A mesure que la polémique autour des accords de numérisation de la BnF prend de l’ampleur et rebondit dans la presse générale, on voit apparaître un faisceau de positions révélant des différentes notables d’approches. Si la condamnation de ces partenariats public-privé est large, elle n’est pas non plus unanime. Cette gradation des points de vues est saine et légitime, mais il paraît important de bien cerner la nature exacte de ces nuances pour comprendre ce qu’elles signifient.

Quand on examine attentivement les positions, on se rend compte par exemple que certains s’opposent à ces accords, mais ne considèrent pas que le terme « privatisation » du domaine public soit approprié. D’autres rejoignent l’opposition, mais sans condamner la forme même de ces partenariats, qu’ils rapprochent d’une concession de service public. Certains semblent prêts à admettre une exclusivité sur le domaine public, dans la mesure où elle serait temporaire. D’autres encore estiment ces accords légitimes, justement parce que par nature, on doit pouvoir commercialiser le domaine public.
Il est incontestable également que la BnF et le Ministère de la Culture essaieront de défendre ces projets en jouant sur les mots. Bruno Racine, le président de la BnF a commencé à le faire dans Livres Hebdo, en affirmant qu’il est plus juste de parler «d’exclusivité pour le partenaire qui fournit la prestation, et non de privatisation.»
Il est donc très important de bien cerner ce que signifient les termes expropriation, privatisation, concession, commercialisation, appliqués à la problématique du domaine public, envisagé comme bien commun de la connaissance.
Privatisation du domaine public = expropriation d’un bien commun
C’est Philippe Aigrain sur son blog qui a employé le premier les termes « privatisation » et même « expropriation », à propos de ces accords. Ces qualifications me semblent appropriées pour décrire ce qui est en cours et je les ai reprises à mon compte. Ces mots figurent aussi dans une tribune publiée dans Libération aujourd’hui, signée par Philippe Aigrain, Mélanie Dulong de Rosnay, Daniel Bourrion et moi-même. Elles ont notamment permis de beaucoup mieux cerner le problème par rapport à la dénonciation d’une « commercialisation » du domaine public, employé par certains au début de la mobilisation, qui n’est pas (du tout) approprié. Philippe Aigrain dit ceci :
Ces accords se caractérisent par une privatisation (droits d’exploitation commerciale exclusive pour 10 ans) d’un patrimoine appartenant pour tout (les livres anciens) ou partie (les enregistrements sonores 78 et 33 tours) au domaine public.
[…] voilà la BNF qui privatise le domaine public pour dix ans, et qui se vante que ce soit à son propre profit aussi (donc qu’elle sera durablement intéressée à développer cette privatisation du bien commun) et qu’elle réinvestira les sommes en résultant dans d’autres projets de numérisation (dont il reste à voir s’ils ne conduiront pas à de nouvelles privatisations).
[…] Il serait donc normal sous prétexte que l’Etat est fauché et qu’il y aura des bénéfices d’accessibilité à terme (dix ans sauf pour quelques « bonus » et au fur et à mesure de la numérisation dans les seuls locaux de la BNF) d’exproprier chacun d’entre nous des droits qu’il a à l’égard du domaine public pour en attribuer le privilège d’exploitation exclusive à des acteurs économiques.
Ces propos cernent à mon sens exactement les contours du problème, avec des mots renvoyant à des choses précises : ce qui est inacceptable, ce n’est pas le fait d’avoir conclu un partenariat avec une firme privée ; ce n’est pas non plus que cet accord implique une forme de commercialisation du domaine public ; c’est l’exclusivité accordée à ce partenaire qui porte atteinte au domaine public en tant que bien commun de la connaissance. Cette exclusivité, si on veut en analyser la nature exacte, comporte deux dimensions : une exclusivité commerciale réservant l’exploitation des contenus à un seul acteur et une exclusivité d’accès, qui empêche la mise en ligne et oblige à passer par les bases de données des prestataires pour accéder aux œuvres numérisées.
Il y a bien ici en outre expropriation, car le domaine public présente une nature particulière. Il ne s’agit pas d’un simple bien public, dont l’Etat pourrait disposer comme bon lui semble. Les ouvrages physiques sont certes des biens publics, tout comme le sont les murs des tours de la BnF. Mais les oeuvres incorporées par ces livres ou ces enregistrements, une fois les droits patrimoniaux éteints après la fin des droits d’auteur, ne sont pas des biens publics. L’Etat n’a aucun titre de propriété sur elles : il s’agit véritablement d’un bien commun de l’Humanité, sur lequel nul ne peut revendiquer un titre exclusif de propriété.
Il existe certes un certain flou en jurisprudence sur ce point, le Conseil d’Etat ayant tendance parfois à assimiler le domaine public au sens de la propriété littéraire et artistique à un bien public, sans prendre en compte les oeuvres en elles-même. Mais il n’a pour l’instant jamais été formellement établi que le régime de propriété publique que les institutions peuvent revendiquer sur les ouvrages physiques puisse être étendu aux versions numériques. Et c’est très bien ainsi.
Ces accords ne peuvent s’analyser comme une concession de service public.
Dans le montage des partenariats BnF, un droit exclusif d’exploitation est conféré aux acteurs privés, mais s’agissant du domaine public, il n’existe pas de fondement juridique valable qui permette de justifier une telle restriction. La BnF n’est pas propriétaire des oeuvres du domaine public : elle ne pouvait pas délivrer une telle exclusivité. On est ici typiquement dans la prolongation des pratiques de copyfraud que l’on peut souvent constater au sein des institutions publiques dépositaires du patrimoine culturel. Le régime de propriété publique applicable aux oeuvres physiques ne donne pas de prérogatives sur les « oeuvres immatérielles » au sens de la propriété intellectuelle. Beaucoup des confusions rencontrées dans cette affaire résultent de cette confusion entre le matériel et l’immatériel.
Le principal risque lorsqu’on s’abandonne à ce genre d’amalgames consiste à raisonner sur de fausses analogies, notamment celle de la concession de service public. C’est la base du raisonnement du blogueur Authueil, par ailleurs favorable à ces accords :
Certains hurlent à l’atteinte intolérable au domaine public, parlant même de privatisation. Personnellement, je ne vois pas où est le problème. Les documents sont toujours consultables, dans les conditions actuelles, et à terme, tout sera en ligne gratuitement. Les sociétés privées ont juste le droit, pendant 10 ans, de développer un service qui n’existe pas actuellement. Mais en aucun cas, la propriété de quoi que ce soit du domaine public leur est transféré […] Il n’y a pas privatisation, il y a concession, et sans restriction des accès existants.
On retrouve cette même assimilation dans la déclaration de l’ADBU (Association des Directeurs de Bibliothèques Universitaires), qui repousse fermement ces accords, mais sans remettre en question la forme même de ces partenariats, au motif qu’on pourrait les assimiler à une concession de service public :
Sur le plan commercial, le partenariat conclu avec Proquest apparaît équilibré : financement public-privé pour une exploitation privée de 10 ans (mais semble-t-il exclusive) puis un accès public. Il s’agit en somme d’une concession de service public, auquel se voit contrainte la BnF qui, après 5 ans de RGPP, continue de subir d’importantes restrictions budgétaires cette année encore.
Le rapprochement est pourtant trompeur, car on ne peut raisonner avec le domaine public et la Connaissance comme on le ferait avec des autoroutes ou des bâtiments publics. Lorsque l’Etat concède à un entrepreneur la construction et la gestion d’une autoroute il possède un droit sous-jacent, sur les terrains où cette voie va être créée. Il achète ou exproprie même au besoin des propriétaires privés pour pouvoir constituer cette propriété publique. Il y a donc bien une propriété publique, qui est le fondement même de la concession. Mais avec le domaine public, sauf à s’appuyer sur divers maquillages juridiques relevant du copyfraud, l’Etat n’a pas ce titre de propriété qui lui serait indispensable pour concéder le service. On ne peut concéder ce dont on n’est pas propriétaire.
Il est faux de dire comme le fait Authueil que « rien de la propriété du domaine public » n’est transféré. L’octroi d’une exclusivité implique nécessairement un titre de propriété sous-jacent. Même si le transfert n’est pas définitif (la propriété n’est de toutes façons jamais définitive en matière littéraire et artistique), l’exclusivité sous-entend nécessairement la revendication d’un droit de propriété qui n’existe pas en l’occurrence C’est pourquoi il serait fondamental d’ailleurs de pouvoir connaître quel fondement invoque la BnF dans les contrats pour justifier cette exclusivité. Je suis prêt à parier que l’équation aura été pour eux insoluble et qu’ils auront accordé cette exclusivité dans invoquer aucun fondement juridique réel, ce qui les exposera au risque d’une annulation en justice.
Voilà aussi pourquoi la réponse de Bruno Racine à Livres Hebdo est particulièrement poussive, lorsqu’il dit qu’il serait plus juste de parler « d’exclusivité pour le partenaire qui fournit la prestation, et non de privatisation ». C’est vraiment ce qu’on appelle se tirer une balle dans le pied…
Il y a bien ici privatisation, justement parce qu’une exclusivité a été concédée à un prestataire sur le domaine public. Entendons-nous bien, il existe des privatisations, dont on peut discuter le bien-fondé (transports, télécommunications), mais qui s’inscrivent dans un cadre légal. Ici, il serait plus juste de dénoncer une privatisation opérée sans base légale et sur un objet, le domaine public, qui par nature ne peut faire l’objet d’une tel traitement. C’est en ce sens qu’il y a expropriation, mais là encore le mot n’est pas exactement le bon. Il y a ici destruction d’un bien commun par un processus d’enclosure, au sens très fort que la théorie des biens communs donne à ce terme, qui implique la mise en oeuvre d’une violence illégitime et une logique de démantèlement.
Pourquoi l’opposition actuelle n’a rien à voir avec un refus de la commercialisation du domaine public, bien au contraire !
La déclaration « Non à la privatisation du domaine public à la BnF ! » que de nombreuses organisations ont signé a été jugée par certains comme marquée politiquement. Il s’agirait en gros d’un texte d’extrême-gauche, qui s’opposerait pour des raisons idéologiques à la privatisation, ou au principe même que l’on puisse faire un usage commercial du domaine public.
C’est un point de vue très clairement exprimé chez le blogueur Christophe Henner, se faisant l’écho de débats visiblement complexes au sein de Wikimedia France pour arrêter une position sur le sujet :
Ce contre quoi la lettre, qui je crois ne doit pas être signée par Wikimédia France, s’élève est spécifiquement l’exclusivité et l’exploitation commerciale des numérisations d’œuvres dans le domaine public.
Depuis que je me bats pour la promotion et le développement de la connaissance libre, et j’ose espérer que ça ne changera pas, je me bats, entre autres, pour que les gens puissent réutiliser les contenus de manière non-commerciale ET commerciale. Je ne reviendrais jamais sur ça.
Une oeuvre dans le domaine public doit pouvoir faire l’objet d’une exploitation commerciale. C’est capital, et je reviendrais sur ce point en fin d’explication.
Sur la forme, je trouve la lettre assez « effrayante » par le champ sémantique utilisé. Quand on parle de « firmes privés » et de « privatisation du domaine public », je suis coi. Je me bats, via Wikimédia France, pour la connaissance libre pas pour une vision politique. Pourtant ces termes sont porteurs d’une vision politique. Je me suis suffisamment débattu pour que Wikimédia France soit apolitque et j’espère bien qu’elle le restera bien longtemps
Il y a une confusion importante dans ce raisonnement, qui résulte du fait que l’auteur met sur le même plan exclusivité et exploitation commerciale. Cela le conduit d’ailleurs à entrer en contradiction avec les valeurs qu’il défend. Il n’a jamais été question dans la déclaration visée de s’opposer au principe même que l’on puisse faire un usage commercial du domaine public. Elle vise justement à ce que de nouvelles couches de restrictions ne soient pas appliquées sur le domaine public pour empêcher la réutilisation, aussi bien commerciale que non-commerciale.
Dans un billet précédent, je rappelais également le point de vue exprimé par Hervé Le Crosnier sur la question, qui soutient cette déclaration :
Hervé Le Crosnier explique très bien dans son interview sur Actualitté que le domaine public a naturellement vocation à être exploité commercialement, sous forme de rééditions, traductions ou adaptations, notamment. Le problème n’est pas la commercialisation, mais la privatisation du domaine public, qui passe dans ces accords par le fait d’avoir octroyé des exclusivités de 10 ans aux partenaires privés.
Ce que ne voit pas Christophe Henner, c’est que l’exclusivité accordée aux prestataires privées dans ces partenariats est précisément une exclusivité commerciale, qui va empêcher des entreprises tierces de faire un usage commercial des contenus. Se battre contre cette exclusivité, c’est justement lutter pour que l’usage commercial reste ouvert, parce que qu’il fait intrinsèquement partie de la définition même du domaine public. On notera d’ailleurs que de nombreuses associations issues de la sphère du Libre ont signé cette déclaration, sans y voir cette charge contre la commercialisation que dénonce Christophe Henner.
Les termes « privatisation » ou « firmes privés » employés n’ont en fait ici pas de dimension politique. Ce n’est pas faire de la politique politicienne que de lutter pour préserver les biens communs de la connaissance (même si c’est un enjeu politique majeur pour le XXIème). Il aurait sans doute été plus juste de dénoncer ici l’enclosure d’un bien commun, plutôt que la privatisation du domaine public, mais ces termes, beaucoup plus exacts, ne sont certainement pas encore assez connus au-delà d’un cercle restreint pour mobiliser dans le cadre d’une telle action. C’est à nous d’ailleurs de faire en sorte qu’ils le deviennent, mais il s’agit d’un travail de fond.
Dans cette affaire d’ailleurs, je dénoncerai d’ailleurs beaucoup plus l’attitude de la personne publique, en l’occurence la BnF et l’Etat, que les firmes privées en cause. Mon engagement sur le thème des biens communs m’a d’ailleurs conduit graduellement à me rendre compte que les acteurs publics peuvent s’avérer tout aussi redoutables pour les biens communs que les acteurs privés. Dans un billet précédent consacré lui aussi à la numérisation et au domaine public, je disais ceci :
Il y a quatre ans, j’étais défavorable à ce partenariat avec Google, parce que je pensais qu’une solution publique pouvait être mise en place en France, qui préserverait le domaine public.
Depuis, j’ai constaté avec horreur que les personnes publiques et l’Etat sont tout aussi menaçants pour le domaine public que ne le sont les grandes firmes privées.
Les bibliothèques protègent le patrimoine, mais qui protège celui-ci des errances de l’action publique ?
Le combat pour les biens publics a d’ailleurs ce mérite de sortir de l’opposition entre privé et public, entre le marché et l’Etat, pour faire entrevoir de nouveaux positionnements.
Les mots sont importants, parce qu’ils nous permettent d’entrevoir une solution au problème.
Cette réflexion sur les mots et les concepts est à mon sens tout à fait essentielle, car elle dessine ce que pourrait être une sortie de cette crise.
Wikimedia France a publié une déclaration dans laquelle elle propose en conclusion des pistes de solution que j’ai bien du mal à partager :
Dans une période de moindre financement, nous pouvons entendre qu’il vaut mieux mettre à disposition les scans de ces ouvrages dans dix ans que ne pas les numériser du tout.
Nous accueillerions donc avec joie un effort de transparence de la part de la BnF afin que soient présentées les pistes suivies afin de démontrer que le partenariat public/privé a été choisi en dernière instance car seule solution réellement implémentable.
Nous pensons également que le partenariat peut être amendé. En particulier, si nous nous réjouissons que les scans soient disponibles dans les murs de la BnF (où se trouvent déjà l’exemplaire originel), il nous semble important que des points d’accès existent dans les autres régions afin de promouvoir le principe d’égalité d’accès des citoyens aux services publics et à la connaissance.
A titre personnel (et j’insiste bien là dessus, c’est mon avis personnel), je ne suis pas disposé à accepter l’exclusivité commerciale et l’enclosure d’accès que sous-tendent ces partenariats, pour les raisons que j’ai évoquées ci-dessus. Une issue, comme celle proposée par Wikimedia France, qui consisterait simplement à étendre l’accès dans quelques bibliothèques en France ne lèverait à mes yeux aucunement le problème majeur dans cette affaire, qui réside dans le fait que l’exclusivité accrédite un droit sous-jacent pour l’Etat sur le domaine public, qui ne peut conduire qu’à l’étiolement et à l’affaissement progressif de sa substance.
L’argument consistant à dire qu’il faut se ranger au réalisme économique et qu’en temps de crise de telles solutions doivent être acceptées ne me paraît pas non plus recevable. Il a d’ailleurs été très bien démonté par l’économiste de la culture, Mathieu Perona :
On le sait et le répète, l’État français refuse assez obstinément de se doter des instruments d’évaluation des politiques publiques. On peut même aller plus loin : à gérer les institutions de manière indépendante, il abdique son rôle de coordinateur de l’action publique. Les accords de la BnF sont un cas d’espèce : ils reposent sur la monétisation auprès d’un client public (les établissements d’enseignement et de recherche) d’un contenu détenu par une institution publique, monétisation qui sert à rembourser une avance réalisée par un prestataire privé.
Il y a là une profonde erreur de gestion publique, puisqu’il ne s’agit pas d’une valorisation des collections de la BnF, mais d’un simple transfert de ressources d’une partie de l’administration publique à une autre. Les taux d’emprunt actuels font en outre que le financement direct de la numérisation par ce biais coûterait moins cher que la marge prise par le prestataire.
On nous dit que les caisses sont vides et que l’Etat n’a plus de crédits à consacrer à la numérisation patrimoniale. Pourtant, on a appris récemment que les magazines de la marque Télé-Z recevaient du Ministère de la Culture 23,5 millions par an de subventions. C’est davantage que ce que la BnF perçoit du Centre National du Livre pour conduire ces programmes de numérisation de masse. C’est un exemple, mais combien doit-il y avoir de niches semblables ? Dans ce sujet comme dans d’autres l’argument de la crise est bien pratique, quand il permet de faire l’économie de véritables arbitrages politiques dans les priorités à défendre !
Si le problème réside bien dans l’exclusivité accordée, la solution pour sortir de cette crise consiste à agir sur ce levier. A vrai dire, ces montages traduisent surtout un problème de perception dans la valeur de la numérisation. Ce n’est pas l’accès en lui-même aux contenus qui fait la valeur, mais les services associés qui permettent le traitement de l’information. Pour prendre une exemple, l’existence de Légifrance n’empêche pas des éditeurs juridiques de construire des bases de données et de les vendre, parce qu’ils offrent une valeur ajoutée sur les contenus. L’accès à la loi et à la jurisprudence (autre composante fondamentale du domaine public) reste bien libre et gratuit, sans empêcher la mise en place d’un écosystème économique (qui pourrait d’ailleurs être encore plus riche si Légifrance passait vraiment en Open Data, mais c’est une autre question).
Il pourrait en être de même en matière de numérisation du patrimoine. Un acteur comme ProQuest par exemple est reconnu pour développer des bases de données de qualité, qui offrent un véritable service aux chercheurs. C’est une erreur à mon sens de croire que ProQuest n’aurait pas vendu sa base si les scans avaient été rendus par ailleurs accessibles par ailleurs dans Gallica. Il existe un marché pour ce type de produits à valeur ajoutée, en France et à l’étranger, tout comme les universités ne renoncent pas à acquérir des bases de données juridique sous prétexte qu’existe un Légifrance !
Par ailleurs, l’accès libre en ligne des fichiers n’empêche de développer des services payants à valeur ajoutée. C’est le cas par exemple de la numérisation à la demande, que la BnF a déjà mis en place avec plusieurs partenaires commerciaux, sans accorder à aucun d’exclusivité.
Cette affaire révèle en définitive surtout un problème dans la conception de la valeur à l’ère du numérique, comme le dit d’ailleurs très bien à nouveau Mathieu Perona :
Est sans doute également entrée en ligne de compte l’opinion répandue dans les milieux culturels français que la gratuité dévalorise l’objet, argument déjà entendu lors du débat sur la gratuité des musées. Faire du payant, c’est dans cette perspective affirmer la valeur du corpus, et tant pis pour ceux qui se retrouvent exclus de l’accès aux contenus.
Ces exclusivités peuvent être levées, l’intégrité du domaine public sera préservée et l’intérêt économique même des parties en cause dans cette affaire n’en souffrirait pas. Mais après une telle alerte, nous ne pourrons faire l’économie d’une réflexion générale en France sur le financement de la numérisation, la préservation du domaine public et les liens à tisser avec les acteurs économiques. Ce serait d’ailleurs le meilleur moyen de transformer cette crise en quelque chose de positif.
Mais qu’est-ce qui empêche une entreprise tierce de numériser ces mêmes documents en se les procurant par une autre source (mise à part la problématique de trouver cette autre source, ce qui risque d’être relativement complexe, je veux bien l’admettre, quand la BNF dispose du seul exemplaire restant à ce jour) ?
L’exclusivité reconnue aux partenaires privés ne va sans doute en effet pas jusque là (mais on en pourra réellement le savoir que lorsque les contrats auront été révélé).
La BnF n’a évidemment pas le pouvoir d’interdire à quiconque de numériser ces documents à partir d’un autre ouvrage physique. Cela n’aurait de toutes façons aucune valeur juridique.
Il faudra voir cependant si l’exclusivité reconnue empêche un autre prestataire de numériser à nouveau à partir des mêmes ouvrages de la BnF. Dans les contrats Google, par exemple, cette forme d’exclusivité est absente : les bibliothèques partenaires peuvent faire numériser les mêmes livres par d’autres.
Néanmoins cela ne règle à mon sens pas la question de l’atteinte à l’intégrité du domaine public, en ce qui concerne les collections de la BnF. Elle est manifeste dans le sens où la bibliothèque s’est inventée un droit de propriété imaginaire pour conférer une exclusivité à son partenaire.
Les éditeurs qui rééditent des ouvrages du domaine public sont concernés par ce type de restrictions.
La BNF a bien un droit de propriété sur l’ouvrage physique. Elle est tout à fait légitime à l’exercer, en tant que « gardienne pour l’éternel » de ces ouvrages. Ok, c’est plus que mince mais bon…
Ne vous méprenez pas, ces accords me dérangent également. J’ai juste tendance à chercher des arguments logiques contre mes réactions à chaude. Ce que je redoute, c’est que cette solution a du être décidée bien en amont du projet et que tout a dû être fait pour trouver des arguments à cette solution [en clair, l’imposer] au lieu d’étudier l’ensemble des solutions possibles.
Ok pour l’exclusivité. Prenons donc un « partenariat » du même type, encore plus restrictif mais sans le mot exclusivité. Le numérisateur demande à la BnF de numériser un livre, la BnF accepte (le livre ne lui appartient pas et ça sert à la dissémination de la culture), le numérisateur numérise, rend le livre et c’est tout. La BnF n’a pas droit à une copie numérique et n’y aura jamais droit. Le numérisateur vend l’œuvre sous forme de livres sans mise en forme autre que le strict nécessaire. Dans un tel « partenariat » la BnF ne pourra même pas bénéficier à un instant ou à un autre de la forme numérisée de l’œuvre.
En quoi le domaine public serait-il atteint dans un tel cas ? N’est-ce pas purement l’exercice du « droit » de commercialisation d’œuvres du DP ? (je précise bien le *domaine public*, sans évoquer la question économique)
Mais tu oublies que dans ces accords, l’argent de l’emprunt national est mobilisé ! Les prestataires ne prennent absolument pas tous les risques financiers. Ils doivent être soumis à des contreparties et c’est bien là que le bas blesse.
Hmm, c’est vrai qu’on s’exite, mais tant qu’on n’a pas les détails de l’accord passé, c’est difficile de se faire un avis propre. Espérons que la BnF (-Partenariats) donne les termes exacts.
Enfin, d’ailleurs, je m’interrogeais sur la législation entourant la divulgation de termes du contrat : en effet, BnF-Partenariats est une SAS, est-elle donc soumise à la CADA en recours ultime, ou non ? (puisque c’est une société privée ; même si son actionnaire unique est l’État — d’après ce que j’ai pu trouver comme infos).
Oui, la publication des contrats est essentielle pour pouvoir raisonner correctement. Espérons qu’elle intervienne rapidement. L’opacité est l’un des points les plus choquants dans cette affaire, alors que l’on avait tant reproché cela à Google.
BnF-Partenariats, même s’il s’agit d’une personne privée sera bien soumis au droit d’accès aux documents administratifs. La loi du 17 juillet 1978 dit bien que les personnes privées chargées d’une mission de service public entrent dans le champ : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000339241
Par ailleurs, je pense que la BnF en tant qu’établissement public doit être signataire de ces accords, mais on ne peut le savoir en l’état.
Une précision : la CADA n’est pas l’ultime recours. Elle ne fait que rendre un avis, que l’administration peut choisir de suivre ou non. En général elle suit les avis positifs de communication, mais il arrive qu’elle s’entête et dans ce cas, on est contraint de saisir le juge administratif, ce qui est une autre paire de manches.
« Les ouvrages sont certes des biens publics mais les œuvres incorporées par ces livres ne sont pas des biens publics. » Tout à fait d’accord avec toi. Mais alors idem pour la version numérisée : le support numérique n’est pas l’œuvre. Concéder l’exploitation exclusive du support numérique n’est donc pas une expropriation ou une privatisation du domaine public constitué par l’œuvre : ce n’est qu’une privatisation du support.
La BnF avait-elle le droit de commercialiser le support numérique ? En est-elle le propriétaire ? Quand une œuvre est sous droit, chacun des supports où elle est reproduite doit faire l’objet d’un contrat d’exploitation spécifique. Mais quid lorsque l’œuvre appartient au domaine public ? Son support matériel, s’il appartient à la BnF par exemple, donne-t-il le droit à cette dernière d’exploiter, fût-ce à son profit, la copie fixée sur support numérique ? Eh bien on n’en sait rien, comme tu le dis toi-même : le droit est muet là-dessus. C’est un vide juridique. Sur lequel la théorie du copyfraud a un point de vue, mais ce n’est qu’un point de vue.
« Beaucoup de confusions rencontrées dans cette affaire résultent de cette confusion entre matériel et immatériel » : en effet. Tu raisonnes comme si le support immatériel, numérique, était l’œuvre de l’esprit elle-même : mais cette dernière n’est pas plus assimilable à l’ouvrage physique qu’à l’ouvrage numérisé. Le support numérique n’est pas immatériel : il est bien physiquement présent quelque part, sur un serveur, et un serveur, c’est tout ce qu’il y a de physique…
Bonjour,
Merci pour le commentaire, mais ce n’est pas aussi simple que cela. Le support numérique est juridiquement très différent du support physique en terme de régime de propriété.
Les supports physiques sont des biens publics au sens du droit administratif. Pour les bibliothèques, il y a des dispositions particulières qui sont dans le Code du Patrimoine. La question est débattue en doctrine, mais à l’heure actuelle, il n’y a pas de jurisprudence qui permette de dire si la propriété publique des supports pourrait se transmettre aux versions numérisées.
Imaginons que ce soit le cas, cela ne serait certainement pas plus favorable à ces accords. Car il existe désormais règles strictes concernant la gestion de ces biens publics et notamment un principe d’inalienabilité. Même à titre temporaire, l’exclusivité concédée dans le cas présent pourrait être considéré comme une forme d’aliénation.
Continuons dans l’examen des fondements juridiques possibles (je n’ai pas eu la place de le faire dans mon billet, merci de m’en donner l’occasion).
On pourrait aussi imaginer que les versions numériques sont des données publiques, que la personne publique « posséderait ». Sauf que le droit des informations publiques (issu de la loi du 17 juillet 1978), ne consacre nullement un droit de propriété sur les données publiques, au profit des administrations. Au contraire, il part d’un droit à la réutilisation de ces informations qu’il reconnaît aux citoyens. Et l’article 14 de la loi empêche justement en principe d’accorder une exclusivité à des tiers.
Dernier fondement possible, le droit des bases de données, qui est reconnu au producteur de la base. Cela pourrait être vu ici comme un support valable, mais cela ne tient pas non plus. En effet, ici, ce n’est pas la BnF qui va produire les bases, mais Proquest, Believe et Memnon. Le droit de propriété qui en résultera est donc postérieur à l’acte qui consacre l’exclusivité. Il ne peut donc, pour des raisons chronologiques, servir de fondement juridique à l’exclusivité dans ces accords.
Sans compter que ce droit des bases de données doit être articulé également avec le droit des informations publiques et qu’il ne paraît pas possible d’utiliser le droit des bases de données pour neutraliser le droit à la réutilisation.
Conclusion : on ne peut vraiment pas raisonner avec le support numérique comme avec le support physique. Et non, il n’y a pas de vide juridique (ça n’existe pas, le vide juridique), mais seulement une situation très complexe à laquelle j’espère avoir apporté des éclaircissements.
Que ce soit clair : je suis pour la libre diffusion des connaissances, c’est seulement que je trouve que « privatisation » ou « expropriation » sont des impropriétés en l’espèce. Et que défendre un bon principe avec de mauvais arguments, c’est prêter le flan à une lecture de la prise de position comme « gauchiste » (« Il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron » : moi je trouve qu’il vaut mieux avoir raison tout court).
Je suis d’accord avec toi pour dire que le droit des bases de données ou des informations publiques n’est pas adapté : une œuvre de l’esprit n’est pas une donnée, ou une base de données.
Quand tu parles de l’inaliénabilité des biens publics, tu fais référence au code général de la propriété des personnes publiques (ex-code du patrimoine) ? Tu peux préciser ?
Et merci pour cet échange très intéressant !
Sorry, fausse manip avec l’IPad : tu fais référence au code général de la propriété des personnes publiques (ex-code des domaines) ou au code du patrimoine ? Merci !
Comme je le dis dans l’article, il aurait certainement mieux valu parler »d’enclosure », terme issu de la théorie des biens communs, qui décrit mieux ce qui est en train de se passer à la BnF et constitue un terme moins marqué idéologiquement.
Ceci étant, Philippe Aigrain a écrit un billet aujourd’hui « En quoi il y a bien expropriation du patrimoine commun », dans lequel il explique ce que nous voulons dire, en rappelant les droits positifs dont chacun dispose sur le domaine public : http://paigrain.debatpublic.net/?p=6445
Oui, cet échange est très intéressant et je vous en remercie, car cela m’a permis de mieux préciser ma pensée,notamment sur la question des fondements juridiques de l’exclusivité.
Pour ce qui est du régime de propriété des collections des bibliothèques,c’est effectivement du côté du CGPPP qu’il faut aller regarder.
Je vous recommande à ce sujet de lire cet article par un professeur de droit public, qui explique très bien comment les collections des bibliothèques sont traitées du point de vue du droit de la domanialité publique : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-01-0038-005
Il aborde notamment la question de la propriété des versions numérisées des ouvrages et conclut qu’à son sens elles ne peuvent constituer des biens publics.
Bein oui mais l’article du BBF auquel tu/vous renvoies conclut : « La bibliothèque publique pourra donc procéder à une gestion moins contraignante de ses biens numérisés et ses relations avec l’entreprise en charge de la numérisation en seront facilitées. »
Ça n’apporte pas de l’eau à notre moulin…
Parce que si je trouve que c’est en effet excessif de parler de privatisation de l’œuvre (ce n’est pas l’œuvre qui est privatisée encore une fois, c’est son support : Aigrain fait de ce point de vue le même petit saut logique mais décisif : l’abusus concerne le support, à travers le droit exclusif d’exploitation sous forme numérique, pas l’œuvre elle-même), je trouverais bien de pouvoir argumenter que le support numérique ressortit de la domanialité publique.
Diable, tout cela est bien intéressant mais très compliqué, parce qu’aucune des sources du droit n’a encore fixé les choses de manière claire (ça te/vous va mieux que « vide juridique » ? Parfois, il faut bien utiliser quelques raccourcis imprécis pour traduire plus vite les choses :-))
Je suis réservé sur l’opportunité d’appliquer le régime de la domanialité publique aux contenus numérisés.
On pourrait se dire que cela constituerait une garantie en cas de velléité d’aliénation, mais c’est aussi reconnaître aux personnes publiques un véritable droit de propriété sur les reproductions d’oeuvres du domaine public.
Or j’ai appris à me méfier terriblement des institutions culturelles qui sont généralement plus portées à fermer qu’à ouvrir.
Prenons un exemple au hasard, la BnF encore, qui pour Gallica, considére que les scans sont sa propriété au titre de la domanialité publique http://gallica.bnf.fr/html/editorial/conditions-dutilisation-des-contenus-de-gallica
Elle affirme ça, sans qu’aucune jurisprudence ne permette de l’affirmer reellement. Leurs juristes savent se montrer très créatifs quand il s’agit de fermer et de contrôler.
Donc au final, je préférerai que la loi consacré positivement le domaine public PLA pour le protéger, plutôt que de passer par le détour de la domanialité publique.
En la matière pour moi, les paris pascaliens sur les institutions culturelles, c’est fini.
Je vois. Et c’est vrai que ça aboutit à une absurdité : si l’exploitation des fichiers numériques est accordée en exclusivité à un tiers, c’est qu’ils sont considérés comme des biens privés de la personne publique, alors que du jour où ils seront sur Gallica, ils deviendront des biens publics de la personne publique…
C’est quoi le domaine public PLA ?
Merci pour ce stimulant billet. Dans les commentaires lus depuis l’annonce de la BnF, je ne vois jamais distingués le partenariat public-privé pour la numérisation du livre ancien et celui pour la numérisation des disques. Or le projet disques a au moins deux particularités : 1/ pour la plupart de ces enregistrements, les droits voisins sont éteints, mais pas les droits d’auteurs (compositeurs, paroliers…), les droits patrimoniaux ne sont pas éteints ; 2/ les clients principaux de Memnon et Believe ne seront pas des établissements de recherche et des bibliothèques publiques, mais les plates-formes de distribution de musique, et donc au final plutôt les particuliers.
Oui effectivement, les partenariats sur les enregistrements musicaux sont différents de celui avec Proquest sur les livres anciens.
Il est clair que vu la période concernée et la volume, des droits d’auteur doivent subsister sur une partie du corpus. Sans doute même que la majorité de ces enregistrements sont encore sous droits.
Mais une partie doit aussi être dans le domaine public et on retombe alors exactement dans le même débat.
Pour la partie sous droits, je ne pose plusieurs questions.
La SACEM est-elle dans la boucle ? Je ne vois pas trop comment il pourrait en être autrement.
Par ailleurs, s’agissant d’un corpus d’oeuvres anciennes, comment la Bnf a-t-elle pu gérer la question des oeuvres orphelines qui doivent être présentés dans l’ensemble ?
C’est une vraie question, car si rien n’a été prévu, on se trouve dans un cas de violation du droit d’auteur.
Pour la partie sous droits, on ne peut bien sûr pas reprocher à la BnF d’avoir mis une enclosure sur un bien commun.
Mais s’agissant de projets financés par le grand emprunt, on aurait quand même pu envisager un accès plus large, dans le cadre d’une licence nationale par exemple, ou avec des dispositions particulières pour les usages pédagogiques et de recherche.
Mais bien sûr, de tout cela, il n’est pas question…
Si ces collections sont entrées à la BnF par le dépôt légal, elles relèvent de la domanialité publique, quelles soient ou pas sous droits, non ?
Certes, mais là nous parlons des versions numérisées et le droit de la domanialité publique ne permet pas aux bibliothèques de faire ce qu’elles veulent des contenus sous droits. Toujours cette même distinction fondamentale entre l’oeuvre incorporelle et ses supports.
A noter que @Thelonious_Moon vient d’écrire un billet excellent qui clarifie très bien l’articulation entre les deux domaines et ces enjeux dans l’affaire des accords BnF :
Oeuvres corporelles ou incorporelles ? Les accords BnF entre deux eaux => http://numeribib.blogspot.fr/2013/01/uvres-corporelles-ou-incorporelles-les.html
Vraiment je te remercie pour cet échange passionnant et qui permet de clarifier cette question complexe – et je ne suis pas le dernier à en avoir besoin, manifestement ;-)
Si je récapitule, 3 niveaux :
– le domaine public au sens de la PLA (propriété littéraire et artistique) : c’est le niveau des œuvres. Ce domaine public n’existe qu’en creux dans la législation et la jurisprudence (extinction des droits patrimoniaux)
– le domaine public au sens du CGPPP : c’est par exemple le niveau des ouvrages concernés par le PPP avec Proquest, qui en tant que supports appartiennent à la BnF – estampillage
– le domaine privé au sens du CGPPP : là la BnF se conduit comme si toute reproduction des ouvrages du domaine public (notamment numérique) ressortissait à ce domaine privé, alors que la législation est muette et que la jurisprudence n’est pas aussi formelle, malgré une tendance récente.
J’ai deux interrogations :
– tu veux la reconnaissance d’une existence positive au domaine public PLA, en t’appuyant sur la source doctrinale de la théorie des communs, qui me semble en effet très prometteuse (notamment eu égard à l’économie singulière du Net et à ta proposition de contribution créative). Mais comment s’y prendre juridiquement pour faire entrer la numérisation d’une œuvre du domaine public CGPPP dans le domaine public PLA ? Difficile je trouve d’argumenter que la copie d’une œuvre doit ressortir du domaine public PLA alors que même le support matériel de l’œuvre, à partir duquel est établie la copie, ne relève pas du domaine public PLA. Ça me semble difficile à obtenir et à argumenter juridiquement, même si on arrive à donner un contenu positif au domaine public PLA, ce qui est en effet plus que souhaitable
– j’ai beaucoup apprécié que tu rappelles dans notre échange le modèle Legifrance, dont j’ai toujours peiné à comprendre pourquoi on (notamment Couperin) ne s’en inspire pas davantage. Dans ce modèle, l’Etat a numérisé les données qu’il produit et les met à la disposition de tous, modulo si réexploitation commerciale, il contractualise. Cela me semble une bonne chose au niveau de la régulation du marché : les éditeurs juridiques qui récupèrent les données publiques ne peuvent faire payer à leur client que la valeur ajoutée qu’ils ont par eux-même produite (d’ailleurs, quand l’opérateur historique JuriFrance, devenu Juripro, a voulu vendre à ses clients juste les données brutes alors que ces dernières étaient devenues gratuites, il s’est bien sûr planté, et c’est très bien ainsi). Quand la BnF empêche sauf accord contractuel la réexploitation commerciale des fichiers numériques de Gallica (qu’elle a produits), je trouve qu’on est dans une logique proche : certes, les données ne sont pas des œuvres au sens de la PLA, mais de toute façon, les fichiers numérisés non plus ; avantage en revanche : je suis éditeur, je contractualise avec la BnF pour récupérer les fichiers de Gallica (mention de la BnF obligatoire), je leur ajoute une valeur ajoutée à travers un travail éditorial, je ne peux pas revendre le tout aux bibliothèques publiques à un prix aberrant car le prix devra tenir compte du fait que ma valeur ajoutée se limite à mon travail éditorial (un peu comme avec une base comme Lamyline , dont le prix de vente reste raisonnable). Donc est-ce que quand même le public comme les institutions publiques que sont les bibliothèques n’a pas intérêt à ce que les fichiers issus de la numérisation BnF tombent dans le domaine privé de la personne publique, s’ils ne peuvent au final juridiquement accéder au statut de biens du domaine public PLA ?
Tu es probablement très occupé avec le montage de la journée du 31, mais je trouverais dommage que notre discussion en reste là. J’ai continué à réfléchir de mon côté, et voilà où j’aboutis : ne faudrait-il pas distinguer juridiquement deux cas :
– celui des œuvres numérisées : je ne vois pas, je le redis, comment faire entrer dans le domaine public PLA le fichier issu d’une numérisation. Cela sape les fondements même du CPI, à savoir la distinction œuvre/support, donc cela ne me semble pas viable, parce qu’on perd aussi au passage le domaine public PLA. En revanche, on peut envisager une légère adaptation du CPPP pour faire entrer ce fichier dans le domaine public CPPP. On est alors dans la même logique que Legifrance, le CC-by ou Etalab. L’accessibilité pour tous est garantie, c’est la réexploitation sous une forme commerciale qui est sous condition, mais avec les effets vertueux soulignés (seule une plus-value manifeste permet de justifier une commercialisation, et le coût)
– en revanche, dans le monde des œuvres nativement numériques, on voit bien que ni le CPI ni le CPPP n’apportent de solution, et s’essoufflent à courir après un monde qui évolue en dehors de la logique qui a présidé à ces constructions juridiques. C’est qu’on est passé d’une économie fondée sur une exploitation des droits patrimoniaux à une économie basée sur la valorisation du trafic, avec des effets économiques inédits (viabilité économique des phénomènes de longue traîne par exemple, là où leur rentabilité est nulle ou presque dans le monde des droits patrimoniaux). Là, une nouvelle construction juridique, basée sur les communs, et, économiquement, sur la contribution créative prend tout son sens, elle est même à mon avis la seule solution.
Qu’en penses-tu ?
Pas politique ? Votre déclaration est signée par le Parti Pirate et le Front de Gauche, pas par l’UMP, ni même les radicaux, l’UDI, le Modem ou le PS !!!