L’affaire Jamendo et les Creative Commons : où est (exactement) le problème ?

En début de semaine, une décision de justice rendue par la Cour de Cassation le 11 décembre dernier a suscité un certain émoi en ligne, après que des sites d’information comme Next INpact ou ZDNet s’en soient faits l’écho. Ce jugement était d’importance, car il portait sur les licences Creative Commons et, plus précisément, sur leur articulation avec les mécanismes de gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins. Depuis leur création en 2001, les licences Creative Commons n’avaient jamais fait encore l’objet d’une décision de justice en France et on comprend donc que cet arrêt de la Cour de Cassation était très attendu.

Sans entrer dans les détails, les faits portaient sur un conflit entre l’enseigne des magasins Saint Maclou et deux sociétés de gestion collective (SACEM et SPRE) à propos du versement d’une redevance prévue par la loi pour la diffusion publique de musique enregistrée. Le Code de Propriété Intellectuelle prévoit en effet que les lieux publics souhaitant sonoriser leurs espaces avec des « phonogrammes publiés à des fins de commerce » doivent verser une redevance – dite rémunération équitable – destinée aux titulaires de droits voisins sur la musique, c’est-à-dire les artistes-interprètes et les producteurs. Cette rémunération est collectée d’abord par la SACEM qui la reverse à la SPRE, à charge pour elle de la répartir in fine aux-dits ayants droit. Cette redevance ne concerne que les droits voisins, la rémunération au titre du droit d’auteur étant gérée directement par la SACEM via l’application de ses forfaits.

Dans cette affaire, l’enseigne Saint Maclou a préféré pour sonoriser ses magasins utiliser l’offre fournie par la plateforme Jamendo, qui propose à des artistes indépendants de diffuser leurs musiques sous licence Creative Commons. Ces créateurs peuvent choisir d’activer une option pour rentrer dans le programme Jamendo Licensing, autorisant ensuite la société à proposer des bouquets de titres pour des réutilisation commerciales moyennant des royalties à payer. Il peut s’agir par exemple de l’utilisation de musiques de fond pour agrémenter une vidéo ou de la sonorisation d’espaces commerciaux. Jamendo établit alors des tarifs calculés selon un barème et il se charge ensuite de reverser 65% des recettes aux artistes participant au programme. Il s’agissait donc d’un service, s’appuyant sur les licences Creative Commons, pour proposer une alternative au catalogue de la SACEM.

Néanmoins, la SACEM et la SPRE ont considéré que Saint Maclou, bien qu’ayant décidé de recourir aux services de Jamendo, devait tout de même s’acquitter du paiement de la rémunération équitable pour une somme équivalent à 120 000 euros. Pour ces sociétés, le mécanisme de licence légale s’applique quelle que soit l’origine des morceaux utilisés pour sonoriser des lieux publics et la loi leur confère une forme de monopole que Jamendo ne saurait contourner.

Par trois fois – en première instance, appel et cassation -, les tribunaux ont choisi de faire droit aux prétentions de la SACEM et de la SPRE, ce qui signifie que Saint Maclou sera bien contraint de payer ces 120 000 euros, en pouvant se retourner pour cela contre Jamendo qui sera obligé de verser cette somme à son client.

C’est assurément un coup dur porté aux licences Creative Commons et une limite sévère à la possibilité de construire des alternatives en s’appuyant sur ces instruments. Néanmoins, je voudrais apporter quelques précisions pour essayer de cerner exactement où se situe le problème avec cette décision de la Cour de Cassation. Next INpact titre en effet son commentaire du jugement de la manière suivante : « La Cour de Cassation confirme la redevance sur la musique libre diffusée en magasin« . ZDNet va dans le même sens :

Vous écrivez et jouez une musique et la mettez sous licence libre pour qu’elle soit librement écoutée, reprise, diffusée? Eh bien, son usage dans un lieu commercial comme un magasin sera quand même assujetti à redevance.

C’est aussi sur ce mode que plusieurs organisations de la Culture Libre ont réagi, en faisant le lien entre cette décision et les licences libres, comme par exemple Wikimédia France ci-dessous :

En réalité, et c’est ce que je voudrais montrer dans ce billet, les choses sont plus nuancées, car cet arrêt de la Cour de Cassation ne concerne pas des morceaux sous licence libre, à proprement parler. Ce n’est certes pas une bonne nouvelle pour les Creative Commons, mais l’effet néfaste sera limité à un périmètre précis qu’il convient de bien appréhender.

Le modèle de Jamendo Licensing et l’ambiguïté du « Libre de droits »

En réalité, c’est d’abord l’ambiguïté de Jamendo dans sa manière de présenter son service qui ne facilite pas l’interprétation de la décision de la Cour de Cassation. La société présente en effet son offre de sonorisation comme constituée par « 220 000 titres libres de droits« . Or cette expression est toujours très délicate à manier et même souvent trompeuse. Par « libre de droits », Jamendo entend « libre de rémunération équitable à payer » et c’était ce qui faisait tout l’intérêt du service offert aux magasins. Mais cela ne voulait pas dire pour autant que cette offre était gratuite, par Jamendo pratiquait bien un tarif, sans doute inférieur à celui de la SACEM pour que son offre soit attractive. Il ne s’agissait donc pas de musique « sous licence libre » à proprement parler et encore moins de musique « libre de droits », si l’on entend par là des oeuvres appartenant au domaine public.

Quel est alors le statut juridique exact des enregistrements musicaux figurant dans le catalogue de Jamendo Licensing ? En réalité, la plateforme propose aux artistes recourant à ses services pour se diffuser de choisir par les six licences Creatives Commons possibles qui, comme on le sait, sont plus ou moins ouvertes par le biais d’un système d’options. Or parmi ces licences, seules certaine sont des licences « libres » au sens propre du terme (CC-BY, CC BY-SA, CC0), mais toutes les autres licences – celles comportant des clauses NC (pas d’usage commercial) ou ND (pas de modification) – ne sont pas des licences libres au sens de la définition établie par la Free Software Foundation. Il s’agit de licences dites « de libre diffusion« , qui permettent certes des usages plus étendus que l’application par défaut du droit d’auteur, mais tout en maintenant certaines restrictions (c’est d’ailleurs tout le sens du slogan des Creative Commons « Some Rights Reserved » par rapport au classique « All Rights Reserved »).

Seules les licences CC dans la zone verte peuvent être dites « libres » au sens propre du terme.

Or par définition, pour pouvoir participer au service Jamendo Licensing, les artistes doivent nécessairement choisir une licence avec une clause NC (Pas d’usage commercial). Cela leur permet de continuer à réserver le droit patrimonial d’exploitation commerciale sur leur musique et de l’utiliser pour conclure un contrat avec Jamendo en vue de conférer à cet intermédiaire la faculté de proposer des tarifs pour la sonorisation des espaces de magasins.

C’est un principe majeur du droit que les juges ne peuvent statuer au-delà du cas qui leur est soumis (Non ultra petita). Donc à proprement parler, la décision de la Cour de Cassation n’affecte pas – et n’affectera pas à l’avenir – l’usage des oeuvres sous licence libre. Un magasin pourra très bien continuer à utiliser des morceaux sous CC0, CC-BY ou CC-BY-SA pour sonoriser des espaces sans avoir à payer la fameuse rémunération équitable, qu’il le fasse à partir de morceaux diffusés par Jamendo ou un autre site où de tels contenus figurent (par exemple Dogmazic, Internet Archive, Soundcloud, etc.). La Cour de Cassation (et les juges antérieurs qui ont été saisis par cette affaire) prennent en effet bien le soin de vérifier que les « phonogrammes » ont été publiés « à des fins de commerce » et ils déduisent cette qualité du fait justement que les artistes sont entrés dans ce mode de relation particulier avec Jamendo pour faire exploiter leur musique contre rémunération. Mais a contrario, on peut en déduire que les autres artistes qui ont fait le choix de licences libres au sens propre du terme ne sont pas concernés par cette décision.

Cette précision est à mon sens importante, car il aurait été gravissime que la diffusion de musique libre dans les espaces publics soit assujettie au paiement d’une redevance perçue par des sociétés de gestion collective classiques. Cela aurait conduit à bafouer la volonté même des auteurs choisissant les licences libres pour diffuser leur création, en les forçant quelque part à être rémunérés alors même qu’ils avaient autorisé l’usage gratuit de leurs oeuvres.

Où est alors le problème exactement ?

Attention, je ne suis pas en train de dire que cette décision de la Cour de Cassation n’est pas problématique, mais il me paraît essentiel de ne pas lui donner une portée qu’elle n’a pas et d’indiquer qu’elle laisse intacte la possibilité de réutiliser les œuvres musicales sous licence libre, sans être soumis à un paiement.

Néanmoins, le fait est que ce jugement va tout de même concerner des oeuvres sous Creative Commons avec une clause NC et cela va suffire à provoquer tout un ensemble de conséquences négatives. La première est que le modèle économique de Jamendo est gravement compromis. Si les magasins sont assujettis au paiement de la rémunération équitable à la SACEM, l’offre de Jamedo Licensing perd quasiment tout intérêt. Sachant que Jamendo se finançait principalement grâce à ces royalties, on peut considérer que cela compromet l’avenir de la plateforme (à moins qu’elle n’arrive à maintenir son chiffre d’affaire en dehors de la France ?).

Mais le plus aberrant va être les conséquences pour les artistes et les producteurs qui étaient en affaire jusqu’à présent avec Jamendo Licensing et qui touchaient 65% des recettes générées. A présent, ils vont devoir se tourner vers la SPRE pour toucher la part de la rémunération équitable versée par les magasins en affaire avec Jamendo et qui devrait logiquement leur revenir. Or ces artistes ne sont pas membres des sociétés de gestion collective classiques et on en est certain, car Jamendo exige que les artistes lui certifie ne pas appartenir à de telles sociétés pour pouvoir entrer dans son programme Jamendo Licensing. La Cour de Cassation estime que ces artistes peuvent néanmoins se tourner à présent vers ces sociétés de gestion collective pour réclamer leur part de rémunération équitable, mais il est hautement improbable que tous le fassent et pas certain non plus que ces sociétés ne leur imposent pas de devenir membres pour pouvoir prétendre toucher leur rémunérations…

Au final, l’effet le plus probable de l’arrêt de la Cour est que les artistes qui passaient par Jamendo ne verront jamais la couleur de cet argent qui leur est pourtant légitimement dû et ces sommes finiront dans ce que les sociétés de gestion collective appellent leurs « irrépartissables » pour aller gonfler les budgets qu’elles consacrent à leurs actions propres (y compris d’ailleurs le lobbying assidu qu’elles exercent pour inciter constamment le législateur à renforcer le droit d’auteur…).

Donc oui, sur ce point, la décision de la Cour de Cassation est proprement scandaleuse et c’est un épisode de plus dans la dégénérescence des droits de propriété intellectuelle qui devraient toujours rester des droits ouverts aux artistes pour assurer leur subsistance et non venir engraisser des intermédiaires.

Des menaces supplémentaires à venir ?

D’autres conséquences néfastes pourraient également découler de cette décision, si on réfléchit à plus long terme. La Cour de Cassation nous dit en effet que des mécanismes légaux, type licence légale ou gestion collective obligatoire, peuvent prévaloir sur des licences type Creative Commons. A vrai dire, cela a toujours constitué une faille de ces instruments juridiques, qui ne sont que des contrats et restent donc soumis aux normes supérieures, parmi lesquelles figurent la loi. Le texte des licences Creative Commons consacre d’ailleurs explicitement un point à la question de l’articulation avec les mécanismes de gestion collective :

Dans la mesure du possible, le Donneur de licence renonce au droit de collecter des redevances auprès de Vous pour l’exercice des Droits accordés par la licence, directement ou indirectement dans le cadre d’un régime de gestion collective facultative ou obligatoire assorti de possibilités de renonciation quel que soit le type d’accord ou de licence. Dans tous les autres cas, le Donneur de licence se réserve expressément le droit de collecter de telles redevances.

Or tout le problème réside dans ce morceau de phrase : « Dans la mesure du possible« . Pour ce qui est de la rémunération équitable, on a vu qu’il était en réalité impossible à un artiste publiant un phonogramme à des fins de commerce de renoncer à cette redevance : elle sera mécaniquement perçue par la SACEM et la SPRE, qu’il le veuille ou non et qu’il vienne ensuite la réclamer ou non, peu importe même qu’elle finisse en bout de course dans les poches de quelqu’un d’autre…

Mais le plus dangereux serait qu’un mécanisme de gestion collective vienne s’imposer, non pas seulement à des oeuvres sous Creative Commons avec une clause NC, mais aussi à des oeuvres sous licence libre au sens propre du terme. Car cela viendrait alors interdire les usages gratuits que ces licences ont précisément pour but de favoriser, sachant qu’interdire la gratuité est un vieux fantasme de certains ayants droit français… Et une telle menace n’est pas uniquement théorique.

On a vu par exemple en 2016 une « taxe Google Images » instaurée par le législateur français pour faire payer aux moteurs de recherche la possibilité d’indexer les images en ligne. Ce mécanisme avait l’énorme désavantage d’englober toutes les images diffusées sur Internet, sans faire d’exception pour les images sous licence libre, avec un paiement à verser à une société de gestion collective qui aurait alors empoché ces sommes sans être en mesure de les reverser aux auteurs effectifs de ces oeuvres.

Cette gestion collective obligatoire – qui s’apparente à une sorte d’expropriation « à l’envers » – n’a cependant jamais vu le jour, car le gouvernement a fini par se rendre compte, une fois la loi votée, que de gros risques d’incompatibilité avec le droit européen pouvaient survenir. Mais avec l’adoption de la directive Copyright l’an dernier, le contexte a changé et il est quasiment certain que cette taxe Google Images fera son retour à l’occasion de la transposition de la directive, annoncée pour le début d’année. De ce point de vue, la décision de la Cour de Cassation n’est pas encourageante, car elle entérine le principe d’une prédominance des mécanismes légaux de gestion collective sur les licences.

Si les licences libres sont pour l’instant préservées suite à cette décision Jamendo, il n’est donc pas certain qu’elles le restent encore longtemps si le législateur ne prend pas soin de les exclure explicitement du champ des mécanismes de gestion collective qu’il mettra en place à l’avenir.


14 réflexions sur “L’affaire Jamendo et les Creative Commons : où est (exactement) le problème ?

    1. Merci pour le lien vers cette discussion de forum

      Effectivement, si les sociétés de gestion collective forcent les artistes participant à Jamendo Licensing à devenir, cela aura des conséquences importantes pour eux, car cela implique de confier à ces sociétés la gestion de tout leur répertoire futur ou passé… Cela revient à exercer un sacré chantage…

      Mais j’ai l’impression que la décision de la Cour sous-entend que les artistes peuvent se retourner vers ces sociétés pour réclamer leur dû, mais sans nécessairement en devenir membre.

      J’imagine que c’est un point qui va faire discussion et peut-être même susciter un autre contentieux ?

      Mais vu les sommes en jeu par artiste, qui ne doivent pas être énormes, j’imagine que le scénario le plus probable est que cet argent reste dans les caisses de ces sociétés, ce qui serait assez scandaleux…

  1. Je ne vois pas bien comment les artistes « Jamendo » pourraient se prévaloir de quoi que ce soit de la Sacem ou de la Spre sans en être sociétaires, puisque c’est une condition obligatoire.

    Le modèle économique de Jamendo est problématique depuis le début parce que Jamendo ne respecte pas les licences libres et moins libres en se la jouant société de gestion collective des droits d’auteur là où précisément les licences de libre diffusion sont une gestion individuelle.

    Je fais parti de ceux qui ont quitté Jamendo avec pertes et fracas en 2008 quand leur modèle économique déjà flou auparavant est devenu carrément opaque. La mention « libre de droits » veut dire en droit français non redevable de royalties. C’est-à-dire qu’on achète un morceau générique à un auteur ou un pack et on paie une fois. Des artistes « non libres » font ça de manière alimentaires pour illustrer des vidéos d’entreprises, par exemple. C’est ce qu’autrefois on appelait la « musique d’ascenseur ».

    J’ai toujours subodoré que Jamendo à l’image de toutes ces entreprises qui travaillent dans la tech au même titre qu’Uber et autres transgressaient la loi pour que les usages finissent par être au-dessus de la loi et qu’un jugement fasse jurisprudence et leur donne raison.

    Apparemment pas. Mais bon, en même temps jouer à l’imbécile avec un truc comme la Sacem qui a un gros service juridique, ça paie rarement.

    1. D’un côté c’est pas faux ce que tu dis là, de l’autre passer par Jamendo était probablement plus simple et plus rentable pour tout le monde que passer par la Sacem… mais apparemment la concurrence avec la Sacem est illégal (voilà qui est bien commode). Et quand on voit un artiste payer l’entrée à la Sacem et ne recevoir qu’un dixième de ce montant en un an de prestations… si encore l’adhésion était gratuite et la redistribution des sommes réellement équitable…

    2. L’arrêt de la Cour incite les artistes concernés à se rapprocher des sociétés de gestion collective pour toucher leur part de rémunération équitable, mais rien n’indique qu’ils devraient nécessairement en être membres pour pouvoir recevoir ces sommes.

      Sachant que l’adhésion à ces sociétés peut avoir des conséquences très importantes pour un artiste (notamment l’obligation d’apporter tout son répertoire passé et futur), il me semble très important d’utiliser cette marge de manoeuvre laissée ouverte par la Cour de Cassation pour aller demander cette rémunération sans adhérer. On peut d’attendre à ce que les sociétés de gestion collective contestent, mais à voir.

      C’est même encore plus clair dans le jugement de la Cour d’appel, qui dit explicitement que la SACEM et la SPRE peuvent collecter la rémunération équitable, même pour des oeuvres créées par des artistes qui ne sont pas membres.

      Une précision : mon but dans ce billet n’est pas de dire si le modèle de Jamendo est bien ou mal, mais de cerner exactement la portée de la décision de la Cour de Cassation, alors que de nombreux commentaires approximatifs et imprécis circulent.

      1. Je sais bien que l’objet de cet article n’est pas de dire si Jamendo c’est le bien ou le mal en ce qui concerne les licences de libre diffusion, c’est moi qui porte un jugement moral sur la question. Mais je ne développerait pas plus la question ici pour éviter la digression.

        Néanmoins, le problème que soulève l’article est directement imputable à la manière dont cette plateforme se sert des licences de libre diffusion. Comme quelque chose pour laquelle elle n’ont pas été prévues. Et le résultat c’est que la justice n’a pas donné raison à cette plateforme. Et en ce qui me concerne, je dis tant mieux, mais c’est un autre débat.

        Le droit d’auteur est associé à l’auteur, les licences de libre diffusion sont associées aux oeuvres de manière individuelles. Je ne vois pas bien comment concilier les deux.

        Pour ce qui est de la collecte des droits par la Sacem d’un artiste diffusant avec une licence permissive, elle est clairement abusive et liée directement à une position de monopole de fait. Si la Sacem prélève des droits pour un artiste non sociétaire, l’artiste en question ne peut donc pas réclamer son dû sans être identifié par la Sacem donc sans en être sociétaire. Ce qui implique que l’artiste en question doit de fait renoncer à la gestion individuelle de ses droits d’auteur, donc aux licences de libre diffusion et qu’il met par-là même les personnes ayant bénéficié des conditions de la licence associée à ses oeuvres dans l’illégalité.

        Donc en gros, on n’a pas résolu le problème gestion collective des droits d’auteur versus gestion individuelle il y a maintenant plus de 10 ans et on ne résoudra rien de plus aujourd’hui. Cette décision de justice renforce le monopole de la Sacem et renvoie les artistes diffusant leurs oeuvres sous licences de libre diffusion dans la catégorie amateur.

        1. Le droit d’auteur est associé à l’auteur, les licences de libre diffusion sont associées aux oeuvres de manière individuelles. Je ne vois pas bien comment concilier les deux.

          Encore une fois sans chercher à défendre en particulier le modèle de Jamendo, je ne suis pas certain d’être d’accord avec ce qui figure plus haut sur le plan juridique.

          Les licences de libre diffusion, notamment celles comportant une clause NC, permettent à l’auteur de continuer à réserver l’usage commercial de l’oeuvre. L’auteur peut donc ensuite céder ce droit d’usage commercial, par un contrat exclusif, comme un contrat d’édition ou de production audiovisuelle, mais aussi en faire apport à une société de gestion collective. Il n’y a absolument rien qui l’empêche sur le plan strictement juridique.

          Après que les sociétés de gestion collective imposent une exclusivité ou non à leurs membres est une autre question, complètement extérieure aux licences, et c’est plutôt là que se pose le problème d’articulation.

          D’ailleurs, il a déjà existé plusieurs projets de fondation de sociétés de gestion collective dédiées aux oeuvres libres ou de libre diffusion, comme le C3S (Cultural Commons Collecting Society) http://musique-libre.org/blog/2013/07/30/c3s-le-projet-qui-change-tout/ Je ne suis pas certain que ce projet soit toujours actif, mais dans l’idée, il y avait quelque chose d’intéressant, et si hélas, on voit les oeuvres sous licence libre ou de libre diffusion « aspirées » par des mécanismes de gestion collective, comme la décision de la Cour de Cassation commence à le mettre en place, peut-être que la création d’une telle société deviendra une réelle nécessité pour que les artistes libres ne soient pas obligés de s’affilier aux sociétés de gestion classiques ?

  2. Excellent article. Mais je sens qu’il ne révèle que la pointe de l’iceberg que constitue la problématique de l’affrontement entre licence légale, gestion collective obligatoire et licences libres consenties par l’auteur. Le régime de gestion collective avec tous les travers qu’il fait l’économie de résoudre (je pense aux irrépartissables notamment) propose malgré tout une forme de couverture globale pour l’usage de la musique dans un lieu public. Comment autrement nous assurer comme auteurs-compositeurs qu’une distinction soit faite sur les lieux de diffusion, entre une œuvre libre et une œuvre sous licence émise par un collectif de gestion. Pour l’instant, les métadonnées associées aux œuvres et les rapports d’utilisation des répertoires ne permettent pas de faire un compte granulaire et une juste répartition pour les exécutions publiques effectuées dans les lieux de commerce. Elles ne permettent pas davantage d’exclure nommément une oeuvre sous licence libre d’un hypothétique rapport d’exécutions. Ce cas montre finalement l’ampleur de notre incapacité à tracer et discriminer les œuvres et les exécutions.

  3. Réaction un peu tardive, mais je confirme qu’il n’y a pas de surprise en l’espèce : les juges n’ont fait qu’appliquer à la lettre le texte d’une exception légale. D’ailleurs, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) n’agit pas en propre, mais pour le compte de la Société pour la perception de la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes du commerce (SPRÉ) qui est spécialement en charge de la collecte et redistribution de cette licence légale. Ce n’est pas étonnant que la SACEM soit dans la boucle : malgré la multitude de sociétés collectives (aussi dites Sociétés de Perception et de Redistribution des Droits) existantes en France, la SACEM a une position ultracentrale (elle met à disposition — et fait payer — ses locaux, son personnel, ses services, etc. à la majorité des SPRD).

    La rémunération équitable se justifiait à l’époque pour simplifier la diffusion de la musique (et le développement de la radio hertzienne à l’époque). Il faudrait certainement rediscuter de son fondement aujourd’hui, mais, d’un point de vue seulement juridique, elle n’est pas nécessairement avec le système des licences libres. Les titulaires de droits (ici Artistes-Interprètes) perdent leur exclusivité et ne bénéficient que d’une sorte de « droit à rémunération »). Parfois l’articulation entre ce qui est licence légale et licence volontaire peut être intéressante. L’exemple qui me vient est la licence légale en matière de reprographie qui est gérée par le CFC (http://www.cfcopies.com/) : Sesamath (https://www.sesamath.net/) percevait ainsi une somme non négligeable résultante de cette licence légale alors même que la diffusion de tout le contenu se faisait sous licence libre. D’autres exemples similaires existent peut être, mais je pense que les projets libres en bénéficient finalement peu au regard de l’opportunité.

    D’un point de vue juridique ensuite, l’erreur vient effectivement pour moi de l’interprétation juridique faite par Jamendo d’un texte de Loi pourtant peu interprétable et/ou des services juridiques des sociétés clientes. En revanche il ne faut surtout pas étendre ce raisonnement à la gestion des droits d’auteur en dehors des licences légales : la SACEM n’est pas légitime à collecter un quelconque droit qui n’appartiendrait pas à l’un de ses sociétaires (malgré la pratique qui a tendance à demander à la SACEM par principe toute autorisation — je me rappelle notamment des discussions relatives à l’impression / commercialisation de CD de musique (vraiment sous licence) libre). Ainsi Jamendo (ou tout autre gestionnaire de musique sous licence de type CC By-NC peut parfaitement proposer des offres alternatives à la SACEM et reverser directement aux auteurs les droits tirés de l’exploitation de leurs œuvres (à condition que les auteurs ne soient pas membres de la SACEM puisqu’ils cèdent alors exclusivement à la SACEM l’ensemble de leurs droits — il y a d’ailleurs un risque, car la SACEM ne rend pas accessible la liste des auteurs et titres qu’elles gèrent, et qu’une fausse déclaration d’un auteur ne permettrait pas à la Jamendo de se protéger face à la SACEM en cas d’auteur qui aurait un double jeu).

    Ainsi, le souci selon moi serait surtout concernant la manière dont la répartition qui est faite : la SPRÉ redistribue à ses membres (ADAMI, SPEDIDAM, SCPA) qui répartissent eux-mêmes à ma connaissance ces droits directement à « leurs » artistes-interprètes et aux producteurs. En résumé, pour bénéficier de ce système, il faut :
    # 1 être membre de l’une de ses sociétés collectives (à noter que toutes n’imposent pas une exclusivité comme le fait la SACEM) ;
    #2 être diffusé sur les canaux traditionnels (la répartition se calcule sur la base des relevés de diffusion fournis par les chaînes de télévision et les radios ou par sondage pour les autres diffuseurs de musique).

    Il existe maintenant de plus en plus de chiffres sur l’usage d’œuvres sous licence libre, ce serait intéressant de proposer au Ministère de repenser les licences légales à l’aune de ces nouveaux usages/nouvelles pratiques.

  4. Merci pour l’explication de texte. :-)

    Trois coquilles détectées :

    « par Jamendo pratiquait bien un tarif » : car
    « de choisir par les six licences » : parmi
    « car Jamendo exige que les artistes lui certifie » : certifient

  5. Bonjour, quelqu’un sait-il si les artistes concernés ont pu finalement se confronter aux Sociétés de Répartition pour savoir s’ils pouvaient ou non accéder aux sommes qui leurs étaient supposément dues ? Merci et bonne journée.

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