Liberté d’accès à Internet en bibliothèque : un enjeu en Angleterre également

Alors que jeudi dernier, l’IABD publiait une mise au point sur les obligations légales auxquelles les bibliothèques sont soumises lorsqu’elles donnent accès à Internet à leurs usagers, c’est cette semaine en Angleterre que cette question rebondit.

Les bibliothèques anglaises traversent visiblement une période difficile marquée par une baisse de fréquentations de leurs publics et des coupes importantes dans les budgets qui leur sont accordés. Pour lutter contre cette érosion de la lecture publique, un rapport gouvernemental a avancé un certain nombre de pistes, et notamment celle d’offrir un accès libre et gratuit à Internet dans toutes les bibliothèques anglaises d’ici à 2011.

(Par Jeff Maurone. CC-BY-NC-SA. Source Flickr)

De manière un peu surprenante, le rapport préconise également que les usagers puissent avoir accès aux réseaux sociaux, comme Facebook, à partir des connexions en bibliothèque (ce qui laisserait entendre que ce n’est pas possible – permis ? – actuellement).

Lynne Brindley, directrice de la British Library, a publié dans le Guardian un article « Libraries are crucial to our digital future », dans lequel elle explique pourquoi les bibliothèques peuvent jouer un rôle déterminant en matière d’accès à Internet (je traduis) :

Un grand nombre de personnes peuvent bénéficier d’un accès haut débit à Internet à travers notre réseau de bibliothèques publiques, qui remplit un rôle vital pour favoriser  l’intégration par le biais du numérique et développer chez les usagers, jeunes comme plus âgés, les compétences nécessaires à la navigation sur Internet. Les bibliothèques constituent des lieux sûrs, neutres, publics avec des accès à Internet et des personnels compétents, capables de fournir des informations et des conseils pour accompagner l’usage d’Internet. Elles remplissent aussi une fonction de portail vers une large gamme d’autres services – en particulier en ces temps de difficultés économiques.

Pour parler un peu comme un bibliobsédé ;-), le gouvernement britannique mise sur les fonctions de médiation numérique que les bibliothèques peuvent remplir pour renouveler la place de ces établissements dans la société. Et le rapport présente aussi l’intérêt de coupler l’idée de favoriser l’accès à Internet avec d’autres mesures visant à développer l’attractivité de la bibliothèque physique, comme l’ouverture le dimanche.

Tout cela serait fort beau, si la liberté d’accès à Internet n’était pas sérieusement menacée outre-Manche par le Digital Economy Bill, très important projet de loi en cours de discussion au Parlement britannique, dont le but est d’instaurer de nouvelles formes de régulation de l’internet, notamment pour lutter contre le piratage.

Or l’une des mesures en discussion pourrait conduire à une remise en cause des accès publics Wifi à Internet, jusque dans les universités et dans les bibliothèques. La future loi serait en effet sur le point de mettre en place des obligations si contraignantes en matière de conservation des données de connexion qu’elles ne pourraient être remplies par d’autres que de grosses entreprises spécialisées dans ce secteur d’activités. Voyez ce qu’en dit Cory Doctorow sur BoingBoing :

The Digital Economy Bill in the UK that Cory has written about has a new, horrible portion that could cause many (most?) public hotspots to shut down unless run by companies large enough to handle the recordkeeping requirements. This ZDNet UK article cites legal experts who say that the penalties associated with failure to comply will make small businesses turn off hotspots. Universities and libraries may face huge liability as well.

Encore une fois, les bibliothèques et leurs usagers sont les victimes collatérales de textes liberticides, cherchant avant tout à lutter contre le piratage, quitte à bouleverser le fragile équilibre des responsabilités en ligne.

Et on ne peut pas s’empêcher de penser que les bibliothèques anglaises sont bien mal servies par ce futur Digital Economy Bill. La British Library depuis des années s’est beaucoup impliquée dans la réflexion sur l’adaptation du droit d’auteur à l’environnement numérique. Elle fut ainsi l’une des premières à alerter l’attention sur le problème des oeuvres orphelines par exemple.

Pourtant, si le Digital Economy Bill paraît bien proposer un système pour favoriser la réutilisation des oeuvres orphelines, il ne semble pas que ces dispositions aient pris en compte le cas particulier des bibliothèques et notamment des programmes de numérisation qu’elles peuvent conduire.

Par ailleurs, depuis des années, la British Library est entravée par les lois sur la protection du copyright dans la mise en place d’un système d’archivage du web anglais. Le Digital Economy Bill ne paraît pas s’être intéressé à cette question, ce qui oblige la British Library à tenter de mettre en place par ses propres moyens des solutions, avec les limites que cela comporte.

On ne peut s’empêcher de penser qu’entraver l’accès public à Internet et empêcher la constitution d’une mémoire du numérique sont des façons bien étranges pour une Nation de préparer son avenir...

Les législateurs, en Angleterre, en France et ailleurs, devraient prendre conscience du rôle des bibliothèques dans l’économie numérique et leur donner les moyens de le jouer pleinement. Comme le dit Lynne Brindley dans son article :

Les bibliothèques peuvent contribuer à développer la maîtrise du numérique des publics auxquels elles s’adressent – ces compétences seront vitales pour notre économie numérique […] Nous pouvons favoriser la formation tout au long de la vie, promouvoir une culture du numérique et l’intégration en aidant les millions de personne encore « déconnectés » à accéder aux services en ligne et à l’information qu’ils véhiculent.



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