La malédiction du Petit Prince ou le domaine public un jour dissous dans le droit des marques ?

La semaine dernière, le site Actualitté nous a appris qu’Olivier d’Agay, directeur de la succession Saint-Exupéry, cherchera à faire en sorte que les personnages du « Petit Prince » restent protégés par la propriété intellectuelle, malgré l’entrée dans le domaine public du roman prévue en 2015 (dans certains pays, comme on le verra plus bas). Ces déclarations rappellent celles de Nick Rodwell l’an dernier, qui expliquait rechercher un moyen d’empêcher Les aventures de Tintin d’entrer dans le domaine public en 2054. Ici visiblement, c’est par le biais du droit des marques que les descendants de Saint-Exupéry vont essayer de prolonger leurs droits exclusifs au-delà du terme fixé par la loi, afin notamment de contrôler et monnayer les adaptations et autres produits dérivés.

Petit prince
The B-612 Asteroid at the French theme park in Hakone. Par Arnaud Malon. CC-BY. Source : Wikimedia Commons.

Avec « Le Petit Prince », on touche comme pour Tintin à une oeuvre majeure du XXème siècle : il s’agit même de l’ouvrage de littérature le plus vendu et le plus traduit au Monde après la Bible. Les enjeux financiers sont considérables, mais ils ne doivent pas masquer l’enjeu culturel que représente l’entrée dans le domaine public d’une oeuvre aussi marquante pour l’imaginaire collectif. Or les personnages principaux du roman – le Prince, la Rose, le Renard ou même la planète aux baobabs – ont été déposés comme marques de commerce, comme peuvent l’être le clown Ronald McDonald, Monsieur Propre ou Captain Igloo… A vrai dire, c’est déjà un usage courant d’enregistrer comme marque des personnages de fiction (c’est le cas par exemple de nombreux héros de BD) pour en faire des franchises. Mais la nouveauté, c’est que le droit des marques est de plus en plus envisagé par les titulaires de droits comme un moyen détourné de prolonger le monopole dont ils bénéficient au-delà de l’entrée de l’oeuvre dans le domaine public.

Cette tactique constitue une menace redoutable pour le domaine public, qui pourrait finir par se « dissoudre » dans le droit des marques si elle était généralisée. Or le cas du Petit Prince n’est pas isolé. D’autres personnages emblématiques appartenant théoriquement au domaine public font déjà l’objet de tentatives pour les « verrouiller » par le droit des marques : Popeye, Tarzan, Zorro ou encore récemment Sherlock Holmes.

Il faut prendre au sérieux ce danger pour que cette « Malédiction du Petit Prince » ne devienne une nouvelle pathologie juridique affectant un domaine public déjà bien affaibli…

Ronald Mc Donald et le Petit Prince : même combat ? (HEARTACHE 2005. Par Christopher Dombres. CC-BY. Source : Flickr)

Le droit des marques et le fantasme de la propriété perpétuelle

Le droit d’auteur et le droit des marques constituent deux branches de ce que l’on appelle la « propriété intellectuelle ». L’un est fait pour protéger les oeuvres de l’esprit ; l’autre relève de la « propriété industrielle » et permet normalement à des acteurs économiques de de « distinguer les produits ou services qu’il distribue des produits ou services identiques ou similaires de leurs concurrents » par le biais d’un signe sur lequel leur est reconnu un monopole d’exploitation. Une des différences fondamentales entre ces deux régimes réside dans la durée de protection : par définition, le droit d’auteur est limité dans le temps, en principe 70 ans après la mort du créateur ; une marque déposée reste valide pendant 10 ans seulement, mais elle peut être renouvelée et potentiellement ne jamais s’éteindre tant que cette formalité est correctement accomplie.

C’est là qu’existe un risque d’instrumentalisation du droit des marques pour « neutraliser » le domaine public et empêcher que l’oeuvre puisse être librement utilisée par tous une fois la durée légale de protection écoulée. C’est ce qu’explique très bien Emmanuel Pierrat dans ce billet sur son blog LivresHebdo :

[…] le dépôt du personnage en tant que marque est possible, si l’auteur y a consenti par contrat […] Cette technique se révèle avantageuse dans les cas où le personnage risque de tomber dans le domaine public. Le droit des marques possède en effet l’immense intérêt d’assurer une protection éternelle, sans risque de domaine public, si les dépôts sont renouvelés en temps et en heure.

Prolonger la marque indéfiniment sur un personnage est un moyen de réaliser pour les titulaires de droits le vieux fantasme d’une propriété intellectuelle perpétuelle, qui existe depuis l’Ancien Régime. Or cela revient à remettre en cause le contrat social fondamental sous-tendant le droit d’auteur depuis la Révolution française, qui veut que les auteurs se voient reconnaître une protection, mais limitée dans le temps afin que les oeuvres puissent retourner au public et alimenter à leur tour le cycle de la création. Rendre le monopole sur les oeuvres éternel, c’est rompre le pacte qui unit les créateurs à la société.

Une nouvelle forme de copyfraud ? Pas sûr ! 

On pourrait penser que cet usage du droit des marques est irrégulier en droit et qu’il s’apparente donc à une forme de copyfraud, à savoir une revendication abusive de droits sur un élément du domaine public. Ce n’est à vrai dire pas certain, car il existe un flou juridique sur la question.

Le fait en soi d’enregistrer un personnage figurant dans une oeuvre de l’esprit comme marque pourrait déjà paraître contestable, mais il a déjà été reconnu en France par la jurisprudence comme le rappelle également Emmanuel Pierrat :

Le Tribunal de grande instance de la Seine a ainsi été convaincu du caractère protégeable du nom de Chéri-Bibi, le 2 mars 1959. 1977 fut une année faste et éclectique pour la reconnaissance du droit sur les personnages : Tarzan a été validé par le Tribunal de grande instance de Paris, le 21 janvier, tandis que Poil de carotte triomphait devant la Cour d’appel de Paris, le 23 novembre suivant. Même Alexandra – compagne de SAS – a bénéficié d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris, le 18 décembre 1990.

La semaine dernière, le TGI de Paris a d’ailleurs tranché un litige entre les ayants droit de Saint-Exupéry portant en partie sur les marques déposées sur le Petit Prince, dont la validité n’a pas été contestée.

Tarzan, un de ces héros qui a du mal à entrer dans le domaine public à cause du droit des marques.

Mais ici ce qui a été reconnu, c’est la possibilité de déposer une marque sur un personnage durant la période de protection de l’oeuvre par le droit d’auteur. Cette marque reste-t-elle par contre valide lorsque l’oeuvre entre dans le domaine public ? C’est la question fondamentale que pose la « Malédiction du Petit Prince » et à ma connaissance, elle n’a pas encore été tranchée.

Aux États-Unis cependant, on commence à voir des procès intentés pour contester la validité de marques déposées sur des personnages issus d’oeuvres du domaine public. C’est le cas à présent à propos de Zorro, sur lequel une certaine Zorro Productions Inc. prétend détenir une marque, alors que l’oeuvre d’origine appartient  au domaine public. L’auteur d’une comédie musicale basée sur l’univers de Zorro conteste la validité de cette marque devant la justice américaine, en faisant valoir que « la Zorro Productions Inc a construit un empire de licences sur de la fumée et des miroirs ». L’Edgard Rice Burroughs Inc. a également déjà utilisé la marque « Tarzan » pour maintenir son contrôle sur le personnage, en l’opposant en justice à des personnes cherchant à réutiliser l’image du Seigneur de la Jungle.

Plus récemment, c’est le cas de Sherlock Holmes qui a également soulevé la question de l’articulation entre le droit d’auteur et le droit des marques. A l’occasion d’un procès très important aux États-Unis, un tribunal a considéré en décembre dernier que le personnage de Sherlock Holmes appartenait au domaine public, bien que quelques romans écrits par Conan Doyle soient encore protégés par le droit d’auteur. Cette décision a été considérée comme une victoire pour le domaine public, mais immédiatement le Conan Doyle Estate a déposé une série de marques portant sur le nom de Sherlock Holmes et sa silhouette, afin de récupérer le contrôle sur le personnage par un autre biais que le copyright.

L’ombre du droit des marques qui plane toujours sur Sherlock Holmes malgré la reconnaissance de son appartenance au domaine public par la justice.

Il semble pourtant que la Cour suprême des États-Unis se soit déjà prononcée à propos des rapports entre le droit des marques et le  copyright, dans une décision rendue en 2003 (Dastar Corp. v. Twentieth Century Fox Film Corp.). A cette occasion, la Cour avait estimé que l’usage du droit des marques ne pouvait pas avoir pour effet d’empêcher l’usage d’une oeuvre entrée dans le domaine public et le juge Antonin Scalia écrivait qu’il ne fallait pas que le droit des marques soit utilisé pour créer un « copyright mutant » d’une durée illimitée. Néanmoins, si des procès persistent aux États-Unis à propos de Zorro ou d’autres personnages, j’imagine que les choses ne sont pas si simples et que le domaine public n’a pas été complètement « immunisé » contre le droit des marques par cette décision.

Immuniser le domaine public contre le droit des marques ?

Avec cette « Malédiction du Petit Prince », on se retrouve en fait dans une situation assez classique de fragilisation du domaine public par le biais d’un droit connexe, qui va permettre de recréer une nouvelle couche de droits alors que l’oeuvre est censée ne plus être protégée par le droit d’auteur. Le droit des marques et le droit d’auteur ont tous les deux la même valeur dans la hiérarchie des normes, vu qu’ils sont prévus par la loi. Doit-on faire prévaloir l’un sur l’autre ? Est-ce la marque peut recouvrir le domaine public ou est-ce que le domaine public devrait au contraire neutraliser l’application d’une marque ? C’est une question épineuse auquel un juge pourrait sans doute répondre. Mais en France en tous cas, cette réponse n’existe pas encore… (Mise à jour : un lecteur me cite en commentaire cette jurisprudence de 2011 rendue à propos des Pieds Nickelés, qui est encourageante).

Protéger le domaine public contre l’appétit du droit des marques ? Par Christopher Dombres. CC-BY. Source : Flickr)

Cette situation existe pour d’autres types de droits connexes comme le droit des bases de données, le droit des données publiques ou la domanialité publique, qui peuvent être instrumentalisés à l’heure actuelle pour neutraliser le domaine public. Dans les propositions que j’avais faites en 2012 pour modifier la loi en faveur du domaine public, j’avais émis l’idée qu’il fallait explicitement prévoir dans la loi qu’on ne pouvait pas porter atteinte à l’intégrité du domaine public sur la base d’un droit connexe. Cette idée s’est retrouvée ensuite dans le rapport Lescure, ainsi que dans la proposition de loi en faveur du domaine public déposée par la députée Isabelle Attard. Mais il semble à présent urgent d’ajouter dans ces propositions des dispositions pour protéger selon la même méthode le domaine public d’une possible réappropriation par le droit des marques. Les marques sur les personnages pourraient à la rigueur rester valides durant la période de protection du droit d’auteur, mais elles s’éteindraient ensuite à l’entrée de l’oeuvre dans le domaine public.

« Le Petit Prince », une oeuvre écartelée… 

Même sans parler du problème du droit des marques, « le Petit Prince » restera tout de même une oeuvre écartelée, dont l’appartenance au domaine public est très problématique. Si l’on en croit les propos d’Olivier d’Agay rapportés par Actualitté, l’oeuvre de Saint-Exupéry devrait entrer dans le domaine public en 2015, mais la réalité est beaucoup plus complexe.

En effet, Saint-Exupéry a disparu en 1944 dans des circonstances mystérieuses au cours d’une mission de reconnaissance et il a été déclaré « Mort pour la France ». Cela le fait tomber, comme Guillaume Apollinaire, dans un cas très spécial , où la durée des droits va être complexe à calculer, du fait du byzantinisme de la loi française en la matière. En raison de l’articulation avec la directive européenne qui a prolongé les droits de 50 à 70 ans après la mort de l’auteur, il faudra ici prendre l’ancienne durée de protection (50 ans), y ajouter le bonus des morts pour la France (30 ans) et la durée des prorogations de guerre pour la Deuxième Guerre mondiale (8 ans et 122 jours). On aboutit donc au résultat que le Petit Prince ne sera pas dans le domaine public avant 2032… (merci @Thelonious_Moon pour ce calcul savant !).

Gourmette de Saint-Exupéry, retrouvée en 1998. Photo par Fredriga. Domaine public. Source : Wikimedia Commons.

Mais cela ne vaut que pour la France ! Pour les autres pays du monde, qui en restent à une durée stricte de 70 ans après la mort, l’oeuvre de Saint-Exupéry rentrera bien dans le domaine public au 1er janvier 2015 (1944+70+1). Et dans les pays où cette durée est plus courte, notamment au Canada ou au Japon où la durée de protection est seulement de 50 ans après la mort, le Petit Prince est déjà dans le domaine public depuis 1995 !

On aboutit donc à une oeuvre complètement écartelée, déjà libre dans certains pays, bientôt dans d’autres et seulement dans longtemps en France… sans compter évidemment les éventuelles surcouches qui ont été ajoutées avec le droit des marques par les héritiers de Saint-Exupéry.

Cette situation pathologique est le reflet de la fragilité intrinsèque du domaine public dont on ne sortira que par sa consécration positive dans la loi.

 


26 réflexions sur “La malédiction du Petit Prince ou le domaine public un jour dissous dans le droit des marques ?

  1. Le contournement du droit d’auteur par le droit des marques a été récemment sanctionné par le TGI de Paris pour des personnages de BD.
    Il s’agissait des Pieds Nickelés, un éditeur ayant cherché à déposer comme marque verbale le titre de l’œuvre, ce qui aurait empêché toute autre personne de l’utiliser pour de nouvelles œuvres comportant les mêmes personnages, pourtant tombés dans le domaine public.
    Références du jugement : TGI Paris, 3ème Ch., 2ème Sect., 1er juillet 2011

    1. Merci pour cette référence très intéressante ! Dans ce jugement, le TGI déclare bien frauduleux le dépôt de marque reprenant le titre d’une oeuvre du domaine public : http://www.actuabd.com/Delcourt-et-Glenat-se-disputent-l

      « Or, le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans un jugement obtenu le 1er juillet 2011, déboute le Groupe Ventillard de ses demandes :
      – Il confirme que Les Pieds Nickelés sont bien dans le domaine public mais pas les œuvres ultérieures de Pellos qui appartiennent toujours à Ventillard.
      – Il déboute Ventillard de ses demandes en ce qui concerne la contrefaçon de l’œuvre.
      – Déclare « frauduleux » les dépôts des marques faites par Ventillard sur Les Pieds Nickelés et annule les marques « Les Pieds Nickelés », « Le Journal des Pieds Nickelés » et « Pieds Nickelés Magazines », avec communication à l’INPI. »

      C’est un argument à opposer aux descendants de Saint-Exupéry s’ils essaient de neutraliser le domaine public par le biais du droit des marques. Cette jurisprudence est d’ailleurs l’un des rares exemples de reconnaissance positive où le juge français fait prévaloir le domaine public sur un autre type de droits.

      Par contre, je dirais qu’il y a peut-être une nuance à apporter, car la marque portait ici sur le titre de l’oeuvre et pas sur les personnages en tant que tels. Néanmoins, ce jugement est encourageant.

  2. Billet très intéressant. Merci !
    Juste une petite question (ou deux) : y a t’il besoin d’une modification législative pour parvenir à un résultat convenable ? Je pense ici à l’affaire Lego: voyant son brevet arriver à expiration l’entreprise de la petite brique emboitable a déposé une marque tridimensionnelle pour prolonger la protection et se protéger de la concurrence. Cette stratégie a marché le temps des multiples procès mais s’est finalement faite sanctionnée par la Cour de cassation (Cass. com., 7 oct. 1997, n° 95-15859). N’y a t’il pas ici une sorte de parallèle?
    De plus une marque certes mais alors pour désigner quel produit ou quel service? Éventuellement cela peut présenter un intérêt pour les produits dérivés mais y a t’il une classe de la classification de Nice pour les personnages de romans?
    Qu’en pensez-vous?

    1. Merci pour votre commentaire et vos questions.

      Si vous regardez les commentaires au-dessus du votre, vous verrez qu’un lecteur m’a signalé une jurisprudence de 2011 rendue à propos des Pieds Nickelés, dans laquelle le juge a déclaré « frauduleux » le dépôt de marque sur le titre d’une oeuvre visant à empêcher le libre usage d’une oeuvre du domaine public : http://www.actuabd.com/Delcourt-et-Glenat-se-disputent-l Il est donc en effet possible que les tribunaux régulent d’eux-mêmes cette articulation antre le droit des marques et le domaine public.

      Ceci étant dit, il ne s’agit que d’une jugement de TGI et cela ne suffit pas à ancrer solidement un principe. Par ailleurs, le Ministère de la Culture a annoncé qu’il entendait introduire une définition positive du domaine public dans le Code de propriété intellectuelle à l’occasion de la future loi sur la création. Ce serait une opportunité empêcher de manière nette les atteintes à l’intégrité du domaine public par le biais de droits connexes, et parmi eux le droit des marques : https://scinfolex.com/2013/11/09/apres-lautomne-le-printemps-changement-de-strategie-au-ministere-de-la-culture-en-faveur-de-louverture/

      L’autre problème avec le passage par la jurisprudence, c’est qu’il faudra sans doute beaucoup de temps et c’est ce qui s’est passé avec l’exmple de la marque tridimensionnelle sur les Lego que vous citez.

      Enfin, concernant les classes, vous avez raison. Le monopole d’exploitation conférée par une marque est relatif aux classes dans lesquelles elle a été déposée. C’est pour cela sans doute que l’héritier de Saint-Exupéry indique qu’il entend continuer à contrôler les adaptations et les produits dérivés, mais que la réédition du texte même du roman sera possible.

      Néanmoins, dans les exemples américains que j’ai pu croiser, comme par exemple celui de Tarzan, les ayants droits ont édicté un règlement vraiment très large, qui contraint beaucoup la réutilisation du personnage de Tarzan http://hyperbate.fr/dernier/?p=7438

      Je ne sais pas cependant si ce type d’usage du droit des marques est vraiment légal.

  3. Je pense qu’un tel détournement est limité dans sa portée.

    Article intéressant, mais je doute que la jurisprudence permettra de tels abus. A moins que ce soit pour constituer une marque protégeant des services d’éditions et les produits de l’imprimerie (et tutti quanti) avec pourquoi pas des produits dérivés, je doute que l’utilisation du personnage du Petit Prince puisse, une fois son entrée dans le domaine public, permettre de sanctionner toute oeuvre le reprenant.

    Ou alors on se trouverait à mélanger droit d’auteur et droit des marques, ce qui serait une hérésie juridique totale. Je pense que le jugement du TGI de Paris en appelle beaucoup d’autres dans le même genre.

    Dans un autre registre, il ne faut pas non plus empêcher les ayants droits de vouloir protéger le Petit Prince pour pouvoir développer une activité autour. Tout est une question d’intention. Ont-ils réellement l’envie de l’utiliser à titre de marque ou seulement d’empêcher toute utilisation ? Dans le deuxième cas, on aura la possibilité de demander la déchéance de la marque au bout de 5 ans pour défaut d’usage et je pense me souvenir que la jurisprudence est sévère à l’égard des usages dérisoires.

  4. D’après Le domaine public en droit d’auteur de Stéphanie Choisy, le droit des marques ne permet pas de s’approprier le domaine public. Je récapitule son raisonnement :
    1 / il semble au premier abord que le dépôt d’une image comme La Joconde ou la Petite Sirène permet uniquement d’avoir une exclusivité en tant que logo, mais ne saurait interdire à un autre de commercialiser une représentation de celle-ci. Mais :
    2 / l’argument du dépositaire de la marque pourrait être le suivant : ayant déposé ce personnage en deux dimensions dans la classe des livres et en trois dimensions dans la classe des jouets, nul ne peut commercialiser un produit le représentant.
    3/ Cette analyse ne peut être admise. «Or, si le dépôt d’une œuvre du domaine public empêche le tiers d’utiliser cette œuvre en tant que marque, il ne saurait faire obstacle à ce qu’ils l’utilisent en tant qu’œuvre. En effet, la fonction de la marque est de distinguer un produit parmi des produits identiques ou similaires, mais non de créer un monopole sur la création. Si cette objection peut être aisément comprise, encore faut il la fonder juridiquement »
    Fondement juridique On peut recourir à l’article L.711-2, c du CPI, en dépit de l’opacité du texte, selon lequel sont dépourvus de signes distinctifs les signes conférant au produit sa valeur substantielle.

    4/ ObjectionsL’auteur répond à deux objections possibles : comment déterminer cette valeur substantielle et l’article vise la forme d’un produit et ne concerne donc pas les dessins

    5/ Réponses
    1) le fait que de décider si c’est la peluche ou le personnage qui confère la distinction substantielle au produit est subjectif mais n’est pas un argument contre l’utilisation de l’article
    2) le but poursuivi par le législateur est de cantonner la marque dans sa finalité, et s’étend donc à toutes les marques constituées à partir d’œuvres de l’esprit

    6/Jurisprudence La jurisprudence confirme cette analyse. La Cour d’appel de Paris a ainsi affirmé « qu’il convient de rappeler qu’une marque n’est pas un un signe pris en lui-même et n’a pas pour fonction d’identifier l’objet qu’elle désigne en le définissant dans ce qu’il est mais doit le distinguer des produits et services émanant d’autrui (CA Paris, 30 oct. 1996 : PIDB 1997, III, p.64 / l’auteur rappelle deux autres exemples liés à Christophe Colomb dans des articles d’horlogerie et Saint-Petersbourg pour des bijoux

    En bref, une marque ne protège que le signe distinctif d’un produit et ne peut servir, selon cet ouvrage, à enclore une œuvre. Enfin, si ce raisonnement est juste (et l’article utilisé dans l’argumentation n’est pas, selon l’auteur elle-même, d’une grande clarté).

    1. Oui, la thèse de Stéphanie Choisy est l’un des rares travaux de doctrine qui se soit consacré de manière approfondie à la question du domaine public. En lisant les passages que vous citez, on a bien le sentiment que cet usage du droit des marques pour neutraliser l’entrée d’une oeuvre dans le domaine public est « forcé » et qu’il ne correspond manifestement pas à la finalité pour laquelle le droit des marques a été institué. On peut donc espérer que la jurisprudence condamne une telle dérive. Mais malgré tout, le fait qu’un juriste comme Emmanuel Pierrat puisse écrire l’article qu’il a fait sur son blog Livres Hebdo montre que cette analyse n’est pas partagé par tous. Et il faut craindre que des ayants droit comme ceux de Saint Exupéry ne « tentent le coup », histoire de prolonger leur monopole d’exploitation, en comptant sur le fait qu’il n’y aura pas de procès ou que la justice mette longtemps à rendre une décision définitive sur ces questions.

  5. L’auteur développe aussi des cas d’exclusivité partielle du domaine public dans et hors de son domaine d’origine (si par exemple un publicitaire utilise une œuvre de Michel-Ange pour le café ou un éditeur une peinture de Notre-Dame par Boulenger pour illustrer le roman hugolien sur la cathédrale, un imitateur pourrait être poursuivi). Un cas plus retors : la mise à jour des dictionnaires et des encyclopédies permet d’empêcher les anciennes éditions d’entrer dans le domaine public (en vertu de l’article L. 342-5 alinéa 3 CPI – ( je ne l’ai pas lu, je reprends l’ouvrage) ) L’édition de 1905 « devrait » pourtant être dans le DP depuis 1955.. (enfin, d’après Choisy, mais ne faudrait-il pas calculer après la mort de….. euh, comment fait-on pour les ouvrages collectifs aux auteurs anonymes ?

  6. Concernant l’affaire des Pieds Nickelés, la nuance est juste, mais discutable. En effet, l’expression « Les Pieds Nickelés » peut aussi bien désigner le titre de l’œuvre que le nom des trois personnages, pris dans leur ensemble. En fait, mieux vaut faire primer cette interprétation, car le trio constitue une œuvre distincte, tombée dans le domaine public. C’est ce qui garantit la liberté d’utilisation de cette expression pour intituler les épisodes dans lesquels ces personnages vivent leurs aventures !

  7. Bonjour, je ´rouvre la discussion de cet article fort intéressant avec une question précise qui me turlupine: je suis bijoutiere résidant à l’étranger. Il y a quelques temps j’ai réalisé un pendentif en argent massif sur le thème du petit prince pour une commande particulière. Ce bijou semblant particulièrement plaire, je l’ai laissé à la vente sur une plateforme française mais ce n’est pas un produit phare de ma boutique non plus. Une personne vendant des produits du petit prince dans une boutique sur Paris et disant appartenir à l’associatin Succession Saint Exupery m’a contacté en me demandant de retirer immédiatement mon produit et me menaçant de poursuites judiciaires. Je ne sais absolument pas si je dois prendre cette menace au sérieux étant donné que je croyais que le petit prince faisait parti du domaine public. Avant de paniquer et de retirer mon produit de la vente, je désirerais avoir l’avis de personnes plus expertes dans le domaine. Je vous remercie d’avance pour votre aide.

  8. contactez un avocat ou un conseil en propriété intellectuelle, c’est le meilleur conseil qui peut vous être donné.

  9. Utiliser la propriété d’un auteur qui n’en a pas donné le consentement est considéré comme contrefaçon. Le préjudice est plus ou moins proportionnelle à la quantité de pièces contrefaites. Toutefois, aller devant le tribunal pour trois pièces contrefaites, cause plus de souci et de frais d’avocat que de gain lors de la vente. Aussi même pour quelques pièces, je vous conseille d’obtempérer: vous êtes dans le faux et la marge n’en vaut pas la chandelle. Aussi vous pouvez demander un règlement amiable des droits des auteurs, qui ne devrait pas coûter très très cher. …Et vous pourrez continuer à vendre votre bijou.

  10. Petit cas pratique à vous soumettre. Si je veux lancer une gamme de produit avec « UNIQUEMENT » des passages du petit prince (sans iconographie donc) pour la vendre ailleurs qu’en France. Peuvent-ils être fabriqués en France? Facturé en France? que leurs sites marchands soient hébergés en France? Ou seuls des structures étrangère ont le droit de les fabriquer et distribuer?

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