Projet de loi Hadopi : l’amendement « Exception conservation » mis à mal devant la Commission des lois

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L’IABD a proposé un amendement visant à revoir la formulation de l’exception conservation introduite par la loi DADVSI en 2006, de manière à permettre aux bibliothèques, archives et musées de communiquer à leurs usagers les copies d’oeuvres endommagées reproduites à des fins de conservation.

Il faut dire en effet que la formulation de la loi DADVSI était très ambigüe, puisque seule la reproduction d’une œuvre (et pas la représentation) est directement visée  » à des fins de conservation ou pour préserver les conditions de sa consultation sur place« . Formule énigmatique qui a suscité une multitude d’interprations contradictioires.

Le vote de la loi Hadopi était l’occasion de lever cette ambiguïté une bonne fois pour toute, mais tel n’a pas été l’avis de la Commission des lois de l’Assemblée nationale. L’amendement repris et proposé par le député Patrick Bloche a été sèchement éconduit (voir ici pour le rapport complet) :

[La Commission] examine un amendement de M. Patrick Bloche ayant pour objet, pour les bibliothèques, musées et archives, de coupler à l’autorisation de reproduction d’une œuvre, une autorisation de diffuser la copie ainsi réalisée.

M. Patrick Bloche. Il convient de corriger à la marge la loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information, pour permettre la conservation et la consultation sur place des œuvres dans les bibliothèques, les musées et les services d’archives.

M. le rapporteur. La loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information avait procédé à la transposition la plus extensive possible de la directive communautaire. Aller au-delà des dispositions existantes risquerait de contredire les exigences du test en trois étapes.

Or ce n’est pas exact si l’on lit bien la directive de 2001.

Il est vrai que l’exception prévue au bénéfice des bibliothèques, archives et musées est liée uniquement à la notion de reproduction (l’article 5.2.c parle des « actes de reproduction spécifiques effectuées par les bibliothèques accessibles au public, des établissements d’enseignement ou des musées ou par des archives, qui ne cherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect ».)

Mais un peu loin, l’article 5.3.n permet aux Etats-Membres de prévoir des exception pour autoriser « l’utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherche ou d’études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers dans les locaux des établissements visés au paragraphe 2, point c » (soit précisément les bibliothèques, établissements d’enseignement, archives et musées).

Donc il est faux de dire, comme le fait le rapporteur, que le législateur est allé aussi loin qu’il le pouvait avec la loi DADVSI en matière d’exception conservation.

En l’état actuel des choses, l’exception est quasiment sans intérêt, puisqu’il est impossible théoriquement de communiquer les copies des œuvres endommagées aux utilisateurs, sous quelque forme que ce soit. Alors que l’on sait très bien qu’il existe des œuvres assez récentes mais fragiles (je pense à la presse notamment) qui nécessiteraient la mis en œuvre de programmes de préservation. Avec la loi DADVSI, les institutions ne peuvent mettre en place que des dark archives … en attendant que les œuvres tombent dans le domaine public pour pouvoir diffuser les copies ! Absurde !

La réaction du législateur français est assez surprenante quand on regarde ce qui se passe ailleurs en Europe. A la lecture du récent rapport de l’OMPI sur les exceptions au bénéfice des bibliothèques dans le monde, on se rend compte que plusieurs pays d’Europe permettent la reproduction et la communication d’œuvres protégées à des fins de recherche et d’études privées (Danemark, Finlande, Estonie, Hongrie, Allemagne, Lituanie, Malte, Pologne, Espagne) et d’autres on introduit des exceptions conservation qui permettent manifestement la communication sur place (Estonie, Irlande, Luxembourg …).

La preuve que l’on peut aller au-delà de la loi DADVSI sans violer la directive ! Le législateur l’a même déjà fait, puisqu’il a permis aux institutions dépositaires du dépôt légal (CNC, BnF, INA) de reproduire et de communiquer les copies dans leurs emprises …

Le Groupe d’Experts de Haut Niveau réunit par la Commission européenne dans le cadre de l’initiative I2010 Digital Library avait d’ailleurs remis en juin 2008 un rapport qui indiquait que la communication d’œuvres protégées à des fins de recherche et d’études privées était compatible avec les orientations de la Directive de 2001 en matière d’exception conservation.

Il faut espérer que cet amendement pourra être reconsidéré à un moment ou à un autre, car sinon les bibliothèques françaises seront fortement handicapées dans la mise en œuvres de programme de préservation des œuvres du 20ème siècle …


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