Nouvel arrêté sur le doctorat : quelle incidence sur la diffusion des thèses électroniques ?

En février dernier, j’avais consacré sur ce blog un billet à la question du PEB des thèses électroniques, en pointant des lacunes dans la réglementation qui rendaient paradoxalement les fichiers numériques plus difficiles à transmettre à l’extérieur des établissements de soutenance que les exemplaires papier. Or le 25 mai dernier, un nouvel arrêté « fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat » a été publié, qui comporte des dispositions relatives à la diffusion des thèses électroniques.

Image Domaine Public. Source : Wikimedia Commons.
Image Domaine Public. Source : Wikimedia Commons.

J’ai reçu depuis de nombreuses questions de la part de lecteurs de ce blog qui me demandent comment ce nouveau texte doit être interprété et dans quelle mesure il apporte des solutions au problème de la transmission des thèses électroniques au-delà des intranets des établissements de soutenance. Je poste donc ci-dessous les réflexions que ce texte m’inspire, sachant que les commentaires sont ouverts sous le billet pour prolonger la discussion, car vous allez voir que l’interprétation du nouvel arrêté n’est (hélas) pas simple. …

Qu’est-ce qui change avec le nouvel arrêté ? 

 

Voici les nouvelles dispositions du texte concernant la diffusion des thèses électroniques :

Sauf si la thèse présente un caractère de confidentialité avéré, sa diffusion est assurée dans l’établissement de soutenance et au sein de l’ensemble de la communauté universitaire. La diffusion en ligne de la thèse au-delà de ce périmètre est subordonnée à l’autorisation de son auteur, sous réserve de l’absence de clause de confidentialité.

Elles remplacent les dispositions du précédent arrêté, daté de 2006, qui étaient formulées ainsi :

Sauf dans le cas d’une clause de confidentialité, l’établissement de soutenance assure en son sein l’accès à la thèse. La mise en ligne de la thèse sur la toile est subordonnée à l’autorisation du nouveau docteur sous réserve de l’absence de clauses de confidentialité.

L’arrêté de 2006 soulevait un problème en matière de diffusion à distance des thèses sous forme électronique. Alors que les bibliothèques universitaires avaient la possibilité d’envoyer un exemplaire imprimé de la thèse à un autre établissement à la demande d’un usager (système du PEB), elles ne peuvent faire de même avec les fichiers  d’une thèse au format électronique.

L’arrêté de 2006 prévoyait seulement une diffusion de la thèse électronique au sein des emprises de l’établissement de soutenance et la transmission à distance implique des actes de reproduction et de communication qui restent couverts par le droit d’auteur, et donc théoriquement soumis à l’approbation du doctorant.

Le nouvel arrêté de 2016 semble comporter une formulation plus ouverte en matière de diffusion par l’ajout des termes « et au sein de l’ensemble de la communauté universitaire ».

Difficultés d’interprétation… 

En réalité, ces nouvelles dispositions sont formulées de manière relativement ambiguë. Elles ne mentionnent pas explicitement la communication à distance des fichiers d’une thèse électronique. Elles se content d’évoquer la communication « au sein de l’ensemble de la communauté universitaire ».

Néanmoins, étant donné qu’une modification dans les textes est intervenue, il est réaliste d’essayer de lui trouver un sens, par le biais d’une interprétation. Ici, deux sens différents peuvent être envisagés :

  • Sens restrictif : « diffusion […] dans l’établissement de soutenance ET au sein de l’ensemble de la communauté universitaire ». Ce« ET » peut s’interpréter au sens booléen du terme, comme le fait remarquer ici Michèle Battisti. La phrase énoncerait alors deux conditions cumulatives. : la version électronique de la thèse devrait être accessible à partir de l’établissement de soutenance et UNIQUEMENT à des membres de la communauté scientifique. En logique pure, cette interprétation peut être retenue, mais elle irait à l’encontre des besoins notoirement connus en matière de diffusion des thèses électroniques. Par ailleurs, le fait que le texte évoque « l’ensemble de la communauté universitaire » fragilise cette interprétation, car on voit mal comment une diffusion limitée à un seul établissement pourrait permettre d’atteindre l’ensemble de cette communauté.
  • Sens large : On interprète le ET comme voulant dire « et [au-delà] au sein de l’ensemble de la communauté universitaire », ce qui permettrait la communication à distance des fichiers des thèses électroniques. Ce sens serait plus conforme aux besoins exprimés par les professionnels de la documentation au sein des universités.

Un problème se pose cependant au niveau juridique pour retenir cette seconde interprétation. La communication à distance des fichiers d’une thèse électronique implique une reproduction effectuée par le service de documentation et un acte de communication à un autre établissement. Or pour que de tels actes  soient possibles légalement, il faudrait instaurer de nouvelles exceptions au droit d’auteur, ce qui n’est pas possible normalement par le biais d’un simple arrêté ministériel. Il aurait fallu pour cela un acte législatif, modifiant le Code de Propriété Intellectuelle ou a minima le Code de la Recherche.

Néanmoins, on pourrait objecter que déjà en 2006, la faculté ouverte aux établissements de soutenance de diffuser en leur sein les thèses sous forme électronique relevait déjà d’une forme d’exception au droit d’auteur et aurait donc dû être introduite au niveau législatif. Or pendant 10 ans, l’application de cette disposition n’a soulevé aucune objection.

On pourrait donc, au prix d’une interprétation constructive, considérer que le nouvel arrêté autorise la diffusion à distance des fichiers des thèses électroniques. L’argument principal en faveur de cette interprétation est que sinon, le nouvel arrêté imposerait des restrictions plus fortes en matière de diffusion des thèses électroniques que le précédent, ce qui pouvait difficilement être l’intention du Ministère.

Que faire en pratique ? 

Si l’on admet cette interprétation constructive, il reste à savoir comment organiser concrètement la diffusion à distance des fichiers correspondants aux thèses électroniques, sachant que le risque principal consiste en la dissémination de ces fichiers au-delà de la communauté universitaire.

L’idéal aurait été qu’une solution technique soit organisée directement dans  le portail Thèses.fr pour permettre la consultation des thèses électroniques au sein de l’ensemble des établissements universitaires français, par le biais d’une sorte « d’intranet étendu ». Il semblerait d’ailleurs que l’ABES, qui gère Thèses.fr, ait été saisies depuis la publication du nouvel arrêté de demandes en ce sens.

Mais dans l’attente d’une telle solution, un moyen pragmatique d’organiser la diffusion à distance des thèses pourrait consister pour les services de la documentation d’un établissement à procéder à l’envoi des fichiers correspondants à une thèse électronique à leurs homologues d’un autre établissement, à la demande d’un usager.

Pour respecter les nouvelles conditions fixées par l’arrêté, il faudrait au préalable vérifier que cet utilisateur appartient bien à la « communauté universitaire » (ce qui exclut les lecteurs extérieurs pouvant être inscrits dans les bibliothèques universitaires). Par contre, la formulation de l’arrêté paraît suffisamment large pour que les fichiers puissent être envoyés à des établissements étrangers.

A titre de précaution, un formulaire devrait être signé par l’usager demandeur des fichiers pour qu’il s’engage formellement à ne pas les rediffuser à des tiers qui ne seraient pas membres de la communauté universitaire. Une telle mesure serait de nature à dégager de leur responsabilité les établissements en cas de manquement à cette obligation par l’usager.

On peut aussi imaginer des dispositifs plus contraignants, impliquant par exemple des mesures techniques de protection (DRM) associées aux fichiers. Mais dès lors qu’on admet l’interprétation constructive de l’arrêté, rien n’impose formellement que l’on aille jusque-là.

Comment lever l’ambiguïté ? 

Etant donné que le texte du nouvel arrêté comporte une certaine ambiguïté, génératrice d’une insécurité juridique, il pourrait être intéressant d’essayer de la lever par les moyens suivants :

  • Adresser au Ministère de l’Enseignement supérieur une demande afin qu’il précise l’interprétation à adopter sur ce texte. Cela peut être fait par le biais d’un simple échange de courriers ou de manière plus formalisée, par le biais d’une question parlementaire. Une réponse en faveur de l’interprétation constructive serait un atout indéniable, mais elle n’aurait cependant pas une valeur absolue, étant donné que ce sont les juges qui ont le dernier mot en matière d’interprétation des textes.
  • Demander à la Conférence des Présidents d’Universités (CPU) qu’elle se saisisse de la question et qu’elle valide l’interprétation constructive du texte, en prenant des engagements au titre des bonnes pratiques pour organiser la diffusion à distance des fichiers. Là aussi, pas de valeur absolue sur le plan juridique, mais une telle action de la CPU aurait une forte valeur symbolique, de nature à couvrir ensuite les pratiques.

Enfin, dans tous les cas, il semble de toute manière préférable d’encourager au maximum les doctorants à accepter la diffusion en ligne de leur thèse, comme le nouvel arrêté continue à le prévoir, car cela règle directement à la racine les questions de diffusion à distance tout en contribuant au Libre Accès aux résultats de la recherche.

 


9 réflexions sur “Nouvel arrêté sur le doctorat : quelle incidence sur la diffusion des thèses électroniques ?

  1. Je trouve cette discussion très éloignée de la réalité que j’ai vécue parmi des thésards en informatique. Quand on a terminé sa thèse, on la met en ligne sur son site personnel (évidemment), et si on est une personne consciencieuse on la met aussi sur un site d’archivage long terme comme arxiv.org ou https://hal.archives-ouvertes.fr/ . Ces sites sont disponibles en ligne, gratuits à l’utilisation, et permettent de rendre disponibles à tous un document pour le long terme.

    Alors bien sûr chaque domaine de recherche a ses pratiques, son rapport à la technologie, ses spécificités, etc. Mais je pense que les questions de droits soulevées par cet article pourraient être rendues relativement insignifiantes si les écoles doctorales et encadrants prenaient l’habitude d’exiger de leur documents une mise en ligne publique sous ces conditions — sauf comme précisé dans le cas de clauses de confidentialité.

    La proposition d’un « intranet étendu » en particulier me semble très étrange. C’est internet, non ? Quel est l’intérêt de déployer des moyens techniques et humains pour une diffusion étendue mais limitée des thèses électroniques ?

    1. Bonjour,

      Je suis d’accord avec vous. Tous ces problèmes ne se poseraient pas si les doctorants autorisaient la libre diffusion de leur thèse sur Internet. Et sans doute qu’en informatique, cette pratique est largement répandue.

      Mais c’est très loin d’être le cas dans toutes les disciplines et en Sciences Humaines et Sociales notamment, la mise en ligne des thèses reste encore assez peu développées. D’où ces questions relatives à la transmission à distance des fichiers des thèses électroniques, que cet arrêté ne va hélas pas complètement solutionner.

      Mais j’acquiesce dans votre sens : c’est l’Open Access pour les thèses qu’il faut viser comme objectif, mais il reste encore un long chemin dans les mentalités à accomplir avant d’y parvenir.

      1. Mais du coup, s’il y a consensus sur le fait que la mise en ligne est la meilleure approche, c’est plutôt cela qu’il faudrait demander aux donneurs de règles, que ce soit les auteurs d’arrêtés ou les présidents d’université ou d’école doctorale, plutôt ou au delà d’une clarification sur les termes actuels de l’arrêté.

        (Par contre les questions de droit se posent toujours pleinement pour les thèses déjà déposées et pas mises en ligne, et je comprends leur importance pour les bibliothécaires en particulier. En particulier, un texte autorisant les universités à mettre en ligne les thèses sans demander explicitement l’accord de l’auteur, souvent difficile à re-contacter, pourrait simplifier beaucoup la gestion des manuscrits existants.)

  2. Bonjour,
    Merci pour cet article qui, je crois, inspirera nombre de BU. J’aimerais avoir votre point de vue sur le cas spécifique des thèses contenant des œuvres tierces sous droit.

    En effet, lorsque l’auteur souhaite une mise en ligne de sa thèse et que celle-ci contient des œuvres tierces sous droits, il peut fournir une version expurgée spécifiquement destinée à la diffusion (cette version, différente de la version de dépôt, est mentionnée au 5° de l’article 25 de l’arrêté du 25 mai 2016).
    Qu’en est-il dans le cas des doctorants qui refusent la mise en ligne ? Quelle version de la thèse doit alors être fournie « à l’ensemble de la communauté universitaire : la version intégrale, qui seule fournit l’intégralité des éléments de compréhension à un raisonnement scientifique, ou bien seulement la partie libre de droit ? La logique du code de la propriété intellectuelle voudrait que ce soit la seconde, quand l’objectif de communication scientifique qui sous-tend l’arrêté me fait pencher pour la première.
    Si l’on analyse la situation au regard de la hiérarchie des normes, la situation me paraît claire : la loi l’emporte sur l’arrêté, il faudrait donc n’envoyer en PDF que les parties libres de droit.

    Sommes-nous en train d’ouvrir une ère où le doctorant devra de toutes façons fournir une version expurgée, même s’il ne souhaite pas de diffusion en ligne ? Devra-t-il aussi retirer les parties sous droits, si la BU lui demande un exemplaire papier pour ses collections ? Car oui, il y a aussi – encore – des exemplaires papier qui assurent cette fonction de diffusion au sein de l’établissement. Cette question, qui aurait dû de poser dans les mêmes termes avant le dépôt numérique, ne se posait pas en réalité du fait d’une diffusion fort restreinte. Sans que cela engendre, me semble-t-il, la moindre jurisprudence.

    A quel point la possibilité entrouverte d’envoyer des PDF entre bibliothèques change-t-il la donne dans ce domaine de votre point de vue ?

    1. Bonjour,

      Effectivement, vous soulevez là un point épineux. En fait, il existe en France une exception au droit d’auteur, dite d’utilisation d’extraits à des fins pédagogiques et de recherche, qui permet d’incorporer des extraits d’oeuvres tierce sous droits à une thèse. Les accords sectoriels qui fixent le cadre d’application de cette exception admettent même que la thèse inclus jusqu’à 20 images protégées, y compris en cas de mise en ligne. Un doctorant ne doit donc expurger sa thèse que dans la mesure où il dépasse les limitations fixées par les accords sectoriels.

      En ce qui concerne l’envoi à distance des PDF, l’interprétation restrictive que vous indiquez est hélas sans doute la bonne. L’envoi à distance implique en effet une reproduction et une communication à distance et comme vous le dites, la loi l’emporte sans doute sur l’arrêté. Si la thèse contient des oeuvres tierces dans la limite fixée par les accords sectoriels, on devrait pouvoir les envoyer en pdf, car ces accords précisent que la diffusion des travaux pédagogiques et de recherche peut être faite « par mail ».

      Par contre, si la thèse contient davantage d’oeuvres protégées que les quota fixés par les accords, il faudra alors l’expurger.

      Notez cependant qu’en bonne logique, une thèse qui contient plus d’oeuvres que les limites fixées par les accords est de toute façon illicite et que le jury ne devrait même pas en théorie autoriser sa soutenance… Mais il y a loin entre la théorie et la pratique…

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