La semaine dernière, en marge de la session de l’Assemblée générale des Nations Unies, a été présenté un logo universel pour les droits de l’Homme, issu d’un grand concours en ligne lancé en mai dernier.
Cette initiative a remporté un franc succès avec plus de 15 000 projets soumis à un jury comportant la Haut-Commissaire des Nations Unis aux droits de l’Homme, cinq prix Nobel de la Paix et de nombreuses personnalités issues de la sphère militante (dont Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia).
Intéressant sur le fond, ce concours l’était aussi dans sa dimension juridique, car les logos sont en temps normal soumis à des contraintes complexes (ils peuvent en effet relever du droit d’auteur, du droit des marques et/ou du droit des dessins et modèles). Ces multiples limitations liées à la propriété intellectuelle sont susceptibles d’entraver la réutilisation des logos, ce qui aurait été paradoxal pour un symbole dédié à la promotion des droits de l’Homme. Or ici, le règlement du concours a été conçu de manière à ce que le logo retenu soit placé en « Open Source » ou plus exactement dans le domaine public, de manière à ce qu’il puisse être librement réutilisé sans entraves d’aucune sorte.
Le gagnant de la compétition est un designer graphiste indépendant de 32 ans, Predrag Stakic, originaire de Serbie. Son logo « Free as a man » (ci-dessous) proposait de représenter les droits de l’Homme par le biais d’un signe combinant les formes de la main humaine et d’un oiseau.

En réalité, ce signe se dessine en appliquant sa main sur une surface et en traçant les contours, ce qui le rend simple et rapide à exécuter, sans requérir aucun matériel ni compétences particulières. Outre l’aspect pratique, je trouve assez belle l’idée que le symbole des droits de l’Homme constitue le prolongement du corps humain que nous partageons tous. Il renoue en outre avec le geste immémorial des hommes des cavernes appliquant leurs mains sur les parois des grottes et exprimant leur humanité par la création artistique. D’autres candidats avaient également proposé d’utiliser des parties du corps humain, la main ou les bras, pour constituer le design du logo.

Juridiquement, le règlement du concours comportait des clauses prévoyant que le lauréat du concours renonçait à tous ses droits sur son logo, en contrepartie d’un prix de 5000 dollars :
The winning User hereby grants to the Initiative a full and complete assignment of the intellectual property rights in the submitted winning Logo including copyright, trademark and/or design right interests. The winning User waives and disclaims any rights to further compensation and all intellectual property rights to the Logo. In order to secure free usage of the logo by anybody worldwide, the winning user also waives his or her right to be named with the logo. The Initiative is obliged to donate the winning Logo to the public as an open source product.
Le lauréat du concours accorde à l’Initiative une pleine et complète jouissance des droits de propriété intellectuelle associés au logo vainqueur du concours, incluant les droits d’auteur, droit des marques et/ou autres droits sur le design du logo. Le lauréat du concours abandonne et renonce à tous ses droits d’exploitation et à tous ses droits de propriété intellectuelle sur le logo. De manière à sécuriser le libre usage du logo par toute personne dans le monde, le lauréat du concours renonce également à être crédité comme l’auteur du logo. L’Initiative est obligée de verser le logo vainqueur au domaine public, comme un produit en Open Source (traduit par mes soins).
En effet, la FAQ du concours indique que le vainqueur confère à la structure organisatrice du concours les droits sur sa création, ce qui permet à cette dernière de l’enregistrer comme marque, mais en plaçant le logo dans le domaine public :
[…] the winning logo is registered as a public domain product, making it available for all people to use free of charge and without copyright restrictions.
Le logo vainqueur sera enregistré comme un élément du domaine public, ce qui permettra à quiconque de l’utiliser sans avoir à payer quoi que ce soit et sans restrictions liées au droit d’auteur.
On pourrait d’ailleurs imaginer que ce logo soit placé sous la licence Creative Commons Zéro (CC0), ce qui permettrait exactement d’atteindre cet objectif. Vous pouvez télécharger librement le logo ici et le réutiliser comme vous le souhaitez, y compris en le modifiant et
Au delà de la technique juridique, je trouve particulièrement intéressante cette manière de lier le domaine public et les droits de l’Homme. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer plusieurs fois que le domaine public était le garant de l’exercice de plusieurs libertés fondamentales : la liberté d’expression, le droit à l’enseignement, le droit à la culture, le droit d’accès à l’information. Par ailleurs, il me semble que la question de la refonte du droit d’auteur à l’ère du numérique passe nécessairement par un rééquilibrage des droits fondamentaux, qui ne pourra être opéré que par le biais d’une réforme constitutionnelle. Le droit d’auteur est lui-même un droit de l’homme – une déclinaison de la liberté d’expression – mais il doit apprendre à coexister avec d’autres droits fondamentaux de manière équilibrée, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Le droit des logos entretient d’ailleurs parfois un rapport assez trouble avec les libertés fondamentales, notamment lorsque certaines firmes utilisent le droit des marques pour censurer des critiques à leur encontre. A ce titre, on peut se réjouir que le logo des droits de l’Homme soit un symbole et non une marque.
Il faut par ailleurs noter que dans la cadre du droit français, un tel concours n’aurait certainement pas pu avoir lieu dans les mêmes conditions, car les juges ont une conception du droit moral qui empêche le versement volontaire des oeuvres au domaine public, y compris par leurs propres auteurs. Il n’est normalement pas possible de renoncer par voie contractuelle à son droit moral sur une oeuvre, comme l’a fait Predrag Stakic pour son droit à la paternité dans le cadre de ce concours.
Conçu à l’origine comme une protection de l’auteur, ce caractère inaliénable du droit moral empêche aujourd’hui la constitution d’un « domaine public volontaire« , qui pourrait pourtant jouer un rôle important pour l’ouverture du système, comme le montre justement ce concours.
Ce concours de logo était en tous cas une belle initiative, qui devrait nous inciter à réfléchir aux rapports entre droit de l’Homme, domaine public, propriété intellectuelle et libertés fondamentales.
Si le droit d’auteur est un droit de l’homme, pourquoi a-t-il fallu que le logo des droits de l’Homme soit débarrassé de toutes traces de propriété intellectuelle pour remplir son office ?
Le logo est une réussite, et votre démonstration aussi – sa conclusion devrait être plaquée sur la face des industriels cupides, des lobbyistes cyniques et des législateurs clientélistes jusqu’à les étouffer, histoire qu’ils ressentent ce qu’ils sont en train de faire aux biens communs.
Si je ne m’abuse, il n’est pas question ici de droit des marques, mais simplement de droit d’auteur. L’expression « Propriété Intellectuelle » ne me semble donc pas la plus appropriée…
Non, le règlement du concours envisage explicitement d’enregistrer ce logo comme marque, pour pouvoir le verser au domaine public (j’imagine que c’est pour que personne ne le dépose par ailleurs pour en accaparer les droits).
Voyez ici : http://humanrightslogo.net/pages/faqs
Il me semble donc bien légitime de parler de propriété intellectuelle et non seulement de droit d’auteur.
C’est en ce sens que la licence CC0 (Creative Commons Zéro) aurait sans doute pu bien convenir pour régler les questions juridiques liées à ce logo, car sa portée s’étend à toutes les formes de propriété intellectuelle (et même au -delà).
Steve mort pour quelques notes de musique face à la dictature qui vient….Qui est M.Castaner ? Un ….assassin