Les « biens communs » d’Emmanuel Macron ne sont pas les nôtres !

Il fallait bien que cela finisse par arriver… Emmanuel Macron s’est emparé du vocabulaire des biens communs, lors du sommet européen qui s’est tenu à Tallinn la semaine dernière. Il a prononcé à cette occasion un discours pendant une conférence de presse pour présenter une stratégie sur le numérique pour l’Union européenne, articulée autour de quatre piliers. Or le troisième de ces piliers porte précisément sur le « financement des biens communs » (cliquez ici pour voir la vidéo à partir de 9.12 minutes).

Voici la transcription de cette partie du discours telle qu’on la trouve sur le site de l’Elysée :

Troisième pilier de l’action que nous devons conduire : c’est celui du financement des biens communs. Le numérique bouscule très profondément nos économies, nos sociétés. Mais il implique aussi de financer les choses qu’aucun acteur privé ne finance. Une part non négligeable de nos populations n’ont pas accès au numérique aujourd’hui, parce qu’elles n’ont pas accès à la fibre, parce qu’elles n’ont pas d’accès en termes de connaissances ou de capacités, et c’est un vrai défi pour toutes les sociétés et toutes les démocraties de l’Union européennes. Si nous n’avons qu’un agenda numérique ambitieux sans essayer de réduire la fracture numérique partout dans nos pays, nous nourrirons les populismes et les extrêmes. C’est un investissement que les opérateurs ne font pas, parce qu’il n’est pas rentable. C’est aux pouvoirs publics de le faire.

Le numérique, comme je l’ai dit, bouscule des secteurs d’activité économique en profondeur et suppose de requalifier, dans chacun de nos pays, des millions de nos concitoyens. Ça veut dire les former différemment, mais aussi former tout au long de la vie, soit pour changer de secteur, soit pour changer de type d’activité dans un secteur.

Cet investissement, c’est un investissement public. Les acteurs économiques ne le font quasiment pas. Ces biens communs sont indispensables si nous voulons réussir la transition du numérique, et si nous ne voulons pas que cette transition signifie la mise à l’écart de la société contemporaine de millions de nos concitoyens. Pour se faire, nous devons organiser son juste financement par les acteurs du numérique. Or aujourd’hui, les géants du numérique ne contribuent pas au financement des biens communs. Il serait absurde de demander aux acteurs de l’économie d’aujourd’hui ou d’hier, qui sont eux-mêmes bousculés, parfois fragilisés par le numérique, d’être les seuls à financer cette transformation ! Or aujourd’hui, c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons. Les industriels, nos industriels, nos PME, nos TPE paient des impôts sur les sociétés, de la TVA, et toute la fiscalité que nous connaissons, fiscalité à laquelle échappent en quasi-totalité, en particulier, les grands acteurs du numérique qui optimisent dans des montages internationaux leurs structures fiscales.

C’est pourquoi je soutiens l’initiative prise par la Commission européenne d’une taxe dans le cadre ACCIS. C’est pourquoi je souhaite que nous allions plus loin et je soutiens l’initiative prise par plusieurs ministres des Finances d’une taxe sur la valeur créée dans nos pays. Cette taxe permettra de prélever un juste financement de ces biens communs par une taxation des acteurs qui concurrencent les acteurs européens et qui, aujourd’hui, ne participent pas suffisamment ou pas du tout à ce financement.

C’est une taxe qui a pour avantage également de ne pas créer d’effet de déport ou de perte de base fiscale puisqu’elle repose sur la valeur créée dans un pays et non pas sur l’implantation et sur l’établissement stable dans le pays dudit opérateur. Ce qui est pertinent par rapport à la logique même du numérique. Ce qui veut dire que quand certains nous disent : « Si vous les taxez, ils vont partir » ; non, on ne taxera plus, si on suit la proposition de nos ministres de Finances, s’ils n’opèrent plus dans nos pays. Mais je ne crois pas une seule seconde que les géants de l’Internet arrêteront d’opérer dans nos pays parce qu’on prélève un pourcentage, juste au demeurant, de la valeur créée et opérée dans ledit pays. Cette taxe est extrêmement importante parce qu’on ne peut pas considérer que le développement du numérique puisse se faire sans le juste investissement sur les biens communs que j’évoquais.

De quels « biens communs » parle-t-on ?

Ce qu’Emmanuel Macron cite comme exemple de ces « biens communs » à financer est a priori assez surprenant. Il s’agit d’une part de l’infrastructure physique du réseau (la fibre) et d’autre part, de l’éducation au numérique des citoyens. Ces ressources constitueraient des « biens communs » parce qu’elles ne seraient pas prises en charge par les acteurs privés, faute pour eux d’incitation suffisante en termes de rentabilité. C’est vrai pour la formation au numérique, si on considère que celle-ci est assurée par l’Éducation nationale, les universités et la formation continue. Ça l’est déjà moins pour la fibre, et globalement, pour toute l’infrastructure physique des « tuyaux » de l’Internet, dont le développement est en grande partie assuré par les opérateurs télécoms. C’est seulement dans certaines zones, où les perspectives de rentabilité sont moindres, que ces acteurs privés n’assurent pas la couverture et les financements publics doivent alors prendre le relais, quand ce ne sont pas des FAI associatifs qui accomplissent ce service d’intérêt général.

On voit en réalité qu’il y a une grande ambiguïté dans le discours de Macron entre biens communs et biens publics ou services publics. Sa vision est même tout à fait en phase avec l’idéologie libérale, qui cantonne l’action publique aux seuls secteurs où il y a « défaillance du marché » et qui voudrait que les Communs soient aussi rejetés dans une marge résiduelle. Ce l’on appelle « biens communs numériques » ou « Communs numériques » possède en réalité une tout autre nature. Il s’agit par exemple des logiciels libres, de projets collaboratifs comme Wikipédia ou Open Street Map ou encore de l’infrastructure « logique » d’Internet et du Web – les standards et les protocoles ouverts comme le TCP/IP ou le http – qui font de celui-ci un bien commun. Toutes ces ressources correspondent à la définition des biens communs, telle qu’elle tend aujourd’hui à être partagée par la communauté scientifique dans le sillage des travaux d’Elinor Ostrom, à partir de la réunion de trois éléments : une ressource mise en partage ; une communauté qui la prend en charge et assure son développement ; des règles de gouvernance auto-déterminées par cette communauté (voir par exemple le Dictionnaire des biens communs paru cet été aux PUF).

Un enjeu fiscal important

Le troisième pilier des propositions de Macron pour le numérique en Europe a en réalité surtout une visée fiscale : celle de soumettre les grands acteurs du numérique, et en particulier les GAFAM, au paiement de l’impôt auquel ils arrivent aujourd’hui si facilement à échapper à cause du défaut d’harmonisation de la législation au sein de l’Union européenne. On peut difficilement ne pas être d’accord avec cet objectif et du point de vue même des Communs, il est crucial d’avoir des États en bonne santé et des services publics solides. Les Communs ne sont nullement les « ennemis des États » et on voit que partout où ils ont progressé, comme en Italie par exemple, c’est par la mise en place de partenariats Public-Communs féconds. Au contraire, là où les États ont été extrêmement fragilisés, comme en Grèce par exemple, les Communs ont aussi été frappés de plein fouet, notamment par les mesures d’austérité et les vagues de privatisation. Dès lors, la soumission des grands acteurs du numérique à l’impôt est un sujet dont le mouvement des Communs ne peut se désintéresser.

La taxe sur la valeur créée dans les pays européens proposées par Emmanuel Macron est de ce point de vue plutôt intéressante, car elle a effectivement le potentiel d’arriver à atteindre les grandes plateformes, si tant est que les différents Etats de l’Union arrivent à s’entendre pour la mettre en place (ce qui est loin d’être assuré…). Mais suffit-il d’instaurer une telle taxe pour garantir qu’elle servira à « financer les biens communs » ? Rien n’est moins sûr et la France en donne précisément déjà le contre-exemple. Notre pays a en effet pris les devants en matière fiscale avec la « Taxe Youtube », instaurée l’an dernier par le biais de la loi Création, qui est entrée récemment en vigueur et qui va ponctionner 2% du chiffre d’affaires réalisé par les plateformes de diffusion de vidéos, comme YouTube ou Netflix. Si le principe même de cette taxe n’est pas forcément une mauvaise idée, la manière dont elle va être redistribuée prête déjà beaucoup plus à discussion.

Son produit sera en effet affecté au CNC (Centre National du Cinéma), qui s’en servira pour financer des oeuvres audiovisuelles, avec une part réservée aux créateurs diffusant des oeuvres sur Internet (les YouTubeurs par exemple). Cet argent va donc tomber dans une structure très largement contrôlée par les ayants droit et, loin de constituer une manière de financer des « biens communs », cela va revenir à accentuer encore la « privatisation » de la politique culturelle de la France. Il aurait été infiniment préférable que ce prélèvement abonde directement le budget de l’État, sans parler que l’on aurait pu s’en servir au moins en partie pour financer la production d’œuvres sous licence libre ce qui aurait permis, pour le coup, de parler légitimement de « biens communs ». Si la taxe sur la valeur créée voulue par Emmanuel Macron voit le jour, il faudra être extrêmement vigilants sur la manière dont elle sera redistribuée, car il est fort probable qu’elle suscite l’appétit de nombreux acteurs privés, à commencer par les industries culturelles, qui chercheront sans doute à se l’accaparer. Et c’est justement parce que les propositions de Macron ne reposent pas sur une définition rigoureuse des biens communs qu’on peut redouter de tels risques de confiscation de ces financements par des intérêts privés.

Assurer la pérennité des infrastructures communes

Une autre faiblesse de la vision de Macron est qu’il se trompe assez lourdement dans l’identification de ce qui « fait infrastructure » dans l’environnement numérique. Certes les infrastructures physiques (les tuyaux de l’Internet) sont importantes, mais il ne faut surtout pas oublier la « couche logique » et le rôle crucial joué par les logiciels libres. Sans le Libre et l’Open Source, Internet ne pourrait tout simplement plus fonctionner aujourd’hui, tant ont pris de l’importance des briques essentielles comme Linux, C++, PHP, Java, Python, WordPress, Mozilla, Libre Office, VLC, Apache et bien d’autres encore. On ne le sait pas assez, mais plus de 90% des serveurs installés dans le monde tournent sous Linux, ce qui fait de ce logiciel libre une des clés de voûte « cachées » de l’environnement numérique et c’est plus de 25% des sites web qui utilisent WordPress.

Or beaucoup de ces logiciels libres souffrent d’un problème de maintenance et de financement, car leur développement repose sur des communautés dont les moyens sont sans rapport avec l’importance des outils qu’ils mettent à disposition du monde entier. C’est ce que montre très bien l’ouvrage « Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? Le travail invisible des faiseurs du web » signé par Nadia Enghbal et paru récemment en libre accès sur Open Edition :

Aujourd’hui, la quasi-totalité des logiciels couramment utilisés sont tributaires de code dit « open source », créé et maintenu par des communautés composées de développeurs et d’autres talents. Ce code peut être repris, modifié et utilisé par n’importe qui, entreprise ou particulier, pour créer ses propres logiciels. Partagé, ce code constitue ainsi l’infrastructure numérique de la société d’aujourd’hui… dont les fondations menacent cependant de céder sous la demande !

En effet, dans un monde régi par la technologie, qu’il s’agisse des entreprises du Fortune 500, du Gouvernement, des grandes entreprises de logiciel ou des startups, nous sommes en train d’accroître la charge de ceux qui produisent et entretiennent cette infrastructure partagée. Or, comme ces communautés sont assez discrètes, les utilisateurs ont mis longtemps à en prendre conscience.

Tout comme l’infrastructure matérielle, l’infrastructure numérique nécessite pourtant une maintenance et un entretien réguliers. Face à une demande sans précédent, si nous ne soutenons pas cette infrastructure, les conséquences seront nombreuses.

Si l’on doit parler réellement de « financement des biens communs numériques », alors l’Union européenne devrait s’engager dans une politique déterminée de soutien au logiciel libre et à l’Open Source, qui pourrait très bien être alimentée par une taxe prélevée sur la valeur créée par les GAFAM dans les États-membres. Ce serait une manière de mettre en place la réciprocité entre les Communs et le marché que certains penseurs comme Michel Bauwens identifient depuis plusieurs années comme un des défis majeurs que nous devons relever pour aller vers une « Économie des Communs ». Mais au-delà des logiciels, ces financements devraient aussi bénéficier à des projets comme Wikipédia, Open Street Map ou Framasoft, qui sont devenus l’équivalent de véritables « services publics » dans l’environnement numérique, à la différence que ce sont des communautés, et non pas les États, qui ont su les mettre en place. Que la taxe sur la valeur créée serve à aider au déploiement de la fibre dans les zones isolées est une bonne chose. Qu’elle soit aussi utilisée pour développer par la formation les capacités numériques des individus est également un but plus que légitime. Mais ce serait manquer quelque chose d’essentiel de ne pas se servir de ce levier fiscal pour soutenir les véritables « Communs numériques », qui offrent aujourd’hui la seule véritable alternative à l’emprise croissante des grandes plateformes centralisées (voir à ce sujet cet excellent billet par Henri Verdier).

Les dangers cachés de la rhétorique des Communs

En utilisant le terme de « biens communs » d’une manière simplement métaphorique, Emmanuel Macron passe à côté de cet enjeu fondamental, mais il s’avance aussi sur une pente qui pourrait à terme s’avérer dangereuse. La rhétorique du « financement des biens communs » peut en effet très bien être instrumentalisée pour porter atteinte à ce qui fait qu’Internet est encore aujourd’hui un bien commun. On voit par exemple que c’est sur la base de ce genre d’arguments que la neutralité du net est gravement menacée en ce moment aux Etats-Unis. Les opérateurs télécom ont en effet réussi à convaincre les politiques que les investissements qu’ils avaient réalisés dans le déploiement des câbles et de la fibre justifiaient qu’ils puissent discriminer les services les plus gourmands comme Netflix ou Youtube, en proposant des offres différenciées à leurs clients. Une consultation a été lancée aux États-Unis, qui va bientôt se terminer et qui pourrait déboucher sur un abandon de la neutralité du net, établissant un « Internet à plusieurs vitesses ». Or on voit toute la perversité de ce type de discours, car la neutralité du net est essentielle pour qu’Internet reste un bien commun, en garantissant que toutes les informations puissent être émises et reçues sans discrimination. Revenir sur ce principe revient en réalité à « privatiser » ou « enclore » Internet en faisant des opérateurs télécom et des FAI les maîtres du réseau. C’est ainsi qu’un discours dévoyé sur le « financement des biens communs » peut très bien en réalité servir d’écran de fumée pour mettre à mort Internet en tant que bien commun.

Mais c’est aussi ce qui rend la question fiscale si importante, car si l’on veut éviter à terme en Europe une remise en cause de la neutralité du net, il vaut mieux soutenir une réforme de la fiscalité du type taxe sur la valeur créée, qui permettra aux États de reprendre la main face aux géants du numérique d’une manière « saine ».

Les mots et les actes…

Tout n’est donc pas à rejeter dans les propositions d’Emmanuel Macron, mais à condition de dépasser le « Commons Washing » pour revenir à une conception rigoureuse des biens communs numériques. Il y a pourtant d’autres raisons qui me poussent à rester extrêmement méfiant vis-à-vis de ce genre de discours. Car au même moment où Macron enfourche ce cheval de bataille des biens communs, la France pousse par ailleurs des propositions très inquiétantes pour l’avenir d’Internet.

C’est le cas par exemple en ce qui concerne la réforme du droit d’auteur en Europe, où notre pays soutient indéfectiblement l’idée de mettre en place une obligation de filtrage automatisé des plateformes, qui pourrait déboucher sur le déploiement d’une véritable « machine à censurer ». On rappellera aussi que le nouveau gouvernement, à peine arrivé aux affaires, s’est empressé de renouveler le contrat « Open Bar » du Ministère des Armées avec Microsoft, ce qui constitue une bien étrange manière d’envisager le « financement des biens communs ». Et la nouvelle loi anti-terroriste qui va faire passer l’essentiel de l’état d’urgence dans le droit commun comporte toute une batterie de mesures liées au numérique qui vont encore aggraver la surveillance de masse des individus et fragiliser leurs droits fondamentaux. …

***

C’est typiquement l’accumulation de ce type d’aplatissements devant les lobbies privés et de dérives répressives qui menacent aujourd’hui l’intégrité d’Internet en tant que bien commun. De ce point de vue, Emmanuel Macron a montré en quelques mois à peine qu’il était prêt à aller extrêmement loin pour continuer à transformer le numérique en un outil de contrôle et d’oppression, plutôt que de préserver sa capacité à faire s’épanouir des biens communs.


10 réflexions sur “Les « biens communs » d’Emmanuel Macron ne sont pas les nôtres !

  1. Le détournement, la réappropriation, voire le dévoiement des concepts – plastiques par nature – me pose beaucoup de question. On ne cesse de voir fleurir des faux-monnayeurs de concepts qui les emploient dans d’autres sens que ceux dans lesquels ils ont été forgés. C’est à la fois normal : les concepts évoluent. Mais également toujours inquiétant, car ils sont aussi toujours récupérés pour leur faire dire autre chose que ce qu’ils disent. Plateformes, multitude, biens communs, collaboratif… sont de bons exemples de concepts qui peuvent être facilement glissants. Récemment, le premier ministre aux Assises de la mobilité utilisait le mot soutenable pour signifier « équilibrée en recettes et en dépenses », ce qui est une drôle acceptation de ce terme. On trouve ces glissements sémantiques ou des récupérations un peu partout. Ca rend effectivement les choses compliquées et cela montre bien qu’il faut être attentif comme tu le fais.

    1. Concernant les Communs, on arrive à un stade où la notion commence à avoir une diffusion significative, en dehors des premiers cercles militants qui l’ont portée en France. C’est clairement ce qui ressort de la veille hebdomadaire que nous conduisons sur le site « Les Communs d’abord » : http://www.les-communs-dabord.org/
      Le nombre de publications, d’événements, de projets qui se revendiquent directement ou indirectement des Communs croit constamment, en volume et en diversité. On arrive donc à un moment critique, parce que c’est à la fois une dynamique positive, mais aussi un risque. Car c’est typiquement dans ce genre de phase ascendante qu’une notion peut se diluer, s’appauvrir, perdre son sens et pire que cela, finir récupérée et retournée contre ses objectifs initiaux.

      La sortie de Macron est significative à cet égard : le fait qu’il se réfère « aux biens communs » (et ce n’est d’ailleurs pas la première fois) montre que la notion devient « attirante » pour les politiques et les communicants. Mais la manière dont il l’emploie est aussi assez dangereuse, car elle introduit des tas de confusions et de glissements.

      Heureusement, ce phénomène de dilution n’est pas une fatalité. Pour faire un parallèle, le monde du logiciel libre et de l’Open Source s’est beaucoup mobilisé pour garder le contrôle des mots, afin de faire en sorte que « leur » définition du Libre et de l’Open ne soit pas dévoyée. Et ça a marché. Dans la loi numérique, la définition de l’Open Data est bien conforme à celle que les militants ont forgé et ont réussi à imposer à l’État. Si une administration ose prétendre qu’elle fait de l’Open Data alors que ce n’est pas le cas, elle se fera juste défoncer par la communauté et elle sera obligée de battre en retraite.

      On va arriver à un stade où ce même genre de travail devra être conduit pour les Communs. Mais je pense que la notion est relativement bien « armée » pour résister. Elle a une longue et riche histoire, et surtout, un travail académique de grande valeur a été conduit ces dernières années en France autour de la notion, comme en témoigne la somme qui vient de paraître sous la forme du Dictionnaire des Biens communs.

      J’essaie de contribuer à mon échelle à cette défense de la notion de Communs et je ne trouve pas si complexe que cela de montrer les dévoiements et les glissements abusifs, précisément parce que la pensée des Communs me paraît posséder des « anti-corps » efficaces.

      Mais il faut aussi veiller à ne pas tomber dans le travers inverse et arriver à conserver une notion souple et inclusive, pour ne pas s’enfermer dans les querelles de chapelles militantes et les dérives assez graves que j’ai essayé de dénoncer par exemple à propos du Comité invisible. Garder cet équilibre est un exercice difficile et c’est peut-être même le plus grand défi auquel nous sommes à présent confrontés.

  2. année d’introduction du financement public de l’open source + 5…

    437è rapport de la Cour des Comptes: le financement public de l’open source coute très cher mais ne rapporte pas grand chose les logiciels produits sont très peu utilisés par l’Etat ou par les collectivités locales. Des contrôles plus rigoureux sont nécessaires

    Github: 45% des projets recensés en provenance de France sont des projets de documentation de dépôt de demande de crédits. 45% sont des logiciels de gestion de rapports pour la Cour des Comptes.

    Les politiciens: il faut taxer Github en fonction de son chiffre d’affaires !

  3. « il vaut mieux soutenir une réforme de la fiscalité du type taxe sur la valeur créée, qui permettra aux États de reprendre la main face aux géants du numérique d’une manière « saine ». »

    Hmm, sauf que l’Impôt légitime ce qu’il ponctionne. De sorte que taxer le Capital, c’est dépendre de son monde : du profit-surtravail, du marché de l’emploi, de la propriété lucrative, du crédit lucratif, de la valeur travail.

    C’est dommage, surtout qu’on a déjà un mécanisme massivement utilisé en France (30% du PIB) pour ne pas le faire : la cotisation sociale que le patronat et les gouvernant·tes s’acharnent justement à geler voire à remplacer par la fiscalité (notamment via la CSG).

    Pour moi donc, mieux vaudrait réfléchir à une cotisation sociale orientée vers des communautés de travail conventionnées, par une convention imposant des critères exigeants de gestion démocratique, de non-lucrativité, d’intérêt général. Sur un modèle progressiste de la Sécu, comme d’autres le font pour la presse : https://www.monde-diplomatique.fr/2014/12/RIMBERT/51030 ou plus généralement pour une Sécurité sociale professionnelle : http://www.cgt.fr/Une-securite-sociale.html

    Ce qui n’est pas qu’une question de « prélèvement à la source » de la valeur ajoutée — pour éviter qu’elle ne transite par les mains des capitalistes qui la ponctionnent — mais plus largement de définition de la citoyenneté économique.

    Dans la mesure où la cotisation sociale se fonde principalement sur le travail, en créant de la valeur économique qui vient reconnaître un travail social (dans le sens de « travail collectif », pas de « travail charitable »). C’est pour cela que la CGT et d’autres insistent pour maintenir le terme de « cotisation sociale » voire avancer le terme de « salaire socialisé ». Contre le terme « charge sociale » de l’idéologie patronale, qui laisse faussement penser que les soignant·tes, parents, retraité·es, et chômeur·euses sont « à la charge » d’autrui — respectivement des biens portants, des sans enfant, des jeunes, et des employé·es (voire des employeurs pour ceux qui pensent que le salaire est un coût plutôt qu’un investissement, i.e. que Mittal « fait vivre » des milliers d’employé·es, plutôt que l’inverse) — mais produisent collectivement ell·eux mêmes leur salaires, allocations, pensions et indemnités : parce qu’au XX° siècle, la classe ouvrière a conquis cette reconnaissance par la lutte.
    http://www.filoche.net/2011/10/25/les-%C2%AB-charges-sociales-%C2%BB-ca-n%E2%80%99existe-pas/

    Alors que la fiscalité se fonde elle sur tout ce qui vient mais en majorité sur les ressources. Ce qui non seulement ne remet pas en cause les mécanismes inégalitaires suscités, mais en pratique, permet des cas parfaitement aberrants comme l’« impôt négatif » des Mulliez, Arnault : https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/et-vous-gerard-mulliez-la-vie-vous-l-aimez-comment

    À part ça, grand merci pour vos analyses !

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