Pour un droit au mashup, mashupons la loi !

Le week-end dernier se tenait au Forum des Images la troisième édition du Mashup Film Festival, qui fut une nouvelle fois l’occasion de découvrir l’incroyable foisonnement de créativité que les pratiques transformatives en ligne favorisent (un aperçu ici). Mais comme ce fut le cas lors les éditions précédentes, le constat était toujours patent d’un décalage énorme entre la rigidité du droit d’auteur et la diversité des pratiques de réutilisation des contenus.

J’avais d’ailleurs eu l’occasion auparavant de produire ce pearltrees, à propos des créations produites par les fans, qui permet de faire un tour détaillé de la question :

Créations par les fans : quels enjeux juridiques ?
Créations par les fans : quels enjeux juridiques ?

Samedi 15 juin, les organisateurs du Festival avaient convié un ensemble d’intervenants pour une Conférence-Manifeste intitulée « Demain, l’art sera libre et généreux« , à laquelle j’ai eu le plaisir de participer pour évoquer ces aspects juridiques. Ce fut l’occasion de débattre, notamment avec André Gunthert, de l’opportunité et de la faisabilité d’une modification du cadre législatif pour sécuriser les pratiques de remix et de mashup.

Il se trouve que cette année, la situation a évolué, et nous sommes peut-être même à la croisée des chemins. Car un évènement nouveau est survenu, avec la sortie du rapport Lescure qui consacre plusieurs de ses recommandations aux pratiques transformatives, en appelant à des réformes :

Le développement des pratiques transformatives illustre à la fois l’apport des technologies numériques à la création culturelle et les difficultés du cadre juridique actuel à appréhender le renouvellement des usages. Ces pratiques, symbole de la vitalité de la création à l’ère numérique, doivent être encouragées et sécurisées, dans un cadre qui respecte les droits des créateurs des œuvres adaptées sans entraver la création d’œuvres dérivées.

La proposition n°69 envisage notamment une modification de l’exception de courte citation :

69. Expertiser, sous l’égide du CSPLA, une extension de l’exception de citation, en ajoutant une finalité « créative ou transformative », dans un cadre non commercial.

Cette proposition constitue une piste tangible et on ne peut nier que le rapport Lescure ait consacré une véritable attention au phénomène du remix et du mashup. Mais je voudrais montrer ici quelle est la marge de manoeuvre réelle qui existe en droit français pour modifier la loi dans un sens favorable aux pratiques.

Pour de nombreux sujets, le cadre des directives européennes et de la Convention de Berne auxquelles la France est soumise, constitue un obstacle qui empêche d’agir au niveau national. Mais il n’en est pas de même en matière de mashup et de remix, pour lesquels on peut envisager des réformes importantes de la loi française, avec un résultat concret à la clé.

Le fait que le rapport Lescure ait émis des recommandations en faveur d’une réforme crée un contexte favorable et une opportunité politique, dont les acteurs de la société civile devraient se saisir pour faire avancer la question. La loi telle qu’elle est rédigée actuellement ne veut pas du mashup, alors mashupons la loi ! Le Canada a déjà réussi l’année dernière à introduire une exception spécifique en faveur du remix et une campagne a été lancée en Allemagne par la Digitale Gesellschaft pour réclamer un droit au mashup.

Un tel changement ne peut à mon sens advenir que s’il est porté largement par la société civile, par les créateurs eux-mêmes et par le public, qui doivent faire entendre leur voix. Il ne faut surtout pas laisser une telle question être instruite seulement au CSPLA, trusté de longue date par les titulaires de droits, comme le préconise le rapport Lescure. C’est aux acteurs directement impliqués dans ces pratiques de s’emparer du sujet et de saisir les parlementaires de propositions concrètes. Les auditions récentes devant la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée ont montré que plusieurs représentants sont sensibles à cette question des usages transformatifs. Il faut passer à l’action si l’on veut que le processus qui conduira à la reconnaissance d’un droit au mashup s’enclenche !

Il y a trois pistes principales qui peuvent être envisagées et je terminerai par une question importante à trancher :

  1. Élargir l’exception de courte citation
  2. Limiter la portée du droit moral
  3. Permettre le contournement des DRM pour la création d’oeuvres transformatives
  4. La question importante de l’usage commercial

1) Élargir l’exception de courte citation

L’exception de courte citation est actuellement rédigée ainsi, à l’article L 122-5 du Code de propriété intellectuelle :

Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :

3° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source :

a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées ;

La manière dont cette exception est formulée en droit français est hautement problématique, car si elle convient à la citation de textes, les juges ont développé une interprétation restrictive qui exclut que l’on puisse « citer » des images ou des oeuvres musicales et n’admet la citation d’oeuvres audiovisuelles que dans des limites très étroites. La Cour de Cassation a d’ailleurs confirmé l’année dernière qu’elle refusait toujours la citation graphique, alors que les juges de première instance essayaient pourtant d’ouvrir une brèche en ce sens.

Par ailleurs, on ne peut faire des citations en droit français qu’en visant certains buts précis : critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information. Or cette restriction téléologique empêche de citer dans un but créatif, ce qui est le propre justement de la pratique du mashup et du remix.

Le Cri de Munch, une photo de Marilyn, une image (le pull rouge) tirée du film “Maman, j’ai raté l’avion !” et une image tirée du film 300. Voilà un exemple d’usage « citationnel » d’images à des fins transformatives et créatives, qui ne peut être actuellement couvert par notre exception de courte citation et qui ne cadre sans doute pas non plus avec l’exception de parodie telle qu’elle est conçue. Le but est précisément d’arriver à ce que des montages de ce type puissent être légaux.

De quelle marge de manoeuvre bénéficions-nous en droit français pour faire évoluer la situation ? La directive européenne de 2001 qui encadre la possibilité d’introduire des exceptions au droit d’auteur évoque en ces termes la citation :

(34) Les États membres devraient avoir la faculté de prévoir certaines exceptions et limitations dans certains cas tels que l’utilisation, à des fins d’enseignement ou de recherche scientifique, au bénéfice d’établissements publics tels que les bibliothèques et les archives, à des fins de compte rendu d’événements d’actualité, pour des citations, à l’usage des personnes handicapées, à des fins de sécurité publique et à des fins de procédures administratives ou judiciaires.

[…]

3. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants:

d) lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une oeuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi;

Vous noterez immédiatement que la directive européenne ne parle à aucun moment de « courte » citation, mais qu’elle porte simplement sur les citations, en ajoutant qu’elles doivent être effectuées « dans la mesure justifiée par le but poursuivi » pour introduire une idée de proportionnalité. Par ailleurs, concernant la finalité, elle indique que les citations peuvent être effectuées « par exemple, à des fins de critique ou de revue ». Le « par exemple » est ici essentiel, car cela signifie que la critique et la revue ne sont citées que de manière indicative et que les Etats sont libres de prévoir d’autres buts.

On arrive donc à la conclusion qu’il est possible de modifier de manière importante l’exception de citation telle qu’elle est prévue en droit français, en supprimant la condition de brièveté et en ajoutant un but créatif ou transformatif, tel que le recommande le rapport Lescure.

Par ailleurs, rien n’indique non plus dans la directive que la citation doive se limiter au texte. Elle peut tout à fait s’appliquer à tous les types d’oeuvres telles qu’elles sont visées par les articles L. 112-1 et L. 112-2 de notre Code de propriété intellectuelle, qui listent tous les types d’oeuvres possibles.

Partant de ces considérations, on arriverait à une reformulation de l’exception qui pourrait prendre la forme suivante :

Les analyses et citations concernant une oeuvre protégée au sens des articles L. 112-1 et L. 112-2 du présent Code, justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique, d’information, créatif ou transformatif de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées et effectuées dans la mesure justifiée par le but poursuivi.

Ces quelques modifications auraient sans doute pour effet de conférer une base légale à un grand nombre de mashup, remix et autres réutilisations créatives et transformatives, basées sur un usage « citationnel » des contenus (ce qui est généralement le cas). Elles s’appliqueraient aussi bien au mashup vidéo qu’au remix de musiques, en passant par les détournements d’images ou de jeux vidéo.

Pour donner un exemple concret, la première journée du Mashup Film Festival s’est conclue par la projection du film Final Cut : Ladies & Gentlemen, du réalisateur hongrois Gyorgi Palfi, constitué par plus de 1500 extraits de films préexistants montés bout à bout pour raconter une histoire.

Tous sont dûment crédités dans le générique de fin et on est bien ici dans le cadre d’un usage créatif ou transformatif. La nature même du projet artistique à l’origine de ce film est d’utiliser uniquement des extraits, aussi l’usage est « justifié par le but poursuivi ». Sur la base de l’exception de citation ci-dessus reformulée, je pense qu’une telle création serait légale.

Toujours sur le terrain des exceptions, il n’est sans doute pas utile de retoucher l’exception de parodie, pastiche, caricature qui existe dans le Code et qui couvre elle aussi un certain nombre de pratiques, complémentaires à celle de l’usage « citationnel » (ou pouvant parfois se recouper).

La vidéo ci-dessous, qui mélange des extraits de Star Wars et d’Ace Ventura, est à mon sens parodique, mais sa légalité en France serait bien mieux assurée si elle pouvait se prévaloir en plus d’une exception de citation élargie aux usages créatifs et transformatifs.

2) Limiter la portée du droit moral

Le droit moral, telle qu’il est conçu de manière quasi absolue en droit français, pose problème vis-à-vis des pratiques transformatives. C’est en particulier le cas pour le droit à l’intégrité de l’oeuvre, comme l’explique l’avocate Ismay Marcay, dans cette interview donnée au Mashup Film Festival :

l’auteur de l’œuvre seconde se doit de respecter le droit moral de l’auteur de l’œuvre première, ce qui par principe pose difficulté dans la mesure où le mash-up implique en lui-même une atteinte à l’intégrité de l’œuvre et sa destination.

Il faut cependant savoir que ce droit à l »intégrité des oeuvres repose très largement sur une construction de la jurisprudence et que la Convention de Berne n’impose nullement aux Etats d’aller jusque là.

Voici ce que dit très exactement le texte de la Convention :

Indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation.

Comme l’explique cette fiche juridique de la SCAM, le droit français va beaucoup plus loin :

Le droit moral est reconnu par la convention de Berne conclue en 1886,à laquelle ont adhéré 152 pays, mais il n’y est pas reconnu avec l’ampleur ni la portée que lui reconnaît le droit français.
D’après ce traité international, l’auteur ne peut notamment revendiquer son droit moral au respect de l’œuvre que dans la mesure où la dénaturation de sa création porte atteinte à son honneur ou à sa réputation, ce qui est beaucoup plus restrictif. Il s’exerce d’ailleurs de cette façon au Royaume Uni et dans les pays scandinaves.

La Convention de Berne permettrait parfaitement de revenir sur cette conception « absolutiste » du droit moral, qui en fait un pouvoir arbitraire de l’auteur sur le contrôle de son oeuvre. Afin d’instaurer un meilleur équilibre avec la liberté d’expression et de création, il serait possible de conditionner l’exercice du droit moral au fait pour l’auteur de pouvoir prouver une atteinte à son honneur ou à sa réputation. Cela aurait pour effet de lui laisser une possibilité d’action en cas d’abus flagrant, mais ouvrirait grandement les usages.

La directive européenne de 2001 ne serait pas non plus un obstacle à une telle réforme puisqu’elle prévoit qu’en matière de droit moral, le cadre de référence est bien la Convention de Berne :

(19) Le droit moral des titulaires de droits sera exercé en conformité avec le droit des États membres et les dispositions de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. Le droit moral reste en dehors du champ d’application de la présente directive.

Le droit à l »intégrité de l’oeuvre ne figure pas en toute lettres dans le Code de propriété intellectuelle (c’est la jurisprudence surtout qui l’a dégagé). Pour introduire une conception modifiée, il conviendrait d’ajouter un article L. 121-10, pour compléter le chapitre 1er, rédigé comme suit :

L’auteur jouit du droit au respect de l’intégrité de son oeuvre. Il peut s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre, dans la mesure où elles sont préjudiciables à son honneur ou à sa réputation.

Un très grand nombre de mashup et de remix, notamment tous ceux qui sont réalisés en hommage à une oeuvre, gagneraient ainsi une base légale et le droit moral serait ramené à une conception plus raisonnable et équilibrée. Par exemple, ce mashup réalisé en hommage à Bruce Lee à l’occasion des 40 ans de sa disparition ne froisse en aucune façon l’honneur ou la réputation des auteurs des films réutilisés :

Mais l’auteur aurait toujours la possibilité d’agir lorsqu’un usage serait susceptible de lui causer un réel préjudice en terme d’honneur et de réputation, comme par exemple une reprise qui laisserait entendre qu’il soutient une cause ou des idées politiques.

3) Permettre le contournement des DRM pour la création d’oeuvres transformatives

L’un des participants du Mashup Festival Film confessait qu’il lui était aujourd’hui à l’heure du numérique presque plus difficile de faire des mashups à cause de la prolifération des verrous et des marquages qui prolifèrent sur les images.

L’année dernière, il s’est pourtant produit quelque chose d’important aux Etats-Unis. Les défenseurs des usages transformatifs ont obtenu ce que l’on appelle là-bas une exemption DMCA qui autorise à contourner légalement un DRM sur un DVD, si le but de la manoeuvre est d’intégrer des extraits d’une oeuvre dans un mashup ou un remix, à la condition qu’il soit diffusé à des fins non commerciales.

Il devrait en être de même en France, car les DRM ne devraient avoir jamais pour effet d’empêcher l’exercice légitime d’une exception au droit d’auteur. On pourrait pour ce faire agir sur l’article L. 331-6 du Code de propriété intellectuelle, par l’ajout d’une disposition similaire à celle qui existe aux Etats-Unis. Ce qui pourrait donner :

Ne constitue pas une violation de l’article L. 331-5 le fait de contourner une mesure technique de protection dans le but de bénéficier de l’exception de citation à des fins créatives ou transformatives, dans le respect des conditions fixées à l’article L. 122-5 du présent Code.

Vos commentaires sont bienvenus sur cette question !

4) La question importante de l’usage commercial

La grande question que soulève un tel projet de réforme réside dans le point de savoir si l’on doit étendre le périmètre de l’exception reformulée aux pratiques transformatives exercées dans un cadre marchand.

L’exception de courte citation telle qu’elle existe actuellement s’applique en effet tout à fait aux usages marchands (exemple : citation d’extraits de textes dans un livre ou un article publiés et vendus). Et l’exception de parodie, pastiche ou caricature n’est pas limitée elle-non plus aux usages non-commerciaux.

Néanmoins, il faut avoir conscience que l’introduction d’exceptions par les États est limitée par le mécanisme du test en trois étapes, qui prévoit que les exceptions « ne peuvent porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur« . C’est la raison pour laquelle le rapport Lescure préconise de limiter l’ouverture de l’exception de citation qu’aux seuls usages non commerciaux. C’est aussi le choix qui a été fait au Canada l’année dernière lorsqu’une exception spécifique en faveur du remix a été introduite :

Toutefois, afin de prévenir les risques d’abus, de protéger les intérêts de l’auteur de l’œuvre originelle, et de respecter le test en trois étapes de la convention de Berne, la citation à finalité créative pourrait être restreinte aux pratiques non commerciales (c’est-à-dire aux œuvres transformatives dont la diffusion ne procure à leurs auteurs aucun revenu direct ou indirect). Les usages commerciaux, par exemple la diffusion des contenus transformatifs sur une plateforme moyennant partage de recette publicitaires, ne seraient pas couverts par l’exception ; ils pourraient toutefois être autorisés au titre des accords conclus entre les plateformes et les ayants droit.

Ces « accords concluent entre les plateformes et les ayants droit » renvoient à ceux qui existent entre Youtube ou Dailymotion et plusieurs sociétés de gestion collective comme la SACEM afin de permettre un partage des recettes publicitaires.

Si l’on estime qu’il faut limiter l’exception en faveur du remix et du mashup aux usages non-commerciaux, on pourrait pour cette reformulation de l’exception de citation :

Les analyses et citations concernant une oeuvre protégée au sens des articles L. 112-1 et L. 112-2 du présent Code, effectuées dans la mesure justifiée par le but poursuivi et justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique, d’information ou, lorsqu’elles ne donnent lieu à aucune exploration commerciale,  créatif ou transformatif de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées.

Sur ce point, il me semble cependant qu’un débat doit avoir lieu. Qu’en pensez-vous ? Faut-il ou non élargir l’exception en faveur du remix aux usages commerciaux ou bien la limiter à la sphère non-marchande ?

***

Ce billet ne vise qu’à ébaucher des pistes et à montrer l’étendue réelle de ce que l’on peut faire dans le cadre du droit français, sans attendre un hypothétique changement du droit européen. Il est clair que la question des usages transformatifs est directement liée à celle de la reconnaissance des échanges non marchands, mais elle s’en distingue à mon sens suffisamment pour pouvoir faire l’objet d’une action séparée et immédiate.

Alexis de Tocqueville a dit : « La politique est l’art du moment opportun ». Pour consacrer un droit au mashup et au remix en France, le moment opportun d’agir est certainement venu, après tant d’années à avoir dû subir en serrant les dents la prohibition culturelle qui frappe ces pratiques légitimes !

Si nous ne le faisons pas, personne d’autre ne le fera à notre place !


28 réflexions sur “Pour un droit au mashup, mashupons la loi !

  1. Merci Lionel, mais je ne vois pas pourquoi on ne l’étendrait pas au cadre marchand (ce serait peut-être pire d’ailleurs de le limiter au cadre non marchand) ! Pourquoi ne pourrait-on pas faire un usage commercial d’un détournement ou remix ? c’est ce que fond toutes les plateformes en générant de la publicité sur les contenus de ce type qui vont dans leur poches et plus rarement dans les poches de ceux qui ont produit le remix. La possibilité pour l’auteur original (celui qui est remixé) de percevoir quelque chose ne pourra se décider que si l’emprunt du remixeur est trop fort, donc, comme c’est la plupart du temps le cas, devant les tribunaux. Le droit au mashup doit libérer la créativité aujourd’hui empêchée. Dès qu’elle va se déplacer sur certains volumes, elle va générer, comme aujourd’hui, des confrontations pécuniaires…

    1. Merci pour ces remarques. Cette question de l’extension à l’usage commercial est à vrai dire très épineuse. Notamment à cause du fameux test en trois étapes qui limite le périmètre des exceptions au droit d’auteur. Ensuite, si on admet l’usage commercial des mashup et remix, il paraît difficile de ne pas envisager de rémunération pour le ou les créateurs de l’oeuvre détournée. Et là, on rentre dans des considérations extrêmement complexes de partage de la valeur.

      C’est pourquoi il me semble que limiter l’exception de citation élargie à des buts créatifs et transformatifs aux usages non-commerciaux serait sans doute infiniment plus simple dans un premier temps, et cela couvrirait quand même l’immense majorité des productions amateurs.

      Pour les usages commerciaux, on serait renvoyé vers des mécanismes contractuels, comme il en existe sur Youtube ou Dailymotion, ou comme Amazon vient d’en mettre en place pour les fanfictions. Après tout, cela aurait une certaine logique.

      J’avoue que sur ce point, il faut continuer à creuser et peser le pour et le contre, pour arrêter une position.

      1. Je suis entièrement d’accord avec Hubert. Ca me semble une mauvaise idée de restreindre le droit de citation pour un usage transformatif ou créatif aux seuls usages non marchands. Elargir le droit de citation aux oeuvres non textuelles serait une très bonne chose puisqu’elle permettrait enfin de réaliser de véritable critiques artistiques pour des oeuvres non citables pour le moment. Je pense notamment aux auteurs d’oeuvres graphiques ou plastiques qui profitent du droit d’auteur pour censurer toutes les critiques négatives (ne leur plaisant donc pas, en général), celles-ci ne pouvant faire appel à une illustration de l’oeuvre qu’elle traitent, ellles perdent beaucoup d’intérêt.

        Réduire une telle citation à la sphère non-marchande, c’est priver de cette nouvelle possibilité de critiquer dans des médias professionnels et marchands. Il est légitime pour un critique professionnel de publier dans une revue commerciale. Devrait-on se limiter à des critiques illustrées rédigées uniquement par des amateurs.

        Ce que je ne comprends pas du tout, Calimaq, c’est pourquoi tu te fais plus royaliste que le roi en précisant que le test en trois étapes ferait barrage à l’apparition d’une citation à visée créative ou transformative. Je tiens à rappeler que le test en trois étapes s’applique déjà à l’ensemble des exceptions de l’article L122-5 CPI, c’est-à-dire entre autres aux citations polémiques, informatives, critiques etc. mais également aux pastiches et parodies qui ne sont elles pas soumises à l’obligation de simple « citation ».

        Je ne vois pas en quoi le test en trois étapes entraverait moins l’usage de certaines citations dans un cadre commercial (celles du L122-5 al. 3° a. Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées) que de nouvelles citations à but créatif ou transformatif.

        Si les citations « classiques » et les « parodies / pastiches » sont autorisées pour un usage marchand, je ne vois aucune objection à ce que les « nouvelles » citations soient aussi autorisées.

        Encore une fois, je plussoie à ce que dit Hubert : si les ayants-droits jugent que le test en trois étapes n’est pas respecté, ils n’ont qu’à engager une procédure pour qu’un juge leur donne ou non raison a posteriori.

        Sincèrement, restreindre des citations à un usage non-marchand relèverait à mon sens de l’auto-censure. Ou plutôt -oserais-je dire le mot ?- du DRM mental.

        1. La question se pose pourtant vraiment et je pense que l’usage de la courte citation textuelle, telle qu’elle se pratique actuellement sera différent d’une citation élargie à but créatif ou transformatif.

          Si l’exception est élargie aux usages à des fins commerciales, la question se posera immanquablement de savoir s’il faut organiser une rémunération au profit des titulaires de droits et ce sera terriblement complexe.

          A titre personnel, je pense comme toi que l’exception de citation élargie devrait être étendue aux usages commerciaux, mais je me dis que l’enjeu réel se situe au niveau des pratiques amateurs, qui pour leur immense majorité, sont des usages non marchands.

          Pour les usages commerciaux, ne vaut-il mieux pas en définitive que des mécanismes contractuels prennent le relai, comme sur Youtube ou sur Amazon Worlds, par exemple ? Cela permettrait aussi la coexistence de deux sphères, organisées sur des bases différentes.

          La question est aussi éminemment tactique : politiquement, faire passer une exception pour les usages non commerciaux sera déjà très difficile sans doute. L’étendre aux usages commerciaux, n’est-ce pas se condamner à l’échec ? ne faut-il pas voir les choses progressivement en deux étapes ?

          Et cela aurait aussi l’avantage de préparer la légalisation des échanges non-marchands.

          Bref, je m’interroge.

          1. En fait, je pense qu’on ne prends pas le problème par le bon bout. Nous avons d’un côté le droit à la citation (courte ou non) « à caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées » et de l’autre les citations à but créatif ou transformatif.
            Peut-être ne dervais-je pas considérer que les secondes sont solubles dans les premières. C’est sur cette différence de régime juridique entre ces deux types de citations que tu fondes la restriction de la citation créative ou transformative au seul usage non commercial.

            Je dois reconnaître que l’autorisation de l’usage commercial de la citation d’une oeuvre graphique, notamment graphique, plastique ou audiovisuelle poseraient des problèmes non négligeables politiquement mais aussi moralement et économiquement. Cela ouvrirait la porte à du parasitisme de grande envergure en permettant par exemple à des firmes d’utiliser des oeuvres sonores dans des publicités pour leurs produits, des séries télévisées, des films commerciaux sans requérir l’autorisation des ayants-droits (je doute que le droit moral puisse vraiment faire barrage à ce type de pratique).

            Pour autant, j’envisage une autre hypothèse que ta proposition de créer une citation à but créatif ou transformatif qui a le défaut selon moi d’instaurer un régime de « deux poids, deux mesures ».
            Une citation, qu’elle soit partielle ou intégrale d’une oeuvre constitue toujours une « reproduction » de l’oeuvre (a fortiori si elle est intégrale). Elle pourrait donc bénéficier de l’hypothétique légalisation du « partage non-marchand ». En légalisant celui-ci, ou plutôt en permettant « la reproduction partielle ou intégrale des oeuvres et leur diffusion hors commerce », les citations à but créatif ou transformatif des oeuvres se retrouveraient automatiquement autorisées. Une telle solution permettrait d’éviter de créer une nouvelle exception particulière et de complexifier le droit.

            Le mieux serait en fait d’élargir la légalisation du « partage non marchand » (cette expression me gêne car elle semble surtout s’appliquer à la reproduction et à la représentation) à l’ENSEMBLE des droits patrimoniaux d’exploitation de l’oeuvre : traduction, adaptation, citation, transformation, arrangement…

            Techniquement, je crois qu’il « suffirait » de modifier l’article L122-4 CPI (http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=C359432559BAC51E298C392253B12E6E.tpdjo09v_1?idArticle=LEGIARTI000006278911&cidTexte=LEGITEXT000006069414&dateTexte=vig) pour préciser que l’illicéité ne frappe ces actions que si elles sont réalisées dans un cadre commercial. Reste à voir ensuite si une telle modification peut se faire dans le cadre des directives européennes et des conventions internationales…

            1. Sur le fond, tu as raison. Il serait plus simple et plus cohérent d’inclure les usages transformatifs dans les échanges non-marchands et de les légaliser sur la même base. Dans les propositions de la Quadrature, le partage non marchand est légalisé sur la base de l’épuisement des droits, ce qui est le moyen le plus « sain » d’opérer la réforme, car cela évite de multiplier les exceptions et fait sortir les usages de l’orbite du droit d’auteur.

              Le problème, c’est que dans la séquence politique qui s’ouvre, il est plus probable à mon sens d’arriver à adapter la courte citation pour lui faire englober les usages transformatifs que de faire passer une légalisation des échanges non marchands.

              Si on renonce à l’exception, ce n’est qu’au niveau européen que l’on peut obtenir une évolution positive en faveur du remix.

              Ce qui signifie devoir attendre de longues années…

              Cruel dilemme…

  2. Je ne sais pas. Le fan fiction tel que négocié par Amazon, n’a pas grand chose à voir avec du remix ? Si on exclu le côté commercial, alors même mettre une vidéo d’un remix de la Chute sur YouTube est impossible par exemple…

    1. Les fanfictions constituent également des oeuvres dérivées, mais il ne s’agit pas d’un usage « citationnel ». Je pense que chez nous, cela rentre davatange dans la catégorie du pastiche, qui est couvert par une autre exception (avec quand même des incertitudes sur l’application aux fanfictions).

      Sinon, poster un remix de la Chute sur Youtube ne serait pas possible en cas de limitation à l’usage commercial, mais seulement si l’utilisateur souhaite mettre des pubs. S’ils ne veut pas en mettre, cela reste pour moi un usage non-commercial.

      Et s’il veut monétiser sa vidéo sur youtube, ce sont alors les accords signés avec les sociétés de gestion collective qui prennent le relai, par rapport à l’exception.

  3. Concernant le contournement de DRM, pourquoi proposer d’ouvrir une exception pour la seule exception de citation? Ne serait-il pas plus normal de poser une telle exception pour tout usage correspondant a un droit ou une exception au droit d’auteur? Je pense evidemment a la copie privee dans ce cas. Elle fait peut-etre deja l’objet d’une exception dans un texte separe, mais il serait alors tres utile de tout reunir sous le meme paragraphe. (La loi est deja assez labyrinthique, inutile d’en rajouter.) Et si ce n’est pas le cas, alors cette possibilite est importante.

    1. J’allais poster un commentaire similaire lorsque j’ai lu le votre qui m’enlève littéralement les mots des doigts.

      @Calimaq
      Je pense que ce serait une erreur de limiter l’absence de DRM aux seuls usages créatifs et transformatifs. Cela créerait une sorte de hiérarchie entre les différents types de citations, certains pouvant justifier le contournement des DRM (création, transformation) et pas d’autres (copie privée). Pourquoi diable seules certaines citations seraient épargnés par ce poison qu’est le DRM ?

      Je serai plutôt pour remplacer :
      « Ne constitue pas une violation de l’article L. 331-5 le fait de contourner une mesure technique de protection dans le but de bénéficier de l’exception de citation à des fins créatives ou transformatives, dans le respect des conditions fixées à l’article L. 122-5 du présent Code. »
      par
      « Ne constitue pas une violation de l’article L. 331-5 le fait de contourner une mesure technique de protection dans le but de bénéficier des exceptions définies à l’article L. 122-5 du présent Code dans le respect des conditions fixées par ce même article ».

      A défaut de consacrer les exceptions du L122-5 en véritables droits, cela neutraliserait les effets négatifs de l’arrêt Mulholland Drive.

  4. Bonjour,

    À la lecture de cet article (très intéressant, merci beaucoup) et de celui-ci: http://varnull.adityamukerjee.net/post/59684564818/why-youve-never-read-i-have-a-dream (TL;DR: l’article explique que, malgré sa célébrité, il est probable que peu de gens aient lu ou vu « I have a dream » dans son intégralité, pour des raisons de copyright), une question m’est venue à l’esprit.
    Imaginons que je tienne un blog, un wiki ou quelque chose du même ordre. Imaginons ensuite que je décide de publier une série d’articles en incluant dans chacun d’entre eux une citation du discours « I have a dream », exerçant ainsi l’exception de citation. Pour finir, admettons que je publie suffisamment pour que, de citation en citation, soit présente de façon ainsi éclatée l’intégralité du discours.
    Serais-je dans ce cas encore dans les limites du cadre légal ou seraient-elles franchies ? (si on estime que « l’oeuvre » est le blog plutôt que chaque article à titre individue,l de façon à faire exploser le quota relatif à l’exception de citation, ce qui est défendable, il est possible de changer le cadre de la question pour, par exemple, une série de fichiers epub, chacun étant déposé comme une nouvelle sous CC0 )
    Autre cas, imaginons que de nombreux utilisateurs d’un service de micro-blogging, tel que twitter, citent le texte, encore une fois de façon à ce qu’il soit ainsi, sous forme éclatée, présent dans son intégralité sur le service. Cette fois, ce n’est plus un seul individu qui frôle la limite, mais de nombreux individus qui sont tous dans leur droit d’exception de citation, non ?
    Maintenant, si ces citations sont accompagnées d’un hashtag et d’une clef permettant à un javascripteur de coder un petit soft qui, en présentant tous ces tweets individuels dans le bon ordre, recompose le texte original, sous forme donc d’une liste de citations d’individus qui citent le discours.
    Est-ce que quelqu’un, dans un tel cas, enfreint la loi ?

    Ça peut paraître tordu, mais je m’interroge.

    Au plaisir de vous lire.

    1. Bonjour,

      Questions intéressantes que vous soulevez là, mais assez redoutablement complexes.

      Disons que les juges français, outre le caractère bref, estiment que les citations doivent être incorporées dans une oeuvre « citante ». En gros, on n’a pas le droit en France de citer pour citer. Il faut citer pour illustrer un propos. Et en plus, il faut viser directement certaines fins : scientifiques, polémiques, critiques, pédagogiques ou d’information.

      Donc pour le blog ou le wiki, je dirais que cela peut peut-être passer à condition de biens respecter ces conditions, mais les titulaires de droits sont vigilants à ce que l’usage des exceptions ne servent pas de manière détournée à reconstituer des oeuvres entières. C’est un reproche qu’ils font par exemple aux extraits de Google Books et à l’usage de l’exception pédagogique : http://www.actualitte.com/programmes/exception-pedagogique-et-numerique-prevenir-le-pillage-de-ressources-41351.htm. S’ils arrivaient à établir une intention de reconstituer l’oeuvre en entier, je pense que les juges sanctionneraient.

      Pour les tweets, la question de l’articilation avec la courte citation est très problématique en soi. Comme je l’ai dit, on n’a pas le droit de citer pour citer en droit français. Il faut incorporer dans une oeuvre citante et viser certains buts. Un tweet en soi n’est à mon sens pas assimilable à une oeuvre citante et on aura bien du mal à viser un but scientifique, critique, pédagogique, polémique ou d’information. Donc citer par tweet est en soi périlleux.

      La question s’est d’ailleurs déjà posée à propos d’Ulysse de Joyce, qui a fait l’objet de campagnes de tweets lors du Bloomsday en 2011 et cela avait fait grincer les dents des ayants droit http://11ysses.wordpress.com/

      Il y a déjà eu des menaces aussi aux Etats-Unis à propos d’un tweet reprenant un passage d’un poème http://boingboing.net/2013/02/14/crazy-copyright-enforcement-tw.html

      En France des questions s’étaient aussi posées à propos du fait de Twitter des vannes d’humoristes : http://www.lesinrocks.com/2011/08/19/actualite/le-droit-dauteur-sarrete-t-il-a-la-porte-de-twitter-1110798/

      Bref, pas sûr que cela fonctionne.

      Pour ne savoir plus sur les rapports entre Twitter et le droit d’auteur, je peux vous renvoyer à cet article que j’avais écrit en 2009 : https://scinfolex.wordpress.com/2009/06/14/twitter-et-le-droit-dauteur-vers-un-copyright-2-0/

      Merci pour ces intéressantes questions,

      Lionel

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