Hadopi et la Rémunération du Partage : pour en finir avec le Storytelling

La Hadopi a publié cette semaine un rapport intermédiaire sur les travaux qu’elle a engagés depuis un an maintenant sur la « Rémunération Proportionnelle du Partage ».

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire plusieurs fois à ce sujet (ici ou ) pour commenter les propositions faites dans ce cadre. En juin dernier, afin de pouvoir approfondir la discussion, j’avais invité Éric Walter, secrétaire général de la Hadopi, et Thierry Crouzet, auteur, lors de « Pas Sage en Seine » pour un débat, afin de mieux cerner les points de convergence et de divergence entre les différentes solutions avancées pour légaliser le partage en ligne des oeuvres. La discussion avait pu se faire de manière relativement constructive – ce qui n’est pas si fréquent sur un tel sujet – et la vidéo mérite d’être à nouveau regardée, avant de se plonger dans les nouveautés ou précisions apportées par ce rapport.

Nos échanges avaient en effet permis de bien cerner ce qui différencie les propositions de la Hadopi de celles que La Quadrature du Net pousse depuis plusieurs années. La Quadrature demande en effet la légalisation du partage non-marchand entre individus, c’est-à-dire une transmission de fichiers s’effectuant selon des moyens décentralisés et sans but de profit. La Hadopi de son côté a choisi de retenir une approche plus large. Après quelques hésitations initiales, elle a décidé d’englober dans ses propositions de légalisation à la fois les échanges décentralisés, mais aussi les échanges centralisés s’effectuant par le biais de plateformes ou avec l’aide d’intermédiaires techniques. Lorsque ceux-ci tirent un bénéfice commercial de ces échanges, la Hadopi propose de les soumettre au paiement d’une redevance proportionnelle, reversée aux titulaires de droits pour compenser le manque à gagner. La Rémunération Proportionnelle du Partage serait donc acquittée par ces plateformes et intermédiaires (pouvant être des acteurs aussi variés que DPstream, T411, Mega, The Pirate Bay, mais aussi YouTube, Facebook, Dropbox ou WeTransfer).

Du côté de la Quadrature, nous refusons cette logique compensatoire, au motif que le partage constitue un droit culturel fondamental et que le préjudice causé aux industries culturelles n’a jamais été établi. Mais pour assurer le financement de la création, et notamment dégager des ressources pour un grand nombre de créateurs, y compris les amateurs foisonnant sur Internet, nous proposons de mettre en place un financement mutualisé – appelé contribution créative – sous la forme d’un surcoût à l’abonnement Internet payés par les foyers et reversé ensuite aux créateurs. Avec les propositions de la Quadrature, les échanges centralisés d’oeuvres resteraient illégaux et un MegaUpload par exemple n’aurait pas pu profiter de ce disposition de légalisation, ce qui n’est pas le cas avec les propositions de la Hadopi.

Le rapport qui vient d’être publié fait état de ces divergences et expose d’ailleurs de manière relativement fidèle les propositions de la Quadrature, ainsi que d’autres solutions alternatives – et il faut le saluer. Sur le fond, je ne dirais pas que cette publication apporte beaucoup d’éléments nouveaux par rapport à ce que la Hadopi avait déjà fait connaître, mais elle contient des précisions intéressantes quant aux outils conceptuels et à la méthodologie utilisés.

De cette lecture, je retire trois séries d’observations :

1) Le rapport dresse un schéma conceptuel intéressant, dénommé « abstraction du partage », pour établir une typologie des différentes formes d’échanges en ligne. Il rejoint aussi dans certaines de ses conclusions les positions de La Quadrature, sur des aspects non négligeables, notamment la méthode d’évaluation des usages en ligne.

2) Le rapport contient une ambiguïté au niveau de la détermination du périmètre des intermédiaires assujettis au paiement de la redevance. En effet, le système de rémunération proposé par la Hadopi fonctionne avec un « seuil plancher« . Sont redevables de la redevance soit les acteurs intermédiaires ne tirant aucun avantage économique des échanges, soit ceux tirant un avantage restant en deçà de ce seuil. Mais la formulation est floue quant à la détermination exacte de ces acteurs. Il est dit par endroits qu’il peut s’agir « de sites web non-lucratifs » ou « d’acteurs tirant de faibles revenus du partage tels que les services de webmail« . Or si un site est « non-lucratif« , il pourrait très bien tirer des revenus substantiels du partage (par le biais de dons ou de publicités), à condition qu’il les réinvestisse ensuite dans ses infrastructures sans chercher à faire de bénéfices. Ce type d’acteurs « hybrides », pouvant jouer un rôle utile dans l’écosystème du partage (on pense par exemple à des trackers, à des annuaires de liens ou à des forums), seraient-il exonérés du paiement de la redevance de la Hadopi ? Dans l’état des propositions, c’est difficile à déterminer.

3) La partie économique du rapport contient à mon sens une grosse faille méthodologique, lorsque la Hadopi essaie de modéliser les conséquences possibles d’une légalisation du partage sur les comportements des individus. C’est dû à mon sens au fait que le rapport cherche constamment à minimiser la part des échanges décentralisés dans le partage des oeuvres en ligne, pour faire passer l’idée que le P2P décentralisé des origines étant mort, les échanges auraient déjà massivement migré vers des formes de contrefaçon commerciale, impliquant des intermédiaires cherchant à faire du profit. Or non seulement la preuve de cette affirmation n’est pas réellement apportée dans l’étude, mais le fait de partir d’une telle hypothèse fausse à mon sens complètement le modèle mis en place par les économistes travaillant pour la Hadopi.

Pour cette dernière raison, je continue à penser que ces travaux de la Hadopi constituent avant tout une forme de Storytelling, plus qu’une démarche scientifique rigoureuse contrairement à l’ambition qu’elle affiche. Partant de prémisses qui ont été posées a priori pour arriver à un résultat donné, la démarche prête le flanc à de fortes critiques au niveau de la méthode suivie. Le rapport peut en outre se lire à deux niveaux, car la Hadopi y distille des idées non-démontrées alimentant un discours qui se déploie par ailleurs pour justifier la mise en place de moyens de répression contre la « contrefaçon commerciale ». C’est ce que l’on a vu notamment à travers les propositions du rapport Imbert-Quaretta rendues au mois de mai dernier. Ce discours devrait rapidement déboucher, non pas sur une légalisation du partage telle que la Hadopi la décrit dans son rapport, mais sur l’introduction de nouvelles mesures répressives dont j’ai déjà parlé dans S.I.Lex, risquant de conduire à un catastrophique « SOPA à la française ». On voit en effet que dès la nomination de Fleur Pellerin au Ministère de la Culture, ses premiers mots ont été pour annoncer sa volonté de lutter contre le « piratage » et des travaux ont immédiatement été confiés au CSPLA pour concrétiser les propositions de Mireille Imbert-Quaretta, impliquant blocage, filtrage, liste noire, « Stay down » et autres horreurs que les industries culturelles réclament à corps et à cri

1) Un schéma conceptuel intéressant et des convergences sur des points importants

La Hadopi avait déjà réalisé dans sa précédente étude une « cartographie » des formes de partage en ligne et elle propose cette fois une « abstraction du partage », permettant d’identifier les fonctions des différents acteurs impliqués selon les formes d’échanges. Elle aboutit à distinguer des formes de partage « synchrone » (usage de cyberlockers, de plateformes de streaming ou de newsgroups) des formes de partage « asynchrone » (usage de réseau P2P ou Torrent, IRC ou messagerie instantanée). La modélisation est intéressante en ce qu’elle montre la complexité de l’écosystème du partage, avec notamment le rôle de « balises » permettant aux internautes de s’orienter pour trouver les fichiers sur les serveurs ou de « points de rendez-vous » pour référencer les internautes partageant les contenus.

Par ailleurs, la Hadopi rejoint La Quadrature concernant les moyens à mettre en oeuvre pour mesurer les échanges d’oeuvres afin de déterminer les montants d’argent à répartir vers les créateurs. La difficulté étant qu’il faut arriver à ce que ces mesures soient fiables, sans pour autant qu’elles ne débouchent sur des formes de surveillance des internautes, ce qui serait inacceptable. Le rapport évoque des « mesures d’audience évoluée, inspirées de la mesure d’audience audiovisuelle telle que pratiquée par les instituts spécialisés et fondés sur l’analyse des données de consultation en temps réels fournis par des panels d’utilisateurs volontaires« , solution proposée notamment par Philippe Aigrain dans son ouvrage Sharing pour la contribution créative. La Hadopi estime « qu’il est tout à fait impossible d’imaginer des terminaux de récoltes des données« , mais elle ajoute sans doute à raison que cette méthode pose problème pour mesurer les échanges d’oeuvres partagées à des échelles réduites. Il sera intéressant de voir dans la suite des travaux de la Hadopi ce qu’elle propose comme solution pour remédier à cette difficulté, importante si l’on veut que la légalisation du partage puisse faire apparaître la Longue Traîne.

Enfin et ce n’est pas anodin, la Hadopi estime que les obstacles juridiques traditionnellement avancés à la légalisation du partage, comme « l’incompatibilité avec la constitution » ou « les accords internationaux » ne « devraient pas être insurmontables« . Mais le détail sur ces aspects juridiques est renvoyé à un rapport ultérieur. Au niveau du fondement juridique à employer pour légaliser le partage, la Hadopi se prononce cependant déjà en faveur d’une nouvelle « gestion collective imposée« , de manière à éviter l’intervention du législateur européen. Elle écarte le fondement proposé par La Quadrature du Net, à savoir l’extension de l’épuisement du droit de distribution « pour des raisons développées dans le rapport final« . Cette question est pourtant très importante, car si l’extension de l’épuisement des droits ne peut en effet être mis en oeuvre qu’au niveau européen, elle présente l’intérêt de ne pas avoir à répartir les sommes collectées à travers le système traditionnel de gestion collective, alors que la solution proposée par la Hadopi aurait pour effet d’alimenter directement les SACEM, SACD et Cie, avec tous leurs travers traditionnels…

2) Une ambiguïté gênante sur les intermédiaires assujettis à la redevance

Ce rapport de la Hadopi reprend une idée figurant dans leur rapport précédent, que j’avais déjà saluée comme un point positif de la démarche. En effet, la Hadopi estime que le partage non-marchand ne doit pas faire l’objet d’une compensation financière, ce que beaucoup de tenants de la légalisation, à la Quadrature ou au Parti Pirate par exemple, revendiquent depuis longtemps, puisque l’on a jamais réussi à apporter la preuve d’un préjudice causé aux industries culturelles du fait du partage.

La Hadopi va même plus loin vu qu’elle ajoute qu’un « seuil plancher » devrait être mis en place pour que certains intermédiaires, tirant un avantage financier des échanges, ne soient pas assujettis au paiement de la redevance (voir cet extrait du premier rapport) :

Dans le cas minoritaire des usages entraînant aucun gain, la rémunération due est égale à 0.

Il existe par ailleurs un seuil en deçà duquel, la rémunération est supposée égale à 0. Cela recouvre les cas usages entraînant que de très faibles gains et les intermédiaires dont l’implication dans la chaîne de consommation est marginale (coefficient très faible).

Sauf que la formulation change avec ce nouveau rapport et que cette fois, la Hadopi parle plutôt d’exclure de l’obligation de payer cette redevance des « sites web non-lucratifs« . Or ce n’est pas du tout la même chose, si les mots ont bien un sens. Je peux réaliser des gains financiers à partir d’une activité et à ce moment, mon activité sera considérée comme « lucrative ». Mais je peux aussi être une entité qui réalise des gains financiers importants, tout en restant « non-lucrative », si je les réinvestis dans mon activité. Pour prendre un exemple, la Wikimedia Foundation reçoit chaque année des dons se chiffrant en millions de la part des internautes, mais il ne s’agit pas d’un site « lucratif » dans la mesure où ces sommes sont réinvesties pour maintenir l’infrastructure nécessaire à la pérennité de Wikipédia.

Si l’on prend le cas du partage, il existe tout un ensemble d’intermédiaires qui peuvent jouer un rôle utile dans l’écosystème, comme les trackers, les annuaires de liens, les forums, et qui ont des besoins en termes de financement pour maintenir eux-aussi leurs infrastructures. Imaginons que ces sites fassent des gains financiers, par le biais de dons versés par les internautes, voire même de publicités. S’ils réinvestissent ces gains pour l’entretien de leurs serveurs et le développement de leur site, sans chercher à faire de profit, de tels intermédiaires seraient-ils soumis ou non au paiement de la redevance envisagée par la Hadopi ?

C’est aussi une question qui s’est posée du côté de la Quadrature du Net. Nos propositions concernent le partage non marchand entre individus et nous cherchons à promouvoir des formes décentralisées d’échanges. Mais des intermédiaires utiles peuvent intervenir dans ces échanges, sans pour autant que ceux-ci se « recentralisent ». Les annuaires de liens, les trackers, les forums n’hébergent pas les fichiers ; ils se contentent d’orienter les utilisateurs par le biais de liens hypertexte. Et le programme de la Quadrature contient une partie sur la « légitimité de la référence » qui porte justement sur ce rôle des liens hypertexte :

Il existe un lien entre cette liberté générale de référence et la reconnaissance légale du partage non marchand d’œuvres numériques entre individus proposée dans le point précédent. Dans le contexte de cette reconnaissance, le fait de créer des répertoires de liens vers des fichiers numériques rendant possible la pratique de ce partage est une activité légitime, qu’elle soit pratiquée par des acteurs commerciaux ou non. A l’opposé, la centralisation sur un site d’œuvres numériques relève toujours de l’application du droit d’auteur ou copyright et reste soumise à autorisation ou licence collective

Cela signifie que dans notre modèle, nous admettons que des sites de type annuaires de liens, trackers ou forums puissent intervenir comme intermédiaires dans le partage non-marchand entre individus et bénéficier de la légalisation, même s’ils réalisent des gains financier du fait de cette activité « d’auxiliaires du partage ».

Cette conception pourrait d’ailleurs très bien se combiner avec la proposition de la Hadopi d’exempter les « sites non-lucratifs ». Pour prendre un exemple bien connu, un acteur comme The Pirate Bay pourrait continuer à exister et à se financer par des dons et de la publicité, mais uniquement à condition qu’il réinvestisse ces sommes dans le maintien et le développement de son infrastructure, sans chercher à faire de profits. Une telle solution aurait l’avantage de permettre à des intermédiaires « communautaires » d’exister dans l’écosystème du partage, en assurant leur viabilité. Mais en l’état, les propositions de la Hadopi sont trop ambiguës pour que l’on puisse savoir si cette interprétation de leur « seuil plancher » est recevable.

Notons par ailleurs que toujours sur ce chapitre des intermédiaires soumis ou non au paiement de la redevance, la Hadopi continue à exclure de manière inexplicable les FAI, qui sont pourtant pleinement impliqués dans les pratiques de partage :

Si le périmètre des intermédiaires assujettis doit être défini de façon large, on doit garder en tête la volonté d’exclure certains acteurs et en particulier les FAI, pour la raison que leur modèle économique ne repose pas ou ne poursuit pas comme objectif le partage des oeuvres entre individus.

On voit mal ce qui vient rationnellement justifier cette exclusion des FAI et en quoi leur modèle économique dépend plus ou moins du partage que les services comme Dropbox ou WeTransfer que la Hadopi semble pourtant vouloir inclure parmi les catégorie d’acteurs pouvant être soumis au paiement de la redevance. La seule raison véritable, c’est qu’inclure les FAI reviendrait au final à retomber sur un système de licence globale ou de contribution créative, puisque les fournisseurs d’accès répercuteraient le montant de la redevance sur le prix de leurs abonnements. Et cela, la Hadopi veut l’éviter pour marquer l’originalité de ces propositions.

Ce type de paralogisme est très malvenu dans le rapport, car il décrédibilise la démarche de la Hadopi, intéressante pourtant par certains côtés. Mais ce genre de biais est encore plus éclatant dans la partie économique du rapport, lorsque la Hadopi essaie d’envisager les conséquences possibles de la légalisation du partage sur le comportement des individus.

3) Une grosse faille méthodologique dans l’anticipation des conséquences de la légalisation du partage

La Hadopi utilise un modèle développé en partenariat avec l’INRIA pour essayer de déterminer comment les individus réagiraient dans l’hypothèse où le partage serait légalisé et la Rémunération Proportionnelle du Partage mise en place. Ce modèle économétrique est représenté sur le schéma ci-dessous :

 Pour faire simple, ce modèle distingue trois catégories d’individus : ceux qui ont une « consommation directe » d’oeuvres culturelles (c’est-à-dire ceux qui se fournissent par le biais de l’offre légale actuelle), ceux qui consomment à travers des intermédiaires (ceux qui se fournissent par le biais de l’offre illégale, type Streaming ou DirectDownload) et ceux qui n’ont pas du tout de consommation de biens culturels sous forme numérique.

La Hadopi estime qu’en cas de légalisation selon les modalités qu’elle prône, une partie de ceux qui avaient une consommation directe via l’offre légale se reporteraient sur la consommation à travers des intermédiaires, sur la base d’arguments du type : «ils sont connus, ils sont légaux, j’ai moins peur d’être hors la loi, moins peur des virus, etc.» Une partie aussi des non-consommateurs actuels pourraient être incités à développer leur consommation via des intermédiaires. La question pour la Hadopi est donc de savoir si la Rémunération Proportionnelle du Partage, levée sur ces intermédiaires, suffira à compenser les pertes subies du fait du repli de la consommation directe (offre légale actuelle). Sans quoi les industries culturelles seraient lésées et le modèle devrait sans doute être rejeté.

Mais il y a un biais énorme dans le raisonnement de la Hadopi. Ce schéma omet déjà complètement d’emblée le partage décentralisé entre individus, utilisant des protocoles comme le P2P. La Hadopi prend soin dans une autre partie du rapport d’affirmer que cette forme de partage serait devenue ultra-minoritaire aujourd’hui, puisqu’il ne représenterait selon elle que 2% des échanges illicites. Cette affirmation n’est pas démontrée et elle dépend entièrement de ce que l’on entend par « échanges décentralisés ».

Mais si les usages se sont déportés du P2P vers des formes centralisés d’échanges impliquant des intermédiaires marchands, comme le streaming ou le DirectDownload, c’est en grande partie parce que la répression, et notamment en France la riposte graduée, ne cible que les échanges décentralisés en P2P et ne peut pas agir sur le streaming ou le DirectDonwload. Soit les internautes ont délaissé le P2P en sachant qu’ils ne risquaient rien en allant vers des sites centralisés (c’est ce qui a expliqué en partie le succès de MegaUpload), soit ils se sont mis à utiliser des intermédiaires techniques pour se protéger et éviter de voir leur adresse IP « flashée » par la Hadopi. Par exemple, beaucoup d’entre nous utilisent des services comme des VPN, des proxys ou des Seedboxs afin de pouvoir continuer à télécharger en P2P sans ennui. Or ces services sont généralement payants si l’on veut qu’ils soient vraiment efficaces. Pour la Hadopi, il s’agit d’une forme de « consommation via intermédiaires », mais les intermédiaires en question perdraient tout leur intérêt si le partage était légalisé et qu’il n’était plus nécessaire de protéger son IP.

Du coup, et c’est ce que la Hadopi n’envisage pas du tout dans son modèle économétrique, on peut penser que la légalisation du partage aurait pour effet de provoquer un retour des usages vers des formes d’échanges décentralisés et non-marchands. Quel intérêt de continuer à payer un abonnement mensuel à un service de streaming ou de DirectDownload s’il est possible d’avoir accès aux oeuvres gratuitement par ailleurs sans risque légal ? Dans une autre partie de son rapport, la Hadopi affirme que la répression n’est pas la seule explication du passage des formes décentralisées d’échanges, type P2P, à des formes centralisées, car celles-ci seraient techniquement plus commodes à utiliser. C’est sans doute vrai, mais on voit aujourd’hui se développer des services comme Popcorn Time (le « Netflix des pirates ») par exemple, s’appuyant sur des échanges décentralisés tout en bénéficiant d’une ergonomie très poussée. Popcorn Time est dans le radar de la Hadopi, mais il a déjà séduit plusieurs centaines de milliers de français. En cas de légalisation du partage, il est plus que probable que de tels services connaîtraient un gros boum dans leur utilisation. Or cette hypothèse n’apparaît même pas dans le modèle économétrique de la Hadopi !

Or quel serait l’effet de cette omission pour les créateurs et les filières culturelles ? Comme la Hadopi n’envisage que de soumettre à redevance les intermédiaires commerciaux, une partie substantielle des échanges se déporterait vers des formes décentralisées gratuites, type P2P, ou portées par des sites « non-lucratifs » et aucun revenu n’irait aux créateurs puisque ces acteurs seraient exonérés de redevance… Alors qu’avec la solution prônée par la Quadrature du Net, la contribution créative serait acquittée par les abonnés à Internet, ce qui signifie que les échanges non-marchands décentralisés seraient sources de nouveaux revenus pour les créateurs. La proposition de la Hadopi me paraît donc risquée et biaisée, car elle sous-estime l’effet de la répression sur les comportements et la résilience des échanges décentralisés sur Internet.

***

Ce problème méthodologique dans le modèle économique de la Hadopi est assez troublant. Même si la Hadopi pense que les échanges décentralisés sont devenus aujourd’hui minoritaires (ce qui est déjà contestable), elle ne peut pas ne pas les inclure dans son modèle, au moins à titre d’hypothèse, sinon celui-ci se coupe d’une partie des possibles et la simulation se transforme en pari aléatoire sur l’avenir. Par ailleurs, une omission aussi lourde fait franchement douter de la scientificité de la démarche. Depuis le départ, la Hadopi est partie sur un modèle de légalisation, décidé a priori. Et à présent, on voit bien que la méthodologie employée est développée de manière à conforter un résultat déjà posé à l’avance.

Tout ceci ne serait pas si grave si ce discours sur le basculement des échanges des formes centralisées et marchandes n’alimentait pas aussi au passage la volonté de durcir encore la répression contre « la contrefaçon commerciale ». Or comme je l’ai dit au début de ce billet, on voit bien que l’État français va très certainement bientôt essayer de mettre en place un « SOPA à la française », qui aura pour but de cibler les intermédiaires techniques impliqués dans les transactions financières (régies publicitaires, systèmes de paiement en ligne, mais aussi moteurs, hébergeurs, etc) en allant piocher dans les suggestions de Mireille Imbert-Quaretta, membre elle-même de la Hadopi…

Voilà pourquoi il est temps d’en finir avec tout ce Storytelling autour de la Rémunération du partage à la Hadopi. Une vraie menace pour les libertés se profile à l’horizon et il faudra surveiller de près ce qui sortira du Ministère de la Culture avec la « loi sur la création ».

On retire de tout ceci une impression d’épouvantable gâchis, car le rapport Lescure avait recommandé au Ministère de la Culture de conduire des études sur la légalisation du partage et si celui-ci avait pris ses responsabilités, il aurait pu mettre en place un vrai cadre de réflexion sur ces questions.

[Mise à jour du 08/09/2014] En réaction à la lecture de ce billet, Éric Walter affirme sur Twitter que les formes de partage décentralisé seront « bien prises en compte » par le modèle, au motif que la « consommation via intermédiaires » figurant dans le modèle économétrique « ne limite pas ces intermédiaires à une catégorie particulière« . Hum… comment dire ? Quiconque fera une lecture attentive du rapport se rendra vite compte que c’est difficilement probable. En effet, les conséquences d’un glissement des pratiques, soit vers des formes de partage centralisés marchands, soit vers des formes de partage décentralisés non-marchands, sont tout à fait différentes. Elles ont notamment une incidence directe sur les montants de Rémunération Proportionnelle du Partage récoltés. D’un point de vue méthodologique, il était donc bien nécessaire de les distinguer dans le modèle économétrique, en faisant apparaître deux catégories séparées, sinon l’hypothèse que la Hadopi veut vérifier ne pourra tout simplement pas l’être. Cela devrait même, si la démarche se veut vraiment rigoureuse, constituer une des questions centrales de l’étude économétrique… Mais ne faisons pas la fine bouche, ce qui importe, c’est que la question des échanges non-marchands décentralisés soit bien prise en compte dans le modèle économétrique. Et même si c’est rajouté ex post, ce sera déjà ça !


10 réflexions sur “Hadopi et la Rémunération du Partage : pour en finir avec le Storytelling

  1. si vous reconnaissez « un droit culturel fondamental » vous devez reconnaitre « une propriété culturelle fondamentale »
    A part l’Exception Première (qui n’est donc pas LA règle générale), il faut une poule pour faire un oeuf comme il faut un Auteur (propriétaire de son idée) pour faire une Idée
    C’est une excellente idée de faire rémunérer les partages, ils encourageront pécunièrement les Pensées et freineront la Bêtise dominante actuelle sur internet
    Internet doit mûrir sinon il deviendra un supermarché dominé par une poignée des services

    1. Je reconnais que les créateurs ont des droits, qui constituent eux-aussi des droits culturels fondamentaux. C’est d’ailleurs bien sur le fondement de tels droits que la contribution créative leur serait versée.

      Mais il s’agirait d’un droit social et surtout pas d’une forme de propriété.

      C’était d’ailleurs le point de vue de Condorcet ou de Jean Zay, qui considéraient que le droit d’auteur ne doit pas être rattaché à la propriété http://www.non-droit.org/2012/10/26/projet-de-loi-de-jean-zay-13-aout-1936/

      Et c’est aussi celui de Richard Stallman qui nie l’existence de la « propriété intellectuelle », un « séduisant mirage » selon lui : http://www.gnu.org/philosophy/not-ipr.html

      J’ai déjà eu l’occasion de montrer que les auteurs eux-mêmes n’ont pas intérêt à s’abriter derrière le concept de propriété, car il peut facilement se retourner contre eux et cela s’est vérifié encore récemment : https://scinfolex.com/2014/03/01/verdict-dans-laffaire-relire-la-propriete-intellectuelle-cest-le-vol/

  2. Bonjour, j’ai regardé la première heure de vidéo, j’avoue avoir survolé l’article mais je souhaite répondre sur l’angle d’approche du débat entre créateur d’œuvre et rémunération.

    Il est question dans la vidéo de chercher comment rémunérer des auteurs/créateurs en fonction ou non de leur audience, par voie de centralisation marchande ou non marchande et démocratique.

    Cela pose la question pouvoir de vivre de sa création en la valorisant sur un marché ou en vente directe, ou d’une contrepartie qui reconnaitrait un préjudice ou au contraire un droit à créer…

    C’est donc le débat entre la création de valeur d’usage ou de valeur économique : écrire un tutoriel sur un blog c’est utile c’est de la valeur d’usage, écrire un tutoriel et le vendre cela devient de la création de valeur économique.

    La condition de seuil d’audience, de nombre de création, (de qualité ?) semble relever de ce débat : comment reconnait-on de la création de valeur économique ? A qui l’attribuons nous ? comment définissons le montant de la rémunération ? Quels sont les critères de différence de rémunération ?

    Je pense que toutes ces questions ne sont pas l’objet d’un débat autour des droits d’auteurs et de la création d’oeuvre, mais la question du travail, du salaire et de la propriété lucrative (et non d’un revenu de base et de droits d’auteurs)

    Les solutions que l’on cherche pour répondre aux questions de rémunération des créateurs ne sont ni plus ni moins que la question du salariat et de la sécurité sociale.

    Créer une caisse pour décider collectivement, par les citoyens de la rémunération de créateurs ?
    N’est-ce pas la même chose que les caisses de l’assurance chômage,maladie,famille et vieillesse gérées par les salariés et leur syndicat ? (enfin ce fut le cas)

    Rémunérer les créateurs, c’est en fait les reconnaitre producteurs de valeur économique, comme tout travailleur et donc les intégrer au salariat, mais pour se faire c’est la suppression de la propriété lucrative qu’il faut revendiquer au profit de la propriété collective d’usage des outils de productions, maitriser les investissements avec une caisse d’investissement gérer par les producteurs eux mêmes ( d’ailleurs je trouverai intéressant de coupler l’investissement socialisé avec l’investissement individuel tel que le crowdfounding), et enfin le salaire versé à tous en fonction de sa qualification et non en fonction de son audience ou quantité de création/travail.

    C’est sur ce dernier point que le conflit et le débat sera perpétuellement animé.

    La moitié du chemin est déjà fait grâce à la cotisation sociale si l’on veut bien voir le caractère révolutionnaire et anti-capitaliste de cette dernière, et percevoir cette conquête comme une définition émancipatrice du travail.

    C’est pourquoi Lionel je ne pense pas être d’accord avec ta nomination de société oeuvrière, je pense que c’est bel et bien une société ouvrière déjà là qu’il faut pousser plus loin, en conflit avec une société dominante bourgeoise.

    Pour finir ma lecture du débat sous l’angle marxiste, si les technologies de décentralisation sont attaqués avec virulence, c’est qu’elle porte en elle tout le potentiel de société et d’économie anti-capitaliste.

    PS : pour aller plus loin et choisir son camp entre salaire à vie ou revenu de base, lire et regarder Bernard FRIOT http://www.reseau-salariat.info/?lang=fr

    1. Bonjour,

      Merci pour ces réflexions intéressantes, qui touchent à des points essentiels du débat.

      Dans notre vision, ce n’est pas vraiment par les créateurs produisent de la valeur économique qu’une rémunération au titre de la contribution créative leur serait due. La contribution créative est liée à la notion de biens communs. En légalisant le partage non-marchand entre individus, on contribue à faire des oeuvres des biens communs partageables. Le contribution créative serait dès lors un droit « social », venant récompenser (et surtout pas « compenser ») les créateurs pour avoir contribuer à enrichir le fonds des biens communs culturels partageables et aussi garantir à long terme le renouvellement et la pérennité de ce fonds dans le temps. Philippe Aigrain explique bien ce lien entre partage, contribution créative et biens communs dans cet article : « Culture et partage : les conditions d’existence des biens communs culturels » http://paigrain.debatpublic.net/?p=6219

      Cette forme de rémunération n’a pas vocation à se substituer aux revenus que les créateurs pourraient tirer de l’exploitation économique de leurs oeuvres. Elle viendrait s’y ajouter. Par exemple, un photographe pourrait tirer des revenus via la contribution créative de la diffusion non-marchande d’une photo, mais si le site d’un journal veut la reprendre, il serait obligé de verser au créateur une rémunération.

      De ce point de vue, je dirais donc que la contribution créative s’ajoute au salariat (ou plutôt aux revenus « classiques » du droit d’auteur, qui ne sont pas des salaires) et qu’elle n’a pas vocation à y être intégrée. Par ailleurs, à mon sens, même si la contribution créative était instituée, il y aurait intérêt à mettre en place un revenu de base, dans l’intérêt même de la création. La contribution créative vient récompenser financièrement des créateurs qui mettent en circulation leurs oeuvres. Mais pour en bénéficier, encore faut-il être matériellement en mesure de créer des oeuvres. Et pour les créateurs qui partent de zéro, un revenu de base reste le meilleur moyen de dégager du temps et de l’indépendance afin d’acquérir des compétences et les mettre en pratique. Le revenu de base et la contribution créative pourraient bien sûr eux-aussi se cumuler.

      Faire des créateurs des salariés, c’était dans une certaine mesure le projet de Jean Zay avec sa réforme avortée de 1936 et on en trouve encore des traces actuellement, avec le régime des intermittents du spectacle, que certains d’ailleurs rattachent aux biens communs : http://www.mediapart.fr/journal/france/100614/les-intermittents-luttent-pour-nos-biens-communs Certains comme Bernard Stiegler estiment qu’il faudrait étendre ce régime pour créer un statut de « l’intermittence dans la contribution » https://scinfolex.com/2013/02/06/remunerer-les-amateurs-pour-valoriser-les-externalites-positives/, qu’il voit comme un moyen de « déprolétarisation ».

      Par contre déconnecter la contribution créative de toute relation avec l’audience reçue par les oeuvres me paraît problématique. Nous proposons que la contribution créative soit répartie de manière sous-proportionnelle (pourquoi pas avec une racine cubique : un créateur qui serait mille fois plus populaire qu’un autre ne recevrait que 10 fois plus), afin de limiter les dérives promotionnelles et de permettre à la contribution de bénéficier à un plus grand nombre de créateurs. Mais couper la contribution complètement de l’audience des oeuvres ne me paraît pas juste.

      Par ailleurs, vous écrivez cette phrase dans votre commentaire : « Créer une caisse pour décider collectivement, par les citoyens de la rémunération de créateurs ? ». Oui, il y a de cela dans le projet que nous proposons. La contribution créative dégagerait des sommes de l’ordre de 1,2 milliards d’euros par an, ce qui est considérable. Ce financement mutualisé, très puissant, il est évident pour nous qu’il ne peut être géré par le circuit actuel de gestion collective (les SACEM, SACD, SCAM et Cie). Nos propositions vont de pair avec une réforme profonde de ce système de gestion, dans le but de renforcer le contrôle citoyen sur la détermination de l’emploi de ces sommes. Il faut savoir aussi que 60% de la contribution créative serait allouée à récompenser les créateurs pour des oeuvres existantes, mais 40% serait affectés au financement de projets de création. Tout cela pose des questions importantes de gouvernance quant à la structure ou les structures qui serait amenées à décider de l’emploi de ces sommes. Il s’agit d’un véritable défi citoyen, mais c’est aussi une opportunité énorme de faire en sorte de permettre aux citoyens de se réapproprier une politique culturelle qui est actuellement « privatisée » via les circuits de gestion collective.

      Pour finir, je dirais qu’il y a des ponts à créer ou à retisser entre la pensée des biens communs, qui constitue le fondement du projet de contribution créative et les grands fondamentaux de la gauche. C’est ce que font Pierre Dardot et Christian Laval dans leur ouvrage « Commun : essai sur la révolution au XXIème siècle » http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Commun-9782707169389.html Ils confrontent la pensée des communs avec des auteurs comme Marx, Proudhon, Rosa Luxembourg, Jaurès, Castoriadis et d’autres. Ce livre contient des pistes très intéressantes, notamment parce qu’il pousse les militants des communs à s’interroger sur la question de la rupture avec le capitalisme.

      Donc malgré les divergences que j’ai pu exprimer dans cette réponse, je pense qu’il y a des ponts à construire avec les idées que vous exprimez.

      1. Bonjour,
        merci pour cette réponse et ce débat stimulant. Je vais essayer de faire des ponts entre tes propositions et les institutions existantes telles que la sécurité sociale et les cotisations sociales.

        Une oeuvre de bien commun est une valeur d’usage, comme faire un café à la maison , c’est utile mais ça ne créer pas de valeur économique.
        Une oeuvre de bien commun récompenser par un droit social nommé contribution créative, c’est de la valeur économique, comme le barman payé à faire un café.

        L’oeuvre valeur d’usage est une activitée, l’oeuvre valeur économique est du travail.

        Le salaire est composé de deux partie : la part directe appelé salaire net et la part socialisé : les cotisations sociales, distribuées sous formes de droits sociaux.
        Mais la cotisation sociale a cette fonction de reconnaitre la valeur économique créer par les bénéficiaires de droits sociaux : retraité, chomeurs, malade, parents …

        La contribution créative comme droit social est pour moi une part de salaire socialisé, créer par une nouvelle cotisation sociale dédié à la création d’oeuvres partagées.

        Comme tu le cite, c’est le régime de l’intermittence de l’assurance chômage qui ressemble le plus à la contribution créative. Il suffirait donc d’intégrer les créateurs d’oeuvres de bien communs.
        Les intermittents sont soumis aussi à une forme d’audience, un nombre de cachet et un nombre d’heure de travail, qu’on peut quantifier en valeur économique créé : salaire net + cotisation sociale.
        Dans le cas du photographe, s’il a suffisamment créer de valeur économique en vendant ses oeuvres de bien communs, et/ou en don de contributeurs de son blog, et/ou par souscription (crowdfounding), il ouvrirait droit à l’assurance chômage sous le régime de l’intermittence au titre d’un nouveau droit social de contribution créative.
        Ce qui permet aussi de répondre à la question de la volonté du créateur d’oeuvre de bien commun à vouloir être rémunéré contrairement à l’amateur qui fait ça pour le plaisir.

        Reste la question de l’investissement à régler, en créant une autre cotisation sociale à l’investissement, gérée par les salariés.
        J’imagine assez facilement un système de droit de tirage et d’attribution de ces cotisations d’investissement avec l’existant du crowdfounding et une variante : par exemple :
        pour 10 € investit de ma poche, la caisse d’investissement verse 1 € si le projet concerne une oeuvre de bien commun, pour éviter le côté arnaque du crowdfounding.

        Une taxe sur la contribution créative, je suis d’accord avec toi, est à exclure, car en effet le riche et le pauvre paye la même taxe pour des moyens et des utilisations différentes,
        de plus une taxe sur les abonnements internet ferait passer l’argent par les sociétés privés puis par l’état et donc pas de moyen de contrôle actuellement.

        Tandis que la cotisation sociale est répartie entre tous les salaires et dans tous les prix et porter par l’ensemble de la société, ce qui pour un droit social est indispensable à mon avis.

        1. Bonjour,

          Je ne pense pas être complètement d’accord avec cette distinction entre valeur d’usage et valeur économique, ni pour dire qu’une oeuvre de bien commun n’a pas de valeur économique. Il y a tout un courant de la pensée des Communs, qui s’intéresse justement à « l’économie des Communs », dont un des meilleurs représentants est Michel Bauwens par exemple : http://www.wedemain.fr/Michel-Bauwens-le-peer-to-peer-est-l-ideologie-des-travailleurs-de-la-connaissance_a366.html

          Et je ne pense pas non plus qu’on puisse assimiler la création d’une oeuvre à un « travail » comme celui du barman qui fait un café.

          Mais malgré ces réserves, je trouve très intéressante cette piste consistant à approfondir la conception de la contribution créative comme un « droit social » et une forme de salaire socialisé.Les liens que vous faites avec le statut de l’intermittence me paraissent vraiment à creuser.

          Nous avons originellement pensé la contribution créative à partir du modèle de la licence globale, qui est elle-même une évolution de la redevance pour copie privée. Mais il y aurait certainement intérêt à faire évoluer entre le modèle pour l’éloigner de cette logique de « redevance » pour en faire un nouveau « statut du créateur » à part entière.

          Idem pour les liens avec le crowdfunding que vous esquissez. Nous mettons aussi le crowdfunding en avant dans les propositions de La Quadrature, comme une piste de financement à développer pour la culture. Il existe aussi des propositions alternatives à la contribution créative, nommées mécénat global, qui consistait à généraliser le crowdfunding : au lieu de prélever un surcoût à l’abonnement Internet, ensuite réparti selon l’audience des oeuvres, chaque internaute aurait dû allouer volontairement une somme donnée chaque mois aux artistes de son choix.

          Je trouve que la proposition que vous faites, de ponctionner un pourcentage des sommes données par les individus via le crowdfunding afin de les mutualiser au niveau d’une caisse d’investissement, serait aussi une bonne idée.

          Donc malgré quelques nuances dans les concepts et le langage, merci pour avoir partagé ces pistes ici.

  3. Concernant le crowdfunding, je tenais à faire remarquer que ça n’est pas un phénomène nouveau. En français, on appelle ça souscription. Ça se fait dans différents domaines, dans le domaine des courts métrage d’animations (c’est assez fermé comme milieu finalement), des revues à petit tirage, des AMAP (et les choux ne seront pas libres de droit, bien qu’on puisse (en tant qu’amateur, plus les pros) légalement les reproduire avec un peu de terrain). En général on ne paie pas plus cher que le prix du produit (voir souvent moins), et on a parfois des petits cadeaux pour remercier d’avoir aidé.

    * Si on se situe dans une optique purement libriste, c’est vrai qu’il vaut mieux faire des souscriptions à des produits libres.
    * Si on se situe dans des domaines de commerce plus traditionnels, c’est toujours agréable d’aider quelqu’un qui va faire un produit dont on a envie, mais que l’on a pas envie de réaliser par soi-même.

    Certaines parties du débat m’ont un peu effrayé. La mise en avant de l’aspect légal international. Encourager ça, avant d’avoir l’assurance qu’une gouvernance mondiale ne va pas utiliser ces outils pour contraindre les utilisateurs d’internet, à l’image des horreurs que pondent l’OMC ou le FMI avec leurs lobbyings et leurs pressions dont ont du mal à se protéger les pays les plus fragiles, et qui avantagent les plus puissants.

    Ensuite, dans le cas d’un financement via un surplus aux abonnements internet. Il faut prendre en compte que de nombreuses personnes, n’ont pas accès à un abonnement internet (lorsqu’ils ont accès à un ordinateur, voir à l’électricité, voir pire l’eau (retrouver les chiffres des coupures électricité/eau). Si ceci est mis en place, il faudrait que cela soit proportionnel aux revenus, afin de ne pas pénaliser l’accès à la culture des plus pauvres, ce qui ont à rattraper le retard sur les plus riches.

    Quelqu’un avait démontré que le système des notes à l’école allait dans le même sens de creuser l’écart entre les milieux sociaux les plus riches et les plus pauvres. La pauvreté dans les familles les plus démunies (dont les parents avaient moins de temps à consacrer aux études pour leurs enfants et généralement moins de savoir à transmettre), et à faire monter d’avantage ceux qui étaient dans des familles avec un meilleur niveau d’étude (donc meilleur salaire, plus de temps libre, possibilité de payer des cours du soir, un assistant,plus de savoir à transmettre). Les solutions trouvées à ces défauts sont peut être également à intégrer dans ces revenus de base globaux et systèmes de type licence globale.

    1. Bonjour,

      Concernant le crowdfunding, je vous rejoins et j’ai d’ailleurs eu l’occasion d’écrire sur les liens entre crowdfunding et licences libres : https://scinfolex.com/2014/01/10/crowdfunding-sans-licences-libres-piege-a-gogos/ Personnellement, je pense qu’il y a une forme « d’arnaque » dans les projets de création qui se financent par le biais du crowdfunding sans mettre le résultat sous licence libre. C’est aussi le cas pour les produits pouvant être brevetés, comme on a pu le voir de manière caricaturale avec l’Oculus Rift en début d’année : https://scinfolex.com/2014/04/02/oculus-vr-rachete-par-facebook-quelles-conditions-juridiques-pour-un-crowdfunding-equitable/

      Sur les risques de dévoiement du système que nous proposons, je pense qu’ils seraient plus forts au niveau national qu’international. Un des risques principaux avec l’instauration d’une forme de financement mutualisé pour la création, c’est que le système de gestion collective classique des droits (les SACEM, SACD, SCAM et cie) ne manœuvrent pour le récupérer à leur profit et en prendre le contrôle. Vu le degré de collusion entre ces structures et les politiques, ce risque n’est pas du tout à prendre à la légère : http://www.numerama.com/magazine/29914-manuel-valls-promet-a-la-sacem-son-34engagement-total34.html

      Concernant votre dernière remarque, en effet, il y a une réflexion à mener pour savoir si les foyers les plus modestes ne devraient pas être exemptés du paiement de la contribution création. Il ne me semble pas que ce soit le cas pour la redevance TV, par exemple. Mais l’accès à Internet a été reconnu par le Conseil Constitutionnel comme un droit fondamental et il faudrait tenir compte de cette dimension.

  4. Que cela soit clair, il sera impossible de réglementer ou même d’interdire le partage décentralisé gratuit entre utilisateurs. Cela s’est toujours fait de par le passé (avant internet on copiait les VHS, CD et DVD) et arpès internet, les clés USB, stockage externes permettront de consommer toujours plus de films, séries, contenus audio.

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