Aujourd’hui est sorti en salle le film Very Bad Trip II (Hangover II en anglais) qui ne marquera certainement pas l’histoire du cinéma, mais pourrait bien déboucher sur une croustillante affaire en justice aux Etats-Unis. Et il s’en est fallu de peu que le film ne sorte jamais, suite au dépôt d’une plainte pour contrefaçon… par un tatoueur mécontent !
Et voilà que l’on reparle de tatouage dans S.I.Lex ! J’avais publié le mois dernier un billet sur le droit d’auteur appliqué au tatouage ; or quelques jours seulement après, un tatoueur du nom de S. Victor Whitmill a attaqué Warner Bros, au motif que l’un des acteurs du film arborait sur le visage un tatouage tribal, ressemblant furieusement à celui qu’il avait conçu et exécuté sur l’arcade sourcilière de Mike Tison en personne…
Aucun doute n’est permis quant à la volonté de faire référence à ce tatouage, Mike Tison apparaissant déjà dans Very Bad Trip I et il joue encore son propre rôle dans cette séquelle. Estimant qu’il y avait violation du copyright sur son oeuvre, le tatoueur demandait purement et simplement que la justice interdise la sortie du film (!), ainsi qu’au minimum 30 millions de dollars (!!) pour transiger sur le fond… Le juge fédéral de la Cour de Saint Louis a rejeté hier (!!!) la demande d’interdiction, permettant au film de sortir, mais il semble bien à présent que l’affaire va suivre son cours et qu’un jugement sera rendu.
En creusant un peu, on se rend compte que le tatoueur avait été très prévoyant à propos de la protection de sa création. Il avait en effet fait signer à Mike Tison un acte certifiant qu’il demeurait bien le détenteur de tous les droits, y compris de propriété intellectuelle, sur le tatouage. Whitmill a également enregistré sa création au Copyright Office, en lui donnant le titre de « Tribal Tattoo ».
Si l’affaire devait effectivement donner lieu à un jugement, elle s’annonce assez captivante, car le caractère protégeable des tatouages n’a pas encore été tranché par la justice américaine. Une précédente alerte avait déjà eu lieu à propos de l’apparition du tatouage d’un basketteur dans une publicité, mais elle s’était conclue par un règlement amiable. Les avis fusent sur les blogs juridiques américains depuis un mois, la plupart concluant que les tatouages peuvent bien rentrer dans la catégorie des objets protégés par le copyright :
In the United States these rights are conferred by section 106(A) of the Copyright Act only on a limited group of visual artists, but there is no obvious reason why a tattoo artist would not be included in that group.
La question se déplace alors sur le terrain de la défense que Warner Bros pourrait mettre en oeuvre pour échapper à la condamnation et on retrouve alors la notion de fair use (usage équitable), typique du droit américain. Plusieurs commentateurs estiment en effet que l’usage de ce tatouage dans le film correspond aux critères d’application du fair use, notamment parce qu’il s’agit d’un usage transformatif qui incorpore la création dans une nouvelle oeuvre et parce que cette apparition ne menace pas l’exploitation commerciale de l’oeuvre (au contraire, elle aurait même pu assurer une sacrée publicité à Whitmill…). D’autres estiment que la reprise du tatouage dans ce film burlesque constitue une forme de parodie et le fair use couvre ce type d’usages, au nom de la protection de la liberté d’expression.
Néanmoins, le juge fédéral a semble-t-il donné lundi au tatoueur de bonnes raisons de croire que sa plainte était fondée et que le fair use ne serait pas retenu, comme on peut le lire sur ce blog :
Judge Perry briefly discussed the defense’s claim of Fair Use, opining that there was no parody or transformative use, the entire tattoo in its original form was used (not in any parody form), the tattoo was not necessary to the basic plot of the movie, and that Warner Brothers used the tattoo substantially in its marketing of the movie. The court was concerned with the Plaintiff’s loss of control over his design as irreparable harm […]
On s’achemine donc vers un merveilleux cas de Copyright Madness que j’attends de pouvoir épingler pour ma collection…
Pour ma part, j’aurais tenté un autre type de défense, en répliquant sur le terrain de l’originalité. Whitmill n’est certainement pas le premier tatoueur à créer un tatouage « tribal », et ce faisant, il s’inspire de l’art traditionnel des peuples de Polynésie, de Micronésie et de Bornéo. On apprend même en lisant ce billet que le tatouage de Tyson s’inspire directement d’un motif traditionnel maori (puhoro koru). Il faudrait déterminer quel est l’apport original de Whitmill dans la reprise de ce motif, mais si celui-ci n’est pas suffisant, on pourrait conclure que le tatouage n’a fait que puiser dans un fonds commun – le domaine public – sans qu’il ne porte l’empreinte véritable de la personnalité de son auteur. Son exécution bien que nécessitant d’indéniables compétences techniques et savoir faire serait dépourvue de l’originalité nécessaire pour donner naissance à une oeuvre.
[Mise à jour du 26 mai 2011 : Mon intuition ci-dessus n’était pas si mauvaise, car voilà que les Maoris contestent à Whitmill la possibilité de revendiquer un droit sur le motif traditionnel qu’il a utilisé !
Voyez sur le site Techdirt ce que dit l’un de leurs représentants :
The tattooist has an incredible arrogance to assume he has the intellectual right to claim the design form of an indigenous culture that is not his.]
Notons qu’en droit français, il est fort probable que le tatoueur puisse obtenir gain de cause, car il existe déjà une jurisprudence (rendue à propos d’un tatouage de Johnny), qui reconnaît que le droit des tatoueurs à contrôler l’exploitation de leurs dessins, notamment dans des produits dérivés.
Ce qu’il y a de bien avec le Copyright, c’est qu’on s’ennuie rarement et que la réalité dépasse souvent l’imagination…
Toujours dans la série « copyright madness », il n’est pas clair qu’une œuvre folklorique appartienne au domaine public. On peut l’analyser comme une œuvre anonyme n’ayant pas encore été divulguée, ce qui en droit français lui donnerait droit à 70 ans de protection dans le cadre de l’article L123-3, al.3 du CPI, et qui en droit international relèverait de l’article 15-4° de la convention de Berne.
Il y a en ce moment un nouveau projet de traité en discussion à l’OMPI sur ces questions : « Traditional Knowledge, Genetic Resources and Traditional Cultural Expressions/Folklore« .
Je n’ai pas eu le temps d’aller voir dans le détail, mais il me semble que cela tendrait à reconnaître une sorte de propriété pour les peuples indigènes sur les formes d’art traditionnel.
Ce que je n’ai pas encore cerné, c’est si cela leur permettrait seulement d’empêcher l’appropriation exclusive de ces formes d’expression :-) ou également de les exploiter :-( …