La semaine s’annonce chargée, puisque nonobstant le camouflet infligé par l’Assemblée nationale le 9 avril dernier, la loi Hadopi va être réintroduite par le gouvernement en procédure normale. Comme si de rien n’était …
Le texte repasse en Commission des lois demain et l’ordre du jour de l’Assemblée nationale fixé depuis le 15 avril dernier par la Conférence des présidents nous révèle le programme des hostilités :
- Mercredi 29 avril : Nouvelle lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet
- Lundi 4 mai : Suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet
- Mardi 5 mai : Éventuellement (sic !), suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet
En réalité, comme l’explique cette excellente analyse, la discussion risque de durer jusqu’au jeudi 9 mai et plus encore si l’opposition se mobilise.Tout l’enjeu pour le Gouvernement consiste à éviter l’adoption d’amendements en séance, de façon à ce que le Sénat puisse voter le plus rapidement possible un texte conforme et nul doute que la pression sera forte pour que les députés de la majorité serrent les rangs. Mais l’agenda législatif de l’Assemblée est chargé pour les deux semaines à venir (loi sur l’inceste, proposition de loi Accoyer sur la modification du fonctionnement des Assemblées, loi sur le travail le dimanche, questions au gouvernement sur la réforme des universités ou la délinquance), ce qui peut occasionner des perturbations dans le beau programme fixé ci-dessus (j’adore le Eventuellement du mardi 5 !)

Entretemps, la pression communautaire contre le mécanisme de la riposte gradué est encore montée d’un cran, puisque la Commission Industrie, Transport et Energie (ITRE) du Parlement européen a réintroduit le 21 avril dans le Paquet télécom une disposition reprenant les termes exacts de l’amendement 138 : « aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire ». Le gouvernement français avait pourtant beaucoup pesé depuis le Conseil de L’union européenne pour vider l’amendement de sa substance, la Commission ITRE a tenu bon, notamment grâce à l’engagement de sa vice-présidente, la socialiste Catherine Trautmann. Vote en seconde lecture de ces textes prévu pour le 5 mai (pas sûr d’ailleurs que la loi Hadopi soit définitivement adoptée à cette date …).
Comme je l’avais déjà indiqué dans un billet précédent, un tel amendement consacre l’accès à internet comme une liberté fondamentale (ce qui me semble on ne peut plus nécessaire aujourd’hui) et risque de compromettre le cœur même de la loi Création et Internet avant même qu’elle soit adoptée, puisque la riposte graduée implique justement qu’une simple autorité administrative intervienne pour couper l’accès à Internet en cas de téléchargement illégal (la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des Droits sur Internet, ou plus exactement une certaine Commission de Protection des Droits qui sera le bras armé de la Hadopi).
Visiblement, cela ne semble guère émouvoir le gouvernement, puisque le rapporteur de la loi, Franck Riester, a déclaré que l’amendement 138 était « sans portée juridique« et Christine Albanel a renchéri en affirmant que le vote du Parlement Européen « n’empêcherait pas la France d’adopter son projet de loi« . Je pense qu’au point où nous en sommes arrivés, même une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU n’empêcherait pas le gouvernement de s’accrocher coûte que coûte à la riposte graduée. Reste à savoir si les parlementaires français ne seront pas de leur côté plus sensibles à cette alerte européenne …
Il est rassurant pour les libertés numériques de voir qu’une forme de contrepouvoir se maintient grâce aux institutions communautaires. Je place d’ailleurs beaucoup d’espoir dans l’action de l’Union européenne en matière de réforme des règles de la propriété intellectuelle (notamment le Livre vert de la Commission européenne « Le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance » ou encore le groupe d’experts de haut niveau sur les bibliothèques numériques qui vient d’être reconduit).
Mais les choses hélas ne sont pas si simples. Tout d’abord parce que le Paquet Télécom contient lui aussi des dispositions potentiellement dangereuses pour la neutralité de l’Internet (voir à ce sujet le dossier réalisé par la Quadrature du Net).
Ensuite parce que le Parlement européen a voté le 23 avril l’allongement de la durée des droits voisins de 50 à 70 ans. C’est certes moins que les 95 ans initialement prévus, mais il n’en reste pas moins que le domaine public, l’un des supports majeurs de l’exercice des libertés (notamment dans l’environnement numérique) sort encore affaibli par cette surenchère absurde de l’allongement des droits à laquelle se livrent les législateurs.
Il est d’ailleurs assez ironique de voir que ce vote du Parlement européen, qui est principalement motivé par la volonté de rapprocher la durée des droits en Europe de celle qui s’applique aux Etats-Unis, intervient alors qu’une Cour fédérale américaine vient justement de reconnaître que le Congrès ne pouvait pas par le biais d’une loi replacer sous copyright des oeuvres tombées dans le domaine public, sous peine de violer le premier amendement de la Constitution. Une grande victoire pour les défenseurs de la Culture Libre !
Il serait donc illusoire de croire que l’Europe suffira à elle seule à garantir nos libertés numériques et la vigilance citoyenne reste de mise (j’ai d’ailleurs pu constater en direct samedi que le niveau de vigilance citoyenne était bien faible dans ce pays, puisque nous n’étions qu’une poignée devant l’Assemblée nationale pour manifester contre la Loi Hadopi …).
Mais un autre motif d’inquiétude se profile déjà à l’horizon. Nicolas Sarkozy a déjà publiquement admis que la loi Création et Internet ne suffira pas à elle seule à régler le problème du piratage des œuvres en ligne. Pour s’atteler au problème de ce qu’il appelle « le piratage industriel », il réclame la convocation d’états généraux de la création, destinés » aborder la question des droits d’auteur face aux nouvelles technologies, de la reproduction d’œuvres en très grandes quantités par l’éducation nationale et la dimension européenne du problème « .
Oui, vous avez bien lu ! L’Education nationale est accusée de se livrer à des actes de piraterie à l’échelle industrielle ! J’image que tous les collègues qui travaillent en bibliothèque universitaire apprécieront.
Voilà des états généraux qui paraissent très bien engagés et qui vont certainement contribuer à réconcilier les titulaires de droits et les utilisateurs …
Une réflexion sur “Semaine décisive pour la loi Hadopi … et pour nos libertés numériques !”