13 réflexions sur “Mettre en partage une marque : la Wikimedia Foundation montre que c’est possible

  1. Même si on fait toujours plus de publicité sur ce qu’on reproche que sur ce qu’on apprécie, le dépôt de la marque Parti Pirate n’avait pas pour but de créer un monopole sur ladite marque, comme certains ont cru que c’était l’intention. Le but originel a toujours été d’empêcher que l’on nous nuise en reprenant le terme pirate, sachant que la nuisance n’inclut pas le fork, mais bel et bien la contrefaçon (à des fins politiques ou non). Des distinctions qui ont été formalisées au cours de l’été 2013 dans notre charte d’utilisation de la marque pirate :
    http://wiki.partipirate.org/wiki/R%C3%A9glement_Interieur#Annexe_2_-_Charte_d.27utilisation_de_la_marque_Parti_Pirate
    Au vu du travail effectué par wikimedia, force est de reconnaître que leur charte de partage est plus lisible, et si les échéances électorales nous en laissent le temps, nous pourrions bien essayer de l’adapter à nos propres besoins. Mais de grâce, arrêtons de dire que nous nous contredisons, nous avons aussitôt détourné l’usage du droit des marques au profit de tous.

    1. Si le but était d’abord d’éviter qu’on vous nuise, alors vous n’êtes pas dans une démarche de mise en partage.

      Il y a certes des distinctions dans la charte du Parti Pirate, mais elles tournent toutes autour de la notion d’usurpation, ce qui me paraît très éloigné d’une marque « centrée sur la communauté pour une coopération ouverte ».

      C’est dommage, car certaines propositions avaient été faites lors du débat autour de cette marque du Parti Pirate, notamment par Slim Amamou http://pad.tn/p/ppfridentite ou par @Zestryon http://forum.partipirate.org/discussions/marque-parti-pirate-deposee-inpi-t10767-30.html#p93816

      Ce serait en effet une bonne chose de reprendre ce travail sur la marque pour aller vers quelque chose de moins défensif et de plus centré sur la permission.

      En l’état, je ne pense vraiment pas que vous puissiez prétendre avoir « hacké » le droit des marques, sauf à galvauder le sens de ce mot.

  2. Merci pour cet excellent billet!

    Le droit des marques reste en effet encore un « impensé » de la culture libre (un peu de la même manière que les données il y a encore quelques années, avant le développement de l’ODbL et des CC 4.0). Et pourtant, il ne cesse de gagner en importance y compris dans le champ de la création culturelle : il couvre désormais aussi bien les personnages littéraires/cinématographiques (James Bond notamment) que les thèmes musicaux (le droit européen semble notamment s’être assoupli pour les intégrer en 2005).

    Il n’est pas exclu que le droit des marques s’impose comme le principal paradigme de la propriété intellectuelle au XXIe siècle : il présente, pour les industries culturelles, l’insigne avantage d’être quasi-éternel. On ne pourra pas faire l’économie d’une adaptation des licences libre à ce cadre légal particulier.

    1. Oui, tu as parfaitement raison. J’avais été saisi par exemple par ce billet de l’avocat Emmanuel Pierrat, réagissant à la récente décision de justice rendue dans l’affaire Sherlock Holmes. Il dit ouvertement qu’il trouve intéressant de déposer une marque sur un personnage pour faire en sorte qu’une oeuvre n’entre pas dans le domaine public : http://www.livreshebdo.fr/article/le-droit-des-personnages-pas-si-elementaire

      « Cette technique se révèle avantageuse dans les cas où le personnage risque de tomber dans le domaine public. Le droit des marques possède en effet l’immense intérêt d’assurer une protection éternelle, sans risque de domaine public, si les dépôts sont renouvelés en temps et en heure. »

      Et il va même jusqu’à donner un modèle de clause pour les éditeurs, afin de se faire céder ce droit des marques par contrat auprès des auteurs !

      Plus largement, je pense comme toi que cette question du droit des marques est importante pour la Culture libre, et notamment pour les plus gros projets. Michel Bauwens indique que l’on retrouve souvent la même structure dans les grands projets de libre : une communauté de contributeurs, qui s’appuie sur une organisation constituée sous la forme d’une fondation dont le but est d’assurer le maintien des infrastructures essentielles afin que le projet se maintiennent dans le temps. Bauwens parle de structures « for benefit » (pour les opposer aux structures « for profit ») et il pense que c’est une forme essentielle pour le développement de biens communs. On retrouve ce schamé chez Wikimedia, Open Street Map, Mozilla et plusieurs logiciels libres.

      Mais ces structures « for benefit » ont bien entendu des intérêts qui peuvent ne pas être exactement ceux de ou des communautés qui contribuent et utilisent la ressource. Or c’est souvent à travers la politique de marqu que la structure porteuse peut exprimer ses intérêts propres, et prafois entrer en tension avec sa communauté. Cela marque le retour d’une logique « propriétaire » dans une démarche globale de culture libre. C’est pourquoi il me semble que la nouvelle politique de Wikimedia est vraiment intéressante pour tous les biens communs qui s’appuient sur des structures de type fondations, car elle permet de concilier la protection nécessaire pour la structure avec une ouverte au bénéfice de la communauté, qui pourra elle-aussi utiliser la marque, la faire vivre, mais aussi la mettre au service de ses propres initiatives.

      Cela n’a l’air de rien, mais je pense que c’est loin d’être anodin en termes de gouvernance.

  3. Le droit des marques peut parfois avoir quelques avantages tout de même. Un exemple : pas plus tard qu’hier, la communauté francophone de Wikipédia s’est aperçu qu’une entreprise de fabrication de pneus utilisait le nom « Wikipedia » pour qu’un bandeau de publicité renvoyant vers son site web apparaisse à chaque recherche Google sur le terme « Wikipedia ». Affaire transmise à la Wikimedia Foundation ; le bandeau publicitaire n’est aujourd’hui plus présent.

    Dans la majorité des cas, le droit des marques présente de nombreux abus (comme beaucoup d’aspects de la « propriété intellectuelle »), mais elle peut aussi permettre de combattre des comportements immoraux qui raisonnent pour des motifs purement financiers.

    1. Je ne nie pas qu’il n’y ait dans le droit des marques certains aspects légitimes et utiles, aussi bien pour les créateurs que pour le public. La question est de savoir pourquoi le droit des marques dégénère si souvent en usage abusif et en « trolleries ». Peut-être justement qu’un dispositif de marques repensé à travers l’exemple des Creative Commons pourrait aider à ouvrir une nouvelle voie. C’est ce que j’essaie de penser.

      Mais plus profondément, on peut penser que le problème central du droit des marques est d’avoir été raccroché au concept fallacieux de « propriété intellectuelle ».

      Cory Doctorow l’explique dans un article intitulé « Marques déposées : le bon, la brute et le truand ». Il explique en effet que le droit des marques correspond avant tout à un droit du public à ne pas être trompé, avant d’être une « propriété » attribuée à un acteur :

      Les marques déposées sont faites pour protéger le public afin qu’il ne soit pas trompé. Elles sont des « appellations d’origine ». Si vous achetez une canette de soda avec le mot Pepsi sur le côté, vous êtes en droit de vous attendre à une canette de Pepsi et non à une canette d’acide de batterie […]

      […] c’est là l’origine du problème. Inévitablement, les détenteurs d’une marque déposée se considèrent comme les propriétaires de cette marque. Ils ne font pas respecter leur droit pour protéger le public, ils le font pour protéger leurs profits, qui sont leur projet […]

      Les avocats spécialisés en droit des marques ont convaincu leurs clients qu’ils doivent payer afin d’envoyer une mise en garde menaçante à toute personne qui utiliserait une marque sans autorisation, même dans le cas où il n’y aurait pas de confusion possible. Ils envoient des cargaisons de lettres aux journalistes, responsables de sites web, fabricants de panneaux, éditeurs de dictionnaires (quiconque pourrait utiliser leur marque de façon à affaiblir l’association mentale que fait le public). Pourtant, l’affaiblissement d’une association automatique n’est pas illégal, quoi qu’en disent les doctrines, de plus en plus nombreuses, telles que la « dilution » ou la « licence nue ».

      Cette manière d’approcher les marques me paraît très intéressante. Elle ouvre sans doute la voie à une refondation possible de cette branche du droit, en la débarrassant de cet emballage illusoire de propriété, sans pour autant perdre sa fonction protectrice légitime.

      1. Ceci me rappelle une autre affaire qu’on a eu il y a quelques temps sur Wikipédia qui illustre assez bien le fait que « les détenteurs d’une marque déposée se considèrent comme les propriétaires de cette marque ». Nous avions eu en effet une personne prétend être détentrice d’une marque de poupée très connues dont la commercialisation (et l’existence de son entreprise) date du XIXe siècle. La personne en question avait, selon ses propres termes, ressuscité l’aventure et avait fait un dépôt à l’INPI (sachant qu’elle admettait sur son propre site ne faire que copier les originales). N’ayant au passage rien compris au principe de WP, elle considérait avoir tout droit de modification de l’article sur une marque de poupée qui ne pouvait lui appartenir, puisque antérieure à son propre dépôt, et était partie dans un délire juridique assez cocasse (je te laisse lire la PdD de l’article en lien, c’est à mourir de rire).

        Cela montre que non seulement les gens qui sont détenteurs d’une marque s’en considèrent propriétaires, mais aussi qu’il y a des opportunistes qui essayent de faire leur blé sur des marques qui n’existent plus. Dans tout ce qui touche de près ou de loin à cette notion fallacieuse qu’est la propriété intellectuelle, il y a des monarques absolus qui s’imaginent maître d’une chose qui n’a ni maître, ni protecteur. Par ailleurs, si la propriété intellectuelle ne permettait pas à une minorité de personne d’engranger des milliers par le biais d’une production intellectuelle, je pense que cette notion aurait été abandonnée depuis longtemps.

  4. Une petite réflexion qui m’est venue comme cela, ne pourrait-on pas revoir le droit des marques selon une philosophie qui s’applique aux AOP ? Comme l’indique Cory Doctorow dans votre réponse ci-dessous, être uniquement un moyen de certification de qualité ?

    Après tout, qui pourrait y perdre beaucoup à revoir le droit des marques de cette manière ? Les avocats ou les détenteurs de marques ? Il est surtout très dommageable que toute action dans notre bas monde doive se référer systématiquement à la divinité toute-puissante argent. De mon point de vue, la réforme de la notion de la propriété intellectuelle ne sera possible que lorsque la société changera son rapport à l’argent et le jour où tous les citoyens auront compris que le monde ne tourne pas uniquement en fonction du plaisir individuel.

  5. Bonjour Calimaq,
    Et merci pour cette excellente série de billets que j’ai pris le temps de lire en long et en large au sujet des marques.

    – intéressé par le sujet, j’ai essayé de suivre le lien vers le Labolex sur les marques collectives mais celui-ci ne semble plus actif (ou privé ?)= erreur 404 ! Pourriez-vous me confirmer la page si l’accès est toujours existant ?

    – je travaille avec un collectif qui se penche sérieusement sur cette question dans le cadre de processus « d’innovation (sociale) ouverte & collaborative » : pour l’instant notre conclusion va dans le sens de dépôt de marque en collectif auprès de l’INPI accompagné d’un règlement d’usage qui puisse garantir l’utilisateur d’une ouverture inaliénable tout en caractérisant les « qualités » de la marque conçue lors de ces processus. Donc principalement un exercice de rédaction corsée (les éléments de la wikimedia foundation sont intéressants mais les traduire en droit de PI français…) tant sur la marque elle-même que son règlement d’usage.

    Connaissez-vous des expériences similaires vers qui nous tourner ou des personnes qui serait intéressées pour contribuer à l’élaboration de ce prototype qui serait facilement duplicable par la suite ?

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