Donald Trump : sa vie, son oeuvre, sa marque

Il y a quelque chose de pourri au royaume du Trademark… C’est souvent ce que je me suis dit depuis des années que je réalise avec Thomas Fourmeux la chronique hebdomadaire Copyright Madness sur les dérives de la propriété intellectuelle. Mais rarement cette phrase n’aura résonné aussi fort dans mon esprit qu’en regardant le documentaire « Président Donald Trump », qui est passé sur Arte cette semaine (et qui restera encore accessible pendant une dizaine de jours sur le site de la chaîne).

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Ce reportage raconte l’histoire de Donald Trump depuis l’enfance jusqu’à son accession à la Maison Blanche et il permet de comprendre beaucoup de choses sur la manière dont un tel personnage a réussi à gravir les échelons qui l’ont conduit à la présidence des Etats-Unis, aussi improbable que cela puisse paraître. De manière assez surprenante, une des clés de compréhension du phénomène réside dans la manière dont Donald Trump a réussi à faire de son nom une véritable marque, jusqu’à effacer tout le reste. Et ce n’est absolument pas une métaphore…

Le documentaire revient sur les premiers succès de Donald Trump, et notamment la construction en 1983 de la Trump Tower sur la 5ème avenue à New York, qui reste à ce jour la plus grande réussite du milliardaire. Cet immeuble de 58 étages constitue certes un monument de clinquant, voire de mauvais goût, mais il fut une réussite commerciale, qui donna à Trump une première crédibilité, notamment auprès des banques auprès desquelles il put emprunter énormément d’argent. S’ouvre alors une phase où « The Donald », comme les médias commencent à le surnommer, se lance dans des projets pharaoniques beaucoup plus hasardeux, avec notamment la construction de casinos géants et d’hôtels à Atlantic City, ainsi que l’acquisition d’un yatch ou  d’une compagnie aérienne.

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Entrée de la Trump Tower. Image par Bin im Garten. CC-BY-SA. Source : Wikimedia Commons.

A cause de la démesure de ces projets et de la récession qui frappait les Etats-Unis à la fin des années 80, Trump se retrouva dans une situation catastrophique sur le plan financier, notamment lorsque son plus gros casino, le Trump Taj Mahal, arriva au bord de la faillite en 1991. Devant plus de 3 milliards de dollars aux banques, Trump fut contraint de leur rendre des comptes, et c’est là que le documentaire révèle une chose particulièrement intéressante.

Les banquiers se plongèrent dans les méandres de l’empire Trump et ils se rendirent compte que tous ses immeubles et possessions avaient plus de valeur s’ils portaient son nom que sans. Du fait de la notoriété du personnage, la marque « Trump » possédait beaucoup de valeur et cela arriva à les convaincre de ne pas achever Trump financièrement en liquidant ses affaires, par peur de trop y perdre. Au lieu de cela, les banques le renflouèrent au contraire et elles lui allouèrent même plus de 450 000 dollars par mois pour qu’il devienne un représentant de ses propres produits. Donald Trump se présentait donc comme un candidat « anti-système », mais il est en réalité une créature des banques et un pur produit des dérives du système financier qui préfère valoriser des actifs immatériels comme les marques ou les brevets à la place de « l’économie réelle ».

C’est à ce moment que le « VRP Trump » comprit qu’il lui suffisait de mettre son nom sur quelque chose pour en faire de l’argent. Et le futur candidat républicain commença à le faire sur littéralement tout et n’importe quoi : en vendant de la vodka Trump, des steaks Trump, des huîtres Trump, des magazines Trump, des parfums Trump, etc. Beaucoup de ces projets furent de retentissants échecs commerciaux, mais peu importe, car cela permettait de continuer à valoriser son nom, qui restait le seul actif important à ses yeux. Il cessa aussi à cette époque de réaliser de vrais projets immobiliers pour simplement vendre son nom à d’autres, de manière à ne prendre aucun risque. La surexposition lui permettait aussi de conclure de très profitables contrats publicitaires ou d’apparaître constamment à la télévision. Cette stratégie lui permit d’enclencher une véritable spirale : plus la notoriété de Trump croissait, plus sa marque prenait de la valeur, lui permettant d’apparaître davantage et d’accroître encore sa notoriété, ce qui rejaillissait sur sa marque, etc…

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Dans la multitude des marques enregistrées par Donald Trump, on trouve des choses vraiment étranges. Par exemple, il s’est battu pour obtenir une marque « Central Park », malgré l’opposition d’habitants de New York lui reprochant de privatiser le nom du plus célèbre parc de la ville. Il a aussi enregistré la phrase « You’re fired ! » qu’il prononçait durant l’émission de TV-réalité « The Apprentice » qu’il a présentée durant des années. Cette fièvre des marques ne l’a pas abandonné pendant la course à la présidentielle. Le slogan de sa campagne « Make America Great Again » a été dûment déposé, ce qui reste assez logique, mais Trump a aussi pris l’habitude d’enregistrer comme marque les sobriquets dont on l’affublait, comme « Trumpocrat » ou « Trumpublican ». Il a aussi cherché à déposer « Trumpertantrum« , un mot utilisé par son adversaire républicain Ted Cruz pour se moquer de lui (jeu de mot sur Temper Tantrum, qui désigne en anglais les grosses colères que font les enfants). Et il n’est pas très étonnant que dès son accession à la Maison Blanche, Trump se soit empressé de déposer le slogan « Keep America Great Again » qu’il envisage déjà d’utiliser pour sa réélection… en 2020 !

Tout ceci pourrait prêter à rire, mais on comprend mieux le comportement de Donald Trump lorsqu’on l’analyse sous l’angle de cette question du droit des marques, notamment son obsession pour les apparences et son mépris pour les réalités. J’ai beaucoup pensé en regardant le reportage d’Arte au livre « No Logo » de Naomi Klein, dans lequel elle procède à une critique approfondie de l’effet déréalisant des marques et de l’influence qu’elles exercent sur nos vies. Quinze ans après la parution de ce livre qui reste un classique de la critique altermondialiste, l’élection de Donald Trump est comme une matérialisation de toutes les dérives que Naomi Klein dénonçait, notamment le pouvoir de la télévision et l’élévation du marketing au rang d’une idéologie.

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En 2012, j’ai écrit un billet sur les jeux Olympiques de Londres (qui reste à ce jour le plus lu sur ce blog) dans lequel j’expliquais comment le droit des marques avait transformé cet événement en un véritable cauchemar dystopique, le CIO étant prêt aux pires excès pour protéger la valeur de ses marques et celles de ses sponsors. J’en ai écrit un autre en 2013 intitulé « Quand les marques nous enlève les mots de la bouche » pour montrer en quoi le droit des marques pouvait constituer un outil de privatisation du langage et était trop souvent utilisé à des fins de censure, avec de lourds dommages pour la liberté d’expression. Mais je ne pensais pas écrire un jour un billet sur un parvenu devenu président des Etats-Unis en réussissant à se transformer lui-même en marque et en réinvestissant cet « actif immatériel » dans la politique.

Trump ment sur beaucoup de choses, y compris sur la valeur de sa marque. Il affirme qu’elle vaudrait plus de 3 milliards de dollars, alors que le vrai chiffre serait plutôt autour de 35 millions seulement. Mais le plus incroyable pour cet homme qui aura tout construit sur son nom, c’est qu’il ne s’appelle en réalité même pas réellement Donald Trump… C’est une révélation que fit le comédien John Oliver en mars de l’année dernière lors de son émission Last Week Tonight. Comme tous les américains, Trump descend en effet d’une famille d’immigrés européens qui portaient à l’origine le nom de « Drumpf ». Or ce nom a une connotation assez ridicule en anglais et ses ancêtres choisirent à un moment donné de le transformer en « Trump », patronyme qui sonne mieux aux oreilles des américains.

Dans son show, John Oliver rappelle la manière dont Donald Trump a construit son empire sur sa marque, c’est-à-dire sur du vent, en réussissant à la faire gonfler et gonfler encore, tandis que ses affaires se cassaient la figure les unes après les autres. Et à la fin de la vidéo, il lance ce mot d’ordre aux américains : « Make Donald Drumpf Again ». Déchirez ce voile d’illusions pour regarder en face la supercherie que constitue le personnage et échapper à la magie noire de son nom ! Il annonce aussi avoir lui-même déposé une marque sur « Donald Drumpf » et s’en être servi pour ouvrir un site internet (http://www.donaldjdrumpf.com/) où l’on peut télécharger une extension pour navigateur qui remplace automatiquement tous les « Trump » en « Drumpf » !

L’attaque était juste géniale, car elle portait exactement là où se situe à la fois la force et la faiblesse de Trump. Mais elle n’a malheureusement pas suffi à l’empêcher de remporter les élections. Et nous subissons à présent les affres de ce descendant d’immigrés qui s’est empressé de prendre un terrible décret anti-immigration sitôt entré en fonction. Un bonimenteur qui vit dans un monde où les marques ont remplacé les réalités, non seulement dans le champ de l’économie, mais dans tous les domaines. Comme le dit John Olivier dans sa vidéo, Trump a fait de son nom une marque et de sa personne la mascotte de cette marque, comme s’il était une sorte de Ronald McDonald. Et voilà que celui qui n’était qu’un homme-sandwich est finalement devenu l’homme le plus puissant du monde : par la grâce du Trademark Madness…

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4 réflexions sur “Donald Trump : sa vie, son oeuvre, sa marque

  1. Avec son décret anti immigré on se prend un peu à rêver de cela
    Les indiens sortent de leur réserve, marre de ces étrangers, les représentants des nations Indiennes des Plaines du Nord (Sioux ou Dakotahs, Cheyennes, Arrapahoes, Crows, Assinaboines, Mandans, Gros Ventres, et Arickarees,), signent un décret pour foutre dehors tous ces visages pales d’ immigrés.

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