Les logiciels produits par les administrations sont passés en Open Source par défaut (et voici pourquoi)

La loi pour une République numérique adoptée l’année dernière nous réserve encore quelques surprises, plus d’un an après son entrée en vigueur. On en a eu une illustration cette semaine lors du Paris Open Source Summit 2017 pendant une session consacrée à la thématique « Administration publique ». Cette table-ronde était intitulée « Open Data / Open Source / Open Gov : ouvrir les données, les codes sources… et les administrations ? » et la première prise de parole a été assurée par Perica Sucevic, le juriste de la mission Etalab, qui a fait un résumé des principales conséquences de la loi République numérique.

Image par Nicholas Youngson. CC-BY-SA.

Or à cette occasion, il a confirmé une interprétation du texte (qui circule déjà depuis un moment parmi ceux qui s’intéressent à cette loi) en vertu de laquelle les logiciels produits par les administrations publiques devront dorénavant obligatoirement être publiés par défaut en Open Source. Ce n’est pas une conséquence qui peut se lire directement à un des articles de cette loi, mais elle résulte de l’effet combiné de plusieurs dispositions du texte.

Je pensais que cet « Easter Egg » de la loi République numérique était déjà relativement connu, mais après avoir tweeté à propos de cette confirmation reçue lors de la table-ronde, j’ai pu constater que beaucoup de personnes semblaient la découvrir. La nouvelle a suscité autant d’enthousiasme que d’interrogations, notamment sur le raisonnement qui permet d’aboutir à cette conclusion, ainsi que sur la portée exacte de ce devoir « d’Open Source par défaut » qui va dorénavant incomber aux administrations.

Il me semble donc utile d’apporter rapidement quelques éclairages sur ces questions.

Quand l’Open Data par défaut se prolonge en Open Source…

On sait déjà que l’effet combiné de la loi Lemaire et de la loi Valter a créé pour les administrations une obligation d’Open Data « par défaut », leur imposant en principe de mettre en ligne spontanément les informations publiques qu’elles produisent et de les rendre librement réutilisables, sans pouvoir lever de redevances de réutilisation (y compris en cas d’usage commercial). Il existe une liste d’exceptions identifiées dans lesquelles la libre réutilisation et/ou la gratuité ne s’appliqueront pas, mais le principe général est bien dorénavant pour les données publiques celui de l’ouverture par défaut.

Or si l’on remonte la chaîne des causes et des effets juridiques, on se rend compte que cette ouverture par défaut trouve sa source dans la notion de « document administratif communicable ». La loi République numérique considère que lorsqu’un document administratif est communicable au sens de la loi CADA de 1978, alors les informations qu’il contient doivent en principe être publiées en ligne et rendues librement réutilisables.

Or une des dispositions de la loi République numérique est venue modifier l’article dans le Code des Relations entre le public et l’administration qui contient la définition des documents administratifs. Les codes sources ont explicitement été ajoutés à une énumération donnant des exemples de ce que peut recouvrir la notion de « document administratif » :

Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions.

Ce faisant, le législateur n’a pas été complètement révolutionnaire, car il n’a fait que reprendre un principe dégagé en 2015 par la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) dans un de ses avis. Elle avait alors estimé que le code source du logiciel simulant le calcul de l’impôt sur le revenu était bien un document administratif et qu’à ce titre, l’administration fiscale devait le communiquer à un universitaire qui en avait fait la demande à des fins de recherche (et cela a été confirmé ensuite par la justice administrative). Le raisonnement suivi par la CADA était intéressant, car il revenait à faire primer le droit à la communication sur le droit d’auteur, mais il n’allait pas plus loin que la liberté N°1 du logiciel libre (accès au code source), car la communication n’entraînait pas automatiquement un droit à la libre réutilisation.

Mais ce sera dorénavant différent, puisque le Code des relations entre le public et l’administration a été modifié par la loi République numérique de manière à consacrer un principe de libre réutilisation lié à la communication ou à la publication des documents administratifs :

Les informations publiques figurant dans des documents communiqués ou publiés par les administrations […] peuvent être utilisées par toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus.

Vient alors immédiatement en tête une possible objection à propos des logiciels étant donné que le principe de libre réutilisation comporte certaines exceptions, dont l’une est liée au fait que des droits de propriété intellectuelle appartenant à des tiers portent sur un document :

Ne sont pas considérées comme des informations publiques, pour l’application du présent titre, les informations contenues dans des documents […] sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.

Or les logiciels sont bien considérés comme des oeuvres susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur et c’est encore valable lorsque ce sont des administrations qui les produisent. Mais le régime juridique des logiciels est particulier en cela qu’il s’agit en droit français d’une des rares catégories d’oeuvres pour lesquelles les droits appartiennent dès l’origine à l’employeur et non aux personnes physiques employées qui les créent. On aboutit donc à la conclusion que même si des logiciels sont produits par des agents publics, ils ne font pas l’objet d’un droit de propriété intellectuelle « appartenant à des tiers », puisque c’est l’administration elle-même qui est directement titulaire du droit d’auteur.

Cela neutralise donc l’effet de l’exception au principe de libre réutilisation prévue par le Code des relations entre l’administration et les usagers. Il en résulte que 1) les codes sources produits par les administrations publiques sont donc bien des documents administratifs communicables selon les termes de la loi CADA ; 2) qu’à ce titre, l’administration est tenue de les publier spontanément en ligne et 3) qu’une fois publiés ou communiqués, ils deviennent librement réutilisables.

Voilà donc comment un texte prévu à la base pour instaurer un Open Data par défaut a aussi indirectement créé un principe d’Open Source par défaut pour les logiciels produits par les administrations publiques.

Quelle portée exacte pour ce principe ?

Suite au tweet que j’ai publié pendant la table-ronde de l’Open Source Summit, j’ai reçu de nombreuses questions de personnes cherchant à cerner la portée de ce principe d’ouverture par défaut. Voici les principaux points sur lesquels on m’a interrogé (et des tentatives de réponses) :

1) Est-ce que cela concerne vraiment toutes les administrations ou seulement certaines d’entre elles ?

La définition du document administratif susceptible d’être communiqué est très large, comme l’indique le site service-public.fr :

Un document administratif est un document élaboré ou détenu :

  • par une administration (État, mairie, établissement public),
  • par un organisme privé gérant un service public (caisses de Sécurité sociale, Pôle emploi, office HLM….).

Ce ne sont donc pas uniquement des administrations stricto sensu qui vont être concernées, mais aussi certaines personnes privées.

La question qui peut néanmoins se poser est de savoir si seuls les Services Publics à caractère Administratif (SPA) seront impactés ou bien également les Services Publics à caractère Industriel ou Commercial (SPIC). La CADA considère que les documents produits dans le cadre de l’activité des SPIC ont bien une nature administrative (exemple), mais avant l’année dernière, les données produites par ces services étaient considérées comme n’étant pas des informations publiques (et donc placées en dehors du principe de réutilisation). Mais la loi République numérique a supprimé cette dérogation, tout en permettant aux SPIC de continuer à opposer à l’Open Data par défaut leur droit de producteur de base de données lorsqu’ils exercent une « mission de service public à caractère industriel ou commercial soumise à la concurrence ». Or les logiciels ne sont pas soumis au droit des producteurs de bases de données, mais bien au droit d’auteur et la loi ne contient aucune disposition explicite permettant aux administrations de faire valoir un droit d’auteur qui leur appartiendrait en propre pour s’opposer au principe de libre réutilisation.

Il semble donc bien que le principe d’Open Source par défaut s’applique aussi aux logiciels produits par les SPIC (mais sans doute avec des réserves importantes liées à la protection de certains secrets. Voir ci-dessous, point 3).

2) Est-ce que cela empêche les administrations de mettre en place des redevances pour faire payer l’usage des logiciels qu’elles produisent ?

Assurément oui, du moins dans la plupart des cas.

Le principe de libre réutilisation a été assorti avec la loi Valter d’un principe de gratuité. Il existe des exceptions à ce principe, mais elles sont limitées. Seules les administrations qui réalisent au moins 25% de ressources propres à partir de redevances perçues sur la réutilisation de données peuvent continuer à en fixer. Cela correspond dorénavant seulement à quelques établissements en France comme l’IGN ou le SHOM.

On peut considérer que le même principe s’applique en ce qui concerne les logiciels, ce qui fait que quasiment aucune administration n’est désormais en capacité de fixer ou de maintenir des redevances en la matière. Cela signifie aussi que toutes les redevances précédemment fixées sont devenues caduques et que continuer à en percevoir ou en instaurer de nouvelles est illégal.

3) Est-ce que les administrations ne peuvent pas invoquer des raisons de confidentialité ou de sécurité pour s’opposer à des demandes de publication de codes sources ou interdire la réutilisation de logiciels ?

Si, elles le peuvent, notamment parce que la communication des documents administratifs ne peut se faire que dans le respect d’un certain nombre de secrets listés par la loi, parmi lesquels on trouve la sûreté de l’Etat, la sécurité publique, le secret de la défense nationale ou celui des relations extérieures. Nul doute que les administrations vont sans doute s’engouffrer dans ces brèches en faisant valoir que la publication de certains codes sources compromettrait la sécurité publique. Sachant par ailleurs que la loi République numérique a explicitement ajouté la « sécurité des systèmes d’information » comme motif permettant de s’opposer à la communication d’un document…

Par ailleurs, la communicabilité peut aussi être mise en échec par des secrets en matière industrielle et commerciale, qui risquent d’avoir un impact important. Les SPIC notamment essaieront sans doute d’arguer que l’ouverture des logiciels qu’ils développent peut affecter leur position dans un environnement concurrentiel ou leur porter préjudice. Ces motifs de non-communication comportent notamment un « secret des procédés » qui risque de prospérer sur le terrain des logiciels :

Le secret des procédés protège les informations susceptibles de dévoiler le savoir-faire de l’entreprise, c’est-à-dire plus particulièrement les techniques de fabrication et les travaux de recherche, ainsi que l’ensemble des informations relatives aux moyens techniques et humains mobilisés par celle-ci (description des matériels et matières premières utilisés, nombre et qualifications du personnel, liste nominative du personnel, procédés utilisés par les vérificateurs…). Il comprend certains secrets protégés par la loi comme le secret qui s’attache aux brevets en application de la loi du 2 janvier 1968, le secret de fabrique régi par l’article 418 du code pénal et l’obligation générale de loyauté qui s’impose aux salariés.

4) Qu’en est-il si les logiciels sont produits par des prestataires sur commande de l’administration ?

Cette situation, fréquente dans les administrations, risque de faire échec à l’Open Source par défaut.

Certes, la définition des documents administratifs prévoit que ceux-ci peuvent être « produits ou reçus ». Mais dans le cas d’un logiciel produit par un prestataire, il y aura bien un droit de propriété intellectuelle appartenant à des tiers.

Sauf si l’administration prend la précaution de se faire céder par voie contractuelle les droits sur le logiciel commandé, le droit d’auteur du prestataire va faire obstacle à la libre réutilisation. On peut d’ailleurs s’attendre à ce que le recours à des entreprises extérieures soit même instrumentalisé par certaines administrations qui verront là un moyen commode pour échapper à l’Open Source par défaut, quitte à devoir payer pour cela…

5) Qu’en est-il des logiciels pour lesquels l’administration souscrit des licences d’utilisation ?

C’est un sujet complètement différent de celui examiné dans ce billet, qui ne concerne que les logiciels produits par les administrations elles-mêmes.

La priorité aux logiciels libres n’a pas été adoptée dans la loi République numérique (elle a été dégradée en un simple « encouragement » sans valeur contraignante). Cela signifie que les administrations peuvent continuer à souscrire des licences pour des logiciels propriétaires et des affaires tels que le contrat Open Bar de la Défense ou des accords entre Microsoft et l’Education nationale ont montré que l’Etat était encore assez loin de vouloir réduire sa dépendance aux programmes privateurs…

Pour rappel, il n’y a que dans l’enseignement supérieur que la loi a fixé en 2013 une priorité aux logiciels libres, bien que cela paraisse à peu près complètement ignoré sur le terrain…

6) Qu’en est-il des logiciels développés par les chercheurs ?

Il n’y aucune raison particulière qu’ils soient exclus du champ du principe de l’Open Source par défaut.

Les chercheurs constituent la seule catégorie d’agents publics qui conservent l’intégralité de leurs droits d’auteur sur leurs productions (articles, cours, etc.). Mais s’agissant des logiciels, la même règle générale s’applique et ce sont bien leurs employeurs, à savoir les universités et les établissements de recherche, qui obtiennent la titularité initiale des droits. Il en résulte que les logiciels produits par les chercheurs sont bien soumis à ce principe d’ouverture.

A noter que l’INRA, établissement de recherche qui a fait un gros travail d’analyse des conséquences de la loi République numérique, a déjà publié des directives à l’attention de ses chercheurs pour leur indiquer comment respecter l’ouverture par défaut (voir cette note, qui résume d’ailleurs très bien la démonstration faite par le juriste d’Etalab) :

La loi pour une République Numérique 2016-1321 du 07 octobre 2016 est venue inscrire les codes sources produits par une administration dans la liste des documents administratifs, c’est-à-dire la liste des documents communicables au public et réutilisables par tout un chacun, entérinant ainsi une position de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA).

Elle a également rendu obligatoire la publication par défaut (sauf exceptions légales) des documents administratifs disponibles sous format électronique et ce, sans attendre de demande de communication. La conséquence majeure de ce texte pour l’Institut est que la majorité des logiciels produits par les unités de recherche peuvent être qualifiés de documents administratifs communicables et doivent donc être diffusés au public.

7) Mais du coup, sous quelle licence vont être placés ces logiciels ?

En réalité, il n’est même pas nécessaire que les logiciels produits par l’administration soient placés sous une licence libre ou Open Source pour qu’ils soient réutilisables. La liberté de réutilisation résulte directement de l’application des dispositions de la loi qui « neutralisent » les effets du droit d’auteur.

Néanmoins, un décret d’application a fixé les licences que l’administration peut choisir d’utiliser en matière de logiciel (mais c’est optionnel) :

  • Licences permissives : BSD, MIT, apache ou Cecill-B
  • Licences copyleft : MPL, famille des GPL (L-GPL, GPL, A-GPL) ou famille des Cecill (Cecill-C, Cecill).

A défaut d’opter pour une licence, le régime de base de réutilisation fixé par la loi correspond grosso modo à celui d’une licence permissive, type MIT.

8) Et si l’administration ne respecte pas l’Open Source par défaut ?

On voit déjà que l’Open Data par défaut entraîne des résistances de la part des administrations, au point que le site NextINPact a décidé cette semaine de traîner en justice deux ministères pour briser leur inertie.

On peut s’attendre à ce qu’une résistance analogue, sinon plus forte encore, soit opposée à l’ouverture des codes sources des logiciels produits par les administrations. La loi République numérique a néanmoins prévu un correctif sous la forme d’un mécanisme « d’Open Data à la demande« , qui pourra aussi s’appliquer en matière de logiciel. Le texte indique qu’au cas où les administrations ne mettraient pas spontanément en ligne des documents qu’elles sont tenues à présent de diffuser, les citoyens peuvent en faire la demande selon les voies habituelles. Si les documents en question sont communicables, les administrations doivent alors non seulement les transmettre aux demandeurs, mais aussi les publier pour les rendre librement réutilisables.

Au cas où l’administration résiste, il faudra en passer par un recours pour avis à la CADA et saisir ensuite la justice administrative pour faire valoir ces nouveaux droits d’accès au code source et à la réutilisation des logiciels.

***

Les analyses développées ci-dessus sont corroborées par le fait que la DINSIC (Direction Interministérielle des Systèmes d’Information et de Communication de l’Etat) ait publié la semaine dernière une Politique de Contribution aux Logiciels Libres de l’Etat.

Le texte, publié sur GitHub, s’ouvre sur un rappel du principe d’Open Source par défaut des logiciels produits par les administrations :

Conformément à la Loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, les codes sources sont des documents administratifs communicables et réutilisables. Dans le cas où il est possible de choisir une licence libre, le décret n° 2017-638 du 27 avril 2017 précise les familles de licences qui peuvent être utilisées. La liste détaillée des licences avec leurs versions est disponible sur le site data.gouv.fr.

A noter que cette politique, particulièrement intéressante notamment parce qu’elle incite aussi les agents publics à contribuer à des logiciels libres extérieurs, fait l’objet d’un appel public à commentaires.


19 réflexions sur “Les logiciels produits par les administrations sont passés en Open Source par défaut (et voici pourquoi)

  1. Ce qui est désespérant est l’incompétence informatique des administrations et spécialement de la Cour des Comptes qui ne se rend pas compte de ce que l’utilisation des prestataires fournissant un code propriétaire n’est même pas une économie à court terme. Le problème fondamental est que lorsque l’administration passe un marché avec un logiciel propriétaire, les mises à jour et améliorations ne peuvent être réalisées que par le titulaire des droits, qui est par défaut l’éditeur. Si l’Administration demande le droit de modifier ou de faire modifier elle-même le logiciel, ça va couter plus cher (car l’éditeur n’incorporera pas dans ses revenus futurs des développements dans lesquels il pourra se goinfrer car sans concurrence).
    Mais.
    Comme en fait passer des marchés (pour les améliorations ultérieures) sans concurrence c’est pas intelligent et en plus quelque peu contradictoire avec le principe même des marchés publics, les administrations font un marché initial qui va couvrir tous les cas de figure possibles et imaginables jusqu’à la consommation des temps.
    Dans ces conditions la réalisation du cahier des charges lui-même, sa mise en oeuvre sont totalement déraisonnables par rapport au besoin actuel. La concurrence dans l’appel d’offres se résume à quelques sociétés énormes qui font de la couverture de besoin à coup de promesses (qui sur le terrain ne seront pas forcément tenus mais là c’est une autre histoire). En tout cas sur des cahiers des charges qui correspondent à une cathédrale alors que l’administration a besoin d’une maison, les petites sociétés (les éditeurs français qui font de l’open source sont des nains) ne sont pas crédibles. En plus les éditeurs open source sont plus chers car ils ne peuvent pas eux anticiper des contrats d’amélioration rémunérateurs pour lesquels ils auraient un monopole.
    D’où une explosion des couts, des délais et des résultats souvent mauvais parce qu’il est extrêmement difficile de maitriser la conception et la réalisation de logiciels énormes, même pour les géants français du logiciel propriétaire (ils peuvent avoir des milliers de développeurs mais ils n’en ont pas sur un secteur donné, tout est très sectorisé, en fait les équipes ne sont pas si grandes que ça)
    Alors que l’open source par défaut permettrait en fait de gagner pour les contribuables.
    Les partisans de l’ouverture des logiciels devraient marteler que les marchés administratifs de développement logiciel non open source ne sont PAS conformes à l’idéal de concurrence qui est essentiel dans les marchés publics. Si l’éditeur a le monopole des mises à jour, la concurrence n’est pas libre et non faussée. Et les contribuables en prennent plein la gueule avec des logiciels monstrueux et bogués. L’open source serait de l’agilité, de l’efficacité pour les administrations avec des développements modulaires selon les besoins.

  2. Bonjour,

    A moins d’avoir mal vu sur le lien légifrance que vous fournissez, il me semble que ni LGPL, ni Cecill-C soient prévues dans les licences proposées, ce qui me paraît un point important. L’administration encouragerait la viralité de la licence, ou dit autrement, pencherait vers la Free Software Foundation plutôt que l’Open Source movement.

    Par ailleurs, comme vous le soulignez, ça a l’air « optionnel » et si une administration a envie d’imaginer une autre licence (par exemple à code source ouvert mais complètement propriétaire), c’est envisageable.

    Qu’en pensez vous ?

    1. Bonjour,

      Effectivement, la liste indiquée dans le décret ne contient ni la LGPL, ni la Cecill-C https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2017/4/27/2017-638/jo/texte

      Par contre, le décret ne tranche pas vraiment entre le Libre et l’Open Source étant donné qu’il laisse le choix aux administrations d’utiliser des licences permissives ou Copyleft.

      Enfin, la liste est en principe fermée, ce qui fait que les administrations ne peuvent pas utiliser de licences qui n’y figureraient pas. Si elles veulent en utiliser une, elles doivent faire une demande d’homologation auprès de la DINSIC. Ce n’est donc pas impossible, mais compliqué.

  3. Merci pour votre réponse. Oui vous avez raison, permissives et copyleft sont séparées en deux groupes et rien dans le texte ne suggère une préférence. De fait, je me demande si l’absence de LGPL (et Cecill-C) n’est pas tout simplement du au fait qu’elles sont de moins en moins utilisées (je précise que je ne sais pas si c’est le cas, je me le demande), et qu’elles sont devenues invisibles derrière les stars MIT et GPL?

  4. Bonjour,
    Cela me semble un peu plus compliqué que ce qui est expliqué.

    Un des fondements de la démonstration repose sur le fait que « le régime juridique des logiciels est particulier en cela qu’il s’agit en droit français d’une des rares catégories d’oeuvres pour lesquelles les droits appartiennent dès l’origine à l’employeur et non aux personnes physiques employées qui les créent ».

    Or, l’article L113-9 dispose que :

    « Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer.
    (…)
    Les dispositions du premier alinéa du présent article sont également applicables aux agents de l’Etat, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif. »

    Donc le premier alinéa ne s’applique pas aux agents des EPIC ou d’autres formes d’établissements publics. Par exemple, la plupart des opérateurs de recherche sont des EPIC (BRGM, Ifremer, etc.), ou des EPSCP (universités), qui ne sont pas des EPA. Cela constitue de grandes exceptions à l’article ci-dessus.

    Même pour l’Etat et les EPA, l’article L113-9 ne s’applique que pour les « droits patrimoniaux ». Or, le droit de divulgation est un droit moral, et non patrimonial. C’est l’article L121-7-1 qui vient en théorie enlever cette contrainte :
    « Le droit de divulgation reconnu à l’agent mentionné au troisième alinéa de l’article L. 111-1, qui a créé une oeuvre de l’esprit dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues, s’exerce dans le respect des règles auxquelles il est soumis en sa qualité d’agent et de celles qui régissent l’organisation, le fonctionnement et l’activité de la personne publique qui l’emploie. »

    Mais c’est sans compter le dernier alinéa de l’article L. 111-1 qui dispose que :
    « Les dispositions des articles L. 121-7-1 et L. 131-3-1 à L. 131-3-3 ne s’appliquent pas aux agents auteurs d’oeuvres dont la divulgation n’est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique. »

    Or, les chercheurs, enseignants-chercheurs, enseignants entrent précisément dans cette catégorie, en vertu de l’article L952-2 du code de l’éducation :
    « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. »

    Donc toutes ces catégories de personnels dans l’Etat ou des EPA conservent leurs droits moraux de divulgation sur les logiciels produits dans le cadre de leur mission, ce qui constitue des exceptions considérables pour tous les logiciels non divulgués à ce jour.

    Enfin, même pour l’Etat et pour les EPA, même pour des agents non chercheurs ou enseignants, la situation est plus complexe qu’il n’y parait pour de nombreuses autres catégories d’agents publics.
    En effet l’article 1 du décret 96-858 du 2 octobre 1996 dispose que « lorsque la personne publique décide de ne pas procéder à la valorisation de la création [d’un logiciel] (…), les agents mentionnés à l’alinéa précédent peuvent en disposer librement, dans les conditions prévues par une convention conclue avec ladite personne publique. »
    En conséquence, si les dispositions légales font obstacle à ce que l’Etat ou les EPA fassent une valorisation des logiciels, cela ne signifie pas qu’ils deviennent librement communicables et réutilisables, sous une des licences du CRPA. Les agents auteurs sont réinvestis dans leurs droits d’exploitation. Autrement dit, les droits des tiers « agents auteurs » n’ont jamais disparu. Par dérogation, l’employeur (Etat ou EPA) peut les exercer (L113-9), mais s’il ne le fait pas, leurs droits existent.
    Donc même dans ce cas, des droits de « tiers » existent pour de nombreuses catégories d’agents, tels que listées en annexe du décret 96-858.

    On peut alors se demander à quoi correspond l’ajout des « codes-sources » dans la liste des documents communicables. Je vois deux grandes catégories :

    * les codes-sources qui ne sont pas des oeuvres de l’esprit, car pas suffisamment originaux, mettant en oeuvre une logique systématique, etc. Il n’y a pas de droits d’auteur associés, donc ce sont des documents administratifs comme les autres.
    * les codes-sources qui sont des oeuvres de l’esprit, mais dont les auteurs et les structures ne rentreraient pas dans les catégories ci-dessus.

    Qu’en pensez-vous ?

    1. Bonjour,
      Vous soulevez là des questions intéressantes (et épineuses…).
      Pour ce qui est des établissements administratifs, du point de vue de la qualification des actes la distinction SPA/SPIC est exhaustive en droit français et il y a même une présomption d’administrativité qui pèse sur les activités des services publics. Donc je pense que les universités bien qu’étant des EPSCP seront assimilés à des SPA. C’est d’ailleurs déjà le cas pour le statut de leur personnel administratif, de leurs actes et de la communication des documents qu’ils produisent.
      Il est vrai sur plusieurs institutions de recherche ont un statut d’EPIC, mais il peut d’agir aussi « d’établissements à double visage » et il faudra voir dans quel cadre exactement la production de logiciels intervient.
      Néanmoins pour les EPIC en tant que tels, l’objection que vous soulignez risque de se poser.
      Concernant l’argument du droit moral de divulgation des chercheurs qui constituerait un « droit de propriété intellectuelle de tiers », c’est vrai dans l’absolu, mais je ne pense pas que cette information sera retenue en pratique. En effet, on peut remarquer que le droit moral de paternité persiste toujours sur les documents administratifs ayant la qualité d’oeuvres produites par des agents publics. Or ni la CADA, ni la jurisprudence n’ont jamais considéré que cette trace de droit moral avait une incidence sur la communicabilité. La logique voudrait donc qu’on considère que seuls les droits patrimoniaux constituent de tels « droits de propriété intellectuelle de tiers ».
      Enfin, l’argument de la « valorisation » est aussi fragile à mon sens, car cela sous-entendrait que le terme valorisation » ne doit être compris que sous l’angle de la valorisation économique. Or une livre diffusion d’un logiciel peut à mon sens tout à fait être assimilé à une forme de valorisation (et ce n’est d’ailleurs même pas exclusif en soi d’une exploitation économique).
      Vous noterez d’ailleurs que la DINSIC considère bien que l’Open Source par défaut s’applique bien aux logiciels produits par les administrations centrales et c’est à mon sens un puissant indice que l’interprétation que vous proposez doit être écartée.
      Idem pour les établissements de recherche : l’INRA a procédé à une analyse des conséquences de la loi République numérique et ils considèrent que l’Open Source par défaut s’appliquent aux logiciels produits par leurs chercheurs, sans s’arrêter à l’obstacle du droit de divulgation que vous soulevez

      Ce ne sont certes pas des juges à même de produire une interprétation authentique du texte (mais nous non plus…).

      1. Bonjour,

        Merci d’avoir pris le temps de me répondre en détail. Voilà mon avis sur certains points que vous indiquez :

        1) Je ne crois pas qu’un EPSCP puisse être assimilé à un EPA. Je suis d’accord avec vous que la distinction entre SPA et SPIC est exhaustive en droit français, mais il s’agit de la nature de la mission exercée. Or, l’article L113-9 considère la nature de l’organisme, pas la nature de la mission. Le fait qu’un EPSCP exerce des missions de SPA n’en fait pas un EPA.

        Le Livre VII du code de l’éducation fait la distinction entre les EPSCP et les EPA, comme le rappelle le site web du ministère de l’enseignement supérieur :
        http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20268/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid20268/les-grandes-ecoles-et-les-grands-etablissements.html

         » Les établissements publics d’enseignement supérieur ont des statuts variés définis par le livre VII du code de l’éducation qui distingue :

        les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (E.P.S.C.P.)
        les établissements publics à caractère administratifs (E.P.A.) »

        Il y a des différences fondamentales, ne serait-ce que d’un point de vue réglementaire : les EPA ont un décret fixant un statut particulier par exemple, à l’inverse des EPSCP. La gouvernance est également très différente.

        Il y a d’ailleurs des organismes qui demandent le passage d’EPA à EPSCP :

        Cliquer pour accéder à champollion_universite_0.pdf

        A l’inverse, un EPST par exemple, comme l’Inria, est bien un EPA, car c’est prévu dans le code de la recherche à l’article L311-1 : « Les établissements publics à caractère scientifique et technologique ont un caractère administratif. »

        2) Il est normal que le droit moral de paternité n’ait pas de conséquence sur la communicabilité, étant donné qu’il suffit de le respecter (citer l’auteur) pour que tout soit en règle.
        A l’inverse, l’existence d’un droit moral de divulgation qui n’est pas annulé par la loi (non application de l’article L121-7-1) a des conséquences immédiates et évidentes sur la communicabilité : le document n’est pas par défaut communicable en vertu de l’article L311-4 :
        « Les documents administratifs sont communiqués ou publiés sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique. »
        On notera l’utilisation de « sous réserve », et pas de « sans préjudice ».

        Le droit de divulgation est un droit de PI fondamental : tant qu’il n’y a pas divulgation du document, les droits patrimoniaux n’ont même pas d’objet. Donc je ne crois pas que l’on puisse considérer que « seuls les droits patrimoniaux constituent de tels « droits de propriété intellectuelle de tiers » ». N’étant pas communicable, le document est encore moins réutilisable.

        3) Votre lecture de la « valorisation » est intéressante, mais elle ne peut pas être cohérente avec la fin du premier alinéa de l’article 1er du décret n°96-858 :

        « Les fonctionnaires ou agents publics de l’Etat et de ses établissements publics relevant des catégories définies dans l’annexe au présent décret et qui ont directement participé, soit lors de l’exécution de missions de création ou de découverte correspondant à leurs fonctions effectives, soit à l’occasion d’études et de recherches qui leur avaient été explicitement confiées, à la création d’un logiciel, à la création ou à la découverte d’une obtention végétale relevant du régime de protection institué par les dispositions du chapitre III du titre II du livre VI du code de la propriété intellectuelle ou à des travaux valorisés bénéficient d’une prime d’intéressement aux produits tirés, par la personne publique, de ces créations, découvertes et travaux. »

        On lit que les travaux « valorisés » correspondent nécessairement à des « produits tirés ». La « valorisation » ne peut donc s’envisager ici que dans un cadre économique.

        Cette lecture est confirmé par l’arrêt n°345867 du Conseil d’Etat :
        https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000027437297

        « il résulte de ces dispositions que, lorsqu’un agent public a participé à la création d’un logiciel dans les conditions qu’elles définissent, il peut percevoir une prime d’intéressement si, ces créations ayant donné lieu à une exploitation commerciale, la personne publique en a directement tiré un produit  »
        La « valorisation » doit donc être bien comprise comme une « exploitation commerciale ».

  5. Merci pour ce post intéressant. Je suis étonné par ce que vous dites sur les chercheurs (au moins les fonctionnaires ) : « Les chercheurs constituent la seule catégorie d’agents publics qui conservent l’intégralité de leurs droits d’auteur sur leurs productions (articles, cours, etc.). Mais s’agissant des logiciels, la même règle générale s’applique et ce sont bien leurs employeurs, à savoir les universités et les établissements de recherche, qui obtiennent la titularité initiale des droits. Il en résulte que les logiciels produits par les chercheurs sont bien soumis à ce principe d’ouverture.»

    D’où tirez-vous que les « employeurs » obtiennent la titularité des droits ? Comme le rappelle Jean-Yves, je comprends de mon côté que l’article L952-2 du code de l’éducation laisse aux chercheurs l’intégralité des droits d’auteur. Pouvez-vous préciser votre interprétation de ce point ? Personnellement, je me sers précisément de cet article pour encourager mes collègues chercheurs à diffuser leurs logiciels sous licence libre, à l’encontre des SATT (sociétés de transfert technologique), maintenant présentes auprès de plein de labos, qui poussent au propriétaire, voire aux brevets logiciels !

    En vous remerciant,

    1. Bonjour,

      Merci beaucoup pour vos publications. Quel article intéressant encore une fois.
      L’inconvénient, c’est qu’il nous incite toujours à nous interroger sur le fondement de certains principes.

      Comme certains commentaires précédents relatifs à la titularité des droits sur les logiciels développés par les enseignants-chercheurs dans l’exercice de leur fonction, j’avoue ne pas bien comprendre également comment il convient d’interpréter l’articulation entre :

      1. l’article L.111-1 al 4 du CPI d’une part, qui instaure un régime dérogatoire pour « les agents auteurs d’oeuvres dont la divulgation n’est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique » (typiquement les enseignants-chercheurs) en ce qui concerne les articles L. 121-7-1 et L. 131-3-1 à L. 131-3-3 du CPI (lesquels concernent aussi bien les droits de divulgation (droits moral) que les droits d’exploitation (droits patrimonial) portant sur une oeuvre de l’esprit (donc à priori toutes les oeuvres, y compris les logiciels) crée dans l’exercice de leur fonction, et
      2. l’article L113-9 du CPI d’autre part, qui dispose que « Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer […]. Ne faut-il pas justement considéré que le « sauf disposition statutaire ou stipulation contraires » en chapeau dudit article renvoie au régime dérogatoire introduit par L.111-1 al 4 et donc que les logiciels ne seraient donc pas automatiquement transférés à l’employeur des enseignants-chercheurs dans ce cas, en raison justement de leur statut particulier ?

      N’étant pas juriste, j’imagine que le raisonnement est sans doute plus complexe qu’il n’y parait. En effet, j’imagine mal les EPST par exemple, demander systématiquement à leurs chercheurs une cession/licence sur leur travaux logiciels chaque fois que l’établissement souhaiterait le diffuser ou le valoriser dans le cadre d’un partenariat public-privé. Cela serait sans doute chronophage d’un point de vue administratif et peut être même effrayant pour une entreprise privée désireuse de collaborer avec un établissement public de recherche (insécurité juridique).

      Qu’en pensez-vous ?

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