Les bibliothèques sont-elles condamnées à jouer avec le feu (et les CGU) ?

On le répète à longueur de billets, d’articles, de présentations, de journées d’étude : les bibliothèques sont confrontées au tournant du numérique et leur avenir dépendra de leur capacité à s’adapter à cette mutation des supports et des pratiques culturelles.

Certes…

Mais pour franchir ce cap, encore faudrait-il qu’elles puissent offrir à leurs publics des contenus numériques, et si possible, dans un cadre légal. Or c’est encore très loin d’être le cas, tant les conditions contractuelles des services de mise à disposition des contenus sont encore peu adaptées aux usages collectifs.

Trop souvent, si les bibliothèques veulent avancer et répondre aux attentes de leurs usagers, elles doivent s’aventurer dans des zones de flou juridique, sans savoir exactement si elles ne sortent pas de la légalité et jusqu’où elles peuvent aller.

La chose est vraie en France (je dirais même qu’elle est particulièrement vraie dans notre pays – j’y reviendrai en conclusion), mais une affaire récente est survenue aux Etats-Unis, à propos du service de streaming vidéo Netflix, qui illustre bien cette problématique.

Jouer avec le feu, c'est toujours courir le risque de se brûler, mais c'est parfois la seule solution... (Playing with fire 11. Par frankpierson. CC-BY. Source : Flickr)

Risques et périls du streaming en bibliothèque…

Spécialisé à l’usage dans la location de cassette vidéos et de DVD, Netflix a développé ces dernières années une offre attractive de VoD et de streaming vidéo, en proposant pour 10 dollars par mois l’accès à un catalogue important. La plateforme tire son épingle du jeu dans la concurrence avec iTunes, Hulu ou Youtube et l’on a appris la semaine dernière qu’elle étendait son service au Canada (mais pas encore en Europe).

Au début du mois de septembre, un billet paru sur le blog Tame The Web a suscité quelques remous outre-Atlantique. La responsable des acquisitions du département médias d’une bibliothèque universitaire de New York (Concordia College) expliquait comment l’établissement avait pu mettre en place une offre de vidéo consultable sur place à destination des étudiants en souscrivant un abonnement à Netflix, comme l’aurait fait un simple particulier. L’offre de streaming rencontre un franc succès du fait de sa richesse et de sa souplesse d’utilisation, mais elle permet surtout à la bibliothèque de réaliser de substantielles économies (de l’ordre de 3000 dollars par an).

Un bel exemple d’adaptation au numérique, me direz-vous, mais peut-être un peu trop beau pour être… légal, comme l’ont fait rapidement remarquer plusieurs commentaires sous le billet. Pourtant, la pratique de cette bibliothèque ne semble pas isolée aux Etats-Unis et certains établissements réfléchiraient à présent à la façon d’utiliser Netflix pour proposer des contenus sur iPad.

Le problème, c’est que cette pratique viole très certainement les conditions d’utilisations (CGU) de Netflix qui précisent que le service doit être utilisé seulement à des fins personnelles et non commerciales. Comme l’explique magistralement Peter Hirtle sur Law Library Blog, c’est cet adjectif « personnel » qui constitue la pierre d’achoppement et le point de basculement hors de la légalité.

Les CGU indiquent :

[…] the content on the Netflix website, including content viewed through our instant watching functionality, are for your personal and non-commercial use only and we grant you a limited license to access the Netflix website for that purpose.

Par ailleurs, cette licence d’utilisation délivrée par Netflix à ses clients est restreinte aux :

members of your immediate household for whom you will be responsible hereunder and users of the personal computer […]

On est donc très proche de ce que notre Code de Propriété Intellectuelle nomme l’usage dans le « cercle de famille » et il est  improbable que de telles conditions couvrent les utilisations en bibliothèque, qui sont par définition collectives et non personnelles.

Néanmoins (et c’est là que les choses deviennent fascinantes), malgré les rigueurs du droit, il y a de fortes chances que les pratiques perdurent. Les responsables de Netflix ont réagi mollement à la parution de ce billet. Ils ont certes rappelé qu’ils ne vendaient pas d’abonnement institutionnels et qu’ils espéraient que les bibliothèques respectent les CGU de leur service, tout en déclarant dans le même temps qu’ils ne souhaitaient pas engager de poursuites contre les établissements.

Dans une mise à jour sur le billet, la responsable des acquisitions de la bibliothèque de New York répond aux commentaires en précisant que la mise en place du service de streaming n’avait entraîné aucune conséquence judiciaire et que Netflix était même parfaitement conscient de l’usage des contenus, puisque que c’est la carte de crédit de l’établissement qui a servi à payer l’abonnement.

Netflix n’a certainement pas intérêt à entrer en guerre avec une partie de sa clientèle. Les bibliothèques de leur côté choisiront certainement de rester dans cette zone grise juridique, en estimant que le risque vaut d’être pris, au vu de la qualité du service. Mais une telle attitude revient quand même à jouer avec le feu judiciaire, car l’usage collectif ne soulève pas uniquement des problèmes contractuels, mais aussi des questions de violation du droit d’auteur. Et ce sont les titulaires de droit sur les contenus qui pourraient intenter un jour des procès aux bibliothèques, avec de réelles chances de l’emporter.

Peter Hirtle estime sur son blog qu’il serait nécessaire de négocier avec Netflix de nouvelles conditions d’utilisation pour permettre l’usage collectif dans le cadre d’abonnements institutionnels. Mais le système est certainement trop rigide pour permettre un tel aménagement, car il faudrait revoir toute la chaîne des droits pour atteindre un tel résultat. Netflix n’a certainement lui-même pas les droits pour monter une offre en B to B et il lui faudrait à son tour renégocier ses propres licences conclues avec les titulaires de droits sur les contenus vidéo.

Playing with fire. Par stefuhnee_kavy. CC-BY-ND. Source : Flickr

Bienvenu dans le flou juridique généralisé

Cette « affaire Netflix » n’est que l’illustration d’un phénomène plus général, qui affecte quasiment toutes les offres de contenus numériques dans un cadre institutionnel (mis à part les ressources électroniques en BU pour lesquelles la problématique est différente). Pensées à l’origine pour cibler le consommateur individuel dans le cadre d’un modèle en B to C, elles ne peuvent être adaptées aux usages collectifs qu’au prix de périlleuses torsions contractuelles.

Le même Peter Hirtle avait déjà écrit en juin dernier un billet pour essayer de déterminer si les bibliothèques étaient réellement à même juridiquement de prêter des tablettes de lecture, type Kindle, ou des iPads – une pratique en progression aux Etats-Unis. Il aboutissait aux mêmes conclusions : la licence de l’iPad écarte explicitement le prêt et celle du Kindle resteint l’usage du matériel à des fins personnelles. La pratique est donc en avance par rapport au droit, ce qui n’est pas un mal en soi, mais oblige les établissements à prendre des risques.

D’autres types de contenus sont affectés par le même problème. C’est particulièrement le cas par exemple pour les jeux vidéos en bibliothèque, qui constituent pourtant une opportunité à saisir pour diversifier l’offre de contenus. L’usage des consoles dans les emprises des établissements semble toléré par les constructeurs, mais est-il vraiment conforme aux conditions d’utilisation de ces matériels ? Le  prêt de jeux vidéos reste quant à lui théoriquement impossible, à moins de retourner négocier les droits auprès des éditeurs ou de passer par des intermédiaires à même de garantir que les droits ont été réglés en amont. En la matière, l’offre légale est encore très faible et inadaptée aux attentes du public.

Les mêmes limites se retrouvent en matière de streaming musical. Dans une récente mise au point juridique, le site Savoirs CDI montre que l’utilisation des playlists ou de radios de sites comme Deezer n’est pas légale, les conditions d’utilisation étant trop limitées pour couvrir les usages collectifs. C’est tout l’intérêt de l’expérimentation conduite actuellement par la BDP du Haut-Rhin en partenariat avec MusicMe (voir cette présentation de Xavier Galaup, le responsable du projet).  La démarche montre qu’il est possible de créer en bibliothèque un service à partir de contenus numériques, mais il aura fallu pour cela « retourner » toute la chaîne des droits et obtenir les autorisations auprès des sociétés de gestion collective concernées.

L’idéal en réalité serait que la question des usages collectifs et des abonnements institutionnels soit anticipée au moment de la mise en place des services pour que les droits soient d’emblée négociés à la source, auprès des titulaires. Mais cela reste souvent un voeu pieu et particulièrement en France…

Le feu par le feu ?

Je n’ai pas écrit ce billet pour mettre en cause les expérimentations qui sont en cours dans les bibliothèques françaises pour mettre à disposition des contenus numériques aux usagers. Dans l’incertitude ou lorsque le droit oppose de trop fortes résistances, il est parfois nécessaire (et salutaire !) que les pratiques partent en éclaireur sur le chemin. Bertrand Calenge a écrit un beau billet sur les effets paralysants du scrupule juridique en bibliothèque et même si je n’étais pas entièrement d’accord avec lui, j’admets que la prise de risques fasse aussi partie de ce métier. Après tout, les bibliothèques ont prêté des livres pendant des lustres sans pouvoir s’appuyer sur aucune base légale, et c’est encore le cas pour le prêt de CD (si,si…) !

Néanmoins si l’on veut que les bibliothèques puissent négocier au mieux le virage du numérique, c’est à un niveau plus élevé que la question de l’offre légale devrait être pris en compte. Or c’est bien là que le bât blesse… Il y avait bien peu de choses dans le rapport Zelnik par exemple sur le développement de l’offre numérique en bibliothèque et les quelques propositions intéressantes qu’il contenait à ce sujet n’ont été suivies d’aucun effet. Dans les 14 points proposés par le Ministère de la Culture pour favoriser le développement de la lecture, il est bien question de réorienter des fonds pour développer les services numériques en bibliothèques, mais ceux-ci ne seront que coquilles vides si aucune action n’est menée auprès des titulaires de droits pour faire émerger des offres institutionnelles.

Et lorsque l’on voit poindre une loi sur le livre numérique, elle contient des dispositions gravissimes, qui risquent de créer d’insupportables inégalités entre l’offre disponible en B to C et celles que les bibliothèques pourront proposer à leur public.

Dans ces conditions, on se demande s’il n’est pas temps d’arrêter de jouer, pour combattre le feu par le feu.

PS : je peux faire l’embed ci-dessous comme particulier, mais pourrais-je le faire légalement si j’étais une bibliothèque ? Vous avez une heure…



7 réflexions sur “Les bibliothèques sont-elles condamnées à jouer avec le feu (et les CGU) ?

  1. « Je peux faire l’embed ci-dessous comme particulier, mais pourrais-je le faire légalement si j’étais une bibliothèque ? Vous avez une heure… »

    Etant donné les conditions générales d’utilisation (CGU) de Dailymotion

    Dès lors que vous rendez accessible Votre Contenu à d’autres utilisateurs (individuellement ou par groupe), vous déclarez accepter que ceux-ci disposent, à titre gratuit et à des fins exclusivement personnelles, de la faculté de visualiser et partager Votre Contenu sur le Site ou à partir du Site, sur d’autres supports de communications électroniques (notamment, les téléphones mobiles) et ce, pendant toute la durée de l’hébergement de Votre Contenu sur le Site.

    D’autres utilisateurs du Site (« Autres Utilisateurs ») peuvent mettre en ligne des vidéos conformément aux CGU et autres Notices. Vous vous engagez à ne pas accéder aux vidéos des Autres Utilisateurs pour toute raison autre qu’une utilisation personnelle non commerciale, telle que prévue et autorisée par les fonctionnalités normales du Site et uniquement à des fins de Streaming.

    Je tiquerais fortement sur l’utilisation à des fins exclusivement personnelles sur le blog de quiconque ouvert à tout le monde.
    Blogueur ouvert à tout le monde = éditeur de contenus à destination du public, en général.

    On est alors loin de l’utilisation à des fins « exclusivement » personnelles.

    Autre point (ou premier point) à prendre en compte, la légalité de cette vidéo.

    L’Embed d’une vidéo illégale ressemble fort à de la contrefaçon
    Pourquoi cette vidéo, plutôt que le dernier film en cours ? (même situé sur un site de streaming, étranger ou non)

    Ne pourrait-on pas l’assimiler à une personne installant un écran géant dans son jardin, pour la projection d’un film. Ceci en sachant fort bien que tous les gens des HLM alentour peuvent y avoir accès, et que l’écran géant n’est là que pour eux !

    La question se pose alors : qui garantit la légalité de cette vidéo ?

    Je n’ai pas trouvé de licence particulière sur le site de Dailymotion concernant cette vidéo.
    Sa légalité est donc mise en doute. (le fait que l’on puisse lire « Ripped by » au début du morceau semblerait indiquer son illégalité, pour tout le monde ;-) )

    Et il est aussi exprimé dans les CGU que

    5. Notre responsabilité d’hébergeur

    Nous ne sommes légalement tenus à aucune obligation générale de surveillance du contenu transmis ou stocké via le Site.

    Dailymotion n’engage pas sa responsabilité et se retranche derrière un statut d’hébergeur
    Un statut qui pourrait lui être opposé ou non, comme il l’est actuellement, au cas par cas, pour l’hébergeur Youtube dans plusieurs pays européens.

    La seule solution, que ce soit pour un particulier (à destination d’un public général) ou pour une bibliothèque, ce serait d’obtenir une garantie de libre diffusion de la part des ayants droit.

    Cependant, vu l’état actuel de la loi Hadopi, et de la chasse aux contrevenants sur les droits d’auteurs, on peut se poser – en toute légitimité – la question de la légalité de cette vidéo et de son maintien depuis bientôt 3 ans (Publiée le 20/10/07) sur le site de Dailymotion.

    Comment une oeuvre protégée par le droit d’auteur peut-elle rester trois ans sur un site aussi fréquenté que Dailymotion, sans attirer l’attention des si ardents défenseurs du droit d’auteur ?

    De plus, le fait que l’on puisse utiliser le code « embed », directement récupérable sur le site Dailymotion, afin de l’introduire sur son propre site, depuis maintenant 3 ans semble indiquer que les ayants droit ne sont pas contre l’utilisation de ce site et l’usage que l’on peut faire de cette vidéo.

    On remarquera, en supplément, qu’une simple requête sur Google : apocalyptica – fight fire with fire dailymotion

    renvoie directement à cette vidéo.

    Si cette simple requête est à la portée de l’utilisateur lambda, on comprend mal qu’elle ne le soit pas à tout organisme qui cherche à « vraiment » protéger les droits d’auteur.

    D’ailleurs, plutôt qu’utiliser une version tronquée de cette vidéo, on se rendra avec plus d’intérêt sur le site Metacafé, où on récupérera l’embed.
    http://www.metacafe.com/watch/sy-959746225/apocalyptica_fight_fire_with_fire_official_music_video/

    Car, on peut y lire :
    Apocalyptica – Fight Fire With Fire (Official Music Video)

    Official Music Video.
    Ce qui la rend plus légale que la précédente. Même s’il faudrait s’en assurer puisque cette mention a tendance à être affichée sur beaucoup de vidéos.

    Bref, voilà déjà plusieurs arguments que l’on peut invoquer pour prouver sa bonne foi.

    En effet, si les ayants droit contrôlent ces sites (et ils le font, nombre de vidéos sont signalées et disparaissent des sites de streaming), on peut, en bonne logique, déduire que les vidéos qui restent depuis plusieurs années sont en streaming si ce n’est légal, au moins officieux.

    Sauf mention contraire, l’utilisation embed de ces vidéos devient donc possible.
    De plus, étant disponible sur un site de streaming surveillé, elles seront automatiquement supprimées du site si leur illégalité est manifeste.

    Pour moi, ça devient un corollaire miroir de la loi Hadopi.
    Puisque l’Etat se dote des moyens de surveiller les internautes fraudeurs, en corollaire il se dote des moyens de surveiller l’usage légal ou officieux des vidéos sur les sites de streaming d’usage courant. (Dailymotion, Youtube, Metacafe, etc.)

    Autant on peut considérer qu’une vidéo fraîche (moins d’un mois) peut avoir échappé à la vigilance des sociétés chargées de la surveillance du Web (au profit des ayants droit), autant au bout de trois ans leur absence d’intervention ne peut plus être opposable aussi facilement.
    Surtout si la vidéo reste sur le site qui propose le streaming.

    Là, à ce niveau, le préjudice me semble dès lors très difficile à prouver.
    A fortiori, si les représentants des auteurs ont la possibilité de signaler la vidéo comme illégale et de la faire disparaître du site en question, pour interrompre le préjudice sur les sites tiers.

    Bilan final.
    Suivant les éclairages précédents, je pense qu’un particulier ou même une bibliothèque peut se permettre de mettre l’embed de cette vidéo (celle de Metacafe :-) ) sur son site.

    Ceci, sans qu’il y ait préjudice manifeste à l’encontre des auteurs.

    Néanmoins, je ne suis ni avocat, ni juge. Juste de bonne foi.
    Et j’applique le proverbe suivant : au bout d’un temps, qui ne dit mot, consent.

    D’ailleurs, on trouve trace de ce proverbe dans plusieurs situations du droit français.
    Par exemple l’usage d’un lieu d’habitation pendant plusieurs années (10 si mes souvenirs sont bons) vous rend propriétaire dudit lieu, si le propriétaire initial ne se manifeste pas dans ce laps de temps.

    On le trouve aussi pour les objets perdus (ce que l’on sait moins)

    Propriété de l’objet perdu
    L’objet perdu appartient à son propriétaire pendant un certain délai (mal défini par la Jurisprudence, 30 ans au maximum) et, même s’il est remis à son inventeur, celui-ci n’en devient pas propriétaire immédiatement. Ainsi, si le bien a été revendu par l’inventeur, le propriétaire peut le revendiquer à l’acheteur pendant 3 ans (article 2279-2 du code civil). Si le bien est toujours détenu par son inventeur, le propriétaire peut encore le réclamer dans un délai pouvant aller jusqu’à 30 ans (3 ans selon certains tribunaux, en vertu l’article 2279-2 ; mais jusqu’à 30 ans, délai maximal envisageable et qui correspond à la prescription de droit commun (article 2262 du code civil)).

    Ceci en faisant attention au délai de conservation, si l’inventeur veut récupérer l’objet et s’il en a fait la demande.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Objets_trouvés

    Bien cordialement
    B. Majour (qui attend le corrigé ;-) )

    1. Bonjour,

      Merci pour ce commentaire et bien que vous ne soyez ni avocat, ni juge (tout comme moi, en somme !), vous maniez avec beaucoup d’aisance les concepts juridiques. loin de moi l’idée de faire un corrigé de votre réponse, mais discutons plutôt de plusieurs points intéressants de votre raisonnement.

      Pour ce qui est du premier temps de votre argumentation, je suis entièrement d’accord avec vous pour dire que l’adjectif « personnelle » pose un problème dans le cadre d’une utilisation de cette vidéo par une bibliothèque. En réalité, on constate souvent que les CGU des sites de contenus font une certaine confusion entre la distinction usage personnel/usage collectif et la distinction usage commercial/non commercial. On ne peut pas assimiler l’un à l’autre et c’est pourtant ce que font les conditions d’utilisation de Dailymotion, comme si tout usage collectif était nécessairement commercial.

      Afficher cette vidéo sur mon blog correspond selon moi à un usage personnel (même si d’autres internautes peuvent la voir ensuite – ce serait peut-être différent si les CGU parlaient d’usage privé, comme opposé à l’usage public). Mais une bibliothèque ne peut faire d’usage personnel d’une oeuvre (c’est en tout cas ce que nous dit la jurisprudence sur la copie privée, qui n’est jamais applicable quand la reproduction est effectuée par une bibliothèque). On pourrait donc penser qu’il n’est pas possible pour une bibliothèque (ou toute autre personne morale – entreprise, association…- d’utiliser des vidéos de Dailymotion). Pourtant, il y a des masses de personnes morales qui utilisent des vidéos de Dailymotion sur leurs sites, sans que cela ne déclenche de réactions…

      On pourra comparer ces CGU à celles de Youtube, qui ont le mérite d’être plus claires :

      vous vous engagez à ne pas utiliser le Service (y compris le Lecteur YouTube) dans l’un des buts commerciaux suivants, sans l’autorisation préalable écrite de YouTube: (i) la vente de l’accès au Service ; (ii) la vente de publicité, promotions et de sponsoring placés sur ou dans le Service ou le Contenu ; (iii) la vente de publicité, promotions et de sponsoring sur toute page de tout blog ou site web recevant de la publicité et comportant le Contenu fourni via le Service, sauf si d’autres éléments n’ayant pas été fournis par YouTube apparaissent sur la même page et ont une valeur suffisante pour justifier cette vente.

      La distinction est donc bien commercial/non-commercial et pas personnel/collectif. Les bibliothèques peuvent donc en principe utiliser des vidéos Youtube sans difficulté.

      Je dis bien « en principe », car c’est seulement dans le cas où un titulaire de droits sur une oeuvre la charge volontairement dans Youtube qu’il octroie aux autres le droit de la réutiliser. Cela ne s’applique pas dans le cas où des utilisateurs chargent des vidéos sur lesquelles ils n’ont pas les droits (c’est-à-dire énormément de vidéos…). Dans cette hypothèse, il y a bien contrefaçon comme vous l’indiquez et reprendre une vidéo contrefaisante sur son site conduit bien à commettre soi-même une contrefaçon.

      Dailymotion peut s’abriter derrière sa qualité d’hébergeur (qui lui a été reconnu en justice lors de procès opposant la plateforme aux humoristes Omar & Fred et à jean-Yves Lafesse). Mais une bibliothèque ne peut bénéficier d’un tel statut protecteur : choisir et reprendre une vidéo pour la placer sur son site lui attribue le statut d’éditeur de contenus en ligne et dès lors, sa responsabilité peut directement être engagée en cas de contrefaçon.

      Vous soulignez que cette vidéo est en ligne depuis 3 ans et n’a pas déclenché de réaction de la part des titulaires de droits. C’est vrai, mais on ne peut pas appliquer pour autant le principe du « qui ne dit mot consent ». Ou disons plutôt que les titulaires de droits peuvent décider valablement d’agir à tout moment et obtenir satisfaction. C’est ce qui s’était passé lorsque toutes les parodies du film « La chute » avaient subitement été retirées des plateformes de partage, à la suite de la demande du producteur.

      Un autre facteur peut jouer : bon nombre de titulaires ont passés des accords avec les plateformes de partages de vidéos, qui sont des sortes de « pactes de non-agression ». Ils renoncent à attaquer la plateforme en échange d’une partie des recettes publicitaires générées (ce serait le cas de 90% des vidéos sur Youtube). Cela peut être le cas pour cette vidéo de Dailymotion, ce qui expliquerait qu’elle soit restée si longtemps en ligne, mais cela ne règle pas vraiment le cas de la réutilisation par un particulier sur son site. Le pacte de non-agression joue seulement vis-à-vis de la plateforme, mais rien ne dit que les titulaires ne pourraient pas attaquer les utilisateurs (ou Hadopi le faire à leur place…).

      J’aime bien votre comparaison finale avec les objets perdus. Je pense qu’elle s’applique bien à un cas un peu différent : celui des oeuvres orphelines, pour lesquelles on arrive plus à retrouver les titulaires de droits. Dans ce cas, où le lien se brise entre le titulaire et sa création, on peut en effet imaginer que son droit au monopole exclusif soit limité et que l’oeuvre devienne réutilisable, à certaines conditions.

      Merci en tout cas de vous être prêté au jeu !

      Calimaq

  2. Ou disons plutôt que les titulaires de droits peuvent décider valablement d’agir à tout moment et obtenir satisfaction.

    C’est exact. Rien ne les en empêche.

    Cependant, s’ils veulent obtenir réparation d’un préjudice, ils auront bien du mal à prouver ledit préjudice.

    Si je laisse traîner un billet de 50 ou 100 euros, pendant une semaine sur la voie publique, en pleine connaissance de cause, je vais avoir du mal à porter plainte par la suite contre un voleur, même en le prenant sur le fait.

    A remarquer aussi qu’un détenteur de droits peut faire cesser à tout instant le préjudice en demandant à la plate-forme de retirer la vidéo incriminée.

    Ce qui rend encore plus délicate sa demande de réparation pour un éventuel préjudice.

    A ce niveau, la démonstration du préjudice réel va être très difficile à établir.

    Sans préjudice, pas de réparation.

    Pour ce qui est des oeuvres orphelines, cela fait très longtemps qu’il se trouve une solution simple pour régler le problème. Il suffit de légiférer et de dire que tout oeuvre est considérée comme domaine public si aucun des ayants droit ne se manifeste (avec les preuves) d’ici à une durée de X années. Sans qu’il soit besoin d’aller rechercher les éventuels héritiers (ce qui est/était le travail des notaires)

    Domaine public ou domaine national (si on veut se prémunir d’un pillage en règle par certaines sociétés privées)

    Ce n’est pas encore le cas, on se demande bien pourquoi ? :-)

    Bien cordialement
    B. Majour

  3. Ping: PabloG

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