la raison pour laquelle j’ai fait la proposition d’une loi pour le domaine public en France, afin de clarifier cette question et d’empêcher explicitement que des restrictions à l’usage du domaine public soient apportées en utilisant des dispositions tirées d’autres terrains juridiques que le droit d’auteur : https://scinfolex.wordpress.com/2012/10/27/i-have-a-dream-une-loi-pour-le-domaine-public-en-france/

  5. D’accord. Merci pour ces précisions (et cet article que j’avais raté, grave erreur de ma part !). Donc, à moins d’une réelle loi qui clarifierai les choses (votre proposition est en cela une excellente idée et bravo pour le travail), j’en déduis qu’aujourd’hui pour savoir si une clause est applicable ou pas, il faut connaître le droit d’auteur et les droits annexes sur le bout des doigts pour savoir lesquels s’appliquent. Et encore, en cas de conflit entre deux lois, il faudrait que le juge éclaircisse les choses…

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