Mardi dernier, le 5 mai, arrivait théoriquement à son terme le délai accordé aux titulaires de droits partout dans le monde pour manifester explicitement leur volonté de sortir de l’accord de règlement conclu entre Google et les éditeurs et auteurs américains à propos de Google Book Search. L’approbation définitive du règlement par la justice américaine était fixée par ailleurs au 11 juin prochain et tout le monde retenait son souffle dans l’attente de la décision … Mais …
… le juge Denny Chin en charge du dossier au tribunal de New York a finalement décidé de faire droit à une demande déposée par un groupe de sept auteurs et leurs héritiers (notamment ceux de John Steinbeck et Philip K. Dick), en repoussant de 4 mois la date limite à laquelle les titulaires de droits sur les livres pourront décider de sortir de l’accord. L’échéance est donc désormais fixée au 4 septembre prochain, tandis que la date de l’approbation de l’accord par la justice interviendra seulement le 7 octobre (Étonnant d’ailleurs que le juge n’ait pas profité de cette modification pour permettre à la décision de justice d’intervenir avant le terme du délai accordé aux titulaires de droits …).

Cette décision est intervenue à la surprise générale, même si l’on sentait bien depuis quelques semaines que l’accord suscitait de plus en plus de crispations et d’incertitudes. Le point majeur d’inquiétude concerne le sort des œuvres orphelines et épuisées, sur lesquelles Google obtiendrait un droit exclusif d’exploitation si leurs titulaires de droits ne se manifestaient pas pour les revendiquer. Or par définition, il y a très peu de chances pour que les auteurs et éditeurs se réveillent subitement pour se souvenir qu’ils ont des droits sur des œuvres délaissées depuis des années… c’est là même tout le génie de la manœuvre de Google dans cette affaire !
Au fond, c’est le mécanisme même de l’opt-out (qui ne dit mot consent …) qui est au coeur de l’hésitation du juge Chin et l’extension du délai est certainement raisonnable, si l’on veut bien se souvenir que l’opt-out constitue une rupture majeure par rapport aux principes classqiues de la propriété intellectuelle qui prévoient normalement au contraire que les auteurs et leurs ayants droit disposent au contraire d’un droit exclusif sur leurs créations, dont découle la faculté d’autoriser ou d’interdire explicitement par le biais d’un acte formel chaque mode d’exploitation.
Je vous conseille à ce sujet d’aller faire un tour sur le site de règlement du litige et de télécharger les pièces que les auteurs et éditeurs sont censés remplir pour sortir de l’accord. C’est franchement abscon et on peut douter que toutes les personnes concernées dans le monde entier sont en mesure de se prononcer en connaissance de cause.
Google est d’ailleurs visiblement conscient du problème que soulève ce modus operandi, comme on peut s’en rendre compte en lisant le blog officiel de Google, dans lequel Adam Smith, le porte parole du groupe indique que le délai sera mis à profit pour tenter de donner une meilleure publicité à l’accord pour permettre aux titulaires de droit de se prononcer.
Il faut ajouter à cela que plusieurs menaces qui pesaient sur l’accord Google se sont concrétisées dans les jours derniers. Le département de la Justice américaine en charge des questions de concurrence a notamment décidé de lancer une enquête visant à déterminer si l’accord Google Book Search ne contrevient pas aux lois fédérales antitrust. De quoi rassurer peut-être les nombreuses voies qui se sont élévées pour dénoncer les risques de constitution d’un monopole au profit de Google au niveau de la vente des livres numériques…
Parmi ces voix notons celles des trois plus grandes associations de bibliothèques américaines représentant plus de 130 000 établissements, qui sont à nouveau intervenues auprès du juge Chin pour lui demander d’exercer un contrôle attentif sur les tarifs qui seront pratiqués par Google pour donner accès à sa base de données. La position des bibliothécaires américains est d’ailleurs relativement nuancée, puisqu’ils reconnaissent d’un côté que l’offre de Google constitue une avancée intéressante pour l’accès à la connaissance, mais pas à n’importe quel prix. Ils pointent également du doigt les risques en matière de respect de la vie privée, étant donné que Google se retrouvera en possession d’informations très sensibles par les biais des statistiques de consultation des ouvrages (dis-moi ce que tu lis et je te dirais qui tu es !). L’Electronic Frontier Foundation, un groupe de défense en ligne des libertés individuelles vient d’ailleurs d’annoncer son intention d’intervenir auprès du juge pour lui demander d’être particulièrement attentif à la question de la protection des données personnelles.
Nul doute que les quatre mois à venir nous réserverons encore leur lot de rebondissements. Ce sera peut-être l’occasion que se mette en place une réelle alternative aux visées de Google et l’on peut espérer qu’une solution finira par émerger pour faire en sorte que la firme américaine ne soit pas la seule, en vertu d’un accord privé, à pouvoir agir en matière d’œuvres orphelines et d’œuvres épuisées. Dans cette optique, le projet européen ARROW (Accessible Registries of Rights Information and Orphan Works) aura peut-être le temps en quatre mois de faire des progrès significatifs. Avec peut-être à la clé des éléments en faveur des bibliothèques ?
Quatre mois ne seront pas non plus inutiles pour permettre aux professionnels français de l’information d’exprimer un point de vue sur l’accord Google Book Search, car pour l’instant en dehors de quelques prises de positions individuelles, on cherche en vain du côté des associations de bibliothécaires et de documentalistes une position claire sur ce dossier. Et le silence est tout aussi épais du côté des pouvoirs publics français, qui semblent trop absorbés par le dossier Hadopi pour réagir à ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique …
Pour se tenir au courant des évolutions de l’accord Google, je vous recommande d’aller voir du côté de ce biblioblog américain (Disruptive Library Technology Jester) qui fait un travail de veille épatant à ce sujet. Et la New York Law School annonce de son côté qu’elle va mettre en place qu’elle va mettre en place un site internet (The Public Index) spécialement dédié à l’exploration des problématiques soulevées par l’accord Google, avec des documents de référence et un espace de débat collaboratif.
Avec tout ça, on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas …

2 réflexions sur “Accord Google Book Search : quatre mois de plus pour tenter d’y voir clair.”