Cadeau de Noël : un droit des utilisateurs bientôt reconnu à l’OMPI ?

Dans ma lettre au père Noël cette année, j'avais demandé un droit des utilisateurs doté d'une valeur égale au droit d'auteur. Nous n'y sommes pas tout à fait encore, mais ce qui se passe à l'OMPI laisse entrevoir une lueur d'espoir. (Hope. Par herby fr. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr)

Il s’est passé quelque chose d’important la semaine dernière à l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) , dont le site de la Quadrature du Net s’est fait l’écho, en titrant « Copyright: Toward a recognition of user’s rights at WIPO ».

Le Comité permanent du droit d’auteur et des droits connexes (SCCR) qui était réuni du 14 au 18 décembre pour examiner la question des exceptions et limitations au droit d’auteur a abouti à une forme de consensus pour avancer sur la question de l’accès aux oeuvres protégées en faveur des personnes souffrant d’un handicap visuel. Soutenue par le Brésil, le Paraguay et l’Equateur, une proposition de nouveau traité a même été déposée sur cette question, qui contient des dispositions relativement avancées.

Ce progrès s’inscrit dans un cycle de réflexion plus global engagé par l’OMPI à propos de la reconsidération des exceptions et limitations au droit d’auteur, dont j’avais déjà parlé dans S.I.Lex au moment de son lancement, car il concerne aussi des activités comme l’étude et la recherche, ainsi que les exceptions en faveur des bibliothèques, des musées et des archives. L’IFLA (la Fédération Internationale des Associations de Bibliothèques) est d’ailleurs associée depuis l’origine à ces travaux.

Il s’agit d’un signal important que les choses sont peut-être doucement en train d’évoluer au niveau international et une lueur d’espoir alors que par ailleurs, les accords ACTA, négociés en dehors du cadre de l’OMPI, représentent une menace très forte pour les exceptions au droit d’auteur et pour les libertés en général. Le sort de l’équilibre des droits se joue en effet sur plusieurs fronts.

Faut-il cependant y voir une forme de consécration d’un « droit des utilisateurs » ? Ce n’est pas encore sûr, mais l’évolution est suffisamment importante pour prendre le temps de bien cerner ce qui est en jeu.

D’après le blog Intellectual Property Watch (excellente source d’info), les discussions du comité et le traité proposé visent à lever les restrictions imposées à la migration des oeuvres protégées vers des formats accessibles aux malvoyants (comme la norme Daisy), ainsi qu’à l’accès et au partage de ces oeuvres sous forme adaptée au niveau international.

Il est déjà possible de mettre en place des exceptions au profit des handicapés dans le cadre des traités de l’OMPI et la directive européenne sur le droit d’auteur le prévoit aussi explicitement. La nouveauté, c’est que cette proposition de traité rendrait obligatoire une telle exception, ce qui viendrait combler de nombreuses lacunes et disparités constatées au niveau mondial dans une étude de 2007 commandée par l’OMPI.

En France, une telle exception a été introduite par la loi DADVSI en 2006. Elle est très complexe dans sa formulation et il a fallu plusieurs années pour que les décrets d’application entrent en vigueur, mais elle permet à des associations agréées de se tourner vers la Bibliothèque nationale de France pour obtenir les fichiers numériques d’œuvres en format ouvert, afin de les communiquer sous forme adaptée à des personnes souffrant d’un handicap.

Il faut noter que les travaux de l’OMPI ont visiblement fait l’objet d’intenses négociations, qui redessinent quelque peu le profil de la géopolitique du droit d’auteur. Ce sont bien sûr les pays du Sud (Amérique latine – les porteurs du traité- mais aussi Afrique) qui sont les prometteurs les plus actifs de cette vision plus équilibrée. Mais il est intéressant de noter que les Etats-Unis, longtemps opposés à toute évolution des traités sur le droit d’auteur, ont soutenu ce projet relatif aux handicapés. Et comme le rapporte EFF, ce soutien paraît même aller plus loin et englober une réelle volonté de rétablir un meilleur équilibre de la propriété intellectuelle (voyez l’extrait de la déclaration américaine ci-après).

We recognize that some in the international copyright community believe that any international consensus on substantive limitations and exceptions to copyright law would weaken international copyright law. The United States does not share that point of view. The United States is committed to both better exceptions in copyright law and better enforcement of copyright law. Indeed, as we work with countries to establish consensus on proper, basic exceptions within copyright law, we will ask countries to work with us to improve the enforcement of copyright. This is part and parcel of a balanced international system of intellectual property.

Cette évolution est d’autant plus méritante qu’un lobbying intensif de la part des industries culturelles américaines a précédé la réunion de l’OMPI, pour décourager tout évolution en faveur d’un meilleur accès et l’article de la Quadrature nous apprend que les représentants des titulaires qui ont agi sont les mêmes que ceux qui promeuvent les accords ACTA.

La mauvaise nouvelle vient hélas plutôt du côté de l’Union européenne qui a freiné des quatre fers à cette idée de nouveau traité, estimant qu’il fallait rassembler plus de données pour établir un lien entre les barrières à l’accès et les restrictions imposées par le droit d’auteur. Les représentants de la Commission ont même graduellement fait évoluer la position finale du Comité, qui parle seulement d’ouvrir des consultations à Genève en vue de dégager un consensus. Cette attitude de la Commission peut paraître assez contradictoire avec certains travaux engagés par ailleurs, comme le livre vert « Le droit d’auteur dans l’Economie de la Connaissance » qui comportait des développements importants sur les handicapés et plus largement sur la nécessité d’aboutir à un meilleur équilibre du droit d’auteur. Mais de communications en consultations, il faut avouer qu’il devient difficile de suivre la position de la Commission en la matière et qu’on ne retrouve plus cette volonté d’équilibre une communication comme « Renforcer l’application des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur ». L’attitude de la Commission vis-à-vis des accords ACTA est loin d’être complètement cohérente également avec les intentions affichées par ailleurs.

Plus largement, les objectifs visés par l’OMPI se sont hélas réduit au cours des travaux du Comité de la semaine dernière. Celui-ci devait en effet aborder de manière beaucoup plus large la question des exceptions au droit d’auteur, pour traiter de la recherche, de l’enseignement et des services de bibliothèques et d’archives. Un consensus minimum n’a pu émerger qu’à propos des dispositions en faveur des handicapés visuels et Intellectual Property Watch rapporte qu’il existe une dissension entre les pays qui souhaitent avancer maintenant sur cette seule question (Afrique) et d’autres (comme l’Inde) qui voudraient revenir à une conception plus large englobant plusieurs exceptions.

Quoi qu’il en soit, il faudra suivre de près ces travaux de l’OMPI qui apportent un peu d’oxygène en cette période où la pression du droit d’auteur se fait de plus en plus forte. Pour autant, doit-on y voir une consécration à venir d’un « droit des usagers » ? Je n’en suis pas certain.

Car les travaux de l’OMPI restent pour l’instant dans le cadre des seules exceptions et limitations, question certes très importante mais qui ne remet pas fondamentalement en cause la logique du système de la propriété intellectuelle. Les droits exclusifs des titulaires restent la règle et ce n’est que dans des domaines strictement limités que des exceptions peuvent jouer pour favoriser d’autres droits comme l’accès à la culture, à l’information ou à l’éducation. L’évolution du système au niveau mondial tend d’ailleurs à cantonner ces exceptions dans un rôle de plus en plus mineur (effet du test en trois étapes). En France, une exception comme la copie privée par exemple peut tout simplement disparaître à cause des DRM par exemple, comme l’a reconnu la Cour de Cassation dans sa jurisprudence Mulholland Drive.

Pour aboutir à un réel droit des usagers, il faudrait aller plus loin et sortir justement du système des exceptions en consacrant explicitement d’autres droits avec la même force que le droit d’auteur. J’ai déjà essayé de montrer dans S.I.Lex comment on pourrait reconstruire l’équilibre, en s’appuyant sur les ressources des nos instruments de protection des droits de l’homme. Le Conseil Constitutionnel cet été dans sa censure de la loi Hadopi au nom de la liberté d’expression a montré la voie d’un tel équilibre des droits.

Au niveau mondial, je ne connais guère que l’exemple du Canada qui s’est engagé dans une forme de reconnaissance explicite d’un droit des utilisateurs, par une jurisprudence de sa Cour suprême en 2004.

Ce serait une belle bataille à mener que la reconnaissance d’un tel droit au niveau de notre constitution. Espérons que la réflexion engagée à l’OMPI en faveur des exceptions puisse jouer un effet d’entraînement.

D’autres diront que finalement, c’est le droit d’auteur tout entier qui devrait être une exception, puisque les oeuvres sont toujours créées à partir d’un fonds commun d’idées et de pensées qui ne sont pas protégeables. Elles reçoivent un temps seulement une protection spéciale, avant de rejoindre le domaine public où elles redeviennent la chose de tous. Dans un système bien compris, la liberté devrait être la règle et le copyright seulement l’exception.

Mais le sens de cette conception paraît hélas perdu et j’ai du mal à croire que j’en verrai le retour de mon vivant.

En attendant, obtenir de meilleures exceptions est encore un combat qui mérite d’être livré et si cela arrive, ce sera déjà un peu… comme un Noël en hiver !



12 réflexions sur “Cadeau de Noël : un droit des utilisateurs bientôt reconnu à l’OMPI ?

  1. « D’autres diront que finalement, c’est le droit d’auteur tout entier qui devrait être une exception, puisque les oeuvres sont toujours créées à partir d’un fonds commun d’idées et de pensées qui ne sont pas protégeables. Elles reçoivent un temps seulement une protection spéciale, avant de rejoindre le domaine public où elles redeviennent la chose de tous. Dans un système bien compris, la liberté devrait être la règle et le copyright seulement l’exception. »

    Toujours amusant de voir cette cristallisation sur le droit d’auteur… sans s’apercevoir que toute notre vie (économique ? sociétale ?) est basée dessus.

    La propriété c’est bien compris dans le droit d’auteur, non ?
    Ça m’appartient, j’en fais ce que j’en veux.

    Je la vends, je la loue, j’en accepte l’exploitation pour une période donnée, je la prête, je l’offre, j’en offre la représentation, la reproduction…

    Maintenant, regardons un peu notre monde.
    Quand « j’achète » une voiture, j’achète des droits d’auteurs (aussi divers que variés, les droits et les auteurs), et quand le véhicule revient dans le domaine public (part à la casse), c’est parce qu’il est hors d’usage, inutilisable.

    Quand j’achète une maison, une propriété, n’ai-je pas le droit de la transmettre à mes descendants ?
    Pour qu’ils en profitent aussi longtemps qu’ils le souhaitent ?

    Et une oeuvre, que j’ai créée de mes mains ?
    Non ?

    Pourquoi ???

    Il faudrait que, parce qu’elle a été publiée, offerte contre une somme ridicule (on parle de centimes pour l’auteur non star, ce qui n’assure même pas un revenu correct, ni la moindre retraite, ni la moindre sécurité sociale, même si on y passe une partie de ses vacances, de ses week-ends, de sa vie), donc… il faudrait qu’elle appartienne à tous… sans contrepartie ?

    Singulier. Etrange.

    Amusons-nous à reprendre ta conclusion en changeant droit d’auteur par propriété :
    « D’autres diront que finalement, c’est la propriété toute entière qui devrait être une exception, puisque les oeuvres sont toujours créées à partir d’un fonds commun d’idées et de pensées qui ne sont pas protégeables. Elles reçoivent un temps seulement une protection spéciale, avant de rejoindre le domaine public où elles redeviennent la chose de tous. Dans un système bien compris, la liberté devrait être la règle et la propriété seulement l’exception. »

    C’est vraiment étrange, mais je crois entendre une certaine philosophie du siècle dernier. Dont on sait que c’est un mensonge.

    L’homme, s’il ne tire pas profit de sa création, s’il n’est pas altruiste, ne créera plus rien.

    A quoi bon ?

    A quoi bon trimer, galérer, corriger, revenir, recorriger, investir du temps, du capital… pendant que les autres s’amusent, ou gagnent de l’argent « utile ».
    Pour que ton oeuvre, finalement, appartiennent à ceux qui ont gagné cet argent « utile », qu’ils n’entendent pas du tout partager avec toi, créateur.

    Personne ne doute qu’il faut financer la recherche (oeuvre de création pourtant), mais pour ce qui est des oeuvres « artistiques », on devrait y avoir le droit tout de suite, sans rien payer.

    Maintenant, si tu dis vraiment  » Dans un système bien compris, la liberté devrait être la règle et la propriété seulement l’exception. »

    Et que tu es prêt à m’ouvrir (moi auteur, si j’en étais un) ton frigo,
    à partager ta voiture,
    ta maison,
    ton salaire,
    ta femme…

    Alors, ce n’est pas seulement le droit d’auteur que tu auras changé, mais toute la société.
    (et toutes ses lois ! :-) )

    Petite interview à chaud : tu es partant ?

    Attention !
    Attention à ne pas tout mélanger.

    Sous prétexte qu’il se trouve un petit obstacle sur ta route vers la culture.
    Sous prétexte que ta liberté (de consommer) est « compromise », tu avances des arguments qui vont beaucoup plus loin que tu ne l’imagines.

    Et n’oublie pas un détail. Ce ne sont pas les auteurs qui sont contre le pot commun, c’est la population (bien pensante ?) qui refuse de financer la recherche artistique à sa juste valeur.
    Au point de leur permettre d’en vivre, plutôt que d’en survivre pour la majorité.

    Je termine ici :
    « Dans un système bien compris, la liberté devrait être la règle et le copyright seulement l’exception.

    Mais le sens de cette conception paraît hélas perdu et j’ai du mal à croire que j’en verrai le retour de mon vivant. »

    Je me gratte l’oreille.
    Et les Creatives Commons & Consoeur ?
    Et le logiciel libre ?
    Et l’offre gratuite que tu donnes (oups, que tu payes sur ton temps libre, sur ton électricité, sur ton investissement abonnement, ordinateur, etc.) avec ce blog.

    Explique-moi (en parlant doucement, moi aussi j’ai le ventre lourd et l’esprit embrumé), ça existe depuis combien de temps ?

    Depuis combien de temps à cette échelle planétaire ?

    Ça reste un choix.
    Certains monnayent ce choix, d’autres offrent.
    C’est leur choix.

    Ce choix tout le monde doit l’avoir dans sa vie, et ce choix peut changer avec les circonstances.

    Quand à cette « liberté » que tu revendiques, n’est-ce pas la loi qui la garantit ?

    Enfin, il me semble. ;-)

    Bien cordialement
    B. Majour (qui apprécie toujours autant de te lire, et te souhaite de bonnes fêtes)

    1. Bonjour,

      Merci pour ce commentaire incisif qui pose de vraies questions.

      Tout le problème tient dans le fait de savoir si oui ou non on peut assimiler la propriété intellectuelle à une véritable forme de propriété.

      Je pourrais faire une très longue réponse, mais je vous conseille plutôt de regarder cette vidéo qui en dit déjà long.

      Cordialement,

      Calimaq

  2. « En France, une exception comme la copie privée par exemple peut tout simplement disparaître à cause des DRM par exemple, comme l’a reconnu la Cour de Cassation dans sa jurisprudence Mulholland Drive. »

    Précisément parce qu’il s’agit d’une *exception* et non d’un *droit* !

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