Ecriture web et dimension juridique

Hier, j’étais invité par l’établissement Livre au Centre à donner une conférence au CCDP de Tours sur le thème « Ecriture web et dimension juridique« , dont voici le support.

Excellente expérience et angle d’attaque très intéressant, pour traiter deux sujets au coeur de mes préoccupations : le droit et l’écriture, ainsi que les rapports qu’ils entretiennent.

En préparant le support, je me suis rendu compte que j’écrivais toujours en gardant en arrière plan les règles applicables à l’acte d’écriture en ligne, et que plutôt que de les vivre comme un carcan, elles avaient fini par devenir une sorte de « contrainte oulipienne », dont on peut jouer et même tirer profit pour créer.

C’est ce que j’ai essayé de faire passer dans cette présentation.

Vous y trouverez un panorama des règles applicables à l’écriture web du droit d’auteur à la liberté d’expression, en passant par des questions comme la dimension collaborative de l’écriture en ligne, l’intégration du multimédia, la propulsion et la dissémination des contenus, la curation.

Mise en abîme en temps réel, l’intevention a été copieusement livetweetée par l’auditoire, avec le hashtag #Juriweb, et la conférence sur l’écriture web s’est instantanément volatilisée en écritures sur le web…

Merci @fbon, @GBoutouillet, @Isamaton, @Cecile_k, @s_caillaud, @livreaucentre pour leurs tweets ! Merci aussi à Lionel Dujol, pour son (remarquable) support « L’écriture web au service de la médiation des contenus« , dont je me suis inspiré pour mon plan.

Avant de vous laisser le support de l’intervention (sous licence CC-BY comme d’habitude), je vous part de la dernière question qui m’a été posée. On me demandait quel espoir j’avais de voir évoluer le système et si le droit serait toujours en retard sur l’évolution technologique et les pratiques.

J’ai répondu qu’il y avait à mon sens deux façons de changer le système : par le bas, en libérant dès l’origine les contenus en les plaçant sous licence libre ou par le haut en changeant la loi. La première option a montré son efficacité, mais elle a aussi ses limites (ex : sur les 5 milliards de photos de Flickr, 190 millions « seulement » sont sous licence Creative Commons). La seconde option, le changement de la loi, paraît improbable, surtout dans le contexte d’un pays comme la France.

Mais en réfléchissant, j’ai conclu en disant qu’après tout, le droit d’auteur avait réussi à s’adapter à un grand nombre d’évolutions technologiques parce que son appareil conceptuel était formulé de manière suffisamment large et abstraite pour épouser le changement. On peut penser ce que l’on veut du droit d’auteur, mais il faut reconnaître que jusqu’à une date récente la loi était remarquablement bien écrite. Les notions d’oeuvre, d’auteur, de reproduction, de représentation ou de contrefaçon ont pu ainsi glisser de l’environnement physique à l’environnement analogique, sans grande difficulté.

Mais pour y poser des interdictions et organiser des monopoles…

Ce qui nous manque, ce sont les mots de l’autorisation, un appareil de concepts permissifs, pensés de manière suffisamment abstraite pour s’adapter aux évolutions et organiser l’ouverture.

Et donc, l’évolution du droit d’auteur dépend avant tout de la capacité, du législateur à savoir réinventer les mots de l’autorisation.

Une question d’écriture, en somme…


14 réflexions sur “Ecriture web et dimension juridique

  1. Le mécanisme pour parvenir à réinventer les mots de l’autorisation, réside selon moi dans le retour aux principes fondateurs du droit d’auteur. Le droit d’auteur était à l’origine un monopole d’exploitation provisoire et limité, qu’on accordait à l’auteur en dérogation au principe de libre circulation des oeuvres (principe non formulé mais empirique). A l’origine, c’est donc le droit d’auteur qui est l’exception, et la liberté qui était la règle.

    Le droit d’auteur est en théorie la recherche d’un équilibre entre l’intérêt collectif, qui implique que toute création circule librement, soit utilisable, modifiable, par tout un chacun… et la récompense que la société doit au créateur pour ce qu’il lui apporte.

    Qu’ensuite le droit d’auteur ait pris une dimension totalement démesurée, sous l’action des industries du secteur, ça n’est pas contestable. Multiplication des monopoles, allongement de la durée de protection, contrats d’édition et de distribution léonins, portion congrue de la rémunération laissée aux artistes, etc…

    C’est cette hypertrophie du droit d’auteur, à des fins purement économiques qui ne correspondent même pas à l’intérêt de l’artiste, mais uniquement à l’intérêt de l’industrie qui l’a réduit à l’état de « coût de production », qu’il faut combattre. En revenant donc au principe fondateur.

    Cela se traduirait par une nette revalorisation des exceptions au droit d’auteur, pour motifs d’information, de recherche scientifique ou universitaire, d’enseignement, d’usage social, d’adptation artistique… et par l’instauration d’un principe selon lequel la réutilisation commerciale doit réserver une partie du bénéfice à l’auteur, à la différence d’une simple jouissance individuelle de l’oeuvre, dont la gratuité ou le caractère onéreux doit être décidé par l’auteur seul. Cela voudrait donc dire une revalorisation des exceptions actuelles (ou du « fair use » par exemple) et l’introduction dans la loi de certains principes issus des licences libres, et/ou la mise en place de systèmes de licences légales pour les usages « incontrôlables ».

    Ce n’est qu’une esquisse évidemment. L’essentiel est de se souvenir que le droit d’auteur n’est pas le principe, mais l’exception. C’est l’intérêt général qui doit être privilégié, l’intérêt particulier devant être une dérogation. Un dérogation au bénéfice de l’ARTISTE, c’est à dire dans monopole excessif, et pour une durée décente (dont je vois mal comment elle pourrait dépasser la durée de sa propre vie).

    1. Je n’ai hélas pas le temps de vous répondre dans le détail, mais je vous remercie grandement pour ce beau commentaire.

      Cette piste du renversement du principe et des exceptions est en effet intéressante.

  2. Ah c’est dommage, j’avais bien vu passer l’évènement sur le compte Twitter de Livre au Centre, mais je ne savais pas que vous étiez intervenant !! J’aurai posé une journée :)

  3. Bonjour Calimaq

    Je sais que ce n’est pas tout à fait le bon endroit, mais je viens de lire ceci (qui se rapproche du droit d’auteur)

    http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3197
    Et je découvre ça :

    A litre subsidiaire,
    dire et juger que Gallimard ne justifie pas être titulaire des droits numériques sur les œuvres litigieuses,

    Est-ce qu’on peut en déduire que tout éditeur qui ne possède pas les droits numériques sur les oeuvres… ne peut s’opposer à leur diffusion sur le Web ?

    Je trouve ce point suffisamment fort pour te poser la question, parce que ça pourrait mettre à mal bien des acquis d’éditeurs (ou de ce qu’ils considèrent comme des acquis).
    Robert Desnos est mort en 1945 ! (1945 + 70 à minima = 2015)

    Vois-tu l’ouverture pouvant résulter de cette justification à fournir ?

    Bien cordialement
    B. Majour

    1. Je précise ma pensée. :-)

      Autant, on peut être certain que les éditeurs ont effectué les démarches des droits numériques pour les livres ou oeuvres qui leur rapportent, autant on peut se demander (Loi de Pareto) s’ils l’ont fait pour la majorité des épuisés.

      Cette justification me semble aussi capitale dans tout ce qui a trait aux oeuvres orphelines. Faute de cette justification, elles sont donc libres de fait.
      Non ? :-)

      B. Majour

    2. Merci pour vos commentaires.

      Je vais vous répondre car le point que vous soulevez est très intéressant, mais j’ai besoin d ‘un peu de temps pour creuser.

      Il n’est d’ailleurs pas impossible que j’en fasse un billet.

      En fait, les juges ont déjà répondu à votre question dans le cadre du procès Google/La Martinière (j’avais écris ceci à cette occasion).

      Le jugement du TGI contenait notamment ce passage :

      « en l’absence de revendication de ou des auteurs, la personne morale qui exploite sous son nom une oeuvre est présumée, à l’égard des tiers contrefacteurs, être titulaire sur cette oeuvre, quelque soit sa nature et de sa qualification, du droit de propriété incorporelle de l’auteur ».

      C’est une présomption dont on comprend la justification, mais qui me paraît assez osée lorsqu’elle porte sur les droits numériques.

      Mais du coup, cela permet à un éditeur de s’opposer à la diffusion d’une oeuvre sur le web, même s’il ne détient pas les droits numériques.

      A noter également, que si la diffusion s’effectue de manière illégale, l’éditeur va quand même pouvoir attaquer, car il y aura bien reproduction et représentation de l’œuvre.

      C’est un raisonnement que l’on retrouve dans une des premières affaires impliquant Internet en France (l’affaire Queneau) : http://www.juriscom.net/int/dpt/dpt01.htm

      Bon, je vous ai presque répondu, mais je prendrai le temps de le faire de manière plus détaillée.

      1. Bonjour

        Oui, j’avais bien vu cette remarque (du procès Google/La Martinière), et c’est pour cette raison que j’ai trouvé surprenante la demande du juge… une demande pleine de perspectives. :-)

        Car, Gallimard a quand même dû fournir cette justification au procès.

        Et encore prouver ceci :
        En tout état de cause,
        – constater que Gallimard exploite effectivement chacune des œuvres revendiquées et bénéficie à ce titre de la présomption de titularité des droits sur ces œuvres,

        La présemption suppose l’exploitation ?
        Alors que dire des oeuvres indiquées comme épuisées ?

        Intéressant, très intéressant à mon goût.
        Pourvu qu’il y ait encore beaucoup d’autres affaires dans ce genre :-)

        Bien cordialement
        B. Majour

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