L’OMPI se penche sur les exceptions au droit d’auteur (et pense aux bibliothèques)

La nouvelle est passée quasiment inaperçue, mais elle pourrait avoir un retentissement important pour l’avenir de l’équilibre de la propriété intellectuelle au niveau mondial.

René Magritte. La lunette d'approche.
René Magritte. La lunette d'approche.

Le Comité du droit d’auteur de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) a décidé de lancer des négociations en vue d’élaborer un nouveau traité consacré aux exceptions et limitations au droit d’auteur (voir cette analyse sur le site Intellectual Property Watch). Il a visiblement été très difficile d’aboutir à un consensus sur cette proposition émise par le brésil, le Paraguay et l’Équateur, mais la pression des pays du Sud a finalement eu raison des réticences des pays occidentaux.

Ceux-ci souhaitaient que les futures négociations ne portent que sur les exceptions en faveur des handicapés visuels, mais le communiqué final va plus loin et englobe les questions liées aux bibliothèques et à l’enseignement, ainsi que le rôle que jouent les exceptions et limitations au droit d’auteur en faveur des droits de l’homme.

C’est une étape importante, car depuis 1996, la propriété intellectuelle est régie au niveau mondial par deux traités de l’OMPI : le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. Ces deux textes, déjà anciens, avaient pour ambition d’adapter la propriété intellectuelle aux défis soulevés par les nouvelles technologies. En réalité, ils ont adopté le parti de confirmer la validité des droits d’auteur et des droits voisins dans l’environnement numérique, tout en cantonnant les exceptions à un rôle subalterne. Par ailleurs, ce sont ces deux traités qui ont consacré en droit la notion de DRM (Digital Right Management), ces verrous numériques, qui étaient censés garantir la protection du droit d’auteur dans l’environnement numérique en empêchant le piratage.Les deux traités de l’OMPI ont eu un retentissement important au niveau mondial, puisque que c’est suite à leur ratification que les Etats-Unis ont édicté le Digital Millenium Copyright Act (DMCA), l’Union Européenne en 2003 la Directive sur l’Harmonisation de certains aspects des Droits d’Auteur et des Droits Voisins dans la Société de L’information et la France  la loi DADVSI en 2006.

Ces traités sont donc très largement à l’origine de la situation de déséquilibre qui a caractérisé le régime de la propriété intellectuelle en ce début de 21ème siècle et l’engagement de nouvelles négociations au sujet des limitations et exceptions est peut-être le signe d’une prise de conscience que le balancier est allé trop loin et qu’il est temps de partir à la recherche d’un nouveau compromis.

Bien entendu, le chemin est encore très long avant de déboucher sur un texte. Il peut s’écouler dix ans avant de voir des retombées tangibles de ces efforts, mais l’OMPI a beaucoup œuvré ces derniers temps pour préparer le terrain à ce renouvellement. En 2007, l’Organisation avait ainsi publié une importante étude sur les limitations et exceptions en faveur des handicapés visuels. Et en 2008, le professeur américian Kenneth Crews avait été mandaté par l’OMPI pour conduire une Etude sur les limitations et Exceptions en faveur des Bibliothèques et Services d’Archives( voir cette synthèse que j’avais réalisée à l’époque pour les Actualités du Droit de l’Information de l’ADBS).

Autre signe encourageant : l’IFLA (la Fédération Internationale des Associations de Bibliothécaires) est associée depuis l’origine à cette réflexion sur les exceptions au droit d’auteur (voir par exemple cette déclaration commune avec le consortium EiFL).

De son côté, la Commission européenne a engagé un processus similaire par le biais de son Livre sur le Droit d’auteur dans l’Economie de la Connaissance, qui accorde également une large place aux exceptions.

Si bien que l’on en vient à espérer qu’un véritable mouvement de fond est sur le point de voir le jour, avec en ligne de mire une refonte du droit d’auteur à l’heure du numérique.

Et avec la décision fracassante de mercredi du Conseil Constitutionnel qui a remis la liberté au cœur du débat, on se prendrait presque à rêver que la France, le pays du droit d’auteur, ne restera pas cette fois à l’écart de cette réflexion essentielle.


13 réflexions sur “L’OMPI se penche sur les exceptions au droit d’auteur (et pense aux bibliothèques)

    1. Hummm … merci Michel … la honte …

      Ça m’apprendra à essayer de lancer des grandes prophéties messianiques ampoulées …

      Cela dit, ce qui se passe au niveau de l’OMPI est à suivre de près et je trouve ça vraiment encourageant de voir les pays du Sud intervenir pour changer la donne d’une des branches du droit les plus « occidentales » qui soient.

      Merci pour la relecture … et pour la lecture tout court …

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.