Jeter les Creative Commons avec l’eau du Copyright ?

Framablog a publié cette semaine la traduction d’un billet intitulé « Réformons le copyright à coups de masse pour le réduire en miettes« , qui m’a fait réagir et à propos duquel je voudrais apporter un contrepoint.

Ce billet a été écrit par le réalisateur américain Zacqary Adam Green, qui agit dans le champ de l’art libre. Au lieu d’une critique du copyright, comme son titre le laisse entendre, il constitue surtout une charge contre les licences Creative Commons, qu’il estime grosso-modo dénuées de toute utilité.

Image 2012. Par Christopher Dombres. CC-BY. Source : Flickr.

Les Creative Commons, inutiles ?

Sa thèse principale consiste à dire qu’aucune des licences Creative Commons n’est véritablement utile, à moins d’être réellement en capacité d’attaquer en justice ceux qui enfreindraient les conditions posées par les licences. En effet, les oeuvres placées sous Creative Commons ne sont nullement « libres de droits » et elles permettent, tout en favorisant la réutilisation des oeuvres, de maintenir certaines restrictions (paternité, pas d’usage commercial, pas d’oeuvres dérivées, partage à l’identique). C’est le passage d’une approche « Tous droits réservés » à « Certains droits réservés », qui reste fondamentalement  ancrée dans le droit d’auteur, dont les Creative Commons ne sont qu’une modalité d’exercice.

Tout en reconnaissant l’apport des Creative Commons, Zacaqary Adam Green en conteste l’utilité en des termes assez radicaux :

C’est le problème que pose toute loi basée sur le monopole du copyright : elle ne protège que les personnes qui ont les moyens d’engager une poursuite judiciaire. Si vous avez l’argent, si vous avez le temps, et si vous êtes prêts à passer des années à supporter le stress et les absurdités de la procédure, alors vous pouvez profiter des avantages du monopole. Sinon, c’est une fumisterie.

Et selon lui, la seule approche alternative valable au copyright pur et dur serait le passage en CC0 (Creative Commons Zéro), un instrument qui manifeste l’intention de l’auteur de renoncer à l’intégralité de ses droits sur l’oeuvre :

Malgré tous les beaux débats que les Creative Commons ont lancés, je reste persuadé qu’une seule de leurs licences est vraiment utile : la CC0, celle qui place tout votre travail dans le domaine public. J’adore la CC0 en fait. C’est pour moi une technique anti-piratage très efficace : il est littéralement et matériellement impossible aux gens de faire quoi que ce soit d’illégal avec mon travail.

La CC0 équivaut à un versement volontaire au domaine public (et même plus que cela dans le cadre du droit français qui interdit normalement de renoncer à son droit moral). Il se trouve que je suis relativement bien placé pour parler de cette démarche, puisque c’est le choix que j’ai fait pour S.I.Lex. J’approuve entièrement cette idée qu’il doit exister un domaine public volontaire ou mieux encore un Domaine Public Vivant, selon la belle expression de Pouhiou, alimenté par les créateurs sans attendre la fin de la durée interminable du droit d’auteur.

Régulation extra-judicaire et effectivité sociale des Creative Commons

Néanmoins, je suis en désaccord avec les jugements émis par Zacqary Adam Green et notamment l’idée que les CC seraient inutiles en dehors de la capacité d’intenter un procès. Je pense que ce genre d’affirmations est de nature à affaiblir gravement les Creative Commons, alors qu’ils constituent l’un des espoirs les plus solides d’évolution du système.

On estime qu’il y a dans le monde plus de 450 millions d’oeuvres placées en Creative Commons volontairement par leurs créateurs, ce qui constitue un vaste réservoir de biens communs culturels mis en partage. Pourtant, les procès liés à l’usage des Creative Commons restent très rares. On en recense quelques uns, intentés dans plusieurs pays du monde, qui ont permis de vérifier la validité en justice des CC, mais ces contentieux restent très exceptionnels.

Que doit-on en déduire ? Qu’il s’agit d’un échec des Creative Commons ? Que cela prouve leur inutilité ? Bien au contraire ! De mes études de droit, j’ai retenu cette phrase très juste que le contentieux doit toujours être regardé comme une « pathologie du droit« . Les règles juridiques ont vocation à régler harmonieusement les rapports humains et elles sont une des expressions de la sociabilité (Ubi societas, ibi jus). Quand des contrats règlent les rapports entre des millions de personnes chaque jour sans générer de contentieux, c’est qu’ils ont atteint leur but et c’est le cas des Creative Commons.

Ce caractère « paisible » de l’usage des Creative Commons depuis 10 ans constitue le plus beau signe de leur réussite : ils ont rempli leur objectif, qui consistait à « mettre de l’huile » dans les rouages de la machinerie numérique, en fluidifiant les usages là où si souvent le copyright est pris d’accès de fièvre contentieuse de plus en plus inquiétants. Notons d’ailleurs que ce caractère paisible de l’application des CC vaut aussi pour les licences comportant la clause NC (Non Commercial), souvent dénoncées comme un nid à contentieux potentiel par certains, alors qu’en pratique, cela ne se vérifie pas.

Normes juridiques « ascendantes »

Le point de vue de Zacqary Adam Green revient à nier le rôle pédagogique de ces licences, ainsi que leur pouvoir de régulation extra-judiciaire des usages, qui constitue le canal principal assurant leur effectivité. On passe d’une logique d’application de la norme juridique par la contrainte à une logique d’application « communautaire » qui est le propre des biens communs. Valérie Peugeot parle d’ailleurs à propos des Creative Commmons de « normes juridiques ascendantes« , secrétées par les communautés plutôt qu’imposées par la contrainte étatique, et on observe très bien ces phénomènes de régulation communautaire à l’intérieur de Wikipédia par exemple, qui a su mettre  en place une véritable ingénierie normative interne, fascinante à observer.

La nouvelle version 4.0 des Creative Commons va d’ailleurs faire une part plus large à cette dimension de régulation extra-judiciaire. Normalement, la violation d’une Creative Commons fait « sauter » la licence automatiquement entre l’auteur et le réutilisateur, mais les CC 4.0 vont prévoir un mécanisme par lequel la licence reprendra son effet si une solution amiable a pu être trouvée par le dialogue :

The license now includes a mechanism that allows for automatic reinstatement of the license when a violation is cured within 30 days of discovery, while preserving a licensor’s right to seek remedies for those violations. This was a popular request, particularly by institutions wanting to use high-quality CC-licensed content in important contexts but who worried about losing their license permanently for an inadvertent violation.

No copyright et « Copy-Out »

Pour autant, il y a bien des créateurs qui font le choix de placer leur création complètement en dehors du champ du droit d’auteur. Cela existe depuis Tolstoï en passant Jean Giono et les situationnistes, jusqu’à des créateurs contemporains comme Nina Paley, Gwenn Seemel ou Pouhiou. Je les ai rejoints récemment en choisissant la licence CC0 pour S.I.Lex, en raison de mon engagement particulier en faveur du domaine public.

Les dix commandements du Copyright, par Gwenn Seemel, artiste peintre, engagée dans une démarche « No Copyright » ou « Copy-Out »

J’avais d’ailleurs appelé cette démarche le « Copy-out » en référence au copyleft :

Le problème, c’est que ces propositions ne vont pas assez loin à mon sens , car elles conservent le cordon ombilical entre l’oeuvre d’information et la propriété intellectuelle. Il est peut-être temps de dépasser la logique du Copyleft elle-même pour entrer dans celle du Copy-Out : la sortie en dehors du cadre du copyright et non plus son aménagement.

Je m’intéresse également beaucoup aux champs de la création qui ne peuvent pas être protégés par le copyright, comme la mode, la cuisine, les tours de magie ou le parfum. Dans ces domaines, on constate que des formes de régulation alternatives se mettent en place, généralement basées sur des codes d’honneur, des déontologies professionnelles ou le respect du secret,  qui prennent le relai pour « policer » les usages, en l’absence même d’un possible recours aux juges.

Nina Paley récemment a produit un très beau texte, traduit également par sur Framablog, où elle explique que son choix d’opter pour la licence CC0 a été motivé par le fait de vouloir faire « voeu de non-violence légale » :

Il y a quelques années j’ai entamé une démarche pour faire vœu de non-violence : un engagement de ne jamais poursuivre en justice qui que ce soit pour du savoir (ou de la culture, des œuvres culturelles, de l’art, de la propriété intellectuelle — ou le nom quelconque que vous préférez). Le copyright est désespérément détraqué ; bien sûr, le droit craque de partout aux USA. Mais pourquoi devrais-je recourir à cette même loi aberrante pour essayer de corriger les abus qu’elle introduit ?

Personnellement, je respecte cette décision, d’autant plus que j’ai fait la même pour ma propre création. Mais cela relève d’un choix individuel, cohérent avec une démarche particulière et un contexte donné de création. Je ne prétends nullement qu’adopter la licence CC0 devrait constituer l’unique alternative pour les auteurs au « Copyright : Tous droits réservés ».

Le besoin d’une palette large de licences

J’ai déjà eu l’occasion de défendre par exemple les licences comportant une clause non commerciale (NC), parce que j’estime qu’elles ont leur intérêt dans l’écosystème, notamment pour certaines formes de création et pour mettre en place des modèles économiques jouant sur la réservation de l’usage commercial.

A mon sens, nous avons besoin d’une palette large de licences pour expérimenter des stratégies différenciées de diffusion des oeuvres sur Internet. Et le choix de l’individu-créateur de maintenir des conditions à la circulation de son oeuvre doit toujours être respecté.

L’application du droit ne passe pas exclusivement par les tribunaux et il faut s’en réjouir. Mais le fait que l’on puisse saisir un tribunal en cas de problème grave a aussi son importance. Doit-on dire qu’il faut abolir le droit du travail par exemple, parce que seule une petite partie des rapports professionnels finit devant les Prud’hommes ? Ou qu’il faille jeter le Code de la famille parce que peu de foyers lavent leur linge sale dans les prétoires ? Je ne pense pas que ce serait sage…

Pour la même raison, je trouve absurde de vouloir abolir les Creative Commons sous prétexte qu’ils n’engendrent pas de procès. Et le fait que les CC soient encore ancrés dans le copyright et dans le droit n’empêchent aucunement des formes de régulation sociale de se développer.

Un peu de lucidité politique

Au final, le gros marteau de Zacqary Adam Green risque bien de manquer sa cible. Il ne fera pas grand mal au copyright pur et dur, mais il en fera sans doute aux Creative Commons et cela revient à tirer sur une ambulance pendant que les chars d’assaut avancent. Les querelles intestines au sein même de la communauté du Libre constituent d’ailleurs un problème sérieux, qui pèse lourd dans la possibilité d’arriver à réformer un jour le droit d’auteur sans un sens positif. Philippe Aigrain a récemment écrit un billet important à ce sujet, qui tire la sonnette d’alarme :

Or, si la société vibre de pratiques passionnantes, solidaires et créatrices, et bien sûr de réactions indignées, elle manifeste chaque jour, en particulier en France, son incapacité à constituer un mouvement social coordonné.

Personnellement, je pense que le monde peut se passer complètement de la propriété intellectuelle et qu’il serait sans doute meilleur et plus juste ainsi (il y a même un excellent Framabook sur la question).

                         

Mais soyons lucides un moment : l’abolition pure et simple du droit d’auteur n’adviendra pas de notre vivant, si elle arrive seulement un jour ! La réforme ne pourra se faire que par petites touches et très difficilement, vu les blocages que le système oppose à toute évolution.

Réussir à réformer le droit d’auteur, cela veut dire accepter de mettre les mains dans le cambouis, dans le texte de la loi lui-même, pour trouver de nouvelles solutions. L’horizon politique atteignable, à l’échelle d’une vie humaine, c’est celui d’une légalisation du partage non-marchand des oeuvres, qui fait d’ores et déjà l’objet de programmes détaillés convaincants.

Il est triste que ces projets ne fassent pas l’objet d’un soutien plus large, y compris au sein de la communauté de la Culture Libre. Ce n’est pas d’un marteau dont nous avons besoin pour réformer le droit d’auteur, mais d’une nouvelle alliance politique. Le texte de Zacqary Adam Green nous en éloigne plus qu’il ne nous en rapproche.

PS : Imgur, un des personnes venues commenter sous ce billet a produit une nouvelle version du Guide des Creative Commons, qui prend en compte cette fois leur pouvoir de régulation extra-judiciaire. Merci pour ce joli pied de nez !


30 réflexions sur “Jeter les Creative Commons avec l’eau du Copyright ?

  1. A reblogué ceci sur PROF NUTON and commented:
    un post très intéressant sur l’usage et lutilité (ou pas) des Creative Commons. Pour ceux qui s’intéressent à la culture numérique, aux questions de propriété intellectuelle et souhaitent en savoir un peu plus sans trop se perdre dans de la démonstartion technique. (facultatif)

  2. Je dois avouer que je n’ai pas lu l’intégralité de votre post. Mais il me paraît assez évident que l’impact juridique des licences creative commons est plutôt restreint… Néanmoins, je les trouve utiles et même indispensables, dans le sens ou ils rappellent que les liens que nous nouons et les contrats dans lesquels nous nous engageons sont de nature morale et demandent une implication active de notre part, qui ne se nourrit pas seulement de la peur de la punition. C’est pour cette raison que j’utilise les « creative commons », dont l’esprit me plaît.

  3. Passionnant et constructif, comme toujours. Mais, comme on a pu en gazouiller entre nous, je n’ai pas retenu les mêmes choses de cet article !

    Cette citation qui l’introduit, est pour moi éloquente :
    « À long terme, il va vraiment falloir l’abolir complètement [le monopole du copyright].
    Les Creative Commons ont été l’une des meilleures tentatives pour résoudre les problèmes posés par le monopole du copyright. Les Creative Commons font un excellent travail en incitant les personnes qui créent à envisager différemment le monopole du copyright et plus particulièrement ce que d’autres peuvent faire de leur travail. »

    Zacqary reconnait dès le départ l’importance historique et psychologique des CC. Je ne crois pas que sa démarche soit de les détruire : sa masse ne s’attaque pas aux creative commons, mais bien au copyright. Il tente juste d’inciter les personnes à aller plus loin dans leur démarche.
    Il n’est pas dans le présent, mais dans un futur. Son « À long terme » aurait dû être répété tout du long…

    Les creative commons ont eu (et continuent d’avoir) un rôle considérable en faisant prendre en charge aux créateurices leur droits. La gestion et le choix individuel par opposition à la gestion collective et le monopole imposé par l’état.
    Grâce à ce qu’ont construit les CC (sur le terreau des licences libres du logiciel) on se prend en charge légalement parlant. On s’intéresse au sujet, aux régulations… Nous ne somme plus dans le subir mais dans l’action. Zaqcary essaie de tirer les createurices plus avant dans leur réflexion, en leur demandant si la loi est vraiment l’outil qu’il leur faut. Bien entendu, vouloir tout détruire et partir sur d’autres bases est irréaliste aujourd’hui. Mais il me semble important de poser ces questions et de mener cette réflexion.

    J’avoue que distinguer le contentieux et le droit ne me vient pas à l’esprit : je ne suis pas juriste, je ne sais pas penser aussi finement nos régulations. Du coup, comme Zacqary, j’ai une vision « utilitaire » de la loi. Or tu as raison : les licences -et la loi sur lesquelles elles se basent- ne servent pas uniquement (et peu) à la résolution de conflit, mais plus comme un effet d’annonce, un cadre. Seulement la force de ce cadre naît dans la résolution des conflits. C’est parce qu’il y a eu des contentieux mêlant des CC qu’on a constaté que ces licences sont solides. Mais tout le monde n’a pas les moyens de résoudre ses conflits devant un juge… et chaque conflit non résolu faute de moyens est une promesse non tenue par la loi et les licences…
    La réflexion qui me vient, c’est que les CC devraient initier un collectif d’entraide (genre plateforme de crowdfunding/sourcing) pour renforcer les createurices qui utilisent ces licences face à leurs démarches. Pas une société collective (entendons nous bien ^^) mais un outil commun…

    Malrgé tout, là où je veux en venir, c’est que nos discussion, l’article de Nina, celui de Zacary… me poussent vers une réflexion plus profonde. Je me demande si, par sa nature même, la propriété des biens immatériels peut être régulée judiciairement de manière efficace. On en revient au fond au problème qui a donné son nom à la quadrature du net : impossible de légiférer le web sans porter atteinte aux libertés individuelles.

    C’est encore une thought in progress, mais cette voie du copy-out, cet opt-out légal/judiciaire, me semble carrément induit par la dématérialisation des créations de l’esprit. Remplacer la loi par une étiquette, une déontologie me semble évident quant on voit l’inadaptabilité des démarches judiciaires au monde numérique. La lenteur d’un système et l’immédiateté des échanges. De plus en plus, les licences CC sont utilisées par celles et ceux qui y souscrivent comme des voeux pieux, des annonces de ce qu’illes trouveraient classe/pas classe. Comme une charte bien plus que comme un outil juridique.

    L’article de Zacqary s’adressait à ces personnes, et essayait de leur faire prendre conscience de ce fait : vous souhaitez que l’on respecte vos oeuvres. Vous ne l’exigez pas.

    1. Au fond, nous sommes d’accord tous les deux, mais ce que je ne comprends, c’est pourquoi il faut s’en prendre aux Creative Commons pour défendre une approche CC0. Or c’est quand même souvent ce que l’on rencontre chez les auteurs qui optent pour cette démarche. Je ne parle pas pour toi, mais c’est présent chez Zacqary et aussi un peu chez Nina Paley. Comme si cela devait une sorte de « surenchère » sur les CC plutôt qu’une critique du copyright. Et ça, j’avoue que cela me gène beaucoup, parce que vu la situation dans laquelle nous sommes, je pense qu’il ne faut vraiment pas gaspiller une seule goutte d’énergie à se tromper d’ennemi…

      Chez Nina Paley, j’apprécie vraiment son analyse de la question du plagiat, dans laquelle elle montre que cette question est très largement régulée en dehors du droit stricto sensu, par des considérations éthiques. Elle en a même fait une petite chanson qui est très instructive, comme toujours avec elle : http://blog.ninapaley.com/2011/06/27/credit-is-due/

      Une nuance avec ce que tu dis : on pourrait rêver en effet que les créations immatérielles ne soient plus régulées par le droit, mais jusqu’à présent, ce n’est pas ce que l’on constate. Bien au contraire, l’immatériel fait l’objet d’une véritable débauche de moyens d’appropriation, bien plus sophistiqué en fait que le régime de la propriété matérielle. Et cette logique s’étend peu à peu, vers les informations brutes, les mots du langage et peut-être un jour, les idées elles-mêmes, ce qui signera notre défaite définitive.

      Face à ce genre de dérives, la « non-violence » est-elle vraiment la solution ? Par moment, j’ai l’impression au contraire que tout ceci finira dans un terrible bain de violence et je pense souvent à la fin tragique d’Aaron Swartz, qui nous a montré que tout ceci pouvait aller très loin.

      Il faudra poursuivre cette discussion, mais c’est déjà bien de pouvoir l’engager sur ces bases.

  4. Juste une précision à propos des Creative Commons : elles proposent un cadre juridique à la question de la propriété intellectuelle (et de son éventuel dépassement) et donc apportent une réponse « à l’intérieur » de l’institution – l’État et le marché qui vont main dans la main.

    Cependant la question du dépassement de la propriété intellectuelle était déjà posée chez les situationnistes dont les textes portaient systématiquement la mention : « Tous les textes publiés [ici] peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés même sans indication d’origine. »
    Il ne s’agit pas de dire ‘kikélepremié’ ou ‘kicéléméyeur’, mais juste de rappeler qu’il n’y a pas ‘que’ les CC, et rien avant ça.

    il pourrait d’ailleurs être intéressant de comparer : les CC émergent dans la culture anglo-saxonne où il s’agit de copyright ; tandis que les situs répondent dans un contexte français où prévaut le ‘droit d’auteur’

    my 2 cts

    ____peupleLà

  5. Je suis en train de lire un bouquin d’Ostrom et tout ça me fait penser à la situation qu’elle décrit.
    Un bien commun exploité sans règle et sans communication entre les individus aboutit à la célèbre tragédie des communs.
    Pendant des années, il a été soutenu par des économistes et les politiques que la propriété privée était la panacée pour régler ce problème. Dans le domaine qui nous concerne, cela se traduit par les règles strictes du droit d’auteur « classique ».
    Ostrom démontre très clairement que la propriété privée est très loin d’être la seule solution, et encore moins la meilleure en ce qui concerne les biens communs, contrairement à ce qu’on a voulu nous faire croire pendant des siècles.
    L’une des solutions qui se révèle préférable est celle du contrat de gré à gré entre les utilisateurs des biens communs. En s’entendant mutuellement sur les droits et obligations de chacun, les biens communs sont exploités de façon beaucoup plus efficace. Les licences Creative Commons se rapprochent grandement de cette exploitation commune.
    Vouloir renoncer tant à la propriété propriété privée qu’au contrat de type CC équivaut finalement à revenir à la situation initiale : l’exploitation « anarchique » du bien commun qui aboutit à sa dégradation.

    1. Merci pour ce commentaire éclairant ! Quel livre lis-tu d’Elinor Ostrom par curiosité ? Tu l’as trouvé en français ou tu le lis directement en anglais ?

      1. Il s’agit de Governing the commons : the evolution of institutions for collective action.
        Je ne l’ai pas trouvé en français en version électronique, donc je le lis en anglais.

  6. Et qu’est-ce que tu fais si un margoulin publie ton œuvre CC0 sous son nom, et te POURSUIT pour avoir enfreint SON Copyright ?
    ;-)

    Par exemple, j’ai posté des photos dans Wikimédia pour le concours monuments historiques* ; qu’est-ce qui empêche un indélicat de reprendre ces photos sous son nom, et de m’attaquer si j’ai l’outrecuidance de publier quelque part une des photos que j’ai postées ?

    Bon, je crois bien que la publication des photos dans Wikimédia n’est CC0, SJMSB…

    * d’ailleurs une de mes photos, celle du radôme de Pleumeur-Bodou, a posé problème : quelqu’un voulait la supprimer, car elle enfreindrait un de ces f**** copyright ;->
    Finalement, je crois qu’elle est restée, car c’est une vue extérieure générale, et d’un objet technique banal, SJMSB aussi…

    1. Puisqu’il a récupéré ton travail, c’est qu’il était librement accessible. Tu as donc une preuve d’une utilisation antérieure à la sienne. Tu demande conseil (c’est toujours possible gratuitement) à un avocat.

      1. Oui — mais :

        C’est le problème que pose toute loi basée sur le monopole du copyright : elle ne protège que les personnes qui ont les moyens d’engager une poursuite judiciaire. Si vous avez l’argent, si vous avez le temps, et si vous êtes prêts à passer des années à supporter le stress et les absurdités de la procédure, alors vous pouvez profiter des avantages du monopole. Sinon, c’est une fumisterie.

        ;-)

    2. Non, ce ne serait pas possible. Il y a un principe général du droit qui s’appelle tout simplement la bonne foi et en prouvant l’antériorité, il serait possible de mettre à néant ce type de prétention devant un juge.

      1. Un autre problème (plus grand par contre) se pose justement avec les usagés des CC : par exemple : je publie sur mon site une photo en CCo, cette photo est réutilisée par des entreprises, des particuliers, etc… A ce moment là, je retire la mention CCo de ma photographie et j’attaque les usagers via mon droit d’auteur/droit moral.
        Vous l’avez dit vous même, dans certains pays on n’a pas le droit (encore) de se soustraire à certain de nos droits (comme le moral), du point de vu du juge ça risque d’être du tout cuit pour les usagés et tout bénef pour moi.

        De ce fait, les CC ne me semblent pas être particulièrement intéressants pour du Copyleft/out : car rien ne semble nous garantir que le copyright ne reviendra pas pointer le bout de son nez… pour le pire.

  7. Je partage complètement le point de vue de Jordi78 ci-dessus, il faut à mon avis se méfier très fort de la vision romantique du domaine publique. Elle avait été bien mise en évidence dans cet article à propos du livre Libres savoirs :

    « Anupam Chander et Madhavi Sunder soulèvent des objections à ce qu’ils appellent, selon le titre de leur contribution, « La vision romantique du domaine public ». Ils notent que ce sont désormais les entreprises privées qui réclament que les arbres et les chants des Shamans tombent dans le domaine public. Pourquoi ? Parce que, dès lors, les savoirs traditionnels et les richesses de l’évolution naturelle sont appropriables, privatisables, exploitables par les grandes corporations, comme autant de champs pétrolifères. »

    Problème de pays du Sud ? Pas du tout ! cette étude du motif montre clairement que les principaux bénéficiaires du Domaine public littéraire sont Gallimard et Hachette parce que que sont eux qui ont les ressources les plus fortes pour leur exploitation.

    Cliquer pour accéder à fichier_fichier_pra.sentation._etude.sur.le.domaine.public.pdf

    Je suis d’accord pour défendre le domaine public parce qu’il est un bien commun POTENTIEL. Attention à ne pas en faire un unique cheval de bataille. Je crois que le besoin de régulation des CC est très bénéfique et doit être absolument défendu. J’irai même plus loin comme je l’ai écrit dans ce billet : la principale erreur des CC est de refuser de définir des types d’usages marchands. Quoi de commun entre l’aspiration d’une base pour son exploitation commerciale sans contrepartie par une mutli-nationale et sa réutilisation des amateurs de généalogie ? Même question pour l’open data : Faut-il faire de l’Open Data strictement ouvert à TOUS les usages pour les gens d’open street map comme ceux de Google ? Les services publics doivent-ils tout livrer de la même manière à tout le monde ? Le vrai enjeu politique se situe de ce côté là : http://www.bibliobsession.net/2012/11/14/pour-une-approche-complexe-des-usages-marchands-des-biens-communs-de-la-connaissance/

    De ce point de vue, il reste à inventer de nouvelles licences, plutôt qu’à tout jeter aux orties !(depuis que j’ai un bébé je ne supporte plus l’expression qui se termine « avec l’eau du bain » ;-)

    1. Oui, je suis tout à fait d’accord avec toi. Au lieu de rejeter cette question du non-commercial, il faudrait au contraire s’en emparer pour l’affiner et ne pas en rester à la définition bien trop vague des Creative Commons. On peut regretter d’ailleurs que Creative Commons International ait une fois de plus botté en touche sur le sujet, avec la nouvelle version 4.0. Il y a eu une volonté de s’attaquer au problème de la définition, mais les attaques contre le principe même du maintien du NC ont empêché qu’un vrai débat de fond ait lieu sereinement sur la question.

      Sur la conception « romantique » du domaine public, je te rejoins aussi assez largement. L’ouverture totale du domaine public le rend fragile et vulnérable aux attaques qui aboutissent à poser de nouvelles enclosures.

      Mais dans les propositions que j’ai faites en vue d’une loi pour le domaine public en France, j’ai essayé de prendre en compte cette dimension, notamment en ouvrant une possibilité d’action pour une défense positive du domaine public contre les enclosures.

      De cette manière, les communautés impliquées dans la défense du domaine public pourraient monter au créneau et agir, y compris en saisissant un juge, pour contrer les tentatives de réappropriation.

      L’autre piste serait de mettre en place un quasi-SA sur le domaine public, mais j’ai du mal à trouver la formule juridique qui permettrait de faire du domaine public un bien commun « contaminant ».

      1. Finalement, je vais me répéter, mais si on pouvait parler de domaine commun plutôt que de domaine public, on aimerait encore davantage cette volonté.

        1. Cela plusieurs fois que l’on parle de rebaptiser le domaine public en « domaine commun » et je me rends compte seulement maintenant que cela fait écho avec une conception de l’une partie de la doctrine juridique qui parle « fonds commun ».

          Voyez plutôt cet extrait de (l’excellent) manuel Droit de la propriété intellectuelle de Laure Marino, que je suis en train de lire :

          « Le domaine public est l’indispensable réservoir collectif ; il constitue le fonds commun utile à la création qui participe au bien commun et à la démocratisation de la culture.Il n’y a pas lieu de distinguer le domaine public, qui contiendrait seulement les biens appropriés qui ne le sont plus, et le fonds commun, qui serait plus large et regrouperait les biens non appropriés et les biens du domaine public. Le premier alimente seulement le second. »

          Dans cette conception, que l’on retrouve aussi chez Michel Vivant, le domaine public est donc un sous-ensemble d’un « fonds commun ».

          Je n’aime pas trop le terme « fonds », mais il y a donc bien un moyen de raccrocher lexicalement le domaine public au concept de bien commun, qui plus est admis par une partie de la doctrine juridique française.

  8. Effectivement, c’est dommage que Zacqary Adam Green passe à coté de la régulation extra-légale. On peut refaire le même guide que le sien, mais en mettant en avant ce type de régulation :

  9. Mélanger droits d’auteur et copyright est … trompeur.
    Le droit d’auteur à la française est attaché à son auteur et supprimer le droit moral, c’est comme de décréter que la poule n’est pas sortie d’un œuf. Cela n’implique pas que le droit d’auteur tende vers des dérives inacceptables, la prolongation de celui-ci sur des durées sidérantes en étant la principale, les revenus astronomiques que peuvent en tirer certains (et rares) auteurs ne sont pas saine, c’est le moins que l’on puisse dire.
    Le copyright relève d’une tout autre procédure, la paternité d’un « œuvre » est attribuée à celui qui en a acquis les droits, celui pouvant être une entreprise, donc une personne morale, et le but d’une entreprise est de faire fructifier ses acquis.

    Vous dites que les licences Creative Commons ne sont véritablement utiles que si l’on a les capacités d’attaquer en justice, soit, mais pour créer, encore faut-il en avoir les moyens ! On exclut d’office toute personne sans revenus, aux revenus trop modestes ou même trop faibles pour certains domaines de la création. Comment fait-on pour donner à ces personnes les capacités de créer ? Crée-t-on une commission pour dispenser des bourses, des subventions, ce qui amène à la situation actuelle de l’art dit contemporain en France qui exclut la grande majorité des créateurs. Distribue-t-on des financements à tout va ? Bref, il y a problème.

    Pour ma part, je trouve le droit d’auteur assez pertinent pour peu qu’on en limite le champ d’application dans le temps et dans les revenus ; et on laisse le public décider de qui aura ou pas les moyens de créer. Ce n’est peut-être pas encore parfait, les goûts du public sont parfois critiquables, existe-t-il une autre vraie solution ?

    1. Oui, il existe une autre solution, qui s’appelle contribution créative et qui aurait l’immense avantage de redistribuer des sommes considérables aux créateurs, amateurs et professionnels, à partir du financement mutualisé des internautes. Cela implique une légalisation des échanges non-marchands, qui consiste en réalité à mettre le droit d’auteur en conformité avec les usages : https://www.laquadrature.net/fr/elements-pour-la-reforme-du-droit-dauteur-et-des-politiques-culturelles-liees

      Un rapport parlementaire vient d’être rendu par la mission sur les conditions d’emploi dans les milieux artistiques qui pointe bien la réalité des problèmes : augmentation importante du nombre des créateurs (il faut s’en réjouir), mais dégradation significative de leurs revenus : http://www.numerama.com/magazine/25768-la-licence-globale-de-retour-en-grace.html

      Et vis-à-vis du droit d’auteur, ce rapport a une approche enfin courageuse : il critique le concept « d’offre légale » qui n’a pas permis et en permettra certainement jamais de financer la création, en appelant à la mise en place d’une licence globale : http://eclatsdesilex.tumblr.com/post/48768066879/en-finir-avec-le-concept-doffre-legale

      Donc oui, il y a bien une autre façon de faire tourner le système, mais encore faut-il que les créateurs eux-mêmes comprennent qu’ils n’ont plus intérêt à soutenir ces vieux principes qui se retournent contre eux à présent.

      Sur la distinction copyright/droit d’auteur, il y aurait beaucoup de choses à dire. La séparation est beaucoup moins importante qu’on ne le dit trop souvent. Voir ce qu’en dit l’avocat Emmanuel Pierrat : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2006-05-0014-002

      En effet, beaucoup de gens raisonnent encore avec une vision, qui remonte selon moi à la Guerre froide, de séparation complète des deux versants de l’Atlan-tique. Mais le monde a changé, il est temps de se réveiller. En pratique, cela fait très longtemps qu’on est sur le même modèle, à peu de choses près. Ce qui nous différenciait avant est aujourd’hui réduit à peau de chagrin. Qu’est-ce qui nous différenciait ? Le droit moral. Il existe de facto quand on est puissant, aux États-Unis comme en France. Ici il est dans la loi mais on ne l’exerce que quand on peut se payer le luxe de se fâcher avec son éditeur ou son producteur. La plupart du temps, on signe un contrat dans lequel on accepte d’emblée tout ce qui, en tant qu’auteur, fait hurler, mais si on refuse, plus de contrat ! De l’autre côté, pas de droit moral dans la loi, mais un auteur qui possède un pouvoir économique fort, et il y en a beaucoup, réussit à imposer ses conditions. Il y a aussi des gens qui utilisent la globalisation du marché pour agir internationalement quand la loi de leur pays ne le permet pas, comme par exemple dans la célèbre affaire de colorisation autour du film de John Huston Asphalt Jungle, où Angelica Huston a fait trancher en sa faveur par la Cour de cassation en France, ce qui a immédiatement mis fin au marché mondial de la colorisation, hors des États-Unis.

      L’autre différence c’est la titularité des droits. Mais, en pratique, quand je signe un contrat avec un éditeur en France, il est parfaitement identique à un Publishing Agreement américain. Par ailleurs, les États-Unis ont adhéré à la Convention de Berne, le dépôt n’est plus nécessaire pour la protection, la durée des droits est la même, bref on est dans une uniformisation complète. Et aujourd’hui, en France, c’est d’abord aux producteurs que la loi donne des droits. La preuve en est fournie abondamment par les débats sur la Dadvsi : les amendements étaient d’abord des amendements de producteurs : EMI, Sony, Vivendi, et non pas des amendements d’auteurs. Donc, je persiste à dire que c’est un débat dépassé. Ou du moins que ce n’est plus un problème juridique, seulement une question de rapport de force économique.

      1. J’aime assez ce que dit Emmanuel Pierrat, il est pondéré et réaliste.
        Il a quelques préventions envers la licence globale qu’il compare à la taxe télé payée par tous, quel que soit l’usage qui en est fait, ce qui peut se comprendre.
        Il signalait : « aujourd’hui, en France, c’est d’abord aux producteurs que la loi donne des droits », seulement, l’auteur devient souvent son propre producteur, les lignes doivent donc changer.
        Le droit d’auteur est associé à un droit moral dont il dit que l’équivalent existe aux USA, à la nuance prêt que celui-ci comporte un volet responsabilité morale qui, en France, est encore assumée par l’auteur. Il suffit de se référer aux nombreux concours où l’on demande aux auteurs de photos de fournir leurs images gratuitement, en leur rappelant qu’ils auraient à assumer les éventuels recours du fait de cette responsabilité morale !

        1. La légalisation du partage non marchand aboutirait à la constitution d’un très vaste réservoir de biens communs culturels partageables. Ce réservoir serait disponible non seulement au téléchargement, mais aussi à la simple rediffusion en ligne (dans un cadre non marchand). Dès lors, il serait artificiel de limiter le paiement de la contribution créative à ceux qui « téléchargent », car l’ensemble des internautes, directement ou indirectement, profiteraient de la circulation des oeuvres en ligne, qui enrichirait leur expérience.

          Je ne pense donc pas que l’analogie avec la redevance télé tienne la route.

          J’apprécie certains points de vue d’Emmanuel Pierrat, mais cela reste l’avocat de grands éditeurs.

  10. A lire tous ces commentaires je persiste et signe sur un point : Zacqary Green ne fait pas du creative commons bashing.
    Son billet, grandiloquent et provocateur, a simplement pour but d’inciter les auteur-e-s partageant en creative commons à envisager le versement dans le domaine public vivant. Car, même si ce n’est pas toujours le cas, cela peut s’avérer adapté à bien des situations.

    Ce n’est pas une « vision romantique du DP » que de faire voeu de non violence légale. C’est au contraire preuve de lucidité. C’est savoir choisir des protections adaptées au terrain.
    La personne qui contresignera des oeuvres émanant de moi, je perdrai jamais mon temps à l’attaquer en justice. J’ai, par contre, de quoi lui tailler une réputation aux petits oignons. Dans certains cas, une campagne de dénigrement est bien plus efficace qu’un procès, non ?

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