Données personnelles et Communs : une cartographie des thèses en présence

A la fin du mois dernier, j’ai écrit un billet intitulé «Evgeny Morozov et le domaine public des données personnelles», qui m’a valu un certain nombre de retours, notamment de la part de personnes découvrant ce type de thèses s’efforçant de rompre avec l’approche individualiste ou « personnaliste » qui sous-tend le droit actuel de la protection des données personnelles pour essayer d’en penser la dimension collective. En réalité, ces thèses sont multiples et on peut, à mon sens, les répartir en quatre grandes familles, comme j’ai essayé de le représenter sur la carte mentale ci-dessous (cliquer sur l’image pour la consulter).

Ces quatre grands groupes de thèses sont les suivantes (certaines font un lien direct entre les données personnelles et les Communs, tandis que d’autres établissement un lien seulement indirect) :

  • Les thèses libristes (Lien indirect) :  Les données personnelles ne sont pas directement des biens communs, mais il faut développer des Communs numériques (notamment des logiciels libres) pour reprendre la main sur leur contrôle. Par ailleurs, il faut revenir à une architecture décentralisée du web et promouvoir une économie servicielle si on veut préserver Internet comme un bien commun, éviter l’exploitation massive des données et limiter l’emprise de la surveillance étatique.
  • Les thèses « collectivistes » (Lien indirect) : Les données personnelles ne sont pas directement des biens communs, mais il faut permettre aux individus de les « mettre en communs » et de les partager de manière sécurisée ou instaurer des moyens d’action collective pour mieux défendre les droits individuels (action collective en justice, syndicalisme spécifique, etc.).
  • Les thèses « commonistes » (Lien direct) : Il faut changer le statut légal des données personnelles pour consacrer leur dimension collective et la reconnaître en tant que telle comme un bien commun (par exemple, en conférant un statut de bien commun au « graphe social » ou au « réseau des données liées »). Cela permettra notamment de repenser la gouvernance des données personnelles sous la forme d’un « faisceau de droits ».
  • Les thèses « publicistes » (Lien direct) :  Il faut changer le statut juridique des données personnelles et leur reconnaître la nature d’un « bien public ». Cela permettra aux États de peser à nouveau face aux grandes plateformes numériques et notamment de les soumettre à des nouvelles formes de taxation ou de créer des structures publiques qui amélioreront le contrôle collectif sur ces données.

Pour chacune de ces quatre thèses, j’ai essayé de faire des sous-distinctions et donner des exemples concrets, avec au bout de chacune des branches de la carte des liens hypertexte vers les sources pour aller plus loin.

Je ne prétends pas que cette typologie soit parfaite, mais elle m’a permis à titre personnel d’y voir plus clair parmi les nuances qui existent entre ces différentes positions. On note que certains auteurs peuvent se retrouver simultanément dans plusieurs quadrants de la carte, preuve que ces thèses peuvent s’avérer compatibles entre elles ou complémentaires.

A titre personnel, je dirais que je me situe plutôt dans la famille « commoniste », comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer à plusieurs reprises sur ce blog (voir ici, ou ).

N’hésitez pas à indiquer en commentaire si vous voyez d’autres exemples qui pourraient être intégrés à cette carte ou si vous pensez que cette typologie peut être améliorée d’une manière ou d’une autre.

 


8 réflexions sur “Données personnelles et Communs : une cartographie des thèses en présence

  1. En tant que « bien commun », il me semble qu’il faudrait intégrer à la réflexion le concept de ‘commodity’, avec sa dimension d’usage universel du bien.

    La difficulté que je vois dans le changement de statut des données personnelles en bien commun est que l’usage de ces données n’est pas universel, mais massivement inégal dans l’économie de marché , où les vendeurs de biens ou de services y gagnent une évidente disparité d’information dans une négociation avec leurs prospects.

  2. Bravo pour ce travail d’éclairage !
    Amha, les thèses collectivistes et publicistes conduisent tout droit à une sorte de commerce triangulaire des données personnelles entre les Etats et les géants du net. L’idée (généreuse à la base) d’un revenu de base en échange de leur exploitation me paraît une fausse bonne idée car cela ne ferait qu entériner une forme d’esclavage. Les thèses libristes et commonistes contiennent quelques éléments pour s’en sortir. Néanmoins, aucune de ces deux thèses, pour le moment, n’a vraiment fait le lien entre les données personnelles et la question de la monnaie qui est le nerf de cette guerre comme des autres. Une piste est de travailler sur des « réseaux légitimes » de création et d’échange monétaire.

    Voici quelques liens en ce sens :

    VIDEOS

    Symétrie des réseaux et Neutralité du Net

    Monnaie Libre Ğ1

    PRESSE

    Le Monde du 23 février 2017
    « L »illusion tragique de la fin du travail »

    Version longue : « La fin du travail, le début d’une illusion »
    Voir sur Medium.com

    TEXTES THEORIQUES

    Refounding legitimacy towards Aethogenesis
    https://arxiv.org/abs/1711.01214
    Français : https://medium.com/@olivierauber/refonder-la-l%C3%A9gitimit%C3%A9-25d6443e4a1b

    Search for Terrestrial Intelligence
    https://arxiv.org/abs/1708.06203
    Français : https://medium.com/@olivierauber/search-for-terrestrial-intelligence-94c4d5ff0bf0

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