Du brevet comme arme de guerre au don comme acte de paix

Cette semaine, Elon Musk, le PDG de la compagnie Tesla Motors spécialisée dans la construction de voitures électriques, a fait sensation en publiant un billet « All Our Patent Belong To You« , annonçant que sa société renonçait à exercer des poursuites à l’encontre de ceux qui utiliseraient ses technologies. Dans son billet, Musk explique vouloir appliquer la philosophie de l’Open Source au domaine des brevets, pour stimuler l’innovation dans le secteur des voitures électriques et favoriser ainsi leur développement au niveau mondial :

Nous pensons que Tesla, d’autres compagnies fabriquant des voitures électriques et le monde bénéficieront tous d’une plateforme technologique commune, évoluant rapidement.

Le leadership en matière de technologie n’est pas défini par des brevets,  à propos desquels l’histoire a montré qu’il offrait peu de protection face à un concurrent déterminé, mais plutôt par la capacité d’une entreprise à attirer et à motiver les meilleurs ingénieurs. Nous pensons qu’appliquer la philosophie de l’Open Source à nos brevets va renforcer plutôt que diminuer la position de Tesla de ce point de vue.

« Le mur des brevets » au siège de Tesla Motors, sur lequel l’entreprise affichait les titres de propriété obtenus sur ses inventions (The Tesla Patent Wall at HQ, now set free. CC-BY. Par Melirius. Source : Wikimedia Commons)

Salué très largement depuis quelques jours, ce geste en faveur de l’ouverture est loin d’être anodin dans un contexte où la logique propriétaire des brevets est de plus en plus souvent remise en cause. Il annonce peut-être l’avènement d’une autre voie possible,  vers une « économie des Communs » au centre de nombreuses réflexions et expérimentations aujourd’hui.

De la Guerre des brevets à la création d’un nouveau bien commun

La décision de Tesla en faveur de l’ouverture détonne par rapport à la « Guerre des brevets » sans merci que se livrent depuis plusieurs années les géants de l’économie numérique comme Apple, Samsung ou Google dans le domaine de la téléphonie mobile et des systèmes d’exploitation. Elle contraste également avec la situation du système des brevets aux États-Unis, dont la cohérence est mise à mal par la multiplication des Patent Trolls, ces firmes amassant des brevets souvent fantaisistes sans rien produire et qui vivent en menaçant d’autres entreprises de procès.

La dérive du système des brevets en une image : plus de 60% des procès aux États-Unis sont intentés chaque année par des Patent Trolls, ce qui nuit gravement à l’innovation que les brevets sont censés promouvoir et récompenser.

En renonçant à exercer ses brevets, Tesla Motors crée de facto un bien commun, dans lequel une communauté d’acteurs va pouvoir aller puiser pour innover à leur tour, en développant une technologie d’avenir. Elon Musk explique dans son billet que Tesla conservait auparavant ses brevets à titre défensif, pour éviter qu’une grosse compagnie automobile ne brevète de son côté une technologie pour se l’approprier. Mais Tesla a finalement renoncé à cet usage du brevet comme arme de guerre, même à titre défensif. Son constat est que les technologies pouvant servir à construire des voitures électriques sont sous-utilisées, y compris par les gros constructeurs qui ne se sont pas engagés de manière significative dans ce créneau.

En ouvrant ses brevets, Tesla choisit de se débarrasser de la peur d’être « pillé » pour opter pour le don, en créant la possibilité de faire advenir dans le secteur des voitures électriques une nouvelle forme économie.

Vers une nouvelle « économie de paix » ?

Cette attitude rejoint ce que l’auteur Thierry Crouzet appelle « économie de paix » qu’il oppose à « l’économie de prédation », dans son dernier ouvrage « Le Geste qui sauve« . Il y explique comment le médecin suisse Didier Pittet a choisi de ne pas déposer de brevet sur la formule du gel hydro-alcoolique servant à se laver les mains sans eau, afin qu’il puisse se diffuser à grande échelle et à moindre coût. Par cette décision, l’usage de cette solution s’est répandu dans les hôpitaux partout dans le monde, y compris dans les pays du Sud, en permettant de lutter contre les maladies nosocomiales et de sauver des millions de vies tous les ans. Un résultat qui n’aurait pu être atteint si la formule avait été brevetée et exploitée par un laboratoire pharmaceutique avec une exclusivité.

Dans son livre, Thierry Crouzet montre remarquablement que l’acte de don n’est pas un geste anti-économique. Au contraire, il permet l’avènement d’une nouvelle économie, refondée sur des principes qui remplacent la compétition par la coopération et la recherche du profit par des valeurs à atteindre. Les laboratoires pharmaceutiques qui fabriquent aujourd’hui la solution hydro-alcoolique inventée par Didier Pittet ont une activité économique liée à la vente du produit, mais ils se sont également rassemblés en un consortium destiné à promouvoir l’hygiène des mains pour sauver des vies. La mise en partage de la ressource alimente donc un cercle vertueux, dont le livre de Crouzet, publié en Creative Commons et traduit en six langues avec le soutien de ce consortium, est aussi une manifestation directe.

Pour lui, « Tout innovateur, et en fait chacun de nous, doit aujourd’hui se demander s’il se place dans l’économie de prédation ou dans l’économie de paix. » En réalité, c’est un choix auquel les inventeurs ont été confrontés depuis longtemps.

Petite histoire du don en matière de brevets

Les actes de don comme ceux qu’ont réalisés Elon Musk ou Didier Pittet sont rares dans l’histoire, mais ils ont eu à chaque fois des retentissements importants. On peut par exemple remonter à 1839, date à laquelle l’État français a racheté le brevet sur le daguerréotype, pour en « doter libéralement le monde entier » et libérer cette technologie. C’est une chose peu connue, mai Pierre et Marie Curie ont également renoncé à déposer un brevet sur la méthode d’extraction du radium, afin de permettre à la recherche et à l’exploitation économique de cet élément de se développer. Pour financer ses recherches, Marie Curie préféra recourir à des souscriptions, ce qui en fait une des précurseurs du crowdfunding en plus de l’Open Source ! Dans la même veine que Didier Pittet, on peut également citer l’exemple du chercheur américain Jonas Salk qui choisit en 1955 de ne pas breveter le vaccin de la polio qu’il avait découvert. Par ce geste, on estime qu’il renonça à l’équivalent de 7 milliards de dollars. Mais à un journaliste qui lui demandait qui détenait le brevet sur cette invention, il répondit « Il n’y a pas de brevet. Pouvez-vous breveter le soleil ?« .

 Plus proche de nous et de la décision de Tesla, Thierry Crouzet rappelle dans son livre la décision fondamentale du CERN et de Tim Berners-Lee de ne pas breveter en 1993 l’invention des technologies à la base du web pour les laisser dans le domaine public. Aujourd’hui menacées, les caractéristiques fondamentales d’Internet et ensuite du Web découlent pourtant de cet acte originel de don, qui les ont constitués en biens communs. L’histoire aurait été complètement différente si les protocoles constitutifs du réseau avaient été initialement brevetés.

Ainsi par ces actes ponctuels d’ouverture, une « économie de paix » a pu subsister par îlots en dépit d’une pression croissante à la privatisation et à l’exploitation systématique de la connaissance : « le deuxième grand mouvement d’enclosure » selon les mots de David Bollier. Mais la question est aujourd’hui de savoir s’il est possible de conjurer cette tendance pour envisager un passage à l’échelle vers une économie construite autour de la connaissance ouverte.

Crise de l’idéologie propriétaire et économie de la connaissance ouverte

Le geste de Tesla Motors intervient alors que certains réfléchissent à la possibilité de conduire une transition dans l’économie au niveau global autour des pratiques de partage de la connaissance, afin de constituer une « économie des Communs ». C’est le cas par exemple du chercheur Michel Bauwens, président de la Peer-To-Peer Foundation pour lequel « les entreprises devraient être structurellement incitées à se comporter comme des dauphins et pas comme des requins« . Actuellement en Équateur, Bauwens coordonne le projet de recherche FLOK (Free Libre And Open Knowledge) soutenu par le gouvernement local, qui vise à étudier la possibilité de reconfigurer une économie nationale autour de la Connaissance Ouverte plutôt que de la propriété intellectuelle.

Au vu de la situation économique actuelle, ces conceptions peuvent paraître utopiques ou déconnectées de la réalité, mais la décision de Tesla est là pour montrer que les choses sont peu à peu en train de bouger. Cet évènement marque une nouvelle étape dans la « crise de l’idéologie propriétaire » sur laquelle est fondée l’économie libérale et le retour des Communs, longtemps éclipsés.

Il sera intéressant d’observer comment le secteur économique de la production des voitures électriques se reconfigure suite à la décision de Tesla d’ouvrir ses brevets. On peut penser que ce domaine est particulièrement propice à l’application des principes de l’Open Source. En 2010, le projet Wikispeed avait déjà montré l’efficience du travail collaboratif et du partage des connaissances pour la production automobile. Voyez ce qu’en dit cet article :

 Le fabriquant de voitures modulables et open-source Wikispeed a fait le pari de construire un modèle innovant sur la base des pratiques Peer-to-Peer. Ainsi, il aura fallu trois mois et 80 personnes d’une douzaine de pays sans aucun capital financier pour conceptualiser et produire une voiture de sport à seulement 24000$, constructible sur un modèle lego et produite localement, à la demande. Le délai d’une entreprise traditionnelle est lui de cinq ans.

Et au-delà de l’efficacité, l’expérience collaborative de Wikispeed a aussi montré que ce mode de production permettait d’intégrer des considérations éthiques et environnementales au sein du processus industriels, car contrairement aux logiques d’obsolescence programmée, la voiture Wikispeed a d’emblée été conçue pour pouvoir facilement être réparée à partir de pièces reproductibles, dans le respect des principes du développement durable.

***

La décision de Tesla constitue donc sans doute un jalon important dans une série de mutations qui annoncent graduellement une révolution industrielle fondamentale. Elle montre que les principes qui étaient à la base du logiciel libre peuvent se prolonger en direction de la production matérielle.

Le projet FLOK cité plus haut a d’ailleurs dans cette optique consacré l’un de ses « Policy Papers » à la question du Free Hardware, qui fait largement écho à la décision de Tesla d’ouvrir ses brevets, notamment par le lien établi entre innovation ouverte et  préoccupations environnementales :

Le développement des technologies, accompagné d’un ajustement des styles de vie individuelle, par exemple le recyclage ou l’économie d’énergie, va accroître la préservation des ressources naturelles, pour aboutir à un développement technologique durable. L’Open Harware est une pratique dans laquelle les designs sont partagés grâce à des licences au sein de communautés. Ces designs peuvent être utilisés par des fabricants, qui peuvent réaliser et vendre les produits, éventuellement en tirer profit, mais sans rente à payer dérivant d’un droit de propriété intellectuelle.

Dans l’optique d’un développement technologique durable, l’ouverture est au centre de la valeur. L’innovation, la collaboration et la communauté sont les éléments clés dans le contexte de ressources partagées et de connaissance ouverte. L’accélération de la production de connaissances est un des buts principaux à atteindre pour aboutir à la production de matériels libres et durables, avec la possibilité de les partager et de diffuser la connaissance dans les communautés. Une des raisons d’ancrer le développement soutenable dans le hardware en Open Source réside dans le fait qu’il permet d’accélérer l’innovation et la production. L’innovation ne doit pas être privatisée. Les licences de partage appliquées au design assure que toute innovation produite collaborativement pourra bénéficier à tous les membres d’un écosystème ouvert et partagé.

Ce sont à peu de choses près les mêmes mots que ceux employés par Elon Musk.


20 réflexions sur “Du brevet comme arme de guerre au don comme acte de paix

  1. Je ne suis pas très au fait des détails de cette annonce de la part de Tesla. D’où quelques interrogations :

    – Premièrement, que signifie en terme juridique « [Tesla] renonç[e] à exercer des poursuites à l’encontre de ceux qui utiliseraient ses technologies. » ? Comment cela se traduit-il concrètement ? Y a-il une licence associée ? Ou est-ce une « simple » annonce de principe ?

    – Deuxièmement, et ma première question en dépend, n’est-il pas dangereux pour une entreprise tierce d’user d’un brevet dont-elle n’a pas contractuellement négocié les droits ? Ne peut-on pas imaginer que dans quelques années Tesla revienne sur sa position et mette en difficulté ces entreprises ? Quelle pérennité pour cette annonce ?

    – Et enfin une remarque : Tesla semble annoncer qu’elle ne poursuivra pas les usages de technologies dont-elle détient les brevets. Mais d’abord il ne s’agit donc pas de libérer et publier à proprement parler ses technologies comme dans le sens de l’open source ou de l’open hardware (et ce serait peut-être beaucoup attendre d’elle) ; et ensuite rien ne laisse penser que Tesla ne continuera pas de breveter ses prochaines innovations, en particulier justement pour éviter que d’autres le fassent et puissent priver Tesla de leurs usages : l’usage défensif des brevets par Tesla ne me semble donc pas complètement abandonné.

    Donc si l’annonce de Tesla va évidemment dans le bon sens et est d’autant plus à saluer compte tenu du secteur industriel dans lequel elle opère, on pourra me semble-t-il distinguer une réelle stratégie d’innovation d’une bonne opération de communication qu’en fonction de ce type de détails, non ?

    1. Bonjour,

      Vous avez en effet raison d’apporter ces nuances. Tesla n’a en effet pas « renoncé » à ses brevets, au sens où elle les aurait par exemple versé dans le domaine public en abandonnant ses droits. Elon Musk dit exactement dans son annonce : « Tesla will not initiate patent lawsuits against anyone who, in good faith, wants to use our technology. » L’usage « de bonne foi » renvoie donc sans doute à une utilisation de ses technologies pour produire des voitures électriques, mais les brevets restent et Tesla pourrait sans doute agir en justice contre un Patent Troll qui essaierait par exemple de breveter de son côté des technologies proches pour se les approprier. Donc effectivement, l’usage « défensif » des brevets n’est pas complètement exclu.

      Par ailleurs, vous avez également raison de vous interroger sur le formalisme que peut prendre ce renoncement à exercer les brevets. Autant pour le droit d’auteur, il existe des licences qui permettent de mettre en partage une oeuvre, autant pour les brevets, de tels dispositifs n’existent pas vraiment. On trouve néanmoins des « Patent Pools » qui permettent à des entreprises d’un secteur de se partager des brevets essentiels http://www.avocats-publishing.com/LES-PATENT-POOLS

      En cherchant un peu, je suis également tombé sur un intéressant projet de Defensive Patent Licence (DPL), qui vise là-aussi à partager des brevets au sein d’une « alliance » d’entités : http://arstechnica.com/tech-policy/2012/06/defensive-patent-license-created-to-protect-innovators-from-trolls/ Mais il ne s’agit pas ici de « renoncement » aux brevets, puisque comme le nom de la licence le montre, le but est aussi de pouvoir se protéger des Patent Trolls.

      En réalité pour « renoncer » complètement à un brevet, la méthode la plus efficace consiste à ne jamais en déposer et à publier les résultats de sa recherche. C’est par exemple ce que le CERN a fait avec le web. De cette manière, on bloque le dépôt de brevet ultérieur, car la publication pourra jouer lors de la recherche d’antériorité qui conditionne la validité des brevets qui pourraient être ultérieurement déposés sur la même invention. Mais j’imagine que cela n’est pas si simple, car beaucoup d’entreprises comme Tesla semblent plus efficace de déposer des brevets à titre défensif.

      Maintenant, Tesla semble de son côté en rester à une simple déclaration dont on peut effectivement se demander quelle valeur elle pourrait avoir en justice. J’imagine que les juges pourraient appliquer tout simplement le principe de bonne foi, si Tesla venait à revenir sur sa décision de manière arbitraire. Mais il aurait effectivement été plus cohérent pour Tesla de formaliser juridiquement sa décision (un peu comme Twitter l’a fait de son côté avec son Innovator’s Patent Agreement https://blog.twitter.com/2012/introducing-innovators-patent-agreement).

      Ceci étant dit, je ne pense pas que l’on puisse réduire le geste de Tesla a une opération de communication, même si cette dimension n’est pas absente. Il faut voir à présent concrètement quels vont être les effets de cette ouverture sur le secteur et cela promet d’être intéressant.

  2. Bonjour,

    L’apologie sans nuances du collectivisme qui est faite sur ce blog me met vraiment très mal à l’aise, et même carrément en colère.

    Parler des « communs » comme quelque chose de bénéfique, on ne sait pas s’il faut en rire ou en pleurer… Avez-vous déjà entendu parler de la « tragédie des communs »?

    (Lien sur la « tragédie des communs » :
    http://en.wikipedia.org/wiki/Tragedy_of_the_commons )

    Lisez d’abord des *vrais* livres d’économie (pas Marx ou Piketty) : par exemple Adam Smith, Milton Friedman ; « La Route de la servitude » d’Hayek me semble particulièrement approprié dans votre cas.

    Les idées ont des conséquences, et ceux qui nient les apports irréfutables de la science économique (la *vraie*, encore une fois) sont les héritiers du cardinal Bellarmin contre Galilée : ils prétendent que le soleil tourne autout de la terre. Il n’y a pas de mots pour qualifier cette attitude

    Cordialement.

    1. Bien que je pense que le coup d’Elon Musk est plutôt un ‘PR stunt’ qu’autre chose (l’avenir nous le dira), votre commentaire est tout à fait déplacé et insultant.
      Si les idées ont des conséquences, la colère est bien souvent mauvaise conseillère (vous dites être en colère au début de votre commentaire)

      Plutôt que de prendre les gens (pour des idiots) de haut et d’assumer que *vous* avez la science infuse car lu quelques « vrais » livres, il serait de meilleur ton d’expliquer (aux idiots qui lisent ce blog) en quoi la « tragédie des communs » (qui est une théorie) a un rapport avec le sujet de cet article.

      Ensuite, c’est bien beau de citer wikipedia, mais encore faut il aller un peu plus loin et lire les notes de bas de page : http://en.wikipedia.org/wiki/Tragedy_of_the_commons#cite_note-16
      « Finally, he is just plain wrong when he concludes that private property or state management are the only solutions. He writes that while private property plus inheritance is unjust, ‘The alternative of the commons is too horrifying to contemplate. Injustice is preferable to total ruin’ (Hardin 1968:1247). Subsequent critics have provided empirical evidence to demonstrate that these conclusions were ill-informed (see McCay and Acheson, eds. 1987; Berkes 1989; National Resource Council 1986). Originally Hardin (1968) failed to define what he meant by the ‘commons’ except by the examples he gave. Then in 1977 Hardin (1977:47) wrote that the idea of the commons is that ‘whatever is owned by many people should be free for the taking of anyone who feels a need for it.’ But the corporation would seem to gainsay this position. »

    2. Voilà un commentaire agressif et surtout sans argumentation de fond qui n’honore pas son auteur…

      Vous citez de manière bien imprudente la « Tragédie des communs ».

      Mais c’est justement tout l’apport d’Elinor Ostrom et de l’école économique de Bloomington d’avoir montré que les postulats de Garret Harding n’étaient pas constamment vérifié dans la pratique et qu’il existe des conditions dans lesquelles la gestion d’une ressource en commun s’avère plus efficace et plus durable que celle qui pourrait être faite par le marché ou par l’Etat : http://blog.mondediplo.net/2012-06-15-Elinor-Ostrom-ou-la-reinvention-des-biens-communs. C’est vrai pour des ressources rares et fragiles comme des nappes phréatiques ou des réserves de poissons, mais c’est surtout vrai pour les biens immatériels comme la connaissance.

      Elinor Ostrom a reçu pour ses travaux sur les biens communs le prix Nobel d’économie en 2009 : http://en.wikipedia.org/wiki/Elinor_Ostrom

      Voilà qui devrait vous inciter au moins à vous documenter avant de vous fendre de telles sorties. Votre position a juste une trentaine d’années de retard…

    3. Vos *vrais* livres ont l’exclusive quand il s’agit d’alimenter la doxa économico-politique mondiale depuis 40 ans. Que de succès !

  3. Comme tu l’as très bien dit : « En réalité pour « renoncer » complètement à un brevet, la méthode la plus efficace consiste à ne jamais en déposer et à publier les résultats de sa recherche ».

    La prise de position de Tesla peut en effet être « très largement saluée », mais avant tout parce qu’elle apporte une lumière lucide sur ce que signifient les brevets, particulièrement dans le secteur informatique : ce sont des armes de guerre économique. Point barre. Les brevets n’ont plus rien à voir avec l’innovation. C’est en fait ce que les opposants au brevet logiciel expliquent depuis plus de dix ans.

    Par contre, je serais plus réservé sur le fait que Tesla ait « ouvert » ses brevets. Pas simplement sur la concrétisation juridique de cette ouverture, que tu expliques très bien dans ta réponse au commentaire d’Homlett. Mais avant tout parce que « le seul bon brevet est un brevet mort » (Stallman). L' »ouverture » de quelques brevets particuliers ne changent rien au problème des brevets logiciels, car il en reste des millions, qui entravent tout développement logiciel. Et le fait que Tesla ait déposé en premier lieu ces brevets participe du gonflement de cette bulle, peu importe qu’ils soient maintenant « ouverts ».

    Il est impossible de parler de « bien commun » à propos des brevets logiciels. L’accumulation de brevets est plutôt un « mal commun ». Chaque brevet logiciel déposé renforce les effets de maquis. L’initiative « Defensive Patent Licence » est en ce sens contre-productive.

    C’est très différent du droit d’auteur, où on peut en effet parler d’enrichissement des biens communs, lorsque des œuvres sont librement partagées. Les brevets n’ont rien à voir avec cela, ce qui constitue le bien commun se trouve ici dans les connaissances scientifiques revendiquées et appropriées par le biais des brevets.

    On peut donc applaudir la déclaration de Tesla et sa prise de conscience du véritable rôle des brevets. C’est un premier pas incontestable. Mais la mise à disposition des connaissances, c’est à dire la publication, est la véritable voie à suivre.

    1. Bonjour Gibus,

      Je comprends bien tes arguments en ce qui concerne les brevets logiciels. Mais ici est-ce que Tesla Motors avaient déposé des brevets sur des logiciels ou sur des technologies. J’ai fait une recherche rapide et je n’ai pas repéré de brevets de Tesla sur des logiciels, mais je peux me tromper.

      Effectivement, et je suis entièrement d’accord avec toi, il faut rejeter absolument les brevets logiciels. Et l’idéal en termes d’ouverture est que les inventions soient laissées dans le domaine public et protégées de la réappropriation par la publication des résultats de recherche.

      Mais je trouve que s’il existait des mécanismes de mise en partage de brevet, inspirés des licences libres (pas des brevets logiciels, bien sûr, mais des autres types de brevets), cela pourrait être une chose intéressante.

      Le « Defensive Patent Licence » est une solution pour fédérer une alliance d’entités partageant tous leurs brevets, dans un esprit de réciprocité : si je rentre dans l’alliance, pour utiliser une technologie partagée en son sein, alors que je dois moi aussi verser mes propres brevets dans l’alliance.

      Cela crée alors une dynamique de mise en partage avec réciprocité : celui qui puise dans un Commun doit lui aussi verser aux Communs. De plus en plus de penseurs des biens communs insistent sur cette dimension de la réciprocité autant que de la liberté en ce qui concerne les biens communs. On peut voir cela notamment à travers les propositions de Peer Production Licence notamment : https://scinfolex.com/2014/04/18/utiliser-la-peer-production-licence-pour-favoriser-le-cooperativisme-ouvert/

      1. Ah désolé mais je disconviens respectueusement.

        Le problème avec les brevets c’est qu’ils constituent de fait une appropriation des connaissances. C’est accentué dans le cas des brevets logiciels, car le logiciel n’est qu’une formalisation de la connaissance, mais le constat est général. Or la connaissance ne doit pas faire l’objet d’appropriation, que celle si soit privée ou commune n’y change rien. La logique de « pot commun » ne peut pas s’appliquer aux brevets.

        Les initiatives telles que la « defensive patent license » sont extrêmement contre-productives dans le sens où elles poussent à une telle appropriation : pour profiter des brevets de l’alliance, il faut que j’en dépose moi aussi. Or ce sur quoi tout ces brevets portent ne doit pas être approprié en premier lieu.

        La « Peer Production License » n’a rien à voir avec les brevets, je me garderais bien d’y porter un avis.

        1. Effectivement, la Peer Production Licence en l’état ne s’applique pas aux brevets. Elle est basée sur une licence Creative Commons et ne s’appliquerait donc qu’aux oeuvres (et bases de données).

          Sur le fond, j’avoue que je réserve ma réponse. La logique de « pot commun » est pourtant celle qui s’applique au logiciel libre, via les clauses de partage à l’identique (share alike).

          Que le brevet ne soit pas le bon outil pour mettre en place un partage à l’identique sur les objets de type « inventions », c’est certainement vrai.

          Qu’aucune logique de partage à l’identique ne doive être mise en place en la matière, c’est autre chose.

          Nombreux sont ceux qui font une distinction entre le domaine public « pur » et les biens communs, en estimant que ces derniers doivent faire l’objet d’une protection contre les enclosures. Et le partage à l’identique est fréquemment considéré comme le moyen de lutter contre les enclosures pour les biens communs informationnels.

          La Peer Production Licence, ou plus récemment la proposition de Reciprocity Commons Licence, vont plus loin : elles impliquent qu’une entité qui utilisent gratuitement un bien commun doit entrer dans une logique de réciprocité en contribuant elle-même aux communs : http://peerproduction.net/issues/issue-4-value-and-currency/invited-comments/between-copyleft-and-copyfarleft-advance-reciprocity-for-the-commons/ Le but étant d’aboutir à une transformation de l’économie elle-même.

          Avec le geste d’Elon Musk, n’importe quel acteur économique va pouvoir utiliser les technologies visées par les brevets, y compris des acteurs qui eux-mêmes ne libèrent pas leurs brevets. C’est à mon sens une limite forte de ce genre de démarches.

          Dès lors, il ne me paraît inintéressant d’essayer de subvertir de l’intérieur la logique des brevets, comme les licences libres l’ont fait pour le droit d’auteur.

          1. Il y a contradiction :

            « Que le brevet ne soit pas le bon outil pour mettre en place un partage à l’identique sur les objets de type « inventions », c’est certainement vrai. »

            OUI

            « Dès lors, il ne me paraît inintéressant d’essayer de subvertir de l’intérieur la logique des brevets, comme les licences libres l’ont fait pour le droit d’auteur. »

            NON

            Cette deuxième proposition est tout bonnement impossible de par la nature même des brevets: une appropriation des connaissances même (et non simplement de leur expression). Il ne faut pas se laisser duper par le fait que le terme trompeur de « propriété intellectuelle » englobe droits d’auteur et brevets. Ce qui s’applique à l’un ne s’applique pas à l’autre. Je travaille régulièrement sur les brevets avec Stallman et il n’a jamais pu trouver de subversion possible du système de brevets comme il avait pu le faire pour les droits d’auteurs. Les deux seuls moyens qu’il a jamais exposés pour se protéger des dommages causés par les brevets dans le domaine du logiciel, sont l’interdiction de ces dernier ou l’exclusion de leur application aux activités informatiques. Mais, il faut le répéter : intrinsèquement le système de brevets n’est pas subversible.

  4. Article très intéressant. Je voudrai juste souligner une petite erreur concernant le titre de l’article auquel vous faites référence. Le titre est « All Our Patent Are Belong To You ». Certes la phrase n’est pas correct grammaticalement mais c’est une référence à une phrase célèbre « All your base are belong to us » venant du jeu vidéo Zero Wing.

  5. Bonjour,

    Exerçant la profession de conseil en propriété industrielle (mes spécialités sont précisément l’électronique et l’IT), je me permets d’apporter ma modeste contribution sur certains points évoqués ci-dessus. A mon sens, il n’existe pas de manière définitive et générique de renoncer aux droits conférés par un brevet. La meilleure solution pour quelqu’un souhaitant exploiter un brevet de Tesla consiste à se rapprocher de Tesla et établir un contrat stipulant explicitement les brevets impliqués et par lequel Tesla renonce à toute action en contrefaçon contre la partie impliquée sur la base de ces brevets. Le risque encouru pour ne pas avoir pris cette disposition est simple: rien n’empêcherait Tesla de retourner sa veste et de soudainement attaquer en contrefaçon sur la base de ses brevets.

    Le mécanisme de licences existe également en brevets et est en fait extrêmement répandu. Mêmes modalités: il faut négocier avec le titulaire préalablement à l’exploitation des inventions brevetées et convenir d’une rémunération forfaitaire et/ou sous forme de licence.

    Concernant le souhait de certains de voir les brevets évoluer: les brevets ne sont comportent pas de manière monolithique et indépendante des facteurs extérieurs. En ce sens, la « guerre des brevets » dans les télécoms (il faut à ce titre bien réaliser que de nombreuses actions engagées, notamment aux US, le sont sur la base de « design patents » et non de « utility patent », c’est à dire sur la base de dessins/modèles et non de brevets) est en quelque sorte atypique. En effet, dans les cas dans lesquels les droits associés à un brevet et servant de base à une action peuvent porter un véritable préjudice aux consommateurs, il n’est pas rare que les juges se fondent non pas directement sur le droit des brevets, mais prennent en considération le droit de la concurrence, et décident de tordre les bras des parties se foutant sur la gueule en les invitant sèchement à arriver à un arrangement. Ce qui me semble particulier ici, c’est que cette porosité du droit des brevets au droit de la concurrence n’intervient que de manière marginale.

    Il existe donc déjà des mécanismes par lesquels le droit des brevets peut se voir bâillonné lorsque l’intérêt du plus grand nombre est en jeu (outre les dispositions internes au droit des brevets telles que les licences d’office à l’Etat Fr).

    En outre, il ne faut pas perdre de vue que le droit des brevets (véritablement formalisé en France au début du XIXe) est effectivement adossé à la notion de propriété (le livre VI du code de la PI transpire la propriété par toutes ses pores), ce qui présente aujourd’hui une connotation négative. Toutefois, ce concept de propriété est un acquis précieux de la fin du XVIIIe et a donc logiquement servi de matrice au code de la PI, jusqu’aux confins duquel il rayonne.

    Enfin, concernant les brevets de logiciel, je me permets de préciser que seules les fonctionnalités des logiciels sont brevetables, pas le code (qui relève du droit d’auteur et de l’APP).
    Mon sentiment concernant ce type de brevet est que le mécanisme des brevets demeure nécessaire pour permettre (du moins rendre possible) la valorisation des dépenses de R&D impliquées par le développement des logiciels (qui peuvent être tout à fait colossales). Je partage néanmoins votre agacement lorsque cette disposition est utilisée de manière dévoyée et dilatoire par certaines structures au comportement parasitaire, ce qui contribue à véhiculer une image négative des brevets.

    Bien à vous.

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