Verdict dans l’affaire Google Books : une grande leçon de démocratie ?

La nouvelle est tombée hier et elle fera date : après plus de 8 années de procédure d’une incroyable complexité, Google a finalement remporté le procès qui l’opposait à la Guilde des auteurs à propos de son programme géant de numérisation Google Books. Le juge Denny Chin, en charge de l’affaire, lui a donné raison sur la base du fair use (usage équitable), une disposition du droit américain qui permet dans certaines situations de se défendre de l’accusation de contrefaçon en cas d’usage d’oeuvres protégées.

The Google Book. Par Jim Barter. CC-BY. Source : Flickr

La défaite est cinglante pour la Guilde des Auteurs, qui restait seule en lutte contre Google après que les éditeurs américains aient décidé de conclure un accord en 2012 avec le moteur de recherche. Denny Chin a en effet rendu un summary judgment, ce qui signifie qu’il a estimé que la balance penchait tellement en faveur de Google qu’il pouvait recourir à une procédure simplifiée. La fermeté du jugement va rendre hasardeux pour la Guilde des Auteurs le fait de se pourvoir en appel, même si ses responsables ont déjà annoncé qu’ils avaient l’intention de le faire.

De quoi était-il exactement question dans ce jugement ? En mars 2011, le juge Chin avait refusé de valider un Règlement par lequel Google, la Guilde des Auteurs et l’Association des éditeurs américains avaient essayé de mettre fin à leur différend sur une base contractuelle. Ils avaient voulu mettre en place un système complexe qui aurait permis à Google, en contrepartie de 125 millions de dollars,  de commercialiser les livres épuisés numérisés par ses soins, sur la base d’un opt-out (option de retrait laissée aux titulaires de droits pour sortir du système). Chin avait refusé d’entériner cette solution, en estimant qu’elle risquait de conférer à Google un monopole de fait sur la numérisation à but commercial, en particulier pour les oeuvres orphelines faisant partie du corpus.

Google a donc été obligé de revenir à l’intention initiale du projet Google Books, à savoir scanner des ouvrages, y compris sous droits, mais uniquement pour en diffuser de courts extraits (snippets) répondant aux requêtes des utilisateurs. Pour aller plus loin (montrer des portions plus larges, vendre des ouvrages), Google doit passer par des accords volontaires, avec les éditeurs et les auteurs (opt-in).

C’est ce mode de fonctionnement qui était encore considéré comme une violation du copyright par la Guilde des Auteurs, mais sans réussir à convaincre le juge Chin qui a accepté au contraire de considérer que cet usage était légitime et relevait du fair use.  A la lecture, cette décision frappe surtout par sa cohérence et sa très grande qualité d’appréciation, le juge ayant pris la peine de considérer la question dans toutes ses dimensions, et notamment le bénéfice social global qu’un site comme Google Books est en mesure d’apporter en terme de diffusion du savoir et d’accès à la connaissance.

Le contraste est saisissant avec la manière dont les choses se sont passées en France, lorsque la justice a été amenée en 2009 à apprécier la légalité de Google Books, suite à une plainte des titulaires de droits. J’avais consacré une analyse détaillée à cette décision à l’époque, pour montrer les limites du mode de raisonnement du juge français, qui ressortent aujourd’hui de manière encore plus frappante au vu de la décision de son homologue américain.

Au final, si l’on prend un peu de recul, on se rend compte que cette décision, justement parce qu’elle a été rendue sur la base du fair use, va être susceptible de bénéficier à d’autres entreprises, mais surtout aux structures publiques ou à but non-lucratif qui œuvrent également pour la diffusion de la connaissance aux États-Unis : Internet Archive, Hathi Trust, la Digital Public Library of America portée par Robert Darnton, ainsi que l’ensemble des bibliothèques américaines. La France et l’Europe font de leur côté réellement pâles figures, avec notamment un dispositif comme celui de la loi sur les livres indisponibles ou la base ReLIRE de la BnF, qui n’ont réussi qu’à faire bien pire que Google, ou un projet comme Europeana, qui n’a jamais réussi à prendre réellement son envol, en grande partie à cause des restrictions trop fortes imposées par le droit d’auteur en Europe.

Au final, cette décision montre les bénéfices globaux d’une conception beaucoup plus équilibrée que la nôtre du droit d’auteur, mais elle constitue également une grande leçon de démocratie, qui devrait nous inciter à revoir en profondeur la manière dont ces questions sont abordées en France.

Fair Use versus Exceptions au droit d’auteur

La principale différence d’approche entre les États-Unis et la France sur ces questions, c’est la possibilité pour les juges américains de se placer dans le cadre du fair use, plutôt que seulement dans celui des exceptions au droit d’auteur. Devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en 2009, Google est principalement tombé parce que les courts extraits (snippets) qu’il affiche en regard des résultats de recherche n’ont pas été considérés comme des « courtes citations » valables. Or dans la logique du droit français, les exceptions ne correspondent pas à des droits véritables des utilisateurs et elles sont systématiquement interprétées de matière restrictive par les juges.

Le fair use de son côté est très différent. Il fonctionne de manière souple sur la base de quatre critères que le juge examine, en dosant à chaque fois à partir du cas d’espèce qu’il doit apprécier (voir ci-dessous).FairUsePosterLà où le juge français était enfermé pour raisonner dans le cadre de l’exception, Denny Chin a pu prendre en compte des paramètres beaucoup plus larges. Il a ainsi pu considérer que l’usage que Google faisait des textes protégés était « hautement transformatif« , c’est-à-dire qu’il différait substantiellement de celui pour lesquels les livres avaient été conçus à l’origine :

Google Books est transformatif dans le sens où il a transformé le texte des livres en données à des fins de recherche, y compris pour de la fouille de données ou de texte (data mining et text mining), ouvrant ainsi de nouveaux champs à la recherche. Les mots dans les livres ont ainsi pu être utilisés d’une manière complètement différente par rapport à ce qui existait avant. Google a créé quelque chose de nouveau dans la manière d’utiliser le texte des livres, la fréquence des mots et les tendances dans leur utilisation fournissant des informations substantielles.

La manière d’apprécier l’usage des couverture de livres ou des extraits est aussi beaucoup plus fine en droit américain. Là où le juge français apprécie un outil comme Google sur la base du concept dépassé de « courte citation », le juge Chin peut se demander si cet usage innove et concurrence les livres eux-mêmes. Et il aboutit au résultat que non : les vignettes des couvertures de livres ou encore les mots dans les extraits sont vus comme des marqueurs délivrant une information utile pour l’utilisateur, pas comme une façon de « parasiter » les oeuvres initiales :

Google utilise ainsi les mots dans un but différents : les extraits de textes sont utilisés comme des pointeurs conduisant les utilisateurs vers une large sélection de livres.

Au-delà de ces aspects qui permettent au juge américain de prendre en compte l’innovation, le fair use offre également un cadre d’analyse économique qui fait complètement défaut en France. Le juge français est obligé de condamner s’il constate une contrefaçon, sans pouvoir prendre en compte le fait que l’acte a été commis à des fins commerciales ou non. Le juge Chin a pu de son côté se demander dans quelle mesure l’usage fait par Google avait un impact sur le marché potentiel des livres.

Et cette partie de sa réponse constitue sans doute le passage le plus croustillant de toute la décision. Car il conclut que non seulement Google Books n’occasionne pas de pertes économiques pour les titulaires de droits, mais qu’il aide même à augmenter les ventes !

Google Books fait gagner les oeuvres des auteurs en visibilité, bien plus que les moyens de diffusion traditionnels. Par ailleurs, à la fois les bibliothèques et leurs usagers utilisent Google pour identifier des livres à acheter. Beaucoup d’auteurs ont remarqué que la présence en ligne en général, et en particulier sur Google Books, aidait les lecteurs à trouver leurs oeuvres, accroissant ainsi leur audience. De plus, Google fournit des liens efficaces vers des libraires pour faciliter l’achat par le lecteur. A notre époque de commerce électronique, il ne fait aucun doute que Google Books améliorent les ventes de livres.

Une chose importante est également à noter : le juge Chin ne parle à aucun moment de l’opt-out (option de retrait) dans sa décision, que Google laissait aux titulaires de droits. Le fair use permet pleinement selon lui de scanner et de rendre cherchables les livres, sans avoir à permettre aux titulaires de droits de se manifester a postériori pour l’empêcher. Cet usage est couvert par le fair use : il correspond donc pleinement à un droit.

Une prise en compte des bénéfices publics de Google Books

Plus loin dans la décision, le juge Chin a pu élargir encore son approche pour évaluer si Google Books était le vecteur de bénéfices pour la société toute entière. S’il peut le faire, c’est parce que le système du Copyright américain est conçu d’une manière complètement différente du droit d’auteur à la française. Chin rappelle au début de son raisonnement que le véritable but du Copyright est de « promouvoir le progrès des Sciences et des Arts utiles« , comme l’indique la Constitution américaine. Et il cite un certain nombre de précédents qui montrent que pour atteindre ce but, la protection accordée par la loi aux créateurs et la faculté pour le public de faire usage des oeuvres sont toutes les deux utiles. Le progrès est le but ultime du système américain et la protection des auteurs n’est qu’un élément parmi d’autres d’une équation bien plus large.

Sur cette base, Chin peut alors se mettre en quête des bénéfices publics que Google Books rend possibles et la liste qu’il en dresse est impressionnante (cf. ce billet de Kenneth Crew. Je traduis les phrases de Chin) :

  •  « Google Books fournit une manière nouvelle et efficace pour les lecteurs et les chercheurs de trouver des livres » ;
  • « Il rend des dizaines de millions de livres interrogeables par le biais de mots ou de citations » ;
  • « Il fournit un index cherchable reliant chaque mot dans les livres aux ouvrages dans lesquels ils apparaissent » ;
  • « Google Books est devenu un outil de recherche essentiel, qui aide les bibliothécaires à identifier et à trouver les sources pour la recherche » ;
  • « Il rend le prêt entre bibliothèques plus efficace » ;
  • « Il facilite la recherche et la localisation de citations » ;
  • « Google Books étend l’accès aux livres » ;
  • « En particulier, les populations mal desservies peuvent bénéficier d’un accès étendu à la connaissance et à davantage de livres » ;
  • « Google Books a été intégré au système éducatif et son usage est enseigné au cours du cursus en culture de l’information que suivent les étudiants à tous les niveaux » ;
  • « Il favorise grandement la fouille de données et de texte (data mining & text mining) » ;
  • « Google permet à des personnes handicapées de chercher dans les livres et de les lire » ;
  • « Google facilite la recherche pour des bibliothèques mal équipées, pour leurs acquisitions et le prêt entre bibliothèques » ;
  • « Google Books aide à la conservation des livres et leur donne une nouvelle vie » ;
  • « Google Books génère de nouvelles audiences et de nouveaux revenus pour les auteurs et les éditeurs ».

Tous ces éléments d’appréciation, qui sont pourtant fondamentaux à prendre en compte dans la question, un juge français ne peut à aucun moment les faire rentrer dans son raisonnement. C’est pourtant sur cette base que le juge Chin conclut :

De mon point de vue, Google Books offre des bénéfices publics significatifs. Il favorise le progrès des arts et des sciences, tout en s’inscrivant dans le respect des droits des auteurs et d’autres acteurs impliqués dans la création.

Pour arriver à cette conclusion, Chin a pu bénéficier des interventions au cours de la procédure de groupe comme ceux des bibliothécaires américains, de chercheurs en Digital Humanities ou de défenseurs des libertés numériques comme l’EFF, qui ont pu lui apporter des arguments. Et c’est là que je dis que le processus de décision américain est infiniment plus démocratique que le nôtre, car le procès français au TGI n’était qu’un affrontement entre les titulaires de droits et Google, sans aucune prise en compte du point de vue de la société civile.

Une juste appréhension technique du fonctionnement du site

Par ailleurs, une chose qui m’a frappé à la lecture du jugement de Chin, c’est la manière dont il rend compte d’une manière précise et détaillée du fonctionnement de Google Books, notamment quant aux possibilités de recherche et à la façon dont les extraits sont affichés.

Là encore, le contraste avec la justice française est saisissant. J’avais en effet montré dans mon analyse de la décision par laquelle le TGI de Paris a condamné Google Books à quel point son appréhension du site était erronée.

En effet, il faut savoir que le juge français a refusé à Google le bénéfice de l’exception de courte citation, parce qu’il a considéré que l’affichage des extraits sous forme d’entrefilets (snippets) était… aléatoire ! Et donc que de ce fait, Google ne remplissait pas vraiment un but d’information, qui est une des finalité que doit viser la courte citation pour être valable en droit français. Or rien n’est plus faux que de dire que Google marche au hasard : l’affichage des extraits obéit à un algorithme puissant qui renvoie des résultats pertinents en fonction des requêtes. La fonction d’information remplie par Google est indéniable.

Exemple d’entrefilets générés par Google Books en fonction d’une recherche.

Chin a fondé sa décision sur une appréciation technologiquement exacte de Google Books, là où les juges français n’ont tout simplement rien compris à la manière dont le site fonctionnait… Et cette supériorité de la justice américaine ne tient pas du miracle, mais du fait que le processus de décision est plus ouvert et que Chin a pu bénéficier des retours d’expérience de spécialistes de l’information et de chercheurs.

Une décision saine pour l’écosystème global

La logique de la décision américaine me paraît donc infiniment supérieure à celle du juge français. Mais qu’en est-il à présent de son impact global sur l’écosystème de l’édition et d’Internet ? L’affaire Google Books a soulevé la crainte – légitime – que Google utilise la numérisation des livres pour atteindre une position dominante dans ce secteur et renforcer encore la place de son moteur de recherche sur Internet.

Cette question est pour moi le vrai nœud de cette affaire et c’est toujours ce qui m’a guidé dans les positions que j’ai pu prendre. Or de ce point de vue, la décision rendue par Chin sur la base du fair use est infiniment plus « saine » que les versions successives du Règlement que Google a essayé de proposer avec les auteurs et les éditeurs américains.

En effet, le Règlement Google Books aurait eu pour conséquence de donner la possibilité à Google de commercialiser – à titre exclusif – des masses considérables d’oeuvres orphelines contenus dans sa base de données. Car en l’absence de loi spécifique pour surmonter cette difficulté, c’est un contrat qui aurait donné ce pouvoir à Google, et à lui seul. Cette manœuvre avait été dénoncée par plusieurs analystes américains, comme James Grimmelmann et c’est sur cette base essentiellement que le juge Chin a refusé de valider le Règlement.

La décision d’hier est complètement différente. Elle est rendue en effet sur la base du fair use, qui constitue une disposition générale figurant dans la loi américaine. Cela signifie que le jugement de Chin ne va pas profiter seulement à Google, mais aussi potentiellement à d’autres acteurs commerciaux qui voudraient se lancer dans des entreprises similaires. Par ailleurs, le périmètre de cette décision est plus délimité, car elle s’applique à des usages non-commerciaux, qui rendent des services pour la recherche et l’accès à l’information, pas pour la vente des livres scannés.

On me répondra que de toutes façons, Google a  pris une telle avance dans la numérisation qu’aucun concurrent ne pourra investir les sommes colossales nécessaires pour reproduire ce qu’il a réalisé avec Google Books. C’est sans doute vrai, mais l’alternative aux États-Unis ne viendra pas d’acteurs commerciaux, mais plutôt d’un consortium d’acteurs publics et de fondations à but non-lucratif que la décision de Chin va considérablement renforcer.

En effet, des doubles des copies de livres réalisées par Google ont été remises aux bibliothèques partenaires, qui ont pu les rassembler dans un entrepôt central : Hathi Trust. Par ailleurs, un vaste réseau de bibliothèques numériques est en train de voir le jour aux Etats-Unis dans le cadre de la Digital Public Library of America (DPLA), impulsée par Robert Darnton qui a conçu explicitement ce projet comme une réponse non-commerciale aux agissements de Google.

Or si le juge Chin a accordé le bénéfice du fair use à Google, alors a fortiori, il pourra bénéficier à des acteurs non-commerciaux comme les bibliothèques ou la DPLA. C’est déjà ce qui a été tranché en justice l’an dernier lorsque l’Author’s Guild a voulu s’en prendre à Hathi Trust. Mais grâce à Chin, les bibliothèques américaines ou des acteurs comme l’Internet Archive vont pouvoir désormais aller plus loin, notamment en scannant des ouvrages en entier, en les rendant cherchables et en affichant des extraits en fonction des requêtes. La DPLA attendait justement la décision dans l’affaire Google Books pour donner de l’ampleur à son action et il va être très intéressant de voir ce qui va se passer à présent.

Grâce au fair use, la décision de Chin peut avoir un effet bénéfique sur l’écosystème global parce qu’elle favorise grandement la possibilité d’organiser une réponse alternative à Google Books, sur une base non-commerciale.

Pendant ce temps, en France…

La France a consacré beaucoup d’efforts à essayer de « contrer » les agissements de Google ces dernières années en matière de numérisation. Cette volonté a abouti au vote de la loi sur les livres indisponibles du XXème siècle et sur le dispositif de la base ReLIRE gérée par la BnF. Or si on fait la comparaison avec la situation aux États-Unis, on constate que la France a fait en réalité bien pire que Google, en se coupant toute possibilité de mettre en place une réponse alternative fondée sur des bénéfices publics en terme d’innovation ou d’accès à la connaissance.

En effet, la loi sur les indisponibles ne vise aucunement à faciliter l’accès à l’information et à développer des usages innovants de recherche. Son but unique est la recommercialisation en bloc de livres épuisés, sans que des formes d’usage ou d’accès public ne soient prévus. Pour atteindre ce but mercantile, la loi a mis en place ce qu’il y avait de pire dans le projet Google Books, à savoir un opt-out, dans des conditions qui favorisent éhontément les éditeurs par rapport aux auteurs. A tel point que certains d’entre eux sont à présent en train d’essayer de faire annuler la loi devant le Conseil constitutionnel pour violation des Droits de l’Homme ! Chin peut dire que « Google Books favorise le progrès des arts et des sciences, tout en respectant les droits des auteurs« . Nous ne pouvons en France que boire notre honte…

Pire encore, j’ai eu l’occasion de montrer qu’un des buts poursuivis par la loi sur les indisponibles est purement et simplement d’empêcher la mise en oeuvre d’une directive européenne sur les oeuvres orphelines qui aurait pu faciliter leur numérisation et leur mise en ligne par les institutions culturelles. La France s’est donc privée par cette loi d’un moyen essentiel d’organiser une réponse crédible à Google Books sur une base non-commerciale.

Si la France avait réellement voulu instaurer une réponse à Google Books, elle aurait dû commencer par réviser son droit d’auteur pour faciliter les usages publics non-commerciaux en faveur de l’accès à la connaissance. L’Europe aurait pu le faire également, mais là aussi, l’occasion a été lamentablement ratée par la Commission, alors qu’Europeana aurait pu jouer un rôle de locomotive.

***

Ajoutons à cela que la loi sur les indisponibles a été votée dans des conditions qui ne sont pas à l’honneur à la démocratie française, dans une opacité totale et avec des pressions hallucinantes des lobbies. Et vous comprendrez que tout cela mis bout-à-bout me fait dire que nous venons de prendre une grande leçon de démocratie de la part des États-Unis.

La manière dont le gouvernement continue à comporter sur les questions liées à la politique du livre, en faisant fi de l’intérêt général, montre hélas que le cap ne changera que si nous faisons en sorte de ne plus nous laisser confisquer les destinées culturelles de ce pays…


21 réflexions sur “Verdict dans l’affaire Google Books : une grande leçon de démocratie ?

  1. Deux remarques:
    « Le juge français est obligé de condamner s’il constate une contrefaçon, sans pouvoir prendre en compte le fait que l’acte a été commis à des fins commerciales ou non. Le juge Chin a pu de son côté se demander dans quelle mesure l’usage fait par Google avait un impact sur le marché potentiel des livres. »
    On compare dans ce passage deux choses differentes: la finalite et le prejudice eventuel.
    – Le cas du juge francais parle de la non prise en compte de la finalite, commerciale ou non (= point de vue du potentiel « contrefacteur »). Le juge americain n’en a pas tenu compte non plus. C’est hors du cadre tant des exceptions francaises que du « Fair Use » americain.
    – Dans le cas du juge americain, vous parlez du prejudice commercial potentiel (= point de vue de la « victime » potentielle)… ce qui fait partie du « test en trois etapes » que le juge francais doit aussi considerer.
    Ces elements ne constituent donc pas une difference entre les cas francais et americains.

    L’autre remarque concerne la liste « impressionnante » de nouveaux usages permis par Google Books. Elle est effectivement significative, mais il y a plusieurs doublons. :p

    Sinon excellent billet. La difference entre les decisions francaises et US tant dans la forme que dans le fond est flagrante.
    – La procedure US permet a ceux qui sont concernes par l’enjeu global, sans etre directement impliques dans cette affaire particuliere, d’avoir voix au chapitre. Etant donne l’importance des jurisprudences, ca devrait etre un standart international. :\
    – Mais surtout le juge Chin a vraiment cherche a comprendre en profondeur le fonctionnement de Google Books et les enjeux a long terme. Le fait que le « Fair Use » americain est plus souple que le regime francais d’exceptions strictes est egalement un atout important.

    Je n’avais pas entendu parler de cette decision, et je suis heureux de la decouvrir. En particulier la bonne nouvelle que le fondement de cette decision constitue pour d’eventuels services concurrents… non francais, vu l’exemple que nous donnons.

    1. Merci pour cet intéressant commentaire et content si j’ai pu attirer votre attention sur cette décision.

      Vous avez tout à fait raison de parler du test en trois étapes, que j’aurais pu en effet évoquer dans le billet. En théorie, cela pourrait constituer en effet un facteur de rapprochement entre la logique du copyright américain et le droit d’auteur continental. Surtout d’ailleurs si l’on entend le test en trois étapes d’une manière ouverte, comme certains universitaires l’ont proposé de manière très intéressante (voir ce lien).

      Hélas, dans la pratique, je ne partage pas tout à fait votre point de vue. En effet, le test en trois étapes dit que l’exercice des exceptions « ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ». Néanmoins, les juges français n’utilisent pas cette disposition pour procéder à des évaluations pragmatiques et globales des situations qu’ils doivent examiner. On le voit bien d’ailleurs dans la décision de 2009 rendue par le TGI à propos de Google Books, à aucun moment le juge ne se livre à un examen concret des répercussions économiques du site. Il en reste à l’établissement d’une contrefaçon, notamment par le biais de l’exception de courte citation.

      Par ailleurs, il y a même plus grave en France. Le fair use constitue l’expression que les utilisateurs ont des droits positifs à l’usage des oeuvres, qui ont une valeur identique au copyright et que les juges américains cherchent à concilier. Les juges français au contraire ont utilisé le test en trois étapes précisément pour faire en sorte que les exceptions en soient pas des droits, mais seulement des facultés fragiles, dont ils peuvent même décider la suppression totale. C’est ce qui s’est passé dans la funeste décision de la Cour de Cassation, Mullholland Drive, à propos de la copie privée : http://www.maitre-eolas.fr/post/2008/06/25/1016-affaire-mulholland-drive-clap-de-fin

      Donc sur le principe, vous avez tout à fait raison d’attirer l’attention sur le test en trois étapes, car il pourrait être un facteur d’ouverture de notre système à une approche plus compréhensive de l’application du droit d’auteur. Mais dans la pratique hélas, c’est l’inverse qui s’est produit…

      1. C’est mon interpretation, mais j’ai l’impression que si l’idee du test en trois etapes en tres proche des quatre criteres du Fair Use americain, c’est la philosophie sous-jacente qui est differente.
        En particulier, il est surtout vu en France comme un moyen de restreindre les exceptions existantes alors que les Etats-Unis l’utilisent comme un facteur d;ouverture. Alors que le texte semble proche, l’utilisation qui en est faite est radicelement differente.
        Peut-etre que le probleme reside dans la liste – qui se veut exhaustive – d’exceptions au droit d’auteur alors que les Etats-Unis ne listent des cas similaires que comme de simples exemples. Ou juste dans l’idee que le droit d’auteur est vu comme « sacre » en un sens en France, dans un sens presque religieux quand on en ecoute certains.

  2. Mike Cane est moins enthousiaste que la majorité des commentateurs, quant au dénouement de cette affaire, et souligne que le fair use, tel qu’il est défini ou précisé par la jurisprudence états-unienne, profite bien plus, à terme, à Google et aux autres multinationales et groupes d’intérêts qu’il n’enrichit l’expérience ou l’expression des utilisateurs, des commentateurs et des créateurs individuels. http://mikecanex.wordpress.com/2013/11/14/google-won-next/

    1. Cette analyse est assez sommaire, vous en conviendrez, et Mike Cane oublie de mentionner (ou ne voie pas) que cette extension du fair use va profiter également à des projets de numérisation, comme Internet Archive, Hathi Trust, ou la Digital Public Library Of America. C’est à mon sens l’aspect le plus positif de cette décision.

  3. Bonjour, ce post m’a aterré : qu’un juriste fasse la propagande du vol.
    L’indisponibilité comme argument premier au pillage de la propriété intellectuelle, afin de pouvoir passer à la suite des opérations: c’est-à-dire le pillage de la disponibilité comme c’est déjà actuellement le cas?!

    Imaginons que vous soyez consulté pour une affaire (donc professionnellement), votre rapport se trouve numérisé par Google (comment? là n’est pas le problème vu que Google se permet des passe-droits). Vos clients y ont accès et n’ont plus à s’embêter à vous régler, youpi! En bonus il peuvent accéder (grâce aux metadatas/moteur de recherche) aux points spécifiques qui les intéresse, éliminant par là-même le bla-bla juridique et ennuyeux qui accompagne chaque procédure.
    Vous concernant, vous allez arguer d’un contrat passé avec votre client, qui vous dois donc une somme pour le travail accompli . Vous voilà en train de devoir instruire une procédure pour un travail normalement exécuté :)

    Les pseudo-réactions libertaires prônant la liberté d’internet (et sa gratuité) sont hallucinantes. Grâce à Google, les auteurs se verraient gratifiés d’une plus grande visibilité et donc d’un meilleur revenu, simple argument de défense qui n’a hélas aucune réalité :(
    Le jour où ma boulangère me laissera librement (=gratuitement) accéder à ses « baguettes » sous prétexte « que si je les trouve bonnes je lui en achèterai peut-être plus souvent ainsi qu’un gâteau ». Le tout sans certitude qu’un jour je passe à l’achat. Alors je considèrerais comme vous, que le vol d’une production intellectuelle est une liberté qu’il faut défendre, sous l’argument « d’intérêt général ».

    Je trouve navrant de tomber régulièrement sur des post partiaux validant les atteintes aux productions intellectuelles. Je suis auteur et père, je tente d’éduquer mes gamins en leur expliquant que ce n’est pas parce que « c’est disponible sur internet », que Youtube ou Dailymotion diffusent un film que c’est légal pour autant, que ce n’est pas de la piraterie que de le consulter. Des blogs comme le vôtre permettent de justifier leurs actions, en leur donnant bonne conscience et crédibilité concernant leurs actes. J’en suis désolé :(

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