Projet de loi Hadopi : la proposition de « portail blanc » en bibliothèque devrait nous faire voir rouge !

Vu sur le site Numérama, mardi dernier

A l’occasion de son audition par la commission des lois et des affaires culturelles, Christine Albanel a sorti de son chapeau une idée qui en dit long sur la vision qu’a le gouvernement d’Internet. Pour éviter que les accès Wi-Fi ne puissent être utilisés pour pirater des oeuvres sur Internet, la ministre de la Culture a proposé que les accès publics soient configurés comme des « portails blanc« .

« L’Hadopi pourra enjoindre (les gestionnaires d’accès Wi-Fi publics) de prendre des mesures prétentives« , a ainsi rappelé la ministre de la Culture et de la Communication. « Par exemple un portail blanc qui ne donnerait accès qu’à des sites vérifiés, après consultation de différents acteurs concernés« , a-t-elle ajouté en substance.

Pour l’instant, les bibliothèques étaient finalement assez peu concernées directement par le projet de loi Hadopi (L’IABD -Interassociation Archives Documentation Bibliothèques – a tout de même profité de l’occasion pour proposer une salutaire révision de l’exception conservation). Mais avec ce projet de « portail blanc pour les bibliothèques », nous voici propulsés au coeur du dispositif répressif qui se met en place.

Malgré les polémiques « sanitaires » à propos du wifi en bibliothèque, ce type de connection fait vraiment l’objet d’une attente très forte de la part des usagers. Nous le constatons tous les jours dans nos salles de lecture. Notre public est de plus en plus « équipé » en outils de toute sorte qui les relient en permanence à la Toile. Derrière le wifi, c’est toute la question des usages nomades en bibliothèques qui se pose et une part de notre avenir se joue certainement sur notre capacité à relever ce défi.

Nous savons bien que beaucoup de gens viennent en bibliothèque pour se connecter sur la Toile. Si nous leur proposons un sous-internet, juridiquement correct « à la chinoise », je doute que notre public continue à nous considérer sérieusement. Nous serons encore un peu plus marginalisés et coupés des usages culturels liés à la révolution numérique.

Il ne faut pas se faire d’illusion : le public saura très bien reconnaître un internet de deuxième zone et il s’en détournera. Si les espaces « publics » sont filtrés, il restera des accès wifi libres dans les espaces « privés », type café (et même au Mac Donald !). Le public saura faire son choix.

Il y a plusieurs choses que je trouve très choquantes dans ce projet sur le plan des principes :

– La formule revient à considérer a priori tout utilisateur en bibliothèque comme un coupable en puissance et comme un « prédateur » de biens culturels. Mais c’est l’esprit de la loi Hadopi toute entière … Cela revient en outre à nier le rôle pédagogique que les bibliothèques peuvent jouer dans l’accompagnement des utilisateurs sur la Toile et à remettre en cause notre capacité tout simplement à faire appliquer nos règlements intérieurs. Qu’adviendra-t-il par exemple des collections de signets que les bibliothèques mettent en place ? Faudra-t-il les soumettre à l’avis préalable de la commission chargée de dresser la liste blanche.

– Quand on pense à l’immensité et à l’évolutivité d’internet aujourd’hui, on a du mal à imaginer comment cette sélection des sites pourrait s’effectuer. On aboutira forcément à un échantillon très réduit qui ne sera qu’un pâle reflet de la diversité de la Toile. On pourrait à la rigueur imaginer d’exclure les sites qui, de notoriété publique, favorisent le piratage, mais même sous cette forme, la formule me paraît choquante.

– Le projet me semble intenable en bibliothèque de lecture publique, mais il ne l’est pas moins en BU pour les usages liés à la recherche. Comment les chercheurs pourront travailler avec un internet bridé ?

Le projet parle d’une consultation préalable des acteurs concernés. Mais rien ne garantit que nous seront indentifiés comme des « acteurs concernés ». Et même si c’était le cas, je ne voudrais pas être à la place des représentants des bibliothèques qui auront à donner leur bénédiction à ce portail blanc.

L’inquiétant, c’est que le projet paraît déjà assez avancé, car la Ministre s’appuie sur les travaux du CGTI (quid ? Conseil Général des Technologies de l’Information) qui a produit un rapport sur la question du filtrage.

C’est ni plus, ni moins une forme de censure qui est proposée ici. La protection des droits d’auteur (ou des intérêts économiques qui sont derrière) vaut-elle vraiment d’accepter une telle atteinte au droit d’accès à l’information ?

Plus pronfondément, il me semble que « déontologiquement » nous ne pouvons pas accepter cette conception du métier de bibliothécaire, comme un « verrouilleur » d’accès à l’information. C’est l’image profonde de la bibliothèque qui peut être atteinte par un tel projet.

C’est un coup symbolique qui nous est porté et ce sont les types de coup les plus dangereux !


12 réflexions sur “Projet de loi Hadopi : la proposition de « portail blanc » en bibliothèque devrait nous faire voir rouge !

  1. Proposition : et pourquoi pas un portail gris, où seuls les sites reconnus nuisibles seraient bannis.
    Au lieu de vérifier des sites et les ajouter à une liste blanche, on donne un accès complet à tout l’Internet au moment T0 du premier jour d’existence de ce portail gris, et les sites jugés comme allant à l’encontre des lois seraient petit à petit ajoutés à la liste noire de ce portail gris (rien n’empêche de les consulter à partir d’une connexion privée si vraiment on le désire, mais en accès public ils ne seront pas consultables).
    A travers ce portail gris on ne serait donc pas dans un environnement propre et stérile, mais dans un environnement en perpétuel nettoyage.
    Et pour éviter de bafouer les libertés de ceux qui désirent quand même accéder aux sites de la liste noire (ou bien ceux qui ont besoin d’y accéder sans mauvaise intention de par leur activité professionnelle ou ceux qui font de la recherche) et qui n’ont pas possibilité d’y accéder depuis un accès privé, la sortie du portail gris se fera en échange de consignation des données personnelles (carte identité, ou autres).
    Les professionnels qui désirent fournir l’accès Internet à leur public ou clients seront tenus de proposer l’accès en portail gris mais ne seront pas tenus de devoir proposer l’accès en « sortie de portail gris »
    SBC.

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